— On t'as jamais dit qu'on naissait tous égaux en liberté et en droit ?

Non. Non, Apache, on lui a jamais dit ça, à Zombie.
Et non, non, Apache, Zombie n'a rien d'un lâche. En vérité, on a appris à Zombie à tuer, avant toute chose, sa propre peur, y compris lorsqu'elle ne prend la forme que d'un brute instinct de survie. Zombie peut détruire, Zombie peut souffrir, Zombie peut mourir, sans peur.
Alors Zombie ne comprend pas, quand Apache lui parle de lâcheté. Sa soumission n'est pas de l'ordre de la peur, c'est une soumission pleine, épanouie, logique. C'est peut-être le pire, au fond. La soumission volontaire.

La voix d'Apache résonne fort dans les cachots. Tout le monde doit l'entendre. Les tympans de Zombie vibrent. C'est une situation bizarre, dérangeante. Car Apache parle exactement comme les professeurs, les militaires de la Napola.
Baisser la tête. Garde à vous. Soldat. Avec cette voix qui beugle, ce ton qui gifle.

Une bête énorme avait infiltré son estomac. Il la sent se tortiller en lui, grignoter ses entrailles, lacérer son intérieur. Ça gronde, ça grogne, ça HURLE en lui ! Ça fait battre son coeur et bouillir son sang. Son regard est si brillant qu'on le croirait embué de larmes. Est-ce que ce sont des larmes ? Ou la flamme d'une rage prête à exploser ?
Et il explose, Zombie. Il fonce sur Apache, la tête en avant, percutant son ventre avec une violence inouïe, une maitrise calculée car Zombie est entrainé. Il sait qu'il ne doit pas, il se revoit avec Arrow, il se revoit animal, et il se méprise, mais la bête en lui hurle de joie cette fois. Le corps d'Apache se plaque contre les barreaux. Zombie le croit entendre rire, mais non, c'est forcément dans sa tête.
Alors Zombie fait rebondir la tête rouge, hérissée d'Apache, si opposée à son crâne lisse et blond, contre les barreaux. L'un des barreaux se tort, agrandissant le trou. Il y a du sang, rouge aussi, et Zombie réalise seulement que la bête qui hurle en lui le fait hurler aussi.

Il fallait vraiment être dégénéré, être retourné du cerveau, être un véritable anti-soldat pour jeter de force quelqu'un hors d'une cellule de prison. Zombie en reste bouche-bée, sonné, il n'arrive pas à croire ce qui vient de se passer. Non, il y croit pas.

Le geste de violence d'Apache n'est rien alors, face à la gifle morale qu'il lui a déjà assénée, Zombie le subit avec docilité, mollesse même, et s'écroule sans même changer d'expression, sans même songer à se rattraper. Ses coudes s'effritent en même temps que son assurance, la poussière des cachots s'insinue dans ses vêtements.
Il gobe alors les mots d'Apache de ce même air hébété, sans force de les rejeter. La rage n'est plus là, ce n'est pas comme avec Arrow, ce n'est pas comme il y a cinq minutes. Seule perdure la rage d'Apache qui aura été encore plus résistante et vivace que la sienne. C'est peut-être ça qui lui retourne le cerveau, à Zombie.

Le son des pas croit en cadence avec le coeur de la Torpille qui comprend qu'il va se faire prendre. Il secoue la tête, il va s'expliquer, il n'a pas voulu, c'est Apache. Mais les mots ne sortent pas, bloqué, bloqué.

— Non mais... ! Comment vous avez fait ça !

Ils sont choqués de trouver Zombie là, aux côtés de l'Hérissé, en pleine fraude, en plein délit. Mais moins choqués que Zombie.

— Tu t'arrêteras jamais, toi ! Peter sera prévenu ! Viens là !

Ils s'adressent à Apache. Et Apache sourit. Ni honte, ni peur, ni regret. Rien que l'audace qui rit, rouge comme un feu de joie. Comme Peter.

— Et toi Zombie, il t'a forcé ? Tu saignes ?

Bien sûr, ils n'y croient pas. Eux non plus.

— C'est bon, la voix blanche, Je vais retourner dans la cellule. Je ne m'enfuirai pas. Je vous conseille de l'attacher dans sa cellule.

Pour ne pas qu'il s'en aille. Non, pour ne pas qu'il vienne le voir. Pour le tenir loin de lui, enchainé.

*

Zombie retourne lui-même sans sa cellule. Il enjambe les barreaux décapités et va s'asseoir tout au fond. Il est fatigué, soulagé, et quelque part au fond de son coeur palpite une sensation qu'il refoule avec la hargne qui lui reste. Qu'est-ce que c'est ? Il a du mal à dire. Ça ressemble à... un peu de dégoût peut-être. En tous cas, c'est amer. C'est très amer.