Shake the dawn, aweless dare
Throw along youngest stare
Arms reclaim stars unnamed

Les lunes de succèdent.
L'hiver reste le même.
Le coeur même faible de l'Enfant, bat.
Alors, moi aussi je prends les armes.

J'affûte ma patience.
Je fourbis mon verbe.
Je déploie l'Histoire
Pour combattre l'Oubli.

Moi, la Mémoire de Mère-Île.

Entends, Enfant,
Entend ma Voix.
Elle te berce, t'enrobe,
T'emmaillotte aussi sûrement que ce cocon.

Lorsque ma langue cesse de s'agiter,
Qu'elle réclame à boire et nager,
Mes doigts prennent le relais.
Mes pigments s'acharnent sur la peau, vive ou tannée.

Moi, la Mémoire de Mère-Île.

A jamais renégate et spoliée,
A la confluence des peuples et des bêtes,
J'attends, j'écoute, je relate,
En compagnie du veilleur brulé.

Il n'y a que nous à ton chevet,
Sans relâche ni plaintes
Dans la communion des silences
A garder ton sommeil enflammé.

Nous, les Gardiens de Peter Pan.

Et puis, parfois, les nuits ne se ressemblent pas et le Monde s'invite à nos côtés. Parfois, il a la forme d'une fillette dont le regard est habité tant par la sauvagerie que par la beauté.

- Vous êtes Nadie, non ?

J'abandonne le cuir sur lequel œuvrait mes aiguilles, les doigts plein d'encre rouge comme du sang caillé. Je me penche vers la petite, ployant ma souple échine.

- Je ne fus Personne.
A présent, je suis.
Mon nom est Nadie.
Et toi, fillette égarée,
Es-tu  ?

- Je suis... Sick. Sick le Poison.

Les mots ont un pouvoir.
Ils impriment l'âme, lui donnent ses inflexions, façonnent la glaise tendre.
Mes pupilles fendues s'étrécissent. Je plisse les yeux, m'approchant si près que je peux parfaitement humer son fumet de fillette apeurée.
Que craint-elle ?
Il y a chez cette enfant bien des couleurs dont les pigments se brouillent, ne se stabilisant pas encore sur leur teinte véritable. Je me redresse avec lenteur.

- Non.
Ce n'est pas ce que tu es.
Juste un nom.
Bientôt, tu en changeras.

Elle s'agite. J'hume ses craintes. Elle plait au prédateur, elle interroge l'humaine.
Que craint-elle ?
Est-ce mon ombre projetée sur son petit corps fragile, ou celle tapie en son coeur ?
Je décèle la flamme d'un certain courage, aussi.
La peur ne va pas sans courage.
Le courage ne va pas sans la peur.

- La grande peinture, dans l’Ossuaire. On m’a dit qu’elle venait de vous.


Mon oeuvre la plus intime.
Mes doutes.
Ma colère.
Mes peurs.

Mon histoire.

- Oui.

Je pose alors une paume sur la tête de l'enfant, d'instinct, comme pour la retenir de se perdre dans sa propre tourmente.

- Cesse.
Tu n'as plus à avoir peur.
La peur n'est jamais à ignorer. Nous devons y faire face, la laisser nous traverser mais ne jamais la retenir. Ce n'est pas elle qui est porteuse d'enseignements, c'est la trace qu'elle laisse sur son chemin qui l'est.
Tu as eu peur de venir à moi.
Mais cette peur t'a enseignée le courage de m'adresser la parole.
Je t'écoute à présent.
La peur peut s'en aller.

L'enfant cherche mes yeux et je lui offre, limpides, calmes, clairs.
Un regard qui appelle à la sincérité.
Elle éclot à fleur de lèvres et j'écoute.

- Je n’ai jamais été très... utile. À qui que ce soit. Et pendant longtemps, ça m’allait. Ça m'allait de zoner partout, casser des trucs et emmerder le monde. Au Grand Arbre, on m’a donné un travail que je fais très mal, comme le reste. Mais...

Je ne brusque pas sa confession.
Le conteur ne bouscule jamais une Histoire.
Il tend l'oreille attentif et consigne.

- ... quand j’ai vu votre fresque, j'ai oublié que je ne sais pas créer, juste détruire. J'ai oublié ce que j'avais vécu, j'ai oublié comment les autres me voyaient.

Une note de surprise passe dans l'or de mes iris.
Je peins pour que l'on se souvienne, pas pour que l'on s'offre à l'Oubli.
Cette étrange petit Foudi Rouge pique ma curiosité.
Est-elle une messagère de Mère-l'île ?
Un signe qui m'est envoyé ?

- Je l’ai regardée des heures, je me suis perdue dedans. Elle n'est pas juste belle, elle est vraie. J'ai l'impression que l'observer a remué des trucs, dans ma tête et mon coeur. Et je me suis dit...  Je me suis dit que j’aimerais faire pareil. Que si je pouvais me rendre utile en créant des choses vraies, des peintures qui hurlent et qui réconfortent... je le ferai.

Ce récit produit en moi une étrange cacophonie.
L'Orgueil se mêle à la Honte, bousculés par d'autres émotions plus primitives, sauvages et brutes.
Ce que j'ai confié aux Os ce jour là est le fruit de mes entrailles,
d'une vérité terrible et crue.
Je me suis écorchée vive pour me montrer nue.

- Je suis venue vous demander de m’apprendre à peindre comme vous.

Je réalise alors que ses yeux brillent d'un éclat semblable au mien, à la papoose que j'étais du moins.
La flamme d'une Sans-Nom pressée de découvrir son identité.

- Sais-tu pourquoi l'on me surnomme La Mémoire ?

Je laisse un silence s'effilocher.

- Car, pendant longtemps, je me suis astreinte à représenter l'Histoire.
Celle de l'île.
Celles des autres.
Cette fresque que tu as vue est la première que j'ai peinte pour ma simple expression.
Pour moi.
C'est la seule fois où j'ai été à la fois auteur et sujet.
Avant la Dormance de Peter Pan,
Je contemplais le monde sans y vivre vraiment.
Je le représentais, sans me compter dedans.

Je caresse sa joue avec un fin sourire.

- "Créer des choses vraies,
Des peintures qui hurlent et qui réconfortent..."
Je n'aurais jamais songé à le formuler de cette façon.

Les Desseins de la Grande Mère sont toujours mystérieux.
Un enfant s'endort, un autre s'éveille.
Si cette jeune âme est venue à moi, c'est que Tu l'as désiré.
L'heure est désormais à l'implication,
A la transmission.

- Je t'apprendrais, ce que je sais.
Le reste du chemin, cependant, sera guidé par tes choix seuls.
Tu deviendras alors, ce que tu es.