Ohana means family ~ Jerk, Earl, Abeille

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En cette journée trop chaleureuse, deux silhouettes se fondent dans l'ombre.
Deux silhouettes filent comme un souffle de vent frais et végétal, anormal, face à la brise salée du port. Elles sont petites, si petites devant l'imposante carrure de ces gaillards les Pirates ; pourtant, elles fusionnent parfaitement avec l'obscurité qu'offrent les rayons généreux du soleil. Elles sont invisibles.

Parfois, l'une des silhouettes s'immobilise et ses prunelles sombres deviennent deux trous noirs avides. Elles n'épargnent rien, aspirent tout en leur sein. Chaque scène se transforme en un tableau d'une précision étonnante. Formes, puis couleurs, puis détails s’imprègnent en sa mémoire. Le sabre rutilant de celui-là. Le rire tonitruant d'un tel, le cri de colère de cet autre qui fait vibrer les entrailles. Ces dames aux attitudes étranges, encore insondées par des âmes si jeunes. L'animation est grande parmi la foule. Cette marée humaine a néanmoins les yeux rivés à leur hauteur et pas un seul ne semble remarquer les intrus.

Bientôt, les deux silhouettes repartent, furtives. Elles s'éloignent.
Du moins le pensent-elles. Le port leur fait bien vite comprendre que l'on ne pénètre pas en ce lieu impunément, lorsque là n'y est pas sa place. Il refuse de les laisser partir.

Le bois mort grince sous les pas qui se fatiguent. La visite s'éternise plus qu'elle ne le devrait. Au fur et à mesure que le temps détraqué s'écoule, les deux silhouettes savent que le risque d'être découvertes augmente dangereusement. Elles sont certes armées, cela ne suffira peut-être pas. Et cette solution ne les sauvera pas éternellement.

Cette idée n'était finalement pas si bonne, semble-t-il. Malgré tout, aucun regret ne trouve son chemin en son cœur. Il leur faut persévérer.
Tout ira bien.

Soudain, un regard cloue l'une des silhouettes sur place. Elle se fige comme une statue de pierre, met un temps à identifier l'étrange sensation. D'ordinaire, c'est elle qui observe, non elle qui est observée. La situation inversée l'amène à ressentir un certain malaise.

Tout doucement, ses yeux trouvent l'origine de cette impression, et tout doucement, ses doigts resserrent ceux de sa silhouette jumelle comme un avertissement silencieux.
Elles sont démasquées.

Hérisson Chanteur frémit, souffle doucement. L'adrénaline fait tambouriner son cœur plus fort. Il a une conscience étrange du tomahawk suspendu à la ceinture qui tient son pantalon -son unique habit. Sa main libre est toute proche de son arme. Il espère ne pas avoir à l'utiliser.

L'Observateur est un homme âgé qui dégage un aura tranquille et pétillante. Il semble inoffensif ; cependant, il vaut mieux rester sur ses gardes. Les apparences sont trompeuses.

En ce jour,
Un papoose arpente le port.
La tanière de l’ennemi.
D’un pas dangereusement sûr,
Il furète.
Les ombres massives d’hommes, de femmes
Semblent l’écraser.
Mais il est loin d’en être intimidé.
Si loin.
Il les dévore du regard.
C’est un animal curieux et avide
Qui profite de l’obscurité
Pour se faire invisible,
Infime.
Mais double.

Car ils sont deux :
Pic le suit.
Ou plutôt, il se traîne.
Son sang galope sous son crâne,
Il a quitté ses jambes.
Celles-ci tremblent,
Celles-ci menacent de se défiler.
Une main dans la sienne
Pourtant le pousse à avancer.
Celle de son frère.
Sa moitié.

Ce n’est pas la peur qui l’écrase,
C’est l’impuissance qui le pèse.
Comment veiller sur sa moitié
Quand la menace est partout ?
Comment le prévenir d’un danger
Dans lequel ils se jettent ?
Tétanisé.
Tant à l’affût,
Qu’il sursaute à tout.
Tant attentif,
Qu’il ne sait plus où donner de la tête.

Le cœur du port bat un rythme fou.
Porc-épic ne voulait pas y mettre les pieds.
Mais son frère ne désirait rien d’autre.
Il a donc cédé,
Emporté par un courant
Qu’il est incapable de contenir.

Dans les rues,
Les visages le surplombent
Et défilent.
Fardés ou couverts de cicatrices,
Si différents entre eux, si différents de lui.
Leurs bavardages qu’il ne comprend pas,
Leur vie bruyante et effrénée.
Tout ça s’éloigne de tout ce qu’il connait.
Et ça l’effraie.

Une pensée vers ce père
Qui vit peut-être encore,
Qui vit peut-être là,
Parmi ces gens.
Sa haine y réagit,
Elle remue dans son ventre,
Elle veut sortir au pire moment.
L’enfant l’étouffe du poing.

Mais bientôt,
Hérisson l’éloigne des foules,
L’entraîne dans des ruelles désertées
Où Pic retrouve son souffle.
Pour un temps.

Le papoose lève soudain les yeux
Là où son frère a posé les siens.
Il voit.
Il n’hésite plus.
Quand l’assurance d’Hérisson s’ébranle,
Que les risques le rattrapent,
C’est à lui d’agir.

Sa main relâche celle de son jumeau
Et se pose sur son épaule,
Le tire derrière lui.
Il fait désormais barrage,
Son corps tendu
Prêt à tuer.
S’il le faut.

Faire comme si de rien n'était.

C'est le mot d'ordre et ce qu'Earl ne cesse de se répéter depuis qu'il a aperçu les deux indiens. Discrets de par leur taille, ils jurent pourtant violemment dans le décor du Port. Le médecin est le premier à les avoir repéré - sans doute - et il pense qu'au moins l'un des jumeaux le sait. Mais il ne les fixe déjà plus, il a recommencé à marcher.

Faire comme si de rien n'était.

Comme s'il approcherait un chat sauvage, il marche doucement, sans les regarder. Et même si son coeur à commencé à battre plus vite et qu'il sent l'urgence l'étreindre, il se force à rester tranquille, ne surtout pas attirer l'attention sur lui - eux. Faire comme si de rien n'était, c'est la clé. Le Port est fait de routines, d'un rythme qu'il ne brisera pas en public. Puis, alors qu'il est à quelques mètres des enfants, il bifurque, se rapproche d'eux.

Se penche et murmure - à l'adresse de celui qui protège l'autre - sans s'arrêter pour autant :

- Suivez-moi si vous voulez sortir d'ici.

Et leur passe devant, s'engouffrant de son pas tranquille dans une ruelle adjacente et bien moins peuplée. Est-ce que les papoose vont suivre ? Il l'espère. Il a préféré ne pas les forcer : ce serait risquer de trop attirer l'attention. Mais, d'un autre côté, rien ne lui garantis qu'ils lui feront confiance.

D'un autre côté, c'est leur problème.

Même s'il le sait pertinemment, Earl ne peut s'empêcher de s'inquiéter un peu.

Il s'arrête alors, croise les doigts.
Et attend.

Racing away from the shoreline
Back there as a young lad at Brooklands
Mountains rise into the distance
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Le temps se disloque. Hérisson Chanteur a conscience qu’il ne se passe qu’une instant ; pourtant il a eu le loisir d’avaler goulûment chaque couleur, chaque courbe, chaque ombre, chaque détail qui caractérise l’Observateur. Il s’est laissé glisser derrière son frère comme l’eau d’une rivière longe de bonne grâce le rocher sur son chemin. Il est inutile de lui disputer la première place dans les loges.

Le danger, toutefois, paraît s’écarter. L’attention de L’Observateur s’est détournée, sagement. Hérisson lâche un souffle qu’il ne s’était pas rendu compte avoir bloqué. Il est suspicieux : pour quelle raison un pirate les épargnerait-il ?
Ses muscles se relâchent, puis se détendent. Il s’accroupit un peu plus bas, se penche un peu plus.

Que faire.

Les images défilent devant ses yeux ouverts. Néanmoins, ce ne sont pas celles du Port qui se présente sous lui ; ce sont celles d’une existence passée à observer, à se souvenir, les histoires les plus délicates à mettre en œuvre, et pourquoi elles l’étaient.
Car aujourd’hui, c’est lui, qui fut observé. Lui, et Porc-épic Impétueux. Il ne pouvait se permettre de les laisser devenir protagonistes.
Ou pire, spectateurs de leur mort.

Il réalise, dans un éclair de compréhension, ce qu’il se passe. Il tourne la tête suffisamment tôt pour voir une ruelle vide derrière eux se remplir, la seconde suivante, toute entière de la présence de L’Observateur.
Sa main se pose franchement sur son arme, son dos s’arrondit à la façon du chat qui crache face au danger… Ou du hérisson qui se roule en boule.

- Suivez-moi si vous voulez sortir d'ici.

La voix recouvre son ouïe comme un voile de soie. Elle est rugueuse et inexplicablement doucereuse.

Durant une fraction de seconde, son regard d’ébène fusionne avec son autre moitié. Rien n’est dit mais tout se dit.
Il devine avant d’entendre Pic exprimer son inquiétude. Il sait sa méfiance. Plus encore, il la sait justifié.
Il sait tout aussi bien ce qui se lit chez lui : la vigilance rongée soigneusement par la curiosité corrosive naissante. Que veut L’Observateur ? Qu’espère-t-il accomplir ?

Hérisson Chanteur est faible, si faible face à la tentation.

Bientôt il se mêle de nouveau aux ombres et, prudemment, suit les pas de L’Observateur.

Sujet: Re: Ohana means family ~ Jerk, Earl, Abeille Ven 23 Mar 2018 - 23:23

Une ombre s’avance.
Obscure dans l’obscurité.
La lumière découpée
Vient couler sur sa figure,
Vient découvrir son visage,
Se loge dans ses rides,
Imprègne ses cheveux blancs.
Il est vieux.
Pic se méfie, il sait :
Pour atteindre un âge avancé,
Les hommes-sel payent le prix du sang.

Il parle.
Il leur parle.
Mais tous les mots ne font pas sens.
Pic ne parle pas la langue blanche
Mais il en connaît quelques mots.

Suivre.
Sortir.
Suivre.

Tête rentrée, œil brûlant.
Sa lèvre se soulève pour dévoiler ses dents.
N’avance pas. N’avance pas.
Il tremble. Colère, colère.
Il a si peur, pourtant.
Ne me touche pas.
Ne le touche pas !

Il les dépasse.
Perdu, confus.
Pic se retourne.

Le loup blanc poursuit sa route.
Suivre.
Suivre.
Suivez-moi.
C’est peut-être un piège.
C’est sûrement un piège.

Il pense à sa mère.
Ses bras lui manquent.
Là, maintenant,
Il ne veut rien d’autre.

NON !
Son frère est là.
Il doit savoir quoi faire.
Il ne sait pas.
Il ne sait jamais.
Il faut quand même choisir.
Son frère, lui
Il a déjà choisi :
Il suit le vieil homme.
Et Pic, il suit son frère.

Au fond,
C’est dans l’ordre des choses.

Le coeur battant peut-être un peu trop fort pour son âge, Earl s'est arrêté. Le temps d'une respiration, peut-être deux, avant qu'il ne se retourne doucement. Ses gestes sont mesurés, réfléchis : s'il se montre trop brusque, il peut les faire fuir.

Et si les papooses fuient, il ne pourra plus rien faire pour eux.

Lorsqu'ils se retournent, pourtant, ils sont là tous les deux, l'un peut-être plus en avant que l'autre. Même s'il reste sérieux, Earl ne peut s'empêcher de sourire doucement.

Comme il le ferait face à deux bêtes sauvages, il s'accroupit alors - ignorant ses vieux os qui craquent - et, à voix basse, lance :

- Si vous continuez de me suivre, je peux vous faire sortir d'ici avant que quelqu'un d'autre ne vous voie.

Connaissent-ils la langue dans laquelle il leur parle ? Earl espère que si : d'un côté, ils l'ont bien suivi. Toujours accroupi, son regard bleu fixant les deux enfants, il reste cependant aux aguets : ils ont beau être dans une ruelle solitaire, n'importe qui peut y passer à tout moment.
(Et rien ne lui dit que ce n'importe qui sera bien intentionné).

- Qu'en dites-vous ?

Il sait qu'il leur demande beaucoup, mais il n'a pas le choix : en cet instant, il est peut-être bien le seul moyen sûr de ne pas leur attirer plus d'ennuis.

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Deux paires d’yeux scrutent.
Les unes, méfiantes. Colère. Peur.
Les autres, avides. Simplement avides.

Mais Hérisson Chanteur perçoit les pulsations craintives comme si elles étaient les siennes -ne l’ont-elles pas toujours été ?
Il reste en avant, mais sa main recule et vient s’entremêler à celle de sa moitié. Ils sont ensembles. Ils sont invincibles.

Tout à coup, le vieux Pirate au sourire doux comme la soie se retourne. Il paraît surpris de les voir.
Néanmoins, il ne tarde pas à leur offrir une expression tendre qui lui rappelle celle d’une mère. Puis il s’accroupit, et les derniers restes de méfiance du Narrateur s’envolent comme la feuille portée par la brise.

▬ Si vous continuez de me suivre, je peux vous faire sortir d'ici avant que quelqu'un d'autre ne vous voie.

Un froncement de sourcil se fait pour seule réponse. Hérisson est encore un peu jeune pour capter toutes les nuances du langage des Garçons Perdus et des Pirates, mais il en dégage le même sens que les premiers mots adressés.
Le Pirate rusé se désigne comme un gage de confiance.

▬ Qu'en dites-vous ?

Cette fois, la décision mérite concertation approfondie.
Il semble vouloir les mener par des passages risqués et s’assurer qu’ils le suivront jusqu’au bout. Au sein d’une Histoire, Hérisson saurait que c’est en acceptant que le Héros scellerait son destin.
Sa mort.

Pour autant, la méfiance ne s’élève pas de son tombeau. Il y a quelque chose dans l’aura du Pirate, qui plaît à Rissou. Une sorte de voile, de douceur sucrée, inexplicable.

Il s’avance sans peur et pose, délicat, une main sur le genou du vieil homme accroupi. Son autre main est toujours liée à son indissociable moitié. Il la regarde, tranquille, sans impatience ; sans pression. Si c'est là son souhait, ils s'en iront.

Sujet: Re: Ohana means family ~ Jerk, Earl, Abeille Lun 24 Sep 2018 - 20:01

Il a pris sa décision. Pourtant, le doute l’envahit un peu plus à chaque pas. S’il a fait le mauvais choix, il ne sera pas le seul à le payer. Il craint pour sa vie, pour son frère. Leurs mains se cherchent, se trouvent. Leurs doigts se nouent. Et ça l’apaise un instant.

Pas plus longtemps que ça. Le vieux loup se retourne, Pic se tend comme un arc. Il n’a aucune confiance en cet homme. Plus il leur parle, plus ça l’inquiète de ne pas tout comprendre. Il entend le mot suivre, le mot sortir. Ça ressemble à ce qu’il leur a dit tout à l’heure mais ce n’est pas la même chose, non ? Il n’y comprend rien. Est-ce qu’il les menace ? Non, bien sûr que non. Mais qu’est-ce qu’il prépare ?

Son frère s’avance, sans la moindre crainte. Il envie sa confiance, sa sérénité. Il maudit son imprudence, sa naïveté. Hérisson lui glisse un regard qu’il ne rend pas. Plus de questions, ils sont allés bien trop loin pour faire demi-tour maintenant. Pic soutient le regard du vieux loup, se persuade qu’il n’a pas peur de lui.

Il avance d’un pas.

S’il les trahit, il le tuera. Il s’en fait la promesse.

Sujet: Re: Ohana means family ~ Jerk, Earl, Abeille Mer 31 Oct 2018 - 20:20

Les deux papooses - sans doute frères, liés et ressemblants comme ils sont - se rapprochent, semblent hésiter, et Earl doit faire appel à toute sa tempérance pour lutter contre l'idée de les secouer. Pourtant, ils ne mettent pas si longtemps que cela à se décider : le premier vient poser sa main sur son genou, heurter à son regard une solennité étrange, alors que l'expression de l'autre est plus rude, tellement plus méfiante.

Earl sourit, doucement.
Oh, il les comprend tous les deux.

Hochant la tête, le Pirate se redresse alors avec une agilité étonnante et se retourne, invitant d'un geste les deux enfants à le suivre. Le Port est chaotique mais il le connaît comme sa poche : sortir en empruntant les ruelles les moins fréquentées est tout à fait envisageable.

Et au pire, il fera semblant de les tenir prisonniers, même s'il doute qu'il puisse réellement faire illusion.

△△△

Lorsqu'ils atteignent l'entrée du Port, ils n'ont croisé personne. L'Argenté prie pour que cela dure, même s'il ne se berne pas : ils ne pourront passer la porte principale sans être vus. Alors qu'ils sont encore à l'abri de la foule, l'ancêtre s'arrête, se tourne vers les enfants et explique :

- A mon signal, vous allez courir vers la sortie. Je vais vous courir après, faire comme si je vous chassais. Ne vous arrêtez que lorsque le Port ne sera plus en vue, d'accord ?

Tiendra-t-il la distance face à deux papooses en pleine forme ? Sans doute pas. Mais tant pis, il essaiera.

HRP:

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✘ AVENTURES : 2537

The End

D'une façon ou d'une autre ce chapitre s'achève,
Le suivant commencera dès que le jour se lève,
Offrant à nos étoiles, de quoi coudre nos rêves.

FIN DE L'AVENTURE

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