L’Île se réveille.
Qui l’aurait cru ?

L’Hiver avait été dur, mais Vain s’était adapté. La vie au Canyon avait rapproché beaucoup de gens et l’Effleuré en avait profité, pas aussi nostalgique de l’Arbre qu’il ne l’aurait dû. Le froid était désagréable, c’était vrai, mais il avait évité de trop sortir, de toute façon. L’Effleuré n’avait jamais été le genre de gosse à chercher des aventures en parcourant des kilomètres. Après tout, on ne flirte pas à coup de 100 mètres.

C’est sans doute pour ce genre de raisons que, même lorsque le Givre perd du terrain, il reste au campement. À traîner dans les tipis ou aider quand on le sonne, nonchalamment. Fidèle à lui-même malgré les pluies et le beau temps.

Ce soir-là, des feux sont allumés un peu partout au Canyon. Enveloppé dans une couverture et une tasse à la main, l’Effleuré traîne entre les tentes, à la recherche de compagnie. Il finit par se décider pour un feu presque désert, non loin d’un natif qui joue de la flûte, doucement. Vain le salue d’un geste de la main avant de s’asseoir, profiter d’une chaleur nocturne et apaisante. Le calme au milieu de l’apocalypse, quand le camp est encore animé mais que le consensus est feutré.

Il a toujours bien aimé ce genre d’atmosphères, l’Effleuré.
Le genre à s’échanger des secrets, à lui donner de drôles d’idées.

La nuit se fait plus forte et il est temps de coucher les plus petits, le ciel est dégagé ce soir, alors certains, autour de feux et d'instruments se réunissent pour se rencontrer ou pour parler, fêter un sauvetage ou le recul du Givre, bien que nous soyons tous loin d'une victoire totale.

Alors je regarde le ciel, adossée à un piquet, laissant s'échapper la buée de ma bouche et entends des pas craquer sur la neige.
Un garçon s'en vas vers le feu à quelques mètres, un natif joue de la flûte et je le suit, peut être qu'un peu de compagnie me remontera le moral?

Je marche donc et m'assoie en face, ne sachant comment commencer la conversation je laisse passer les notes entre nous, et quelques personnes nous rejoignent de tout les groupes, une autre papoose native et deux enfant perdus, et ils parlent joyeusement, insouciants de ce qui nous attends ou de ce qui peut nous arriver pendant un instant.

-Vous saviez que Ours Gourmet à piqué une crise dans son tipi car des animaux ont mangé ses réserves de fruits?! C'était tellement drôle à voir.

Les enfants rient et bavardent, et je les regarde un peu en retrait, admirant cette joie enfantine symbole de toutes nos espèrances, je tourne mon visage vers le garçon que je vois boire du coin de l'oeil et m'adresse à lui:

-Pardonne moi, mais il ne me semble pas que nous nous soyons déjà rencontrés....Je m'appelle Crow, enchantée.

Je me relève vivement et orchestre cette révérence qui depuis mes début à L'Arbre m'ont fait connaître comme La Lady, précieuse, et fragile, mais qu'aujourd'hui enfin...surtout ces temps ci je prends et embrasse comme la marque de ma force et de ma dignité, comme Capricorne me l'as appris il y a de cela bien des lunes.

Ils sont plusieurs, à le rejoindre. Des enfants plus jeunes, puis une adolescente qui a tout l’air d’une Perdue. Vain salue chaque personne d’un sourire et s’imprègne doucement de cette atmosphère joyeuse et vivante. Alors qu’il porte la tasse à ses lèvres, son attention est attirée par la Perdue adolescente. Cette dernière s’adresse à lui :

- Pardonne moi, mais il ne me semble pas que nous nous soyons déjà rencontrés.... Je m'appelle Crow, enchantée.

Une courbette, exécutée avec grâce. Ça le surprend un peu, de voir de telles manières de la part d’une Perdue. Mais pourquoi pas, il n’ira pas critiquer la différence.
Et puis, l’Arbre était beau, avec la diversité de sa population, comme autant de feuilles d’une même branche.

- Jolie révérence, Crow.

Sourire colgate, qu’il lui adresse avant de poursuivre :

- Je suis Vain. Enchanté de faire ta connaissance.

Il parle bien, tout à coup ! Il sait faire des efforts, quand il veut. Le regard de l’Effleuré s’attarde sur le visage de son interlocutrice.

- Crow, c’est pour tes cheveux ? Ça te va bien.

Le small talk ne l’a jamais dérangé, bien au contraire Vain a toujours été à l’aise dans les discussions de surface, les mots agréables et les compliments doux. Autour d’eux, ça cause mais de petits groupes sont formés, ils en sont un à eux deux. Pour mieux l’entendre, Vain s’est rapproché.

On pourrait presque croire, sur le moment, que rien n’est plus important qu’entendre sa réponse.

Il complimente ma révérence,je rougis, peu habituée à ce que l'on ne moque pas mes manies et mes excès de politesse.

Puis il fait apparaître ses perles avant de se présenter à son tour, Vain, c'est intéressant, assez péjoratif comme nom, signifiant la vanité, l’orgueil...pourtant à cet instant précis, le garçon ne semble pas du tout ainsi, il affiche un air doux, avenant, ses yeux me fixant.

Je le fixe en retour et me demande l'origine de mon nom, question à laquelle je réponds prestement:

-En effet, et Vain...d'où viens ton nom?

Je touche mes cheveux instinctivement, je fais régulièrement des teintures à base de plantes violettes et bleues, permettant de garder cette couleur de nuit, recouvrant mon blond habituel, je ne sais pas pourquoi j'ai commencé à faire ça...peut être parce que je trouvais ça beau? J'avoue que je commence à m'en lasser..un peu...

Je me rassois enfin, avant de me secouer un peu, recouverte d'une fourrure et écartant les paumes face au feu, les enfants autour du feu riant et papotant encore.

Qu’elle est belle, quand elle rougit ! Rien ne lui paraît plus beau, sur le moment, que cet éclat de couleur et de trouble qui colore les fossettes de son interlocutrice.

-En effet, et Vain...d'où viens ton nom?

La balle est renvoyée, comme si sa remarque n’avait que peu d’importance. Pourtant Crow frôle ses propres cheveux, rappelant à son attention leurs reflets nocturnes. Les gestes en disent souvent plus long que les mots, Vain ne l’oublie pas. Son sourire est nonchalant alors qu’il passe sa main dans sa tignasse à son tour, hausse les épaules :

- Je ne sais plus, pour être honnête.

Son nom a beau être péjoratif, il l’aime bien. Il aurait pu être mieux, mais pire aussi. Pourquoi se lamenter ? Le regard de l’Effleuré passe de Crow à l’âtre, ses neurones se mettent en marche pour tenter de lui donner une réponse satisfaisante.

- On a dû me le donner quand je suis arrivé. Il rit, un peu. Je n’étais peut-être pas assez spirituel, ou assez intelligent. Il le dit avec légèreté : ce genre de considérations ne l’ont jamais réellement affecté. Mais ça ne me dérange pas. Vain... ça sonne bien.

Il adresse à Crow un regard complice.

- Tu ne trouves pas ?

Elle lui semble si distinguée, éclairée ainsi par le feu.

Il ne sait plus, L'Oubli fait rage et il nous attrape tous à un moment ou l'autre.

Pas assez spirituel? Pas assez intelligent?

Non, Peter ne lui aurais pas donné un ce nom pour un tel motif, ce serait de la pure méchanceté...

A moins que...

Je glisse un bâton dans ma main et bouscule doucement les braises avec, le vent sifflant dans les arbres attirent mon attention un instant puis je retourne à nouveau le regard vers Vain qui me demande si je suis d'accord:

-Non...ça sonne bien mais...tu ne me semble pas idiot ou simple, on est tous complexes et vif d'esprit, c'est bien le propre des Garçons Perdus non?

Un bruit de braises qui bougent et de nouvelles bûches rajoutées au centre, d'autres personnes rejoignent le feu, et ça discute, ça parle, doucement pour certains, les désabusés et les pessimistes; mais les plus bruyants, joyeux et confiants en l'avenir du Pays de Jamais, mettent l'ambiance et rassurent les plus tristes; ils dansent, blaguent et rigolent, brillants au rythme des flammes qui montent vers le ciel.

- Non...ça sonne bien mais...tu ne me semble pas idiot ou simple, on est tous complexes et vif d'esprit, c'est bien le propre des Garçons Perdus non ?

Le raisonnement de Crow le fait rire. Pas méchamment, non, mais ça lui semble tellement optimiste comme façon de voir les choses. Que l’on puisse s’indigner à sa place l’étonne, également ; lui sait très bien ce qu’il vaut, ni plus ni moins que la simplicité de son nom.
L’Effleuré est assez en paix avec lui-même pour ne pas réclamer mieux.

Il y a du monde, qui s’installe autour du campement. Lorsque les voix se font trop fortes, Vain ne réfléchit pas : il se lève, se rapproche de son interlocutrice pour s’asseoir à ses côtés. Et lance :

- Je voulais mieux entendre ta voix, j’espère que ça ne te dérange pas.

Il aime cette ambiance animée, l’Effleuré. Comme si, au dehors, la mort glacée ne les attendait pas.

- Je ne suis pas complexe ni particulièrement vif d’esprit, ça me va. Il lui adresse un sourire serein. Je n’aime pas me prendre la tête ou prétendre être quelqu’un d’autre. Ça me va, d’être moi.

Pourquoi chercher trop loin, se plaindre de ce qui fait partie intégrante de lui ? Penchant la tête pour ne pas avoir à crier, il reprend d’un ton doux :

- Et ton surnom ? Attends, je vais essayer de le deviner. Il la scrute, nonchalant et pourtant attentif. L’Alerte ? L’Optimiste ? La Digne ?

Un rire léger, il s’amuse de l’interaction. Et conclut, d’une voix caressante :

- Ce sont de beaux surnoms, mais je ne te vois pas avec quelque chose de moins valorisant.

Il rit comme un millier de papillons et je l'écoute me parler alors qu'il s'assoit plus proche de moi, à mes côtés, le feu ravivé par le bois lancé par d'autres compagnons qui s'amassent autour, la chaleur de la foule faisant barrage au froid.

-Ça ne me dérange pas du tout.

Un instant je ressens comme le passé, le printemps revenir juste une seconde à la vie et envahir les cœurs vivants dans la vallée mais il n'en est rien, juste le blanc de la neige éclairé par les flammes.

- Je ne suis pas complexe ni particulièrement vif d’esprit, ça me va. Je n’aime pas me prendre la tête ou prétendre être quelqu’un d’autre. Ça me va, d’être moi.

Être soit, c'est encore une chose que je ne sais pas faire, que je ne connaît pas. Mais son sourire me rassure, il me conforte dans l'idée qu'au final, un jour je peut réussir, comme lui, à être moi même.

Mes pensées sont interrompues par son regard qui m'observe, m'analyse et me fait légèrement rougir.

Il continue de parler doucement, me posant à son tour une question :

- Et ton surnom ? Attends, je vais essayer de le deviner.  L’Alerte ? L’Optimiste ? La Digne ?

Il rit à nouveau, je souris à nouveau.

- Ce sont de beaux surnoms, mais je ne te vois pas avec quelque chose de moins valorisant.

-C'est...très gentil mais non...

Je tousse un peu, m'éclaircissant la gorge :

-Je suis...très flattée mais non, je ...on m'appelle La Lady.

Je regarde ses cheveux caressés par le vent froid et demande juste :

-Et toi ?

-C'est...très gentil mais non...

Dans les manières de Crow, il voit une retenue charmante, qui l’aurait peut-être ému s’il n’était pas si avare de sentiments. Vain la fixe sans insistance, ressent la chaleur du feu, les éclats des flammes qui se perdent dans ses yeux à elle.

-Je suis...très flattée mais non, je ...on m'appelle La Lady.

La Lady... il prend le temps de digérer l’information, décide que le surnom lui va mieux que ses ses
suggestions. La Perdue enchaîne :

- Et toi ?

Il pourrait répondre simplement, mais une idée le traverse, bien plus intéressante. Son regard s’illumine d’un éclat espiègle alors qu’il se redresse.

- Pourquoi n’essaierais-tu pas de deviner, ma Lady ?

Son ton est doux. Poursuivant, il énonce :

- Je te donne trois essais, et si tu n’y arrives pas... je te montrerais.

Si son nom est péjoratif, son surnom est beau, presque trop adapté à lui. Comme si l’Île et ses Enfants Perdus avaient su les mains qui avaient fait de lui l’Effleuré. Des mains douces, des mains calleuses, des ongles longs aux paumes marquées par le sang. S’il ne se souvient plus des visages, il se souvient de leurs contacts, de leur chaleur.

Comme le feu qui brûle, à côté d’eux.

Se raccrochant à la présence de Crow, Vain la fixe, inquisiteur.

- Pourquoi n’essaierais-tu pas de deviner, ma Lady ?

Le vent souffle doucement dans le Canyon, glissant dans les creux de la roche on le croirait murmurer doucement.

- Je te donne trois essais, et si tu n’y arrives pas... je te montrerais.

Je m'approche du feu, cherchant la chaleur.

-Tu ne peux pas montrer un surnom, à moins de l'écrire haha

Un rire timide, je me sens mieux qu'auparavant, plus libre, plus calme, plus laxiste vis à vis de moi même et des autres, plus lente aussi, est ce la fatigue et le froid qui me pousse à moins être tendue, à lâcher prise? Peut être.

Est ce que je devrais mettre fin à cette discussion et aller me coucher, ne pas montrer mes faiblesses? Je ne sais pas, c'est si confortable, si apaisant de ne pas rester strictement tendue, chaque muscles poussés à garder une contenance pénible à la longue.

Alors je n'en fais rien et je reste, je continue ma discussion avec Vain:

-Tu te surnommes...le Flatteur!

Doucement plus de gens entourent le feux et plus de bruit se fait, plus de joie et plus de vie danse devant nos yeux.