Ino a été particulièrement en demande d’affection ce soir—ce qui pourrait être charmant, après tout Ume vit pour l’attention que lui offrent ses projets, si elle n’avait pas tant à faire. Les employés s’affairent, assignés au transport et à l’identification de deux cadavres retrouvés flottant dans le Port, lui demandant des indications de temps en temps. Elle observe ceux que cela rebute, de toucher les cadavres, et note mentalement de ne pas les reprendre pour la prochaine fois. Après tout, ceux qui travaillent sous ses ordres ne sont que des prêts temporaires, généreusement négociés avec la gérante de la Fumerie. Oh, Ume apprécie cette femme, la mort qu’elle peint à même sa peau, son indifférence apparente face à l’univers. Ne sont-elles pas opposées ? Ah, sa profession n’aide pas au recrutement de sujets fidèles, elle soupire en devant prendre les devants de temps en temps, les envoyant chercher de quoi habiller les corps plus tard, découpant les tissus ancrés dans les chairs.

Ses mains gantées sont rapidement glissantes—les fluides s’emmagasinent pour ressortir ensuite là on ne les attend pas. Et cela devrait la dégoûter, elle suppose. Sauf que Ume a grandi ainsi, avec des visages balafrés, des tentatives pour sauver les meubles pour le cercueil puisse demeurer ouvert pour certaines veillées. Alors, elle se contente de caler Ino entre ses pieds pour continuer à procéder au nettoyage.

« Coin coin toi-même, » qu’elle lui sort, puérilement. C’est amusant, d’avoir un peu de distraction au milieu du silence autour d’elle. Les autres ne sont guère bavards, les morts encore moins. Une employée l’observe, depuis l’embrasure de la porte. Ume ne leur demande jamais de faire plus que ce pour quoi ils sont payés, par manque de formation. Les morts doivent être respectés, guidés—qu’elle les aime, au contraire des vivants.

« Moribund, vous avez un client qui attend dans l’entrée. Un qui se tient debout, je veux dire. »

« Offrez lui de s’asseoir, et du thé. J’arrive. »

Impossible d’abandonner le corps sous ses mains, de ne pas terminer de le nettoyer proprement. C’est que les fluides, lorsqu’ils coulent sur le sol, qu’ils se répandent dans la pièce, deviennent pénibles à éliminer. Et il ne faudrait pas qu’Ino ingère un autre doigt. Cela risquerait d’abîmer ses intestins. Plus tard, elle lâchera la terrible bête autour de la demeure, avec sa petite veste pour ne pas qu’on veuille la présenter en repas. Oh, égarer un autre projet la peinerait tant !

Une fois les gants retirés, mains lavées et corps prêt à être changé puis envoyé vers un autre monde, elle ajuste sa perruque—parfois elle glisse un peu malgré le filet et les pinces—se glissant dans l’entrée. Elle interdit à ses employés d’accepter les corps qu’on leur livre sans sa présence, pour éviter d’être complice de crimes qu’elle jugerait difficile à cacher.

« Soyez le bienvenu, » oh, quel visage intéressant. Un qu’elle ne connaît pas encore—dans son métier, les personnes qui deviennent trop régulières sont des médecins ou des tueurs en série, elle présume. Enfin ici—le Monde Ordinaire était peint de règles plus abstraites, « Je suis Ume Moribund, vous avez quelqu’un pour moi ? » Sourire si faux, si professionnel. Qu’elle est fière de sa maîtrise de son univers, de son établissement fraîchement ouvert.

C'était un désastre. L'étagère renversée, tant de numéros au sol. Azel les récupérait d'une main tremblante, murmurant des excuses à ses souvenirs. Il recoiffait, sept fois, il réajustait les chapeaux sur ces têtes qu'il avait malmené. Simple épisode de lucidité destructrice. Cependant, parmi les victimes, 14 n'était pas rattrapable. Elle avait été la cause. Azel s'était enfin rendu compte de l'état de décomposition, il avait remarqué l'odeur putride et le reste. Enfin. La lucidité était venue lui montrer qu'il avait oublié d'empailler. Ça arrivait parfois, et lorsqu'enfin l'esprit embrumé se devenait à nouveau "sain"... la panique détruisait.

Le Chapelier avait rassemblé ses moyens, enfermé la conscience morale, et prenant la tête dans les bras, il s'en allait pour jeter son souvenir dans l'océan. Cependant, des lumières ailleurs attirèrent les yeux sans pigment. Ça lui revenait, une maison funéraire, il semblerait qu'ils y brûlaient des corps. Ou quelque chose ainsi ? Le commerçant revint sur ses pas, emporta l'une de ses sept cannes et choisissait un nouveau chemin pour 14.

Il comptait ses pas. Par sept. Devant l'entrée, il dû faire un pas de côté afin d'arriver au nombre correct puis il entra un peu timidement. Il observait partout autour de lui, avant que le personnel ne vienne au final proposer de prendre place ainsi qu'un thé. Azel Von Kopfenwald ne pouvait résister à l'offre, lui qui venait de reprendre ses esprits, ou de les reperdre. Il gardait 14 contre lui, un peu cachée, mais il était souriant ravi de recevoir un breuvage qu'il ne sucrerait pas à sept reprises. À moins qu'on lui laisse le plaisir de se servir, il espérait qu'aucune forme d'accompagnement ne serait ajouté.

L'albinos n'avait jamais mis les pieds en ce lieu, ce n'était que ce jour précis que l'idée de garder tout de même les oeuvres qu'il ratait auprès de lui lui était venue.

Distraitement, il caressait les cheveux un peu parsemés de 14 avant de prendre une gorgée de boisson. Depuis combien de temps attendait-il ? Il n'en savait rien, il détestait le principe du temps qui avançait.

Une voix sortit finalement l'habitant tout en blanc qui eu le réflexe de se relever, il voulu retirer son chapeau mais en portant la main à ses cheveux il remarqua qu'il l'avait oublié chez lui. À la place, il entortilla l'index dans une mèche, sept fois. Avant de reprendre des deux bras 14, en offrant un sourire parfaitement distingué. Enregistrant les prénom et nom de la jeune femme. À la question, Azel eu un air un peu plus mélancolique. Il voulait répondre, mais la bienséance demandait à se présenter à son tour.

- Enchanté Fräulein Moribund, je suis Azel Von Kopfenwald.

Un temps, laissant les yeux tomber sur 14 que le Chapelier dévoilait en tendant légèrement la tête en sale état à la jeune femme. Canne toujours gardée sous le bras, les mains étant occupées.

- J'ai cru comprendre que vous pouviez vous occuper de ceux qu'on l'on a perdu.

Distraitement, il tapota sept fois du pied doucement. Il était tant peiné d'avoir oublié de s'occuper de son souvenir.

- Vous pourriez me permettre de la garder, mais sans qu'elle soit dans cet état déplorable ? C'est entièrement de ma faute, j'ai oublié de m'en occuper avant. Cela m'arrive de temps à autre...

14 était l'une des nombreuses 14 que le commerçant avait déjà dans sa maison, mais il les distinguait. Celle-ci était blonde, avec des cheveux mi-longs. Une enfant perdue de peut-être 12 ans.

Un nom bien compliqué. Le Port regorge de ceux-là, d’histoires aux fils décousus qui intéressent de façon fugace Ume avant qu’elle ne passe à autre chose. Ses clients comptent bien plus que les vivants, eux qui s’empêtrent dans leurs chairs, incapables de ne pas ruiner ce monde. Le poids entre les bras de l’arrivant est bien maigre—un instant elle s’interroge sur un nouveau-né (quel terme étrange lorsque la vie n’est pas autorisée à venir en premier lieu) de plus—puis la vérité se dévoile, putride et malvenue.

Son expression s’exagère, les traits tirés un peu plus que nécessaires. Ume est si sincère, si expressive, qu’y peut-elle ? Son sourire se fait mordant, dents prêtes à s’écarter pour proférer des accusations qui n’aideraient pas son commerce à bien prospérer.

« Quelle bien étrange coutume, » conserver les enfants—ou leur souvenir—sous cette forme. Cela va contre les valeurs de Moribund, qui brûle les secrets au lieu de les laisser traîner. Que peut-on faire de restes tels que ceux-là ? Pas de kimono, pas se cérémonie pour si peu. Pourtant, tandis qu’elle tend les bras pour accepter ce qu’on lui offre, Ume se sait capable de trouver une solution.

Une qui n’aura rien à voir avec ce qu’on propose.
Ses mains ne retombent pas, bien qu’elles ne prennent pas non plus la tête.

« Que peut-on chérir, dans un morceau aussi rongé par le manque de soin ? » L’animosité n’est pas audible, masquée sous une pointe d’amusement qui est certainement honnête. Ume est subjuguée par le côté morbide de certains pirates, leurs crimes masqués par un amour inexistant. A quel moment est-ce l’affection devient lame, qu’elle tranche les chairs et les têtes ? Oh, vers douze ans, environ pour le premier point. Le second n’intéresse pas Ume.

« Je brûle les corps, je les rends ainsi à une liberté qu’ils méritent. Mes coutumes ne sont pas les vôtres et vous apprendrez que je peux réparer avec du maquillage, mais pas recréer l’univers. Qu’importe le prix, l’embaumement n’est pas le compagnon du feu et je préfère le second. »

Qu’est-ce qui ne va pas chez vous ? Conserver la tête d’un enfant, n’est-ce pas pitoyable ? Elle voudrait rire, se moquer jusqu’à ce que ses paroles deviennent tranchantes. Si seulement son commerce ne demandait pas un minimum de retenue. Alors, avec une pointe de paresse, Ume attend de voir ce qu’il va découler de tout ça, si la tête et l’homme qui a encore la sienne vont s’effacer dans la nuit.

Le Chapelier continuait de garder un léger sourire, commerçant. Il devait admettre que le manque de soin accordé à ce qui lui tenait à coeur semblait étrange, du moins à lui-même. En réalité, il avait plus de facilité avec Abel. Un être qui ne voulait pas être humain, c'était si simple. Alors que le reste se forgeait la carcasse d'une montagne rappelant celles de son enfance. Du moins, les silhouettes qui lui restaient, les silhouettes encadrées dans une fenêtre.

La demoiselle parlait de brûler. Ce qui fit baisser les yeux dénués de pigment sur la tête en mauvais état, décidément... 14 n'avait rien d'un bon jour.

Le feu, ça lui faisait penser à ces affreux bûchers qui puaient la chair, sur la plage. Oeuvres d'un fanatique dénué de manières que Azel pouvait apprécier. Peu importait, il n'était pas matelot. Il vivait sa vie au Port et tout s'arrêtait là.

Il réfléchissait, 7 secondes. Puis il porta la tête qu'il regarda dans les yeux, 14 avait été si jolie.

Cette fois, enfin, il la remise à Ume.

- Soit, le feu. Mais qu'advient-il du nouvel état ? Les cendres donc, qu'en faites-vous ?

Azel n'était pas accoutumé à tout cela, il les détruisait par peur lorsqu'il devenait lucide. Là, 14 était passée entre les gouttes. Quoi qu'il en fut, le Chapelier se trouvait être parfaitement motivé à trouver une nouvelle facette de ce monde. C'était un homme qui n'avait plus réelle notion de spiritualité, et ce n'étaient pas ses amis qui l'étaient plus. Il fallait dire qu'il ne se montrait pas bien exigeant au moins.

La renaissance s’accompagnera peut-être d’une quelconque vengeance, si la justice est plus qu’un mythe—pas que Ume s’y attarde, elle n’est là que pour l’entre deux, le passage d’un monde vers le suivant. Et ces êtres ravagés qu’on lui remet, corps parfois abandonnés sans vergogne devant son établissement, ils méritent bien plus que ce que ces monstres ont fait d’eux, beauté inexistante au sein de créations morbides. Bien sûr, Ume se connaît en projets désastreux, mais elle se contente de toucher les limites du bout des doigts, pas d’y plonger ses mains.

Enfin, sauf lorsqu’on lui fourre entre les mains une tête qu’on a laissé pourrir certainement par oubli ou désintérêt. Une fois encore, elle doit retenir la morsure qui se fraie un chemin dans sa bouche, rire qu’elle ravale sans peine. Vous êtes ignoble, qu’elle voudrait souligner. Mauvais pour la stabilité de l’emploi.

« Cela dépend des besoins. Je les conserve dans des urnes ici si personne ne se soucie du défunt, et je les vide ensuite dans des lieux appropriés. Certains désirent qu’elles demeurent auprès de moi et que je laisse les gens les voir, d’autres les ramènent chez eux. »

Pas pour une quelconque collection, pourrait-elle ajouter, mais, une fois encore, cela serait fort déplacé. A la place, elle ajuste le poids dans la tête entre ses mains. Une boîte en bois suffira. Elle brûlera assez rapidement, vu ce qu’il en reste.

« Il y a des cérémonies, des veillées parfois, ou bien des gens qui ont perdu espoir, ou qui ont besoin de se débarrasser d’un encombrant, » son sourire, si poli, si ouvert, est une ode à la moquerie qu’elle cache parfaitement, « je m’adapte pour satisfaire la demande. »

C'était intéressant ce qui ressortait des informations. Azel n'avait jamais pris le temps d'observer la mort au sein des pirates, il avait toujours pensé que les corps pourrissaient dans des recoins çà et là. Ou noyés dans l'océan, ou dévorés par les dames aux reins de poissons. Le Chapelier se fit pensif, assimilant les données de la Responsable de la Maison funéraire.

Des urnes, cela semblait être une fabuleuse solution aux horreurs de la décomposition.

Quelque chose en lui trouvait l'idée de brûler particulièrement inappropriée, mais c'était si lointain et si peu mis en avant que l'esprit plié en sept passa outre.

Les notions de cérémonies, cela aussi ne sonnait pas d'un son de cloche connue à ses oreilles. Il fallait dire que, tant bien même qu'il en aurait garder des souvenirs, Azel n'y avait jamais assisté. Il avait été éduqué aux prières avant le repas et le coucher. Le voilà en terre inconnue, il était plutôt matérialiste depuis toujours. Il appréciait posséder des choses.

Comme des souvenirs.

Une tête dans une jolie coquille.

- Des urnes, voilà une charmante solution ! En vendez-vous des modèles de belle facture ?

Il ne voulait pas se séparer de son souvenir, et pouvoir le garder dans une nouvelle enveloppe qu'il pourrait placer avec les autres têtes... ça l'enchantait.

- Il ne sera pas nécessaire de faire une cérémonie, juste une splendide enveloppe ultime sera importante. Je vous paierai évidemment rubis sur l'ongle, vous m'avez l'air d'une bonne commerçante.

Azel avait vaguement le sentiment qu'il était un peu fantasque, même au port où pullulaient bien des êtres étranges. Mais il appréciait le "pouvoir d'achat", l'offre et la demande. À moins que ce ne soit plutôt la demande et l'offre parmi les pirates.

Le Chapelier, concentré sur la nouvelle facette proposée, se trouvait être satisfait. Il pourrait poser le chapeau qu'il avait fait pour 14 sur l'urne.

Il espérait bien que Ume allait pouvoir proposer de beaux contenants.

Les urnes, il est rare qu’Ume se permette de les décorer elle-même ; ses doigts seraient incapables de s’arrêter, de ne pas se laisser happer dans ce énième projet. Alors, il lui est plus simple de les commander, de faire travailler les vivants pour satisfaire les morts. Sans paraître gênée par le poids mort dans ses bras, elle laisse les paroles s’écouler entre eux, commerce profitable qui ne manquera jamais de clients, surtout avec ce froid qui paraît de plus en plus mordant.

« Suivez-moi, je vais vous présenter certains de nos modèles, » qu’elle annonce, son corps pivotant vers un petit couloir qui débouche sur une pièce des plus simples, bois recouvrant mur et sol. Il y a, néanmoins, une myriade de couleurs et de créations autour d’eux. Ah, les œuvres uniques ont un coût bien trop important pour beaucoup. Et, au milieu de la pièce, étagères assez éloignées les unes des autres pour éviter qu’elle ne fasse tout s’écrouler en tombant, une longue table où sont disposés sept modèles—il est simple de constater que les plus à droite, dénués de toute forme de décoration, gris ou blancs, sont là pour ceux qui ne peuvent obtenir mieux. Ah, ce n’est pas l’urne qui compte, ni même la fortune familiale ; ce qu’Ume prêche, c’est l’amour envers les défunts, et le respect.

Ses pas la font s’arrêter au milieu de la table, là où des traits de peintures glissent sur les enveloppes, qui sont bien mieux polies. Puis viennent les uniques, toute à gauche, ceux dont elle n’approuve pas forcément l’existence, or mélangé à des teintes plus sombres, fleurs gravées et colorées jusqu’à faire oublier les raisons de l’existence de l’objet. C’est elle, pourtant, qui commande et imagine ces modèles, qui s’en sert pour son profit.

« Je vous suggère l’un de ceux-là, bien que vous soyez libre d’observer les étagères également. En général, je privilégie un choix limité pour éviter aux endeuillés de s’égarer sur des détails. »

Bien sûr, pour monsieur le coupeur de têtes, c’est un peu spécial. Lui a tout son temps pour choisir de telle manière il va ramener sa victime chez lui. Pitoyable, bien que Ume ne puisse pas lui reprocher sa présence. Il vaut mieux ça que de balancer l’enfant dans l’océan, uniquement pour que les sirènes transforment les restes en ballon de foot.

« Le prix est indiqué devant chaque pièce, pour les plus onéreuses il est possible de régler en plusieurs fois. »

Ce n’est pas comme si elle tenait une tête d’enfant entre ses mains, après tout.

En comptant ses pas, Azel avait suivi la responsable des lieux. Trop occupé à ne pas perdre le nombre en tête, il ne leva les yeux qu'une fois arrivé. Il dû faire un petit déplacement sur la gauche afin de finir sur un sept.

En parlant de ce chiffre, ses iris dénuées de couleur pigmentées furent ravies en découvrant les urnes dans l'harmonie calculée du compte absolu. Devrait-il prévoir d'arranger aussi des contenants ainsi ? Il lui faudrait y penser. La prochaine fois qu'il perdrait la tête, enfin... lorsqu'il détruisait ses oeuvres, parce qu'il devenait lucide.

Le Chapelier, malgré le calme des lieux, devait admettre qu'il n'aimait toujours pas faire du lèche-vitrine. Être commerçant ou bon client demeurait toujours une facette fatigante, parce qu'il faisait de son mieux en muselant ses tics et tocs. Ô comme les horloges lui manquaient. C'étaient si rassurants, ça lui rappelait le son de l'ordinaire. De son enfance lointaine. À en juger par les mots étranges des perdus venus plus récemment.

L'Ennuyée annonçait qu'évidemment l'albinos aux chapeaux pourrait aussi voir ce qui reposait sur les autres rangements, ce ne serait pas nécessaire. Un agencement en sept suffirait. Sinon, Azel savait déjà qu'il allait devoir tout compter. Et il ne voulait vraiment pas y rester trop longtemps, il avait très envie d'offrir une nouvelle enveloppe à 14. Alors le commerçant se penchait vers les objets, il devait s'en approcher, juste pour les détails. Il était un peu myope après tout. Bref, il ne passa pas beaucoup de temps sur les articles de droite. Azel pensait que le souvenir devait resplendir, et malheureusement, la sobriété ne convenait guère à 14. Elle avait si bien porté le chapeau qu'il lui avait fait...

Il hésitait, entre celles du milieu et celles de gauche.

D'un côté, 14 n'avait pas été aussi apprêtée que les filles de joie de Lady Ruby. Non, non, non, non, non, non, non. Un regard à la tête. Puis aux urnes, puis à la tête, puis aux urnes. Il tapota de la canne à sept reprises.

- Hm, j'imagine qu'une de celles aux ornements plus délicats conviendraient. Je suis un peu partagé entre l'unique des autres, mais peut-être un peu trop extravagantes pour une jeune fille. Du moins, vous semblez posséder de beaux ouvrages.

Plus il regardait, plus la 6e sur la gauche semblait offrir un petit entre deux. Ni trop pingre, ni trop. Azel devait admettre apprécier les touches dorées. En ce qui concernait les prix, il était assez économe, il s'en sortirait, mais cela souleva une question.

- Beaucoup de pirates viennent-ils ici ? Je dois avouer que je ne leur imaginais guère plus d'affinité envers leurs morts que les abandons... ou les enterrer dans des fosses communes.

Le Chapelier n'avait pas tant d'estime pour les pirates que cela, il s'y sentait cependant bien plus libre que chez les enfants perdus. Il pouvait rester à fuir le soleil sans encombre. Sept temps. Puis d'un geste direct, un index pointa la fameuse 6e urne.

- Je prendrais volontiers celle-ci. Elle lui siérait si bien.

14 reviendrait à la maison, il serait plus difficile de se souvenir d'elle. Mais tant pis.

- Combien de temps cela vous prendra de vous occuper de 14 ?

Simple curiosité, certes les notions étaient toujours approximatives. Etant donné la non-existence d'un temps précis. De plus, il devait probablement y avoir d'autres morts avant la tête déjà bien amochée.

Sera t-il pingre, ou bien capable d’une once de bonté envers les morts ? Ah, Ume n’en a que faire, pour être honnête. L’horreur est passée, elle s’est abattue et ce n’est pas de sa faute. Il lui faut juste attendre, garder un œil sur le client pour être certain que ce vil mortel ne foute pas un coup de coude dans une urne onéreuse, détruisant une partie de son commerce. Un beau tissu, c’est tout ce qu’elle sera en mesure d’offrir à la malheureuse qu’elle tient contre elle sans se soucier d’éventuelles tâches sur ses vêtements. La mort ne pourra jamais la dégoûter ; elle est née en son sein, après tout.

« Excellent choix ! » Réponse mécanique, habituelle. Combien de fois est-ce qu’elle a prononcé ces paroles, que ça soit ici ou bien dans l’Ordinaire, prenant la suite de ses parents lorsque les tragédies se faisaient trop nombreuses, « l’urne peut refléter votre lien à la défunte, ou bien simplement les goûts de l’un ou de l’autre. Dans ce cas précis, sans directives de sa part, c’est à vous de décider. »

Ume cache si bien la cruauté dans sa voix, la couvrant de miel et de fausseté. Fallait pas buter un gamine si tu voulais pas te charger de son enterrement, est ce qu’elle pense sans se permettre de le dire, voir même de le montrer. L’idée que l’urne rentre avec cet homme est embêtante, bien que ça ne la regarde pas, une fois l’âme libérée de ce monde.

« Pour répondre à votre interrogation précédente, mon commerce se développe petit à petit. Néanmoins, les limitations causées par mes méthodes posent parfois soucis à quelques personnes, pas que je cherche à avoir le monopole sur le Port en premier lieu. Je récupère également les corps non-réclamés. »

Par dévotion aux morts et non aux vivants.
Pensive, notamment parce que le terme de temps a encore du mal à être expliqué sur l’île, Ume prend quelques instants pour effectuer une sorte d’approximation correcte.

« Peu. Puisqu’il n’y a que la tête qui reste, cela ne devrait pas prendre trop de temps. Je vais simplement choisir un tissu différent pour la crémation, pour lui donner une belle enveloppe. Ensuite—pas de cérémonie, certes. Ni de discours. Quelques détails en ce qui concerne la crémation et l’après, rien de bien éprouvant.
Vous pourriez m’attendre dans notre pièce pour les proches, un employé vous escortera. Ou bien repasser demain si vous avez à faire. »

Quatorze, hm. Ce n’est pas un nom, Ume devra faire avec et se dire que c’est mieux que rien.

« En ce qui concerne le paiement, vous pouvez voir les modalités avec l’employé en charge de l’accueil si vous nous offrez votre présence un moment. »