Parfois les gens ont des idées bizarres comme ça, des idées un peu folles, un peu dangereuses aussi, et en plus des idées qui ne rapporteront souvent que des ennuis et rien d'autre. Moony était un garçon intelligent, calme, qui faisait toujours très attention à ne pas suivre ce genre d'idée, tout simplement parce qu'il avait un excellent instinct de survie et qu'il savait très bien que ces idées — aussi intéressantes et loufoques soit-elles — n'avaient souvent qu'un seul résultat probant : la mort.

Pourtant, parfois, le grand garçon succombait lui aussi au charme étrange et tentant de ce que les adultes appellent sans politesse : « une idée à la con ». Maintenant c'était le cas... au début elle n'avait pris naissance qu'à l'arrière de son crâne, là bas tout au fond entre le plan d'une nouvelle passerelle plus solide et le dessin d'un jouet un peu différent ; puis petit à petit elle avait gagné en précision, s'était imposée avec bien peu de manière, rongeant sans vergogne les autres idées jusqu'à se retrouver seul maître à bord.

Ça faisait un moment déjà que Moony s'échinait sur le parfum de Love. Il était parvenu à récupérer quelques éléments intéressants chez les Delaware, pendant la mission... particulière qu'il avait menée en compagnie de deux mères et d'un autre artisan. Cependant il se retrouvait face à un problème de taille : Moony n'avait aucune idée de la manière dont il fallait lier ces éléments. Il était artisan lui, pas créateur d'odeurs, ni alchimiste, et il avait beau y mettre tout son génie et toute son originalité ça ne donnait jamais la résultat escompté... Il savait qu'il devait utiliser de l'alcool... il ne savait pas pourquoi mais il le sentait, d'instinct, supposant que c'était censé fixer la fragrance, mais qu'en faire ? Comment ? Il ne savait pas. Il avait beau tourner et retourner le problème dans sa tête aucune petite lumière ne venait éclairer sa lanterne. Du noir, de la nuit, aussi épaisse et coriace que celle qui hantait l'île de manière quasi définitive. C'est à ce moment là, juste au moment où Moony commençait à désespérer, que l'idée était venue...

Le grand garçon aimait les rumeurs et les histoires, il aimait les inventer lui-même, des histoires belles, douces et fantastiques avec des créatures magiques et des grands héros ; mais plus que tout il aimait surtout les écouter. Un jour, au cours d'une veillée, l'un des plus grands garçons avait raconté comment il avait assisté à la mort de son ami au cours d'une mission contre les pirates. Ils avaient croisés un type étrange, cerné, maigre, effrayant, aux allures de second croquemitaine. Il avait paru gentil au début, il souriait, même si le sourire faisait un peu peur. Le drôle de bonhomme aux grandes cernes avait fait boire quelque chose au second garçon perdu et après...après tout était trop effrayant pour le raconter.

L'histoire faisait trembler les autres mais pas Moony... il y avait toujours un fond de vrai dans les récits des autres garçons et ce type existait donc pour de vrai, quelqu'un qui savait manier les potions et qui serait peut-être capable de l'aider... en échange de quoi ? Moony verrait bien, il improviserait. Le presque adulte avait plus d'un tour dans son sac et même si cette nouvelle mission qu'il se donnait lui faisait peur au fond il était poussé par le désir grandissant de ne pas échouer dans la fabrication de ce parfum. Rien ne lui résistait, aucun objet. L'ego mal placé de l'adulte parlait à la place de l'enfant et il risquait peut-être de faire une grosse bêtise...

Dès le lendemain Moony partit. Il avait pris grand soin de remplir son sac de bric et de broc, n'oubliant surtout pas l'étrange substance luminescente qui lui permettait de remplacer les habituelles lanternes trop voyantes. Il se rendit sur la plage, traversant la jungle avec prudence, en silence. Il aimait bien la jungle : au moins on pouvait s'y cacher. Ce n'était pas le cas de la plage, nue, longue, parfaitement découverte. Il se sentait vulnérable ici, à la merci des bêtes et des pirates dont il voyait le gigantesque bateau au loin. Bien Moony... et maintenant... tu vas le trouver comment ton maître des potions ?

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Pas besoin d'aller chercher les ennuis, ils viennent souvent à vous d'eux-même. Moony sursauta lorsqu'il sentit quelque chose sur son épaule et se raidit un peu. Il n'aimait pas beaucoup les contacts, que ce soit celui des hommes et des femmes. Il ne sort jamais rien de bon des gens qui vous touchent. Il ne sort jamais rien de bon non plus de quelqu'un qui vous propose à boire. Le grand garçon avait bien en tête toutes les horreurs dont l'autre garçon avait parlé. Sans oser se retourner il répondit simplement avec beaucoup de politesse.
« Non merci c'est très aimable, mais j'ai ma propre gourde.»

Allez Moony mon grand courage, vas-y retourne toi. C'est sans doute un pirate, un pirate qui ne t'a pas tué par derrière mais ça pourrait venir. Prenant son courage à deux mains et le serrant bien contre lui pour ne pas le faire tomber en cours de route, le Fabricant se retourna et tomba nez à nez avec le type le plus flippant de la plage. Pas difficile en même temps... à première vue ils n'étaient que deux. Il nota la maigreur, le sourire, les cernes. Ça alors... bingo. Du premier coup. Mon petit Moony c'est ton jour de chance ! Enfin non peut-être pas... mais un peu quand même au fond.

Sans hésiter le garçon prit les mains de l'alchimiste et les serra bien fort, les agitant comme on agite une noix de coco — oui, oui on agite les noix de coco, on se tait c'est une licence poétique. Le grand Moony laissa Moony l'enfant gérer. Il était plus spontané, plus apte à surprendre aussi. Avec un grand sourire innocent, ses bouclettes propres s'agitant au fur et à mesure que ses bras montaient et descendaient avec énergie, le garçon perdu déclara :
« C'est vous ! Je vous ai trouvé ! J'ai tellement entendu parlé de vous !»
Pas en bien...
« C'est un honneur de vous rencontrer !»
Ça peut en tous cas m'être très utile.
« J'ai vraiment, vraiment besoin de vous !»
Ça au moins, ça avait le mérite d'être clair. Et notez que Moony maniait la forme de politesse. Mais comme il est bien élevé ce petit...

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Evidemment que Moony avait bien fait de refuser, il ne faisait jamais rien au hasard ! Du moins c'est ce qu'il essayait de se faire croire et ça marchait plutôt bien, à croire que l'autosuggestion était plus efficace qu'on ne pouvait le laisser supposer de prime abord. Bravo.

Les quelques mots que prononça l'homme abîmèrent joliment l'oreille mélomane ― ou en tous cas autoproclamées mélomanes ― du garçon. Il ne connaissait pas cette langue mais ce n'était pas la sienne, ça c'était sûr, et certain même. Dieu que c'était vilain à entendre, et inhabituel. Au fond, tout au fond ça lui rappelait quelque chose.

« Oh non, non, rien de tout ça ! Il me faut juste un parfum pour une jolie fille. »
Jolie ? Les filles n'étaient pas jolies, jamais ! Elles étaient inutiles et fragiles ! Mais pas Love... Love elle avait la bouche rouge et elle voulait son odeur. Love c'était Love, et il aimait bien danser avec elle au dessus du précipice. Mais surtout... surtout il avait soif d'apprendre et de réussir. Il pouvait toujours s'améliorer et il voulait toujours s'améliorer d'ailleurs, en bon acharné de travail, comme tout passionné qu'il était.
« J'ai tâtonné un peu, je sais qu'il faut de l'alcool, je sais qu'il faut extraire le meilleur des plantes et j'ai un objet magique pour tout conserver mais... mais je n'y arrive pas. S'il vous plaît apprenez-moi ! Il paraît que vous êtes très fort et moi aussi je veux être très fort. Moi aussi je pourrais peut-être vous être utile en échange ! »
L'adulte en lui savait qu'on ne donnait jamais rien sans rien. Le troc faisait tout, il ne fallait pas travailler gratuitement. Restait à savoir jusqu'où il était prêt à aller pour apprendre l'art de ce bien sinistre faiseur de sourires.

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Comme la plupart des garçons perdus, Moony avait un peu peur des pirates... c'était logique après tout, ils étaient adeptes de la chasse aux enfants, n'hésitez jamais à sortir tripes et boyaux, ou alors inventaient des tortures toujours plus terrible pour provoquer la souffrance et la peur.

Cet homme là était peut-être encore plus effrayant que tous les autres pirates que Moony avait croisé. Il y avait le sourire d'abord, qui n'annonçait rien de bon malgré son apparente joyeuseté. Et puis il y avait ces objets dans le sac, qui attisaient la curiosité du Fabricant autant qu'il enflammait ses craintes. Que pouvait-on faire avec de pareils objets ?

« Une... ah non... c'est juste pour une fille... »
Moony sentit un peu le rouge monter à ses joues pâles.
« Elle a une belle bouche rouge. »
Il ne voyait que ça... quand il pensait à Love c'était la première chose qui arrivait à son esprit, qui prenait toute la place et se développait, étalait ses pétales venimeux et incrustait ses racines dans le cerveau instable de l'ancien petit garçon.
« Et elle danse avec moi. »
Ils ne faisaient que ça... danser encore et encore, flirtaient au risque de tomber.

Le grand garçon fouilla dans son sac de fortune et en tira plusieurs petits sacs. Il avait soigneusement étudié les parfums, essayant de voir ce qu'ils pouvaient donner, comment ils pouvaient se marier. Les pétales avaient été bien conservés, pour que l'odeur ne disparaisse pas. Il avait eu beaucoup de mal à faire en sorte qu'elles ne s’abîment pas, suivant son instinct, n'ayant aucune vraie base scientifique.
« Je ne veux pas qu'elle me tombe dans les bras... c'est juste que si je fais le parfum elle me devra quelque chose. »
L'adulte tout au fond se frottait les mains. Il aimait posséder, il était avide, beaucoup trop avide. Beaucoup de désirs et peu de possessions. Il voulait que ça change et il poussait l'enfant qui se trouvait encore au premier plan, prêt à se mettre en pleine lumière.

« Qu'est-ce que c'est une « explosion odorante » ? »
Non parce que dans sa tête le mot « explosion » avait une signification quelque peu inquiétante...

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Moony restait circonspect, essayant de savoir ce qu'il pouvait bien attendre de plus venant de Love. Elle ne donnait pas grand chose, c'était sûr... elle n'était pas « La Lascive » pour rien, toujours couchée, allongée, attendant qu'on la serve, attendant qu'un idiot tombe sous le charme de la mère et l'aide. Etait-il cet idiot ? Non... non pas complètement. Du moins il l'espérait.

L'alchimie ? Le grand garçon n'avait jamais entendu parler d'alchimie. Maintenant il s'intéressait aux objets que le pirate-fou avait sorti ; des objets qu'il ne connaissait pas et dont il n'était pas même capable de deviner l'utilité. Le Fabricant fronça le nez face à l'horrible organe que l'alchimiste pressait avec une telle expertise. Comme beaucoup de jeunes gens encore novices, Moony pensait que le beau était beau, et le laid était laid. Il ne voyait pas comment l'un pouvait produire l'autre ni l'autre l'un.

« Euh je... »
L'enfant fixa avec embarras le crayon et le papier, bien incapable de savoir quoi en faire puisqu'il ne savait ni lire ni écrire. Il n'osait pas expliquer le problème à son maître improvisé, par peur de passer pour un incompétent et de se faire prestement renvoyé. A défaut il décida de remplacer des mots par des dessins et s'appliqua à croquer les ingrédients que le savant fou sortait les uns après les autres. Il fallait savoir schématiser pour être un bon artisan. Les mots étaient alors bien inutiles.

Concentré sur sa tâche, son regard faisant des allers-retours entre les objets et le carnet, il mit un certain temps à répondre :
« L'oeil bien sûr. »
Puisque le laid donnait le beau, alors un œil moche ne pouvait donner qu'une belle odeur, ça lui semblait logique.
« Mais ça sert à quoi tout ça ? Tous vos trucs, vos machins, vos bric et vos broc ? Ca va exploser en parfait ? »
On comble par l'imagination la science absente.

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