Les ruines de l’île de jamais.

Endroits mystique et mystérieux ou les restes d'une ancienne civilisation inconnue de tous se fondaient entre les arbres de la jungle, enchevêtrés dans les lianes, recouverts de mousse, craquelés par la végétations qui semblait vouloir l'engloutir pour de bon et à tout jamais.

Par endroit, le soleil de cette belle journée printanière peinait même à percer l'épais feuillage des arbres, comme les explorateurs improvisés peinaient à en percer les secrets.

Le silence y régnait...

Le silence y régnait ?

Un son métallique dissonant se fit entendre et une nuée d'oiseaux multicolores s'envola précipitamment, effrayés, leurs ailes claquant dans l'air.

Pas aujourd'hui.

Trois notes enchaînées brutalement et sans nuance, plusieurs fois de suite.

Le bruit tranchait atrocement l'atmosphère du lieu, déchirant le calme comme on poignarderait un coussin à coups de couteau répétés.

Sonorités urbaines du métal qui se tordait et qui laissait un goût féral et ferreux dans la bouche.
Les mains tatouées d'Apache glissaient sur les cordes, les grattants avec nervosité, et le son distordu hurlait, craché vomit par l'ampli qu'il tenait près de lui, magiquement nourri par Volt, petite fée électrique mise en boite.

Ses gestes étaient saccadés et énergique, et la guitare souffrait sous ses assauts ! Le punk jouait comme dans l'urgence. Rapide, imprécis, se foutant des fausses notes. Et puis, il se mit à hurler chanter, de cette même manière précipitée.

"Those presidents
They make me sick
Oh whats the use of polotics?"

Ce n'était pas juste, mais ce n'était pas non plus faux, bien qu'il bouffait la moitié de ses mots, juste gueulé à qui voulait entendre !

"I never seemed to understaAaAaaand"

En l’occurrence, certains diraient personne, d'autres signaleraient beaucoup de monde !

"Those presidents
They ain't so nice
They always give a better fuss
Who put the morons in commAaaaaand?"

Car tout autour du punk armé de sa guitare, c'était un véritable publique qui s'était amassé, tout composé de singes.

"EeehooOoOoow..."

Certains se contentaient d'écouter sagement le poème braillé à s'en déchirer les cordes vocales, en mangeant des bananes ou en se cherchant les poux, d'autres plus excités s'étaient mis à danser, chahuter, frapper dans leurs mains ! Pas vraiment en rythme, mais l'esprit y était !

"No more presidents !" Et Apache gueulait.
No more presidents !!!!! Plus fort encore !
Et il continuait de gratter sa guitare avec violence, sautant même sur place, s'excitant tout seul, tournant sur lui même sous les cris excités des singes.

"No more presidents !" Encore !
No more PRESIDENTS !!!!! A s'en faire dérailler la voix !

Peekaboo repousse les TROIS abeilles qui tentent sans relâche de venir butiner son crâne verdoyant. Le Printemps a fait renaitre l’île et repousser les plantes ― y compris celles installées sur sa tête. En plus du pâturage miniature qui tombe en pagaille devant ses yeux tout aussi verts, diverses fleurs s’y sont épanouis à leur guise. C’est tellement chiant.
Hier, un Perdu a demandé à Peek s'il pouvait lui donner un peu de son herbe de crâne pour le fumer. D’ailleurs Peek a dit okay.

Les « cheveux » un peu trop longs et animés, donc, la Mauvaise Herbe parcourt l’île sans réfléchir. Il est devenu légèrement plus silencieux et solitaire depuis qu’il n’est plus Orbleu. C’est comme si on lui avait enlevé un super pouvoir. Et les super-pouvoirs, Peek adore ça. Il est tout faible, maintenant, tout humain. Il est encore trop fort, et trop violent, et trop méchant, mais là ça redevient juste sa faute.

Il s’arrête pour cueillir des fleurs. Pourquoi personne ne parle de Peekaboo qui cueille des fleurs ? Pourquoi personne ne voit jamais ce Peekaboo là ? Il ne se pose pas la question, lui. Il ne se pose pas de question tout court.

Brusquement, mais doucement en même temps, il commence à entendre un son étrange qui arrive à traverser le bourdonnement des insectes qui continuent de le butiner ― eux n’ont pas peur, jamais. Un son qu’il n’a jamais entendu. Un son qui, il le comprend maintenant, ne vient pas de l’île. Pas vraiment.
Le son devient de plus en plus fort, et la curiosité de la Mauvaise Herbe aussi. Il marche en sa direction, ses fleurs à la main, ignorant le paysage boursoufflé de lianes, de racines et de branches basses qui englobent les Ruines Abandonnées. Le son est tellement fort maintenant !

Peekaboo écarte un rideau de vieilles lianes molles et le son devient vision. Rouge. Rouge et noir. APACHE.

Peekaboo adore Apache. Il était dans son groupe avant. Avant... Bref.
Peekaboo adore Apache comme un enfant adore ce grand cousin lointain et stylé, qui détonne dans le paysage familial, qui fait et dit ce qu’il veut, tout le temps, et que tout le monde laisse faire, parce qu’Apache n’est pas comme Peekaboo. Apache sait parler autant que frapper, Apache sait se faire approcher autant que se défendre. Apache sait se faire aimer.
Peekaboo ne sera jamais Apache. Peekaboo aurait juste voulu être Apache.

Il le fixe, fasciné par l’énergie brute et magnifique que diffuse le corps entier de l’Hérissé. On dirait des vagues de puissance, qui traversent tout l’organisme, des pieds jusqu’aux oreilles. Comme ces grosses basses des bagnoles volées dans lesquelles Peek et ses potes, dans l’Ordinaire, parcouraient à toute vitesse les rues moches et désœuvrées qui composaient alors leur paysage, leur vie. C’est magique.





No more presidents.
No more presidents !
No more presidents !!!
NO MORE PRESIDENTS !!!!

Peekaboo ne peut pas comprendre, pas vraiment, ce que dit Apache. Peekaboo n’est que sensation, instinct, corps. Et c’est même pas grave, parce que la voix du punk suffit à elle celle à lui transmettre un abstrus sentiment de rage, d’indignation, de révolte.
Les singes hurlent et s’agitent comme une foule en délire, incarnant sans le savoir le bouillonnement intérieur et bizarrement (très bizarrement) figé de Peekaboo.

Quand la guitare et la voix, crachant à l’unisson pour ne former qu’un cri déchiré et déchirant, se taisent, la Mauvaise Herbe est encore tout grésillant de l’énergie dingue qui vient de le percuter. Ses brins d’herbe capillaires sont hérissés. Hérissés comme Apache.

Il lâche alors, sans même comprendre ce qu’il dit :

― NO MORE PRESIDENTS !!!

Apache grattait sa guitare frénétiquement, ses doigts glissant sur les cordes, supportant les coups de jus qui en émanaient régulièrement, lui noircissant la peau à force. C'était que l’énergie de Volt, amplifiée dans sa boite, n'avait rien de stable ! Mais ça ne dérangeait pas le punk, bien au contraire. Ça faisait parti de l’expérience comme il disait !

Quand il jouait et qu'il chantait comme ça, il tirait toujours une gueule méchante, mine tordue en une grimace entre concentration, dégoût et colère, et puis il secouait la tête, parfois en décalé d'avec la rythmique.
C'était sa façon à lui.
Et puis il braillait ses textes à qui pouvait les entendre. Le moins de gens possible, si possible.
Pour l'instant.
C'était qu'il voulait les garder pour le bon moment.
Pour les concerts.
Les fameux concerts qu'il préparait avec d'autres !

Apache n'était pas le genre à adorer préparer les choses. Lui son truc, c'était plutôt d'en rêver, et puis d'agir sans réfléchir, sur le moment. Et tout envoyer en l'air.
Mais la, c'était plus vraiment d'un rêve que ça causait.
C'était plus sérieux.
Plus gros.
C'était une utopie.
D'une autre vie qui pourrait succéder à la première sans passer par la case mort !
Ça méritait bien quelques efforts, même de la part du plus tire au flanc des fainéants.
Et quelques répétitions.
Faites un peu loin de tout, loin des chefs surtout.
Pas envie de se faire péter la gueule pour encore rien, et surtout de se faire couper l'herbe sous le pied !

Et en parlant d'herbe...
C'était la mauvaise qui se ramenait !

Difficile de ne pas le repérer, celui la, avec sa touffe verte ébouriffée sur le crane. Elle avait fleurie ? Ça tira un sourire goguenard au punk. On aurait dit que ça faisait longtemps que la tondeuse avait pas été passé !
Et c'était temps mieux comme ça !
Est ce qu'Apache allait arrêter de chanter ?
Non...
Pas pour lui.
Pas a cause de lui.
Pas Peekaboo.
Pas besoin de se taire avec celui la. Pas besoin de se planquer.

S'il le connaissait ?
Un peu ouais ! De loin. Un ancien chasseur, et surtout un sacré emmerdeur doublé d'un fouteur de merde ! Que de quoi complimenter !
Just lui en causait aussi, de temps en temps ! Comment il galérait des fois à le maîtriser, comment ça lui était arrivé de se prendre des coups de coude dans le nez. Et Apache se disait que c'était dommage, de vouloir le maîtriser, justement.

Qui aimait les jardins à la française ? Coupé tout au carré, avec pas un poils qui dépassait ?
Ça avait beau venir de chez lui, pas l'Hérissé.
C'était plus marrant que laisser pousser en vrac, de laisser s'épanouir la nature de façon anarchique. Sans limite. Sans règle. Sans loi.

Sans désherbant.

Le morceau se terminait, la guitare hurlant quelques dernières notes tonitruantes.


"NO MORE PRESIDENTS !!!
- FUCK NO !"

Les singes tout autour d'eux commencèrent à s'exciter plus fort et l'Apache les balaya du regard, gardant dans un coin de sa tête de les garder quand même un minimum à l’œil.
Ces bestioles pouvaient rapidement devenir casse couille, du genre à faucher des affaires et faire chier !
Mais rapidement, l'attention de l'anarchiste revint au garçon perdu qui avait répété les paroles de la chanson, sans doute sans vraiment en comprendre les tenants et aboutissants.
Ou peut être que si ?
Ca méritait bien de s'y attarder, non ?

"Hey salut Cactus !" Lança Apache avec un grand sourire, à la fois solaire mais aussi un chouilla joueur. "Tu t'es perdu ?" Il sauta du carré de pierre sur lequel il s'était perché jusque la, n'oubliant pas son ampli qu'il déposa dans un coin, à l'abri, et sa guitare calée dans son dos.
A sa hanche, il avait son épée dorée.
C'était que quand on allait zoner dans la jungle, mieux valait être équipé.

― FUCK NO !

Wah.
Apache avait répondu. Un sourire s’étire sur le visage constellé de tâches de rousseur de la Mauvaise Herbe. L’énergie d’Apache ne hérissait pas seulement son propre crâne, mais aussi les braillements des singes et les propres poils de Peekaboo.
Il n’avait jamais vu ça.
Même du temps où il traînait avec sa bande de gamins délaissés et ingérables qui enchaînaient les conneries et connaissaient mieux les murs du commissariat que ceux de leur propre foyer, il n’y avait pas ça.
C’était unique, inédit, tellement puissant et beau en même temps, un truc qui pétait dans l’air mais sans le briser. Un truc que Peekaboo, probablement, n’aurait pas su faire.

― Hey salut Cactus !

Peekaboo rougit un peu, portant machinalement sa main à ses cheveux en pagaille champêtre.
Apache saute de l’espèce d’estrade qui le rendait si haut, si grand et impressionnant, et Peekaboo s’aperçoit qu’il n’est pas si gigantesque, en réalité. Il est plus petit que Pit, son nouveau chef. Si différent aussi. Mais Peekaboo ne va pas assez loin dans sa pensée pour comprendre vraiment pourquoi. Apache parait se grandir, dans sa posture, son allure, peut-être que c’est ces cheveux. Peut-être que c’est autre chose.
Son regard reste absorbé par l’enceinte et la guitare, comme si la mélodie dissonante et la voix grésillante résonnaient encore en lui.

― Tu t’es perdu ?
― Non ! il répond, comme s’il avait fauté (il a tellement l’habitude qu’on le gronde sans qu’il comprenne ses fautes). Enfin, oui, non, c’est juste... J’ai entendu...

Il désigne maladroitement du doigt la guitare dans le dos d’Apache.
L’objet le fascine, l’attire.

― Je peux... Il va dire non, c’est sûr. Je peux... la toucher ?

Son bras s’avance un peu brutalement, parce que c’est Peekaboo, il ne sait pas faire autrement, mais sa main s’arrête avant même d’effleurer l’instrument qui dépasse de la taille de l’Hérissé.
Ouais, c’est Peekaboo, mais même lui a compris qu’il s’agit là de quelque chose de précieux, quelque chose qu’on doit respecter. Même lui.

"Tu t’es perdu ?
- Non !" Le garçon un chouilla plus jeune mais plus grand de quelques centimètres avait répondu un peu précipitamment, ce qui eu l'effet d'agrandir légèrement plus le sourire d'Apache dont les sourcils se relevèrent un peu plus haut, attendant du coup un genre d'explication.

"Enfin, oui, non, c’est juste... J’ai entendu..." Peekaboo désigna quelque chose du doigt, ses yeux brillants plus intensément que jusqu'ici.
"Anna ?" La guitare. Elle s'appelait Anna. Et tout en la nommant, l'iroquois l'avait faite glisser de son dos, la lanière toujours sur son épaule mais l'instrument maintenant devant lui, pour que l'autre puisse mieux la voir.
Une jolie Stratocaster rouge et blanche qui avait fait de la route, et ça se sentait.

"Je peux..." La main de la Mauvaise Herbe s'était avancée un peu rapidement, mais n'avait pourtant pas effleuré l'objet, attendant visiblement la permission. "Je peux... la toucher ?"

L'Apache s'humecta la lèvre inférieure, fixant l'autre d'un regard... Qui ne disait bizarrement pas grand chose.
Ni réticence, ni enthousiasme. Ses yeux noirs semblaient se contenter de le regarder un peu plus intensément que jusqu'ici. Sourire toujours présent, mais peut être un peu moins rayonnant.
Il y avait un quelque chose qui avait traversé l'esprit de l'anarchiste, et l'instant de juste après, il avait saisit la guitare par le manche, laissant glisser la lanière de son épaule pour s'en dégager complètement, et l'avait tendu vers l'autre garçon.

"Tu veux l'essayer ?"

Si l'Hérissé savait ce qu'il faisait ?
Difficile à dire.
S'il réalisait à quel point c'était risqué ?
Au moins en grande partie.

Il ne connaissait pas Peekaboo de près, mais de loin, si. Il savait à quel point la Mauvaise Herbe pouvait être destructrice, pouvait tout casser juste sur un coup de sang ou pour simplement s'amuser.
On disait de Peekaboo qu'il était fou.
Et bien peut être qu'Apache l'était tout autant en tendant Anna vers le diable vert.

Ou peut être qu'il voulait voir... Essayer un truc.
Tenter de créer quelque-chose qui l'amènerait ailleurs.
Un quelque-part qui, qui sait, pouvait devenir intéressant ?