Long réveil, longue coiffure, un début de journée qui s'annonçait comme toujours les mêmes plus ou moins. Mais voilà le Baron enfin réveillé, il avait quitté sa maison pour rien de spécial. Rien de spécial, jusqu'à ce que ses pas le menèrent assez proche pour entendre autre chose. Premièrement, quelqu'un était entré au Bayou, et deuxièmement... c'était une voix chantante. Lundi aimait les mots rythmés, les mélodies que l'on offrait à l'air.

Doucement, le Céleste marchait parmi les arbres, écoutant parmi les divers sons celui de la chanson. Il ne fallait pas tarder, ça ne serait pas long. Et ça tombait bien, il venait de la trouver. La sirène cueilleuse.

Quelle était jolie, là, surprise, les mots coupés dans leur naissance. Le Baron se rendait compte qu'il n'aurait pas de suite. Pour le moment du moins. Peut-être plus tard ? Jolie sirène. Il l'avait alertée ? Peut-être avait-elle entendu l'or qui jouait de sa musique habituelle ? Lundi avançait vers la demoiselle devenue muette.

Cependant, il garda une distance. Se contentant de la jauger, de voir ce qu'elle pouvait bien faire sur le domaine de Maman. Mais le visage se faisait d'un sourire en coin, il se posait des questions. Il se demandait ce qu'il se tramait dans l'esprit de la pirate du port.

Alors, autant demander.

En douceur.

Et puis... à bien y regarder, le Céleste sentait déjà que la foudre avait frappé. Peut-être que les nuances de doutes s'étaient totalement évaporées à cet instant. Le Baron prenait une autre optique.

- Bonjou sirèn.

Sourire dévoilant les dents heureuses.

- Se mwen ki te vòlè vwa ou ? Excuse-moi, je voulais pas te faire peur...

Un autre pas en avant, dans un concert de bijoux, Klere s'installait distraitement sur une grande racine. Observant ce que la jeune fille avait auparavant regardé, elle cherchait quelque chose ?

- Tu chantais un sortilège pour retrouver une chose perdu ?

Il se penchait un peu, comme pour voir sous la racine. Il dû déplacer quelques bout de nattes qui accompagnèrent son mouvement, mais il se redressa finalement, ne voyant rien. À part peut-être des plantes, et... à son humble avis... ce devait être la source d'intérêt. Mais peu importait, il voulait plutôt entendre les mots de la sirène muette.

Cette jolie demoiselle lui faisait penser à un animal paniqué, enfin à se figer ainsi soit elle était subjugué par lui soit elle était envahie par une émotion très inquiète. L'égo aimait bien ces deux possibilités de toute façon. Mais le Baron ignorait tout de la personne qu'il avait en face de lui. Il avait même l'impression de ne l'avoir jamais croisé par les yeux du ciel. Bien des âmes avaient été vues par le fait d'en avoir rencontrée des suivies. Dans les rues du Port, parmi les natifs, ...

Le regard l'évitait, mais la voix presque imperceptible semblait répondre en créole. Ce qui attisa l'intérêt du Céleste qiu tendait l'oreille. Puis, elle parla du Ranch la demoiselle. Oh donc, elle était bien du Port. Mais elle parlait créole et Lundi n'avait pas encore eu l'honneur de la voir frôler l'une de ses personnes de collection. Qu'est-ce qu'elle parlait doucement...

- Tu n'aimes pas me faire entendre ta voix on dirait.

Face à cette âme chercheuse de plantes, Klere toisait. C'était qu'elle était mignonne, mais paraissait terriblement craintive cette pirate. Il esquissa un geste comme pour laisser tomber sa remarque sur l'aspect réservé du Murmure. Il était habitué aux femmes avec un caractère fort, mais il y en avaient des plus discrètes.

- Tu ne déranges pas. Tu me réponds en créole, tu es peut-être plus à ta place que le port lui-même.

Parce que c'était intriguant, après tout... Maman n'avait pas emporté avec elle tous les créoles de la terre. Ça aurait fait beaucoup de monde, mais plus de femmes pour lui. Les yeux tombaient sur les plantes dans la boue, pensifs. Le Baron Lundi s'appuya sur la racine dans un petit concert de bijoux, le sourire revint aussi sympathique qu'il pouvait se montrer.

- Une âme charitable et douce, hein ? Vini avèk mwen, je peux te montrer des endroits qui sauront t'offrir plus de plantes. Les gens du Port s'y aventurent pas, mais tu passeras inaperçue avec moi.

Qui oserait lui faire une remarque ? Si ce n'étaient ses frères ou sa mère ? Et encore, ça n'avait rien de surprenant venant de Lundi.

- T'y passeras moins de temps qu'à chercher à l'aveugle, et ce n'est pas grave si tu veux garder ta voix pour toi.

Il ne s'était pas encore présenté, mais ça attendra. Pour le moment, il avait d'autres occupations. Comme essayer d'apprivoiser la panique qu'il pouvait presque sentir. Il aurait pu en faire de beaux éclairs d'ailleurs, tant ça semblait fort. Alors qu'il ne comprenait pas bien la raison. Le Céleste se trouvait encore jovial, et même bon prince à lui proposer de rester muette si elle le souhaitait.

Enfin la belle timide se relevait et Klere trouvait presque la boue odieuse de salir ces si jolies joues. Les mots avaient été si petits que le Guédé avait dû tendre l'oreille avec grande attention. Mais il avait souri à la décision qui allait dans le sens qu'il préférait.

- Pa regrèt... je peux parler pour deux. Ou ne pas parler.

Le Céleste se leva aussi, il se tourna et entama un chemin sur les racines. Veillant à ce que le Murmure soit toujours là, ou pas en difficulté, il imaginait bien qu'elle ne saurait probablement pas même crier. Pour le moment, ils n'étaient pas encore dans les parties plus profondes. Ils ne croisaient personne, mais bientôt peut-être que d'autres âmes croiseraient leur chemin. Lundi emportait avec lui parfois des dames de l'extérieur, le voir accompagné n'était qu'une peinture bien commune. D'ailleurs, le Céleste s'intéressait à cette pirate parlant créole. Il voulait savoir qui elle était, et s'il saurait rassurer la créature apeurée qu'elle avait l'air d'inspirer.

Puis la marche s'arrêta, le Baron se tourna finalement vers la jeune femme pour lui demander gentiment.

- Tu me laisserais quand même entendre ton nom ? Promis, c'est la dernière chose que je demande à ton murmure. Tu peux me le dire à l'oreille si tu veux encore moins parler.

Il se penchait un peu en avant pour qu'elle puisse l'atteindre si elle le voulait, et pour entendre si elle parlait de là où elle serait. Si elle voulait empêcher le monde d'entendre sa voix, Lundi ne la forcerait pas. Mais s'il pouvait même lui offrir de ne plus jamais devoir interagir, si elle le voulait il pourrait être la seule personne à l'entendre et il porterait sa si discrète parole. Si ça pouvait l'aider à se détendre parmi les vivants.

Une jolie réponse a été offerte, et Lundi était satisfait. Il trouvait que le nom allait bien avec sa porteuse, tout doux, il fallait bien se concentrer pour ignorer les bruits alentours et juste écouter la petite voix.

Il nota cependant que l'attitude de la demoiselle semblait un peu... maladroite ? Inquiète ? Elle paraissait chercher quelque chose dans le sol, mais revint finalement à son regard. Klere afficha un petit sourire en coin, il comprenait que cette compagne de promenade était dévorée par la gêne en tout genre. Honte, timidité, etc. Gênée juste d'exister. Enfin, voilà ce que la timidité lui inspirait.

Le sourire dressa l'autre coin des lèvres pour être entier à la question posée. Le Guédé en était à se demander si Mahalia se montrait réellement curieuse, ou essayait de faire comme si elle tenait une vraie conversation. Il ne s'y attarda pas, évidemment. Il préférait prendre la première option.

- Heh, rien que tu puisse faire ne va me déranger. Non mwen se Lundi.

Il se montrait honnête, il n'aimait pas mentir à celles qu'il voulait courtiser. Néanmoins, le Céleste ne perdit pas de temps à enchainer.

- Kontan rankontre ou, Mahalia. Suis-moi, je te promets que ce n'est pas loin.

Sourire de miel, toujours. Avant de se retourner pour descendre une haute racine, il arriva sur un de ces fameux nénuphars géants. Puis fit face au Murmure et lui tendit une main.

- Si tu veux mon aide, tu peux l'avoir. Sinon... je te rattraperai quand même si tu tombes.

Le Céleste commençait à avoir l'habitude de rattraper des demoiselles -et des fées. La suite du chemin se parcourait avec ces plantes spécifiques au Bayou, c'était presque à croire que des petits Lwas avaient posté cette feuille flottante ici juste pour l'occasion.

Spoiler:

La demoiselle paraissait bien soucieuse, ou hésitante ? Elle murmura des mots difficiles à entendre, mais Klere devinait parmi le chant des grenouilles ce que voulait dire cette si petite voix. En réponse, il n'esquissa qu'un léger souffle de rire discret. Il le prenait sur de la plaisanterie, un genre d'autodérision, sans même en être certain. Elle était bien mignonne dans ces océans de soucis qui paraissaient minuscules flaques pour les autres.

Cependant, aucun besoin d'ajouter une couche de miel pour tenter de faire sauter ce si petit pas. Le regard de Mahalia avait eu ce petit éclair de force qui voulait bien dire qu'en effet, elle traversait un océan. Le Guédé pouvait le sentir dans les émotions, ce petit pique différent qui s'alliait à la peur ou l'angoisse. Il serra la main qui acceptait son aide, un contact engendrant une petit décharge mais qui jamais ne détournerait quelqu'un d'aussi concentré. En revanche, Lundi avait été surpris que le Murmure dû se stabiliser en s'appuyant sur l'épaule. Heureusement qu'il se tenait bien pour ne pas tomber à son tour, il avait dit qu'il la rattraperait. Distraitement, la main liée à cette articulation s'était posée sur la hanche de la Pirate. Promis, c'était vraiment un réflex pour l'aider à se stabiliser sur le nénuphar.

Mais tout s'était bien fini, pas d'homme à l'eau. Néanmoins, une femme était dans tous ses états. De ce que le Céleste pouvait supposer à cet écart hâtif et l'excuse qui s'en suivit, il pouvait presque entendre le coeur battant. Evidemment, il l'avait laissé prendre de la distance, sans lâcher la prise qu'il lui avait offerte avant ce tout petit incident. Il imaginait qu'elle aurait encore pu s'achouper les talons en reculant.

- Tout bagay anfòm, Mahalia.

Le Baron ne pouvait pas retenir un sourire tendre en servant ces mots pour tenter de rassurer la commerçante.

- Pran yon plas.

Doucement, il donna cette instruction tout en se baissant un peu avant de libérer la jolie main qu'il tenait encore. La suite concernait la tige de la plante géante, ce n'était pas bien compliqué Klere n'eut qu'à sortir un poignard et couper l'attache végétale visible. Ces nénuphars de l'Île se reliaient parfois entre eux, la lame se contentait de rompre le lien entre la barque naturelle et la plante voisine.

Le courant léger fit le reste, il valait mieux savoir où on allait et où attraper une ancre.

Rapidement, l'eau sombre paraissait plus profonde, mais le chemin aquatique restait calme malgré le léger trouble sur l'onde provoqué par le transport improvisé qu'avait proposé le Guédé. Un trajet assez long pour laisser la visiteuse se remettre de ses émotions, peut-être, mais pas assez long pour que Klere décide de rester assis. Ce qui jouait au demi-dieu guettait déjà la rive décorée de mousse espagnole.

Pour laisser la timide Mahalia un peu tranquille, Lundi avait été silencieux jusqu'au moment où il devrait inévitablement prévenir sa comparse. Il ne voulait que son coeur éclate. Un simple sourire en surveillant les "pontons" de racines. Sans aucune attention pour les silhouettes parmi les troncs, des zombies probablement. Rien de bien surprenant pour qui vivait dans le domaine de Manman.

Bras croisés, et quelque chose d'un peu taquin dans le regard, il prit la parole alors que la rive faite de racines entremêlées et de branchages couverts de mousse espagnole apparaissaient.

- On va descendre juste là-bas. Tu n'auras qu'à me suivre et prendre à nouveau ma main, le sol est stable sur cette rive c'est promis.

Le rythme du voyage sur le nénuphar se comptait lentement, assez pour descendre sans encombre, et la plante donnait l'impression de suivre un chemin bien précis. La faute aux autres végétaux qui habillaient l'eau noire du Bayou. Bien pratique pour ceux qui connaissaient les lieux, dangereux pour ceux qui ne savaient pas où mettre les pieds.

Le Baron mit un pied à terre, retenant très légèrement la barque ronde et souple de l'autre. Emportant d'une main celle de l'invitée inquiète.

Il fallait admettre que le Céleste aimait bien quand le Murmure rougissait.