La bise habille l'île désormais, et tout semble comme figé. Délicates, les touches d'ivoire recouvrent tout comme un doux linceul. Boa ne peut s'empêcher d'y voir une allégorie de la mort. L'hiver, n'est-ce pas le sommeil des saisons ? N'appelle-t-on pas le fait de dormir la "petite mort" ? Le chaman n'a pas revu Nadie, pas depuis l'épopée sur les grandes Pirogues de Hook. Pas depuis la rencontre avec des esprits d'un autre genre, pas depuis qu'il a croisé ce fantôme venu d'un autre temps. Ska. Et Ska le hante désormais, Ska ne lui laisse pas de répit. Il faudra l'annoncer à Nadie, oui. Il le sait. Tout comme il sent que le temps n'est pas venu, que le trouble qui l'habite doit s'apaiser. Il ne sait pas ce qu'il attend. Simplement que l'heure n'est pas venue.

Nyctère s'est inquiétée de cet étrange état. Elle a perçue d'une façon ou d'une autre l'étrange torpeur qui ralentit le haut chaman. D'autres aussi, à leur façon. Certains regards que le chaman perçoit du coin de l'œil. Des visites que l'on attend pas forcément. Et un assistant qu'il devine curieux, bien que muet. Pour une fois, Capricorne Silencieux porte bien son nom. Boa s'en amuse presque et se demande quand la curiosité le fera briser ce silence prudent.

Mais aujourd'hui, Boa le sent, il est temps. Ses longues foulées souples brisent le givre qui glace les terres de l'île, et résolument Siempre adopte la même technique qu'avant le combat contre les astres. Se perdre en direction des ruines. Espérer la croiser à moment donner, en chemin ou là-bas. Le serpent tend son esprit vers sa belle panthère aux silences pudiques mais aux mots de tempête. Son étreinte lui manque, sa chaleur aussi. Tout est trop blanc, désormais. Où donc se cache la nuit ?

Nadie, ô Nadie. Entends son appel, viens donc à lui.

De lourdes pelisses encombrent ses larges épaules et le protègent du froid, pourtant ce n'est pas cette fourrure salvatrice que ses droigts brûlent de frôler.  Son maquillage est plus sobre qu'auparavant. Il evolue un peu plus chaque jour, perd peut-être de son sens et n'est fait que de plus en plus par habitude. Boa ne saurait dire s'il y croit encore. Il se questionne sur beaucoup trop de choses et remet en question l'équilibre des choses tel qu'il l'appréhendait. Chaman toujours, pourtant. Son trouble, heureusement, ne change pas cela.

Boa peu à peu oublie tout, s'oublie lui même. Siempre apprivoise le décor et laisse ses pas aller et choisir leur propre chemin. C'est toujours ainsi qu'ils l'ont guidé pour te trouver.

Et finalement, sans qu'il ne le réalise, le voici arrivé. Mais toi, seras-tu en ton domaine ?

Le froid glace, fige. Apaise.

Le Paradis Blanc n'est plus qu'un souffle suspendu, où le silence étouffe tout de sa ouate glacée.

Même ton antre est froide et calme, Nadie. Il le sent dans son coeur, et Siempre n'aime pas ça. Alors qu'il avance au milieu des fresques, une certaine nervosite commence à peser sur son coeur. Trop calme oui, cette demeure sauvage n'a plus la même vie. Aurait-il trop attendu ?

Un miaulement, faible, si faible. L'a-t-il rêvé ? Inquiétude.

Ses foulées se font rapides et amples, alors que le chaman se met à courir vers l'origine de ce faible son. Ce ne peut-être que toi, mais pourquoi ta voix s'est-elle faite aussi ténue ?

Enfin, Siempre te voit. Il accélère encore, véritablement inquiet cette fois, mais ne prend pas la peine de t'appeler, ou de parler avant d'être vers toi. Tu pourrais vouloir bouger, répondre, et tes forces sont bien plus nécessaires ailleurs. Déjà, il est à tes côtés, t'enveloppe dans ses fourrures qu'il partage volontiers avec toi. Ton contact glacé le fige, fait écho à son hiver intérieur. Nadie, Nadie.. Pourquoi te laisser engloutir ainsi par la petite mort d'ivoire ? Tu es si froide qu'il semble au chaman que c'est son corps qui est bouillant. Depuis quand les serpents peuvent-ils réchauffer les panthères ? Sang froid contre sang chaud, pourtant vos rôles sont inversés.

- C'est Siempre. Ne parle pas, Nadie, repose toi. Prends des forces. On parlera après.

Te gardant toujours contre lui, en faisant attention que tu restes bien couverte, il cherche dans sa petite besage de voyage quelques provisions de voyage qu'il emmène toujours par réflexe. Le pemmican, c'est tout ce qu'il peut t'offrir. Peut-être que cela pourra t'aider malgré tout.

- Réchauffe toi. J'irais chasser ensuite. Ska vit, tu ne peux pas te laisser partir.

A défaut de le faire pour lui, fais le pour Ska. Mais ce n'est pas ainsi qu'il avait imaginé annoncer la nouvelle.

Le serpent te berce doucement, te frictionne, t'enveloppe un peu plus de ses fourrures. Tu auras peut-être des picotements dans un moment, des douleurs si tu es plus glacée encore qu'il ne l'imagine. La vie a un prix, elle ne revient pas sans peine. Patiemment, le voilà qui tente de te nourrir, mais ton corps refuse. Ou toi, peut-être ? Le coeur de l'homme pleure un peu plus de te voir baisser les bras ainsi. Et lorsque tu te réveilles un peu à la mention de Ska, le bilan reste doux-amer. Oh, ne t'y méprends pas. Ton regain d'énergie lui réchauffe l'âme, et tes griffes anxieuses qui font perler son sang ne le blessent pas autant que la vision de toi si faible a pu le faire. Mais ton manque d'énergie pour toi-même le peine. Que Ska te donne un regain de vie quand lui même ne le peut pas l'inquiète. Car Ska, justement, il ne sait qu'en penser désormais. Cet homme blafard qui hante tes pensées.. Le connais-tu encore ?

- Ska est vivant. Je l'ai vu debout, je l'ai vu marcher. Son coeur battait encore quand je l'ai croisé.

Mais est-ce encore Ska ? Siempre ne peut se résoudre à formuler tout haut cette pensée qui pèse depuis qu'il l'a vu. Est-ce bien Ska, encore, celui que tu as connu, celui qu'il avait oublié ? Les hommes changent, leurs coeurs aussi. Les chemins sont variables et ils façonnent chacun au fil du parcours. Tu es un coeur égaré mais plein de vigueur, Nadie. N'attends pas de voir le chemin pour te guider. Il n'y a que toi pour le bâtir.

- Je l'ai vu sur la grand Pirogue du Capitaine. Beaucoup de braves s'étaient rassemblés, de tous peuples. Il y avait les sorciers du Bayou, les pirates, et les filles de l'eau. Il y avait les trois tribus, aussi. Ska était là, je l'ai vu bondir, attaquer un Grand Esprit d'un autre monde. Retomber, pour mieux être relevé par deux sqaws.

Prends du pemmican, Nadie. Puisque tu peux parler, puisque les mots trouvent la sortie depuis ton coeur jusqu'à Siempre, mange. L'homme te tend à nouveau la nourriture, inlassablement. Il n'abandonnera pas ce combat, il ne te laissera pas comme ça.

- Je lui ai dit que la Grand Plaine ne l'appelait pas encore, et qu'il y avait des gens pour l'attendre.

Puis, avec un soupire.

- Mange, Nadie. Toi non plus, la Grande Plaine ne t'appelle pas aujourd'hui. Il n'est pas bon d'y aller avant l'heure.

Mange donc, belle panthère de givre. Ecoute le serpent qui te maintient contre lui, de ses anneaux au sang chaud. Reprend des forces, car ton chemin continue, et ton combat n'est pas terminé. Boa n'a cure des blessures que tes pattes de fauve lui ont infligé. Elles sont bégnines, il a vu bien pire. Mais il réajuste mieux les peaux autour de vous, te serre un peu plus pour te communiquer de sa chaleur autant que possible.