Courir représente une échappatoire que l'adolescent est en mesure de comprendre. Néanmoins, n'est-ce pas également de la fuite, de laisser ses jambes le porter le plus loin possible d'un monde qui commence à lui déplaire ? Il est l'un des plus anciens enfants de l'île, et jusqu'à présent, jamais il n'avait considéré le Grand Arbre comme une contrainte.

« Je vais. »

Leurs corps s'en remettront, pour ce qui est réparable. Samurai est trop habitué pour considérer ses limitations comme autre chose qu'une habitude. Ses pieds nus ressentent à peine l'eau fraîche qui les recouvre. Un signe qu'il devrait faire plus attention.
Il ne le fera pas.

« Tu devrais retourner parmi les Tiens. »

« Est-ce que tout est immuable pour vous ? Votre vie se résume t-elle à une répétition de courses et de moments de repos ? » La question est plutôt maladroite, loin de se vouloir mauvaise. Pourtant, sa formulation n'offre pas l'interrogation qu'il espérait. Samurai redresse un peu la tête, jusqu'à sa limite. Les étoiles ne sont jamais vraiment les mêmes.

« J'ai passé ma vie à prétendre, encore et encore. A m'inventer un monde imaginaire parfait. Et maintenant, je ne sais plus comment y retourner. Comment affronter mon chef et tout le reste. » L'adolescent croise ses bras derrière sa tête, bien que le geste lui soit désagréable.

« C'est dangereux de rester. Dangereux de rentrer, » il commente sans véritable motivation. « Je suis bien ici, avec vous. »

« Tu le seras moins quand je commencerai à avoir Faim. »

Sans doute que le danger est une réalité, que l'être fantastique pourrait changer d'avis et lui ôter la vie. Un peu comme la majorité des habitants de l'île. Samurai n'a pas franchement envie de partir en courant, et encore moins de marcher jusqu'au Grand Arbre. S'il s'en est éloigné, ce n'est pas pour courir si réfugier alors que la nuit est loin d'être achevée.

Lorsque tout tire un peu trop, que ses bras le font souffrir, il les décroise. Qu'il est étrange d'avoir autant de membres qui fonctionnent mal. Sa réponse est un hochement de tête. Une affirmation qu'il comprend ce qui devrait s'apparenter à une menace.

« Le Monde est ce qu'il est. Ce n'est pas si difficile d'y être. »

« Si l'on est sûr de son rôle, tout doit être plus simple. » La phrase se termine sans que Samurai ne souhaite lui ajouter une quelconque explication. Pourquoi ne pourraient-ils pas s'amuser un peu plus ? Au lieu de s'embêter avec tout ça.

Ses pieds suivent le mouvement, éclaboussant un peu l'eau tandis qu'il avance. Va t-il suivre jusqu'à se faire dévorer ? L'adolescent ne s'en soucie pas encore trop. Après tout, Solstice aimerait qu'il réfléchisse un peu moins, non ?

« Voulez-vous encore courir ? Ou bien jouer à quelque chose ? »

Le son paraît venir de la terre elle-même. Le grondement n'est pas un châtiment, quoiqu'il soit suffisant pour que le garçon paraisse moins enclin à courir sans but. Le lion est impressionnant après tout, une myriade de constellations à lui tout seul. Samurai se demande comment ça rendrait sur sa peau, sur la cicatrice qui traverse son dos.

« Tu es Seul, et Blessé. Si tu ne m'étais pas tombé dessus, tu aurais pu devenir Proie. Tu ne deviendras pas Fort en te privant des Tiens. »

Rappeler à son compagnon que ses blessures sont immuables et donc secondaires ne serait pas une excellente idée. Quelque soit ses choix, il paraît destiné à rester une proie pour l'éternité. Il se contente de hausser les épaules. Tout son corps lui paraît se soulever en même temps, pour retomber trop fort.

« Je dois être jaloux, » Samurai marmonne sans se rendre compte de la vérité de ses paroles. Elles ont été si basses qu'il espère ne pas avoir été entendu.

« Rapprochons-nous de ton Arbre. Nous ferons un Jeu en chemin, si tu le veux. »

Un jeu ! Quelle fantastique idée. Tout son être paraît s'illuminer, du sourire au coin de ses lèvres à la façon dont il redresse la tête. L'adolescent est prompt à chasser tout ce qui le retient dans l'espoir d'un bon moment.

« Je ne peux gagner contre une telle proposition. D'accord, Lion-sama. » Une pause. « Quel sorte d'activité vous plairait ? » Ce n'est pas comme s'il avait forcément à rentrer après, n'est-ce pas ?

« Le sol est comme la Lave. »

Techniquement, c'est improbable. Ils seraient morts, si tout était devenu assez chaud pour leur brûler le corps. Le nom du jeu, et sa signification échappent un moment au garçon. Loin de sa langue maternelle, l'anglais est toujours interprété au premier degré. C'est pour ça que lorsque l'être majestueux s'élance dans l'arbre (sans le heurter brutalement cette fois), Samurai laisse un 'Ah !' de compréhension passer ses lèvres.

Grimper n'est pas un exercice simple, cela demande une rigueur que l'enfant a du mal à s'imposer. Néanmoins, les conseils de Peppy sont encore frais dans son esprit. Ils suffisent à l'encourager sans qu'il n'ait peur de s'infliger une nouvelle humiliation. La lenteur n'est pas dramatique, puisqu'il parvient à se hisser après un moment. Pas très haut, sans grâce aucune.

Pourtant, c'est assez. Il parvient à se mettre debout sur une branche épaisse, courant dessus sans se soucier de l'état de ses pieds. On ne pleure pas pendant un jeu, ça serait ennuyeux. Son saut est pataud, manquant de force, et son corps vacille en arrière. L'adrénaline contrôle son geste, lorsque sa main presse contre le pelage du lion pour éviter d'aller se fracasser le crâne en bas.

Au moins Samurai ne s'est pas agrippé à la fourrure brillante. Cela aurait été un crime face à un dieu.

« Lion-sama ! » L'excuse qui devrait suivre meurt dans sa gorge alors qu'il penche la tête en avant. Il s'est déjà reculé, se tenant un peu trop proche du bord sans doute. Mieux vaut ça que de commettre une seconde erreur diplomatique.

Ses pieds peinent à rester en place, alors que le lion gronde. Le rejet est brutal, quoique l'enfant n'est pas si surpris que ça. On ne traite pas un dieu avec si peu de respect. Ses tympans vibrent cependant un moment après ça. Si son corps était plus malléable, moins prompt à perdre son équilibre, rien de tout ça ne se serait produit. L'excuse s'échappe de ses lèvres, étouffée par une respiration un peu trop rapide. L'exercice fait du bien pourtant. Se lancer ainsi, sans filet pour éviter la chute.

Les héros ne meurent jamais, alors que devrait-il craindre, du moment qu'on se souvient de lui au sein de merveilleuses légendes ? Pas grand-chose.

Et puis, Samurai n'est pas l'unique maladroit, au vu du saut que le lion bénit par les étoiles effectue ensuite. L'inquiétude serait malvenue, humiliante même. Lui n'aimerait pas qu'on lui fasse remarquer un tel écart.

« Peut-être vais-je gagner à ce jeu, Lion-sama. » Samurai s'autorise uniquement. Une façon de dire qu'il n'abandonnera pas, que plus aucune erreur ne leur causera des soucis par la suite. Il s'élance une fois qu'il a trouvé l'équilibre sous la plante de ses pieds, que son corps comprend quoi faire. Cette fois, le livreur se rattrape à une branche supérieure, poussant avec ses jambes sur celle du dessous pour éviter de trop tendre le bras et de se blesser.

Un véritable guerrier connaît et comprend ses limites et s'en sert au lieu de les ignorer, n'est-ce pas ?

Fier de lui, il grimpe sur l'épaisse branche, pour ensuite la traverser en marchant. Il suit, d'abord avec hésitation, puis son corps s'accélère, ses sauts devenant moins hasardeux.

« J'ajoute une règle ! Il nous est interdit d'utiliser la même branche, qu'en pensez-vous ? » Samurai crie sa demande, n'ayant toujours pas rattrapé Solstice.

Rentrer cesse d'être une fatalité tandis que ses pieds contrôlent son esprit. Le jeu parvient à obscurcir les doutes, et l'illusion renaît lentement. Sous une forme moins dangereuse qu'auparavant, parce que Samurai voit le sol en contrebas, au lieu de simplement le deviner. Le lion est si proche, l'espace d'un instant, et il a envie de se pencher, de le défier un peu plus. Qu'ils dansent ensemble jusqu'à la fin des temps, sous les étoiles. Son sourire adoucit son visage lorsqu'il accepte la provocation de la créature mythique.

La victoire ne lui appartiendra probablement pas.

Ce qui n'est pas une excuse suffisante pour ne pas lancer son corps aussi loin que possible. Un rire lui échappe lors du saut suivant. L'injuste ne parvient plus à s'arrêter, ressentant le besoin d'avancer, de pousser les muscles jusqu'à ce que la douleur soit remplacée l'adrénaline. Le bois agresse la plante de ses pieds, sans que Samurai ne le réalise. Un détail futile, qui ne sera jamais une excuse. Le lion, lui, ne porte pas de chaussures.

L'image de l'être supérieur avec des grosses bottes de pluie aux pattes lui inflige un saut raté. Un dérapage un peu pitoyable où son corps ne trouve pas l'équilibre voulu. Une branche frôle le haut de la tête, le prenant par surprise, et il termine plus bas que prévu. Aux côtés du lion, en un partage loin d'être intentionnel.

« Ah ! » Samurai se lamente de sa défaite si brutale quelques secondes, juste le temps qu'une étoile traverse le ciel. « Vous avez gagné, Lion-sama. » L'acception est sincère, malgré la revanche qui le motivera la fois prochaine.

Peut-être faudrait-il redescendre à présent.
Le Grand Arbre est tout proche, après tout.

L'entraînement mériterait de devenir une habitue. Le flot continu de signaux d'alarme qui traverse son corps est bien maigre en comparaison de la liberté qu'il ressent. Est-ce qu'il est destiné à revoir le lion pour jouer de nouveau avec lui ? L'île n'est pas mauvaise, elle lui accordera certainement cette joie un jour. Difficile de dire quand. Samurai prête un peu plus attention à ces détails qu'avant, au présent et au futur. Peut-être n'est-ce pas judicieux.

« Je suis Solstice. »

Sol donc. Comme celui que ses pattes ne peuvent toucher aussi haut dans les branches. Samurai aura du mal à le mémoriser, bien qu'il se promet de faire un maigre effort, de se pousser un peu plus. Son sourire est sincère, le coin de ses lèvres épuisé par la longue nuit.

« Samurai, » il ne ressent pas le besoin de le définir et de se prétendre guerrier. « Je promets de tenter de ne pas oublier votre nom, Solstice-sama. » Cela lui semble quelque peu faible, loin d'être une véritable promesse. Au moins, ça ne sera pas si dramatique s'il vient à l'effacer de sa mémoire.

Au lieu de sauter directement en contrebas, l'adolescent s'arrête sur une branche en-dessous d'eux. De là, ça ne devrait pas être si dangereux.

Son corps vibre à l’atterrissage, ce qui n'est pas grave. Rien ne l'est jamais pour Samurai de toute manière. Sa tête se lève vers l'être majestueux en face de lui et il lui adresse un signe de la main. L'excitation de la soirée brille encore dans son regard.

« Merci pour tout, esprit des étoiles ! »