Yellow détestait Peter Pan à cet instant précis.
Le Domaine d'Halloween était le lieu le plus craint de l'Encapuchonnée. Là où la nature est morte, où elle joue des tours, est noire comme un gouffre, où les cris étranglés se mêlent, où les vilaines créatures vivent, où les monstruosités vivent, où il vit... Le Roi avait parlé, elle devait être accompagnée de Slant, une Sentinelle comme elle, pour l'excursion. Certes, elle avait beaucoup moins peur de la solitude qu'autrefois, mais ici, en ce lieu, ce n'était tout simplement pas négociable : Yellow ne pouvait pas faire un pas sans que l'adolescente ne l'imite au même rythme, autrement elle reste figée au milieu du terrain.

De plus, il les avait envoyé là où se perdre était aussi simple que d'égarer une aiguille en la jetant dans une botte de foin. Alors, afin d'être certaine de ne pas se faire happé par le moindre recoin d'obscurité, Yellow agrippait avec fermeté le vêtement de Slant, regardant aux alentours en se heurtant à milles pensées qui traduisaient sa panique. Elle restait étrangement calme, avec l'envie de prendre ses jambes à son cou, mais se força à rester courageuse afin de ne pas se perdre – ou de laisser sa camarade toute seule. En plus, Yellow n'avait pas pu dire le fond de sa pensée en avouant à Peter Pan que, si cette « Maimie » s'est égaré ici, c'est que maintenant, elle est perdue.

On ne revient jamais, jamais d'ici, et la fillette en était quasiment sûre. C'est pourquoi elle tremblait si fort, luttant pour ne pas faire de crise de panique – à peine arrivées ici que déjà, la limite était proche. Elle devait se montrer robuste, efficace, et la seule chose qui la poussait à bien vouloir remplir sa mission, c'était son envie irrépressible de venir en aide à son prochain. Altruiste, Yellow l'était énormément. Mais elle tirait bien trop sa capuche – signe qu'elle voulait tout simplement disparaître, devenir invisible – pour avoir l'air d'être une cavalière à la rescousse.

Elle respirait de manière assez irrégulière, comme si elle avait froid. Comme si ses poumons se contractaient comme lors d'un glacé jour de neige, ou qu'elles étaient hautes en altitude. Mais la peur la faisait plus réagir que n'importe quelle autre sensation. La panique, la paranoïa, la crainte permanente... Le Domaine d'Halloween représentait un véritable royaume de cauchemars, pour elle.

Et cette forêt aiguisa ses sens, tout comme elle le rendait follement prudents.

Elle ne comprenait pas comment Slant pouvait être aussi calme. Pire, s'amuser. Il n'y avait rien de drôle là-dedans. Si ça se trouve, elles allaient mourir. Ou elle seule, allait mourir. Et si la Crevette l'abandonnait ? C'était pas inconnu : trop effrayée, Yellow pouvait s'immobiliser sur place et se recroqueviller sur elle, à tel point qu'elle aura trop peur pour bouger. Elle resterait là, on la laisserait ici, elle se ferait tué, dévoré, puis ce serait la fin.

Slant voulait bien la laisser s'accrocher, c'était déjà ça. Mais son enthousiasme lui faisait plus peur que de l'encourager. La lune les éclairait, certes, mais il faisait encore si noir... Et les bêtes du coin étaient chez elles, sur leur domaine, là où elles avaient toutes l'avantage... Deux enfants comme Yellow et Slant avaient perdu d'avance, il y avait donc bien toutes les raisons de flipper !

Voilà qu'elle lui proposa de chanter, maintenant... Ça pouvait paraître stupide, au début, puisque si Yellow eut une petite période où on lui connaissait encore une voix, depuis longtemps maintenant, cette dernière s'est quasiment évaporé. Quasiment, pas complètement, car on ne pouvait l'entendre occasionnellement qu'ainsi : par des cris de frayeur, secoués par des terreurs nocturnes qui, parfois, lui donnaient de terrifiants cauchemars et réveillaient ses camarades de cabane si elle n'avait pas de chance. Mais sa voix, ou plutôt, les sons que sa bouche pouvait provoquer, étaient connus quelques fois pour ces occasions où elle chantonnait. Ce n'était pas vraiment du chant : elle fredonnait. Elle fredonnait toujours le même air (une vieille berceuse que ses parents lui avaient apprise, mais elle l'a oublié. L'air lui est juste resté comme un vieux souvenir flou).

En général, ça la rassurait. Là, au milieu de la Forêt Macabre, ça ne l'encourageait pas du tout. C'est à cause de lui qu'elle a « perdu » sa voix, qu'elle s'est tut pour toujours, qu'elle est devenu mutique. Ne lui restaient plus que des folles pensées qui n'allaient pas plus loin que son cerveau. Je veux pas mourir, je veux pas mourir, je veux pas qu'il nous trouve, pitié pitié pitié... Ses jambes tremblaient, et malgré ce triste état, elle s'agrippa encore plus à la ceinture de la Garçonne pour se mettre à fredonner avec difficulté.

Ça tremblait, c'était hésitant, ce n'était pas du tout harmonieux. On dirait presque qu'elle est en train de pleurer, mais sans larmes. Elle renifla à cause de la panique et crut entendre un bruit, regardant autour d'elle avant de tirer la ceinture pour empêcher Slant d'avancer trop loin sans elle – aucun risque, vu comment elle s'accrochait. Il y a un bruit ? Y'avait un bruit, là, non ? Y'a pas de bruit... ?

Paranoïaque, Yellow essaya de fredonner encore, mais sa voix n'en devint que plus tremblante.

Eh, elle avait suivit le conseil, ce n'était pas de sa faute si elle ne faisait que paniquer plus... Yellow rentra légèrement la tête dans les épaules à force de se faire enguirlander par l'adolescente, qui avait trop de cran pour saisir le danger dans lequel elles étaient fourrées. Elle cessa de tirer sur sa ceinture, mais ses doigts continuèrent de s'agripper, serrant plus fort – elle sent qu'elle va encore se faire crier dessus, si elle la tord...

Je veux rentrer, je veux rentrer... Slant, je veux rentrer... Elle devait le dire ? Elle voulait le dire. Ah bon... ? Si on voulait quelque chose, il fallait le dire, non ? Les mots restèrent tout de même coincés dans sa gorge, pas même au bout de la langue. Elle avait trop peur de parler. C'est pour ça qu'elle ne parlait plus. Pour que les monstres ne l'entendent pas, qu'ils ne viennent pas la chercher. Pas comme l'un de ses frères. Elle voulait rester en vie, dans la lumière. Dans la lumière... Mais oui, son briquet ! Comment a-t-elle pu oublier qu'elle en avait toujours un sur elle afin de braver l'obscurité ? Oui, oui, la lune, tout ça, mais bref !

Yellow fouilla alors d'une main tremblante – qui s'arracha ô par miracle de la ceinture – sa poche, ressortant le petit briquet argenté qui brillait au clair de lune. Elle n'eut pas le temps de l'ouvrir que :

« Salut les moches, c'est à cause de sa musique que vous rappliquez ? J'vous comprends. »

!!!!!!!!! Non ! Non !! NON ! Pourquoi elle parle ? Pourquoi elle leur parle ?! Elles vont se faire tuer ! Elles vont se faire manger ! Yellow en lâcha son briquet qui tomba à leurs pieds, et elle attrapa à nouveau des deux mains la ceinture. Cette fois-ci, l'Encapuchonnée la secoua comme pour la réveiller d'un état second : il ne faut pas les provoquer, il ne faut pas les inviter à sortir ! Il ne faut pas ! Quoi qu'il se cache dans les buissons – s'il y a bien quelque chose – il ne faut pas, pitié ! Yellow se mit à geindre encore, comme un gosse capricieux, en secouant la tête. Elle avait peur, si peur... !

Lorsqu'elle sentit la main appuyer sur sa capuche et sa tête, Yellow poussa un énième gémissement d'avertissement. La menace d'être abandonnée, attachée à arbre, la calma bien vite. Elle se mordit les lèvres pour ne plus faire de bruit, retenir des pleurs inexistants, et crispa ses orteils dans la terre pour essayer de diminuer ses tremblements – encore plus dur. Elle voulait faire de son mieux pour aider, pas convaincre pour être laissée derrière. Et si Slant avait le cran de crier ici, elle avait le cran pour tout. Serait-elle capable de la laisser là, comme appât, afin de s'enfuir en cas de problème... ?

L'adolescente ramassa alors le briquet que Yellow avait fait tombé pour allumer une cigarette. Elle tendit le bras en hauteur, voulant le récupérer. C'était sa seule arme, celle qui lui permettait d'avoir un surplus sur les territoires « ennemis ». Là où le noir s'écartait et où elle pouvait se sentir d'avancer. Aussi brûler, vraiment, en cas de nécessité. Il allait au moins pouvoir servir, si jamais elles devaient s'enfoncer dans des coins plus sombres.

L'Encapuchonnée prit à nouveau peur. Elle avait l'impression d'entendre d'autres bruits, et cette fois, elle n'était pas certaine qu'ils soient réels. Soit elle paranoïait de nouveau, soit... soit elles étaient en danger. Elle fit le tour de Slant pour se cacher derrière elle, mais n'oublia pas d'essayer encore de récupérer son briquet.

Je te l'avais dis, je te l'avais dis !! Mais une fois de plus, et comme toujours, les mots restèrent coincés dans le fond de la gorge. Si Slant l'avait écouté – ha ha – elles n'auraient certainement pas croisé ces affreux monstres. Car comparées au reste de l'horrible faune, les goules étaient des monstruosités grotesques et dangereuses, pour elle (comme à peu près tout ce qui est laid et agressif). Yellow agrippa plus fort la ceinture de la Crevette pour l'inciter à s'enfuir, mais elle se sentit blêmir comme un cadavre tombé raide mort en voyant le mégot fendre l'air, atterrissant aux pieds des goules, qui semblent le prendre comme une invitation à venir se battre.

« Si tu sais pas te battre te mets pas dans mes pattes. »

Slant était fin prête à se lancer, arme à la main. Mais l'Encapuchonnée était déchirée de frayeur entre l'envie extrême de prendre ses jambes à son cou et celle de rester auprès de sa camarade Sentinelle (qui oserait abandonner ses compagnons avec tant de lâcheté, après tout ?). Cependant, les trois goules, grandes et menaçantes, se rapprochaient si lentement qu'elles semblaient devenir géantes au fur et à mesure que leurs pieds hideux mangeaient les centimètres qui les séparaient.

Yellow gémit encore, se mordillant la lèvre inférieure...

Elle poussa une sorte de hoquet partagé entre désespoir et peur, et s'en alla en courant vers le reste du chemin que les Garçonnes prenaient.

Poussée par l'effroi, l'Encapuchonnée s'enfuit en ne cessant de geindre, sans son briquet, sans Slant, et sans sens de l'orientation, complètement détraqué par l'instinct de survie et l'obscurité tout juste fendue par la lune. Deux des goules se mirent à sa poursuite, laissant la troisième se charger de la plus âgée.

Plus loin, Yellow courut à l'aveugle.

« Eh Yell' attends moi ! Attends moi débile ! » qu'elle entendait au loin, mais qu'elle ignora bien vite.

Yellow était partit pour courir, se cacher et sauver sa vie. Un miracle, quand on pense qu'elle reste immobile et recroquevillée lorsque trop terrassée par la peur. Un miracle, elle courait. Cependant, ses pieds furent ralentis et bien vite stoppés par des amas de ronces, qu'elle n'avait pas vu tant elle lorgnait vers une échappatoire possible. Ses pieds nus lui firent mal, sentant les épines longues et épaisses s'accrocher et s'enfoncer dans sa peau. Elle chuta une première fois.

Le ciré de Yellow lui permit de se protéger et de ne s'égratigner nulle part ailleurs. Cependant, ses jambes découvertes et fragiles s'agglutinèrent d'elles-même dedans, tant la panique la poussait à bouger, à vouloir s'extirper. Hélas, elle ne faisait que s'emberlificoter davantage, et elle se mit à gémir de douleur comme de peur. Elle posa une main sur le sol pour se redresser. Les deux goules approchaient. Yellow leva alors une jambe sans prudence, trop pressée de s'éloigner, puis chuta une deuxième fois.

Elle releva trop vite la tête, et une ronce s'accrocha à sa joue. Elle poussa un nouveau gémissement, mêlé cette fois entre la surprise et la douleur. Sa respiration s'accéléra, et elle paniqua davantage en sentant son bras coincé lorsqu'elle voulut le lever : la manche de son ciré s'était accroché, elle aussi. Les goules approchaient toujours, et leur ombre recouvra petit à petit l'Encapuchonnée. Yellow essaya de bondir pour se remettre debout, désespérée, mais chuta une troisième fois.

Là, elle la sentit, elle arrivait. La crise.

La respiration de Yellow s'emballa anormalement.

Slant... Slant... !! SlaNNNNT... !!!

Elle voulait crier, elle voulait qu'on la sauve. Elle perdit tout sens des réalités et le peu de calme qui lui permettait encore de bouger avec logique. Ça arriva, évidemment. Une crise de panique.

Elle voulait s'extirper, se relever, courir et s'enfuir. Vivre. Ne pas laisser les goules la manger, qui étaient bientôt toute proches...

HRP:

Yellow n'entendait même pas Slant l'appeler, trop engluée dans sa propre panique. Le souffle incontrôlable, l'Encapuchonnée s'agitait dans les ronces sans pouvoir se libérer – mais au contraire en s'enfonçant davantage. Les goules se léchèrent leurs babines grotesques avec leur langue monstrueuse, dégoulinante d'une chose visqueuse et puante. Yellow avait l'impression de voir des choses qui n'existaient pas, d'entendre des sons qui résonnaient dans son crâne, et surtout, surtout, de sentir qu'il était là de nouveau.

Le Croquemitaine.

Il n'était pas là, mais pour elle, c'était tout comme.

Elle n'allait jamais oublier sa forme grande, mince, déformée et angoissante. Son crâne lisse et brillant de terreur au clair de lune, son sourire qui pouvait s'élargir même jusque là où il n'y avait pas d'os ou de muscles, ses yeux vides et noirs qui semblaient aspirer son âme... Si Yellow le revoyait vraiment, elle... elle...

Une lumière dans le dos des goules avertit celles-ci. Alors qu'elles étaient toutes proches, elles finirent par s'enfuir, laissant leur repas piégé alors qu'il était tout juste prêt à être dégusté. Yellow ne remarqua pas cette fuite, et continua de se perdre dans sa détresse. Un peu plus loin, des flammes engloutirent à une certaine vitesse tout le bois mort devant lequel la Garçonne était passé. Il commença à faire chaud, et très vite, Yellow s'aperçut qu'un piège tout aussi horrible allait bientôt se refermer sur elle.

Quel était le plus abominable : mourir dévorée vivante, ou brûlée vivante ? Dans les deux cas, mieux valait déjà être inconscient. Hélas, ce n'était pas une chance à laquelle Yellow allait avoir droit.

Le champ de ronces commença à s'embraser à son tour, et Yellow ne put toujours pas s'en sortir. D'ailleurs, son ciré s'accrocha de toutes parts à celles-ci, des cuisses jusqu'à la capuche. Cette fois-ci, des larmes chaudes brouillèrent encore plus la vue affolée de la fillette et mouillèrent abondamment son visage. Elle gémit plus fort, terrorisée, voulant appeler au secours, mais encore, rien ne vint.

Sur le dos, elle vit les flammes devenir grandes.

D'ici peu de temps, elles allaient l'engloutir elle aussi.

- Gnnn... !! Gnnnnnn... !!!