Elle cherche.

Ce soupçon de chaleur, cette étincelle suffisante pour embraser ce qui sommeille au fin fond de l'être aimé. Oh, Peter Pan leur reviendra, elle en est convaincue. Les alternatives n'existent pas, de piètres tentations vers une calamité qui ne peut se produire. Ginger cherche l'amour dans tout ce qu'elle croise, inspectant le sol à la recherche d'une lueur colorée, les premières fleurs du printemps. Qu'elle a hâte de s'en parer, d'offrir des couronnes de fleurs à ceux qui croiseront sa route.

La seule offrande est celle qu'elle tient fermement entre ses doigts rougis par l'air ambiant ; une tasse de tisane. Elle peut garder l'univers entre ses paumes, le tenir au chaud, en buvant quelques gorgées de temps en temps. Oh, qu'elle s'est déjà éloignée du camp, pas à pas. Tout est si simple, elle n'a qu'à maintenir la tasse, ne pas en renverser une goutte, et se laisser guider par l'île. Jamais Ginger n'ira trop loin, jugeant terrible d'abandonner les autres courtisans qui l'attendent certainement.

Tant de vies qui s'entremêlent, de fils qu'il faut séparer avec soin. La couture est redevenue une habitude, enfants accourant pour lui demander un service, histoire que leurs tenues malmenées résistent à l'hiver. Ginger est si passionnée, si enjouée, comment refuser de lui offrir de quoi s'occuper. Et puis, on ne fait pas de remarques aux courtisans. Cela serait trop dangereux, de jouer avec des allumettes près d'une flaque d'essence.

Ah, la lumière se dresse devant elle, venue de nulle part. Étincelante, de la chevelure au doigts si habiles. Oh, son si cher compagnon, qu'il lui a manqué ! Depuis l'inondation, l'exil forcé jusqu'à ce que les eaux soit séparées par le prophète, Ginger n'a pas été si proche de son ancien chef. Pleine d'entrain, elle s'avance, sans jamais courir. La tasse se renverserait sinon, des gouttelettes tâchant sa si belle robe. Le sourire fend ses lèvres gercées, ses tâches de rousseur ressortant sous l'effet de la brise qui frotte contre son visage.

« Te voilà ! Mon égaré, de retour pour nous éclairer de ta bienveillance. »

Qu'importe son changement de saint, l'Exaltée est friande de la compagnie de son aîné n'hésitant pas à siroter son thé avec un regard brillant en attendant une réponse de sa part. Est-ce le liquide des pêcheurs qui recouvre sa chemise autrefois immaculée ? Si le crime était avéré, alors il fallait faire payer à la personne se prétendant victime. Jamais Pit ne pourrait être un bourreau, sa douceur l'empêchant de se faire nommer ainsi. S'il est la justice, implacable, Ginger ne peut que l'encourager. Elle taira les secrets qui lui paraissent le mériter.

« Comptes-tu me raconter ta merveilleuse aventure ? Je me fais toujours une joie de t'écouter, tu ne peux l'ignorer. »

De sa poche—cousue par ses soins sur le devant de sa robe—Ginger tire une fleur séchée, une un peu spéciale puisqu'elle ne possède que quatre feuilles épaisses, toutes du même jaune qui se fane. Savait-elle que leurs chemins étaient voués à se croiser de nouveau ? Pas besoin d'en être certaine, tout sur l'île doit se produire, telle est la loi immuable qui y règne. Offrant sa paume, et ignorante du sang qui recouvre son ami, elle lui propose l'offrande qu'elle a amené.

« Mon si cher Pit. »

Un hérétique, quoique pas véritablement.

Que ce temps était infernal. Que ce temps était ennuyeux. Mais, le désordre, le danger, que de moyens pour tenter de perfectionner les matériaux interdits. Le Joker avait croisé, par le plus grand des hasards, un perdu qui tentait de reprendre du souffle noyé dans une toux grasse. Pit s'y est approché, avec sa batte. Même lui prenait de quoi se défendre.

Une vague demande pour savoir si ça allait. L'enfant crachait du sang, apparemment, non ça n'allait pas. Le malade ne tenait pas sur ses jambes. Pourquoi se trouvait-il si éloigné du camps alors qu'il avait l'air d'un cadavre ? Des questions avec des réponses peu intéressantes.

Pit se contenta de regarder, droit debout devant l'autre humain. Large sourire, un rire. Il observa sa main libérée de la batte en métal. Le cuir humain, celui de ce gant, il faudrait le doubler un peu ? Pourquoi pas le prendre sur un corps encore chaud ?

Pourquoi forcément s'en prendre aux cadavres ?

Le Joker regarda autour de lui. Il n'y avait personne.

Le gamin se cacha dans la fosse au fond dans la boue, le pion riait et obéissait, le joueur hésitait. Et l'ombre... cette quatrième facette de l'esprit cassé du bouffon du roi, cette partie de lui avait été tant agacée d'avoir été réveillée. Toute cette haine pour... pour... qui ? Il fallait bien s'en servir non ? Ce que l'on avait pouvait être transformé.

Allez, ce serait si bien.

Mais comment faire pour ne pas trop abîmer la peau ?

Le Joker s'accroupit, observant l'enfant qui maintenant lui murmurait de l'aider. L'individu n'avait plus assez de force pour parler.

Le vide, le vide d'une putain de fosse vide.

––––

Les gants étaient propres, il les avait enlevé avant de passer à l'acte. Il les avait remis après avoir vu que l'épiderme était rongée par la maladie. Impossible de prendre la peau du cadavre chaud.

Pit avait le manteau ouvert, il l'avait aussi enlevé avant de bousiller le crâne.

La chemise était rouge, maintenant, la batte aussi, même un peu sur le visage.

Le sourire était crispé, entre une énorme frustration et le DEVOIR de sourire. Quelle horreur, il s'était sali avec le sang d'un moins que rien qui ne servirait pas à faire de belles créations. Oh non, si Dusk voyait tout ce rouge, elle laverait à nouveau ? Elle se salirait à nouveau les mains ?

Le sourire disparu, l'ombre revenait. Parce que les autres facettes tenaient trop aux personnes en dehors du jeu. Une silhouette attira les prunelles bien trop vertes, et la marche s'arrêta net lorsque la personne en face arriva droit devant. Un visage connu, une ancienne raccommodeuse. Ginger. Le Joker se souvenait d'elle, une courtisane désormais.

Ah, mais le rouge était toujours là. Il allait falloir savoir, Ginger était une poupée de quoi ?

Le sourire de la jeune fille est là, aussi chaleureux que le sang et la couleur de ses cheveux. Un instant, Pit songe a chercher déjà une excuse mais... la demoiselle reprenait déjà la parole. Le sourire du fou du tyran prit alors place. Sincère, comme toujours. Les puits d'absinthe suivirent le mouvement d'une des mains de l'Exaltée, et s'arrondirent à la présentation du présent. Quatre feuilles, il y avait d'ailleurs quatre feuilles. Pit aimait bien ce nombre.

Une belle fleur, le Joker l'attrapa doucement en laissant tomber sa batte ensanglantée au sol. Il disposa la plante dans l'une des poches de son manteau d'hiver. Une poche ouverte, devant à gauche. Vers le coeur. Laissant la fleur dépasser un peu comme un accessoire de smoking.

- Héhé, merci Ginger.

Large sourire.

Puis il entreprit de retirer ses gants afin de les ranger dans sa veste, il se pencha ensuite pour reprendre sa batte repeinte avant de reposer son regard sur la courtisane.

- Ma merveilleuse aventure, hein ? J'ai dû corriger quelqu'un.

Il tira sa chemise par le bas, le sang avait traverser jusqu'à sa peau. C'était étrange, ça lui rappelait lorsqu'il "jouait" avec les poupées. Le sang avait réellement cette température du corps, cette chaleur que le chef appréciait.

- Tu sais, tout le monde n'est pas bon parmi nous. Je devais vraiment...

Il pensa à Dusk, d'une certaine manière. Il était très sincère. Il voulait protéger quelques personnes, et il avait toujours fait payer à ceux qui avaient fait du mal à ses protégés. Ginger le savait, non ? Autant parler sa langue. L'Exaltée savait comprendre. Rien que son surnom était plaisant pour ça.

- Tu parles d'hérétique, toi. Si je m'en souviens bien. Là c'est la même chose, j'ai dû faire taire un hérétique. Je me suis juste un peu emporté... Et maintenant, je me suis sali. Par le sang d'un...

Il pesta avant de reprendre son sourire et de libérer le bas de cette chemise tachée.

Pit soupira, un sourire restreint sur le visage.

- Ginger, c'est un secret. Il ne faut pas que d'autres me voit comme ça, et ils ne doivent pas non plus savoir. Je peux avoir confiance en toi, hein ? Déjà une autre fois, une personne importante a lavé une chemise, je ne veux pas revoir ses mains toucher un liquide aussi affligeant.

Un sourire doux avec une pointe de peine. Comme s'il était celui qui se sacrifiait pour des plus faibles peut-être. Bref.
Un pari un peu risqué, mais que l'ombre avait plus envie de prendre que les autres. Parce que cette facette avait envie de faire jaillir le rouge. Les pulsions ne tenaient pas longtemps avec cette partie de l'esprit.

C'était un jet de dés, pariant sur le hasard absolu de cette rencontre. Pariant sur "qui se ressemble s'assemble".

Qu'il est bon de le revoir, de se noyer dans cette étincelle colorée l'espace d'un instant. Son affection pour ces hérétiques, ceux dont elle a partagé l'existence avant que Peter Pan ne remarque son amour si intense, demeure niché en elle. Elle le couve avec soin, particulièrement prête à se joindre aux frasques de son ancien chef. Pit porte chaque couleur avec la même aise, que ce soit la teinte poisseuse sur sa chemise à sa chevelure pâle. Quelques gouttes ont réussi à atteindre le visage, l'en parant d'une marque odieuse qui attire bien trop le regard. Pit est trop important pour se vêtir de modestie, après tout. Ginger, qui prône la souffrance depuis sa naissance, ne peut s'empêcher de comprendre une telle attitude. Après tout, elle insiste pour avoir les meilleurs chaussures, les plus belles fleurs pour sa chevelure. Oh, il n'y en a plus assez ces derniers temps, c'est bien triste.

Les paroles s'enchaînent, offertes en ce qui semble être une explication plus qu'une excuse. L'Exaltée punira de la même manière qu'importe les supplices. Il y a, au sein de la douleur, dans les marques qui s'étendent sur son corps, un bonheur que peut parviennent à remarquer. Ses mains se placent dans son dos, nouées solidement autour de la tasse tandis qu'elle attend la chute qui les entraînera tous deux vers l'enfer le plus brûlant.

« Mon brave Pit, porté par son courage et son arme divine ! » Pourtant, Ginger n'est pas si naïve. Leur vision de la justice est différente, il en va de soi. Personne ne peut lire aussi bien qu'elle dans les traits des hérétiques. Qu'elle aimerait devenir leur messie, les entraîner vers une voie plus raisonnable, quoique cruelle.

« Nos routes ne sont pas croisées à cause du hasard, c'était la destinée écrite par notre Roi. Le pauvre est épuisé, portant nos pêchés sur ses épaules, nous ne devons pas lui rendre les choses plus difficiles, n'est-ce pas ? »

Si Pit était une fille, ne serait-il pas synonyme de perfection ? Ginger ne s'y attarde pas, préférant se demander comment ils vont nettoyer les traces du châtiment sur la chemise. Oh, elle pourrait s'y atteler seule, reprenant d'anciennes habitudes. Il lui arrive parfois d'aider les mères, uniquement pour les soulager. Parce qu'elle est douée pour trier et nettoyer tout ce qui ne devrait pas exister. La tasse est portée à ses lèvres, liquide devenu étrangement dénué de goût, lui rappelant la médiocrité de l'existence des humains.

« Les meilleurs d'entre nous subissent de telles pressions, le poids de l'existence des hérétiques entre nos mains. Accompagne-moi jusqu'au camp, je peux trouver un endroit où personne n'osera te déranger pour que tu retires ce qui te souilles. »

Si l'Exaltée ne peut s'empêcher de sourire, d'offrir tant à son ancien chef, elle n'a pas répondu à sa question directement. Peut-être que c'est tout simplement parce que sa loyauté ne peut être questionnée, que jamais elle n'irait défier son ami.

Ou bien les hérétiques sont-ils tous les mêmes, incapables de ne pas s'accorder trop d'importance.

Les paroles auraient pu sortir d'un pot de miel, du moins, selon la vision du Joker. La seule chose avec Ginger, c'était qu'il fallait écouter. Faire avaler la boue au gamin et au pion, pour que seul le joueur et l'ombre portent la concentration. Et ce que l'Exaltée disait... portait les mots que le jeu voulait sûrement entendre. Sans sursaut ou dégoût, la jeune fille portait la tasse aux lèvres. Comme s'ils parlaient dans un cadre et une situation parfaitement normale. Discuter en buvant quelque chose de chaud, ça rappelait des souvenirs à l'ombre. Juste ces éternelles soirées passées dans un lieu public, à attendre d'avoir le droit de rentrer à la maison. Pourquoi Apache avait réussi à réveiller cette ombre qui avait essayé d'effacé les détails, les points qui faisaient mal ? Peu importait, le plan poursuivait jusqu'au chaos. Sourire en coin en regardant Ginger, l'apocalypse ?

Puis la proposition, pas de promesse mais le Joker décidait de faire confiance. Parce que la courtisane était comme d'habitude, il n'avait pas vu en elle ce regard que l'Hérissé avait. Ni même celui de Sweet. Il savait reconnaître ceux qui avaient du potentiel. En quelque sorte.

Grand sourire.

L'Exaltée voulait probablement le bien de Peter Pan, et Pit n'avait jamais failli au Tyran. Non ? Pit faisait même parti de ceux qui avait droit d'entrer dans la chambre de l'enfant roi, il faisait parti des rares à savoir que le tyran dormait comme tous la nuit venue. Mais le mal du givre était trop présent et empêchait la progression du jeu. Pit regrettait tant ces moments où il était, comme Bow, juste aux côtés de Peter lors des bannissements.

Une question naissait doucement dans l'ombre de la fosse, est-ce que Ginger pouvait participer à un chaos ? Elle parlait d'hérétiques, de divinité, les religions engendraient toujours ce genre de chose. Et Pit était prêt à parier que des cavaliers de l'apocalypse pouvaient se cacher là-dedans. Il y avait quatre gus, selon ses vagues souvenir de la seule religion présente en... en... il ne savait plus où mais peu importait.

Il se pencha un peu en avant, comme pour une confidence.

- Je m'en remets à toi ma Ginger.

Et il suivit, si elle commençait à marcher. Il jeta un oeil en arrière afin d'être sûr que personne n'avait suivi. Ce n'était pas le mort qui l'inquiétait, il ne restait plus grand chose de la tête... L'ombre s'emportait dans les pulsions de mort et de vie.

- Dis-moi, tout va bien pour toi de ton côté ? Tu n'as pas eu de problème avec... des hérétiques ?

La poupée ardente ? Ça lui correspondrait bien, à moins qu'il ait déjà changé cette appellation auparavant ? Il ne s'en souvenait plus. La question par contre était sincère.

Le Joker posait la question, un peu de curiosité. Mais le sourire aux lèvres, jamais le chef n'allait juger ce genre de chose. Lui qui adorait, ce genre de chose. Il avait soigneusement choisi les mots pour que ça parle à l'Exaltée qu'il appréciait beaucoup. Elle lui rendait un service, il le lui revaudrait. Bien qu'il n'ait pas besoin de dette pour ça en réalité. En tant qu'ancienne raccommodeuse, il n'allait pas lui tourner le dos tout de même. Voyons, il était un chef d'honneur.

Il sentait le sang froid et poisseux coller à son ventre et son torse, sensation qu'il était incapable de décider s'il aimait ou non. En tout cas, ce fut le frais qu'il détestait.

L'acceptation est une évidence entre eux. Autrefois, leurs mains expertes opéraient dans le même but, celui de réparer les habits et d'en faire des bien plus beaux. Oh, si les penchants de Pit ne sont qu'une hérésie familière aux yeux de Ginger, elle n'a jamais participé d'une quelconque manière. Même là, alors qu'elle est noyée sous le rouge qui semble avoir recouvert la chemise au point de la bénir à tout jamais, les punitions imposées par son aîné ne la touchent guère. Ginger veut simplement profiter de cet instant, des douces paroles. Oh, la confiance est si agréable, surtout qu'elle sait Pit sincère. Après tout, leur lien est immuable, si chaleureux dans son ventre. Dommage que sa tisane soit presque froide.  Elle s'en délecte néanmoins, gorgée après gorgée tandis qu'ils s'élancent vers un destin absolument merveilleux.

« Un pirate, voilà de cela quelques temps. Un être absolument affreux, happé par le mal ! Il a brûlé, bien que ce fut un accident. Le feu se répand si vite, surtout dans les arbres, je suis restée, par respect pour le défunt. Ses cris furent brefs. »

N'était-ce pas avant le Givre ? Son esprit est si focalisé sur le printemps à venir, les champs qui se rempliront de fleurs, que l'adolescente n'a que faire de ces détails. L'individu a déjà été relégué au rang de créature punie pour son besoin de destruction.

« Les enfants se tiennent si bien, c'est extraordinaire, leur force est divine et leurs encouragements emplis de bonté. »

Les miséricordieux qui sont décédés s'effacent d'un point de vue pratique. Si Ginger force sa mémoire pour son passé et l’Ordinaire, elle n'en a pas la force par ici, surtout pour ceux qui ne parviennent à compter. Pit est différent, bien sûr. Entre eux s'est tissé une promesse silencieuse, cachée sous leur jeu, un soupçon de soutien et de confiance. Aucun cadavre à faire disparaître du côté de Ginger cependant. C'est que l'enfant fait attention à éviter la compagnie de ceux à qui elle pourrait s'en pendre, ne voyant guère de choix à ce sujet.

« Nous commencerons par laver ta chemise, et si cette dernière ne peut être sauvée de son destin, un feu fera l'affaire pour nous en débarrasser. As-tu des tenues de rechanges ? Oh, si tu attrapais la mort, cela serait une tragédie. Que feraient les autres ! »

Seraph. Son ancien amie de l'autre monde qui ne l'a pas reconnue à son arrivée. Il lui arrive de souhaiter vérifier qu'il va bien, uniquement pour abandonner l'idée ensuite.

Les pirates, les pirates, les pirates... les pirates. Ils étaient bénéfiques et non. Pit savait pertinemment qu'il pouvait finir dans un sale état face aux plus avides et qui n'écouteraient pas ses mots. Il n'avait que rarement de contact avec cette tranche de la population de Neverland. Dino était un allié, et Dogfish un genre d'enseignant. Pour les peaux. En revanche, ce ne fut que par le morbide que le Joker avait su amadouer.

Ce même morbide qui avait étrangement "touché" Peter Pan, parce que le Bouffon avait su le justifier. Le chef commençait à se dire que peu à peu il devrait entamer la nouvelle phase du jeu et laisser le Grand Arbre brûler dans le chaos qu'il voulait nourrir. Pourquoi est-ce qu'il faisait tout ça déjà ? Il avait oublié, il avait oublié quelque chose de très important. En arrivant sur l'Île, il avait un but, il avait un tout autre comportement. Mais peu à peu le gamin avait été enfermé dans la fosse, envahi par la boue des douleurs, hontes, peines et dissonances d'avant. Pourquoi les autres ne savaient pas ce qu'il savait ?

Le Joker avait un grand sourire, le feu qu'évoquait l'Exaltée avait quelque chose d'esthétique. Bien que la peau devait être irrécupérable... Mais impossible d'en vouloir à Ginger pour ça, disons que c'est un vêtement de flammes. D'ailleurs, la seule chose que le chef pouvait trouver à redire de la courtisane concernait les jupes et robes un brin à l'ancienne. C'était plutôt à Curve qu'il destinait les créations exubérantes, pour mieux enlacer ensuite. Même l'ombre du Joker admettait que la Caliente manquait dans ses acolytes.

Puis à nouveau Ginger attrapa l'attention de Pit, exposant la suite du plan. Celui-ci était évidemment approuvé, et c'était avec un large sourire que la réponse fut offerte après avoir un peu ri. Il riait toujours trop.

- Toujours, j'ai déjà dû changé de manteau une fois au camp. Grumpy tousse beaucoup, y a aussi eu du sang. Je crois que ça m'aime bien, le rouge. C'est complémentaire au vert, héhé.

Proche du camp, Pit faisait de plus en plus attention au bruit de ses pas. Il voulait se faire discret, ne pas réveiller les soupçons. Ah, et sa batte en métal aussi ! Il n'aurait qu'à l'essuyer avec la chemise en sale état, la matière froide et rigide se lavait plutôt bien. Voilà tout l'avantage.

Pit plissait les yeux en voyant des gens bouger non loin.

- Tu veux pas que je l'enlève rapidement ici ? Je ferme après mon manteau, c'est peut-être plus discret ?

Il disait ça en réfléchissant, faisant une moue dubitative. Avant de reprendre le grand sourire.

- Mais j'aime pas sentir le froid, j'aurais qu'à trouver une excuse. Le dernier qui avait voulu me dénoncé l'a regretté de toute façon. Personne oserait faire de la peine à Peter quand même.

Ce bouffon si gentil et souriant, comment aurait-il pu faire du mal ? C'était forcément le dénonciateur qui était le mauvais dans l'histoire.

- Enfin, c'est quand même pas trop loin ? Je veux pas que tu sois entrainée dans des problèmes. T'aurais aucune égratignure sur ton honneur, mais j'aime pas que y en ai qui tentent.

Une manière détourner de dire qu'il ne voulait pas poser de souci, mais que s'il y en avait... il les réglerait. Vite. Et cette foutue cicatrice tirait beaucoup avec ces températures, le chef avait quand même naïvement pensé que s'arracher la peau ne laisserait pas une marque indélébile.

La mélodie qui s'échappe de son ami mériterait châtiment, dans son ancien monde où la musique ne pouvait qu'inviter le diable au sein d'une demeure. Ginger apprécie le son qui les entoure, en une étreinte presque obscène. N'est-ce pas fantastique, d'être capable de rire alors que les gens s'effondrent à leurs côtés ? Ginger ne peut s'empêcher d'admirer son ancien chef, sa prestance malgré le rouge qui semble se répandre sur sa peau. Oh, les maladies sont si viles, à se répandre au moindre contact. Ginger n'y connaît pas grand-chose, outre qu'il faut tout laver au savon, frotter énergiquement—même la bouche, parce que la saleté a tendance à s'y accumuler si simplement.

« Grumpy est bien grand, il s'en remettra, » un sous-entendu peu voilé, presque une menace pleine de douceur pour les benjamins du camp. Abréger leur douleur serait un tel soulagement, ça ferait taire l'angoisse au sein de son cœur. Ginger serre un peu plus la tasse, ses pas mesurés et silencieux. Elle ne doit pas s'en prendre aux enfants, encore moins les fréquenter de trop près.

L'univers s'est vidé, laissant la tasse si légère entre ses doigts. Jamais Ginger n'oserait peindre ses ongles et encore moins les montrer au premier venu. Cela serait si—intime. Elle se prendre à rire, si bas qu'elle est à peine audible. L'Exaltée rêverait de s'égarer, oh oui, de prendre les mains de Pit entre les siennes pour lui promettre de veiller sur lui pour toujours. Si seulement son bel ami n'était pas destiné à protéger ses brebis.

« Il te faudrait la plier avec soin pour que pas que le liquide ne perle derrière nous, » bien que la tasse soit vide, elle la porte à ses lèvres, machinalement. Oh, bien sûr qu'aucun n'oserait causer de la peine à leur Peter Pan. Ginger ne tolère pas ces choses là, la cruauté envers leur sauveur.

« Mon honneur et celui de notre Peter ne font qu'un, tu le sais bien, » elle tourne sur elle-même, pour venir se placer devant Pit, son expression emplie de ravissement. Quiconque oserait s'en prendre à Ginger finirait par rencontrer un destin peu favorable. Quant aux détails, au danger de se faire prendre—qui oserait questionner un duo si bien élevé ? Elle ne peut envisager qu'on les arrête, trop occupée à imaginer la joie que leur procurera la chemise fraîche et propre une fois sauvée du liquide teinté par l'orgueil des humains.

« Quelque soit ton choix, je suis à tes côtés, et mon amour brûlera tes ennemis ou sublimera ceux que tu aimes. N'est-ce pas ainsi que l'amitié fonctionne ? »

L'Exaltée sent un sourire fendre ses lèvres. Sa dentition, pas forcément très droite, ne l'a jamais gênée. Pit apprécie son énergie, et ça lui suffit. Il n'est, après tout, pas assez fille pour que Ginger ne souhaite l'inviter—oh, à ce sujet !

« Tu sais, lorsque tout cela se terminera, que ton âme sera capable de trouver le repos après cette dure journée, je compte aller rencontrer celle qui mérite tant d'être aimée. La gardienne des Chasseurs, celle qui sera ravie de m'accompagner pour un rendez-vous. N'est-ce pas merveilleux ? Oh, j'aime tant inviter les filles à me rejoindre. »

Et la voilà qui s'égare, son regard plus brillant que le soleil.

Les réponses de l'Exaltée sonnaient si bien aux oreilles, du moins selon Pit. Celui-ci entreprit donc son plan, celui de ne pas porter ouvertement la chemise salie. Cette image de lui-même croisant la route de Dusk dans un état plus ou moins similaire n'avait rien de réjouissant. Etrangement. Même l'ombre du Joker peinait à se défaire de cette figure extraite du jeu, il faudrait peut-être prévoir ce qui se passerait pour elle dans le chaos... Peut-être. Une figure maternelle que le chef n'avait jamais pu remplacer, la loyauté était très forte lorsqu'on était dans les bons rôles pour l'adolescent qui s'arrêta net lorsque Ginger fit volte-face. Laissant entendre un petit rire amusé, les prunelles toxiques fixaient la jeune fille. À nouveau les mots spécifiques élargirent le sourire, la courtisane savait bien mieux y faire que Weasel sur ce côté gratifiant qui donnait envie d'offrir des bûchers parmi le chaos. Cette poupée-là était une des graines qui engendraient le but du jeu. C'est donc d'un naturel sans fail que Pit répondit à la fameuse amitié.

- Évidemment, tu peux aussi compter sur moi.

Il y avait des gens qui inspiraient la sympathie du Joker, et lorsqu'il voulait réellement être sympa... Il savait offrir des places au soleil parmi le monde qu'il voulait faire brûler. Le chef retirait son manteau en prenant soin de ne pas se salir encore plus. Puis s'enchaina la chemise, après avoir séparé les couples de boutons et d'ouvertures. Il se dépêchait, et détestait la sensation du tissu humide rompant l'espace avec l'épiderme abîmé. Pit plia doucement le vêtement et usa l'une des manches pour essuya sa peau, il avait déjà la chair de poule et s'empressa de remettre son manteau. Après avoir essuyé ses mains sur le pantalon, celui-ci étant brun foncé... ça ne se verrait. Pendant l'opération, il écoutait Ginger qui racontait quelque chose d'amusant. Il passa les doigts sur sa large cicatrice à l'abdomen, il trouvait la texture différente, plus rigide, et les sensations singulières du reste. Ce n'était pas grave, il n'était qu'un objet après tout. Puis il releva la tête vers l'Exaltée après quelques secondes où il était parti dans le fond de la fosse, il ferma sèchement son manteau et récupéra la chemise abandonnée.

Un instant, et le sourire qui avait un peu disparu reprit place. Il était question de Lacerate apparemment, et la courtisane l'avait invitée. Est-ce qu'il devrait dire ce que la Gueule Cassée lui avait fait ? Non, absolument pas. Ça, c'était pour jouer avec Apache. Pit ne jouait pas avec Ginger. Le sourire restait là, enjoué avec un petit rire de malice.

- Ooohw~

Il se pencha un peu en avant, comme pour tenter de regarder dans les trous de serrure de l'âme.

- Petite maligne, tu vas échanger des dés ?

Petite taquinerie sans forme d'inquisition, le Joker serait bien mal placé pour ça. Lui-même disait qu'après tout... ce sont les raccommodeurs qui utilisent les dés à coudre, non ? Normal qu'ils en donnent et en prennent. Il cessa son miel d'expression pour jeter un oeil au sol, il venait de penser au reste de sang frais qui aurait pu tomber. Rien de coloré ne se présenta, heureusement. Et les pas de Pit menèrent au niveau de l'Exaltée, la mission restait de se débarrasser de cette horrible chemise. Mais qui a dit qu'ils ne pouvaient pas parler de jeu de poupée, comme le Joker se plaisait à en parler sans honte ni crainte.

Hors de question de s'infliger la vue d'un corps—c'est si indécent, de se retrouver face à un garçon qui ne porte pas assez pour être modeste. Elle se retourne, élégante et prête à défendre la pureté de son âme. La tasse devient un peu encombrante, quoique trop jolie pour être abandonnée ainsi. Ginger la gardera jusqu'au retour, en aimant le contact et la façon dont le thé se répand à l'intérieur, lorsqu'il est brûlant, à peine libéré de la bouilloire.

N'est-ce pas un crime, d'apprécier autant quelque chose, de se gorger jusqu'à ce que ça en devienne une gourmandise ? Certainement ! Ainsi, souhaiter inviter Lacerate, la prendre par la main et lui offrir une couronne de fleurs, ça n'est que son fantasme à sens unique, rien de bien agréable. Il lui faudra trouver comment partager la situation, la rendre attrayante. Ainsi, elles pourront chuter ensemble vers les abysses, l'hérétique et elle. L'Exaltée retrouve son cher Pit, en se retournant, ayant entendu le bruit du manteau que l'on remet. Autant ne pas s'attarder, n'est-ce pas ? Ou alors ils attireront ceux qui pourraient s'en prendre aux innocents qu'ils sont. Et l'aîné est presque un saint tout autant qu'il est un hérétique. Un être à part.

« Il est de mon devoir de participer à la récompense de nos membres les plus valeureux. » Bien sûr, les garçons ne peuvent prétendre à ce titre, ils sont ma foi forts inutiles pour la grande majorité. Même Pit n'est pas une fille, ce qui est dommage quoique Ginger peut accepter cette faute. La pardonner ? Pas forcément. « Et celle qui guide les chasseurs—n'est-elle pas la plus forte d'entre nous ? »

Tout cela est fantastique ! Une conversation qui pourrait les porter sur ses ailes jusqu'aux portes du Paradis. Néanmoins, ça ne fera rien pour arranger la situation de Pit. La priorité est de se débarrasser de la chemise, et Ginger croise les jambes, pliant légèrement un pied en une maigre révérence. Il leur faut se hâter !

« Et toi, mon cher ami, es-tu encore occupé avec d'autres soucis ? Oh, pas de ceux des terribles traitres, mais de ceux qui traitent du cœur ? » Bien sûr, il y a beaucoup que Ginger ignore. Les rumeurs fusent néanmoins, et elle se souvient avoir vu Love si proche—du moment qu'ils se traitent bien, n'est-ce pas suffisant ? Ginger l'ignore, trop occupée à rire à la pensée d'une autre fête tous ensemble. La dernière pyjama party a été exaltante après tout. Elle ne lui offre pas son bras pour qu'il s'y appuie, préférant s'engager dans la suite de la marche au lieu de perdre du temps. Un contact entre eux serait—Oh Ginger ne touche pas les garçons.

La réponse de Ginger n'effaça pas le sourire amusé, loin de là, le principe des récompenses était bien mince dans l'esprit de Pit. L'ombre disait que la récompense c'était de ne pas avoir d'autre au-dessus de soi, le joueur voulait probablement juste être sûr que l'unique personne qui ne devait pas toucher au jeu n'y soit pas en contact. La véritable récompense avait été donnée en venant sur cette île et en trouvant le moyen de se penser capable de s'arracher les membres juste pour jouer. Ou bien est-ce l'accomplissement de ces peaux ? Oh oui, pouvoir porter ces gants en peaux humaines... Après tout, n'était-ce pas ce qu'il avait toujours dû faire ? Toujours être en contact avec la peau d'autrui ? C'était rassurant, ça voulait dire qu'il faisait son travail et qu'il pourrait rentrer à la maison. Pensées bizarres, le Joker ne se comprenait pas tellement, et l'ombre gardait les clés qui n'avaient pas encore été oubliées.

C'est la voix de Ginger qui ramena l'attention volatile du chef, elle avait parlé de Lacerate. Ce qui fit rire Pit, avec un sourire un peu trop déchiré. Le pion et le joueur riaient de ce qu'ils avaient découvert, la main couverte des restes d'un garçon perdu qui n'était plus que des peaux couvrit rapidement le rictus et étouffa le léger rire. Interdiction de mêler un peu trop de monde. L'Exaltée n'avait rien à voir avec ça, et et et et... Pit se calmait rapidement, de toute manière sa collègue chasseuse se devrait pas faire de mal à une jeune fille comme la courtisane aux cheveux flamboyants. À moins que, cette dernière ne tente de gratter pour trouver le monstre capable de tabasser encore et encore ? Non, il ne fallait pas s'inquiéter.

Pit avançait, veillant à ne pas laisser de la bouillie humaine un peu partout. Il remarqua cependant un morceau un peu plus dur, en l'approchant de ses yeux toxiques, il distingua quelques cheveux sombres accrochés... oh... c'était un morceau de crâne. Il avait dû y aller un peu fort quand même, ou surtout, il s'était acharné. Depuis quand pouvait-il se montrer si colérique lorsqu'il était frustré ou vexé ? Ah, si, il l'avait déjà été avec Heaven. Bien que cela soit resté dans de la menace. Des fois, il était mauvais joueur apparemment. Bref, le Joker se contenta d'habiller son faciès d'une moue avant de reprendre le sourire simple en se souvenant que sa compagne de marche avait posé une question. Il regarda la poupée enflammée, un air d'abord étonné, puis les yeux partirent chercher dans le vide de la fosse une réponse à donner. Le coeur ? Rien n'était lié au coeur, si ? Il avait beau creuser, il ne trouvait rien dans sa boue. Les sourcils relevés, regardant où il marchait, il finit par comprendre que ça devait se trouver en dehors de la fosse du jeu. Avait-il eu de la peine ? Ou de l'attachement ?

- Des poupées... y en a juste une qui a eu un problème. Mais ça va se résoudre tout seul.

Un bébé, ça se réglera tout seul. Sûrement. En fait, il ne savait même plus quand ça s'était passé et quel en avait été l'issue. Love était dans les parages ? Il avait presque oublié. Il réfléchissait, mais ne trouvait rien. Tant pis. Ce n'était pas grave. Sûrement ? Bref, Pit laissa à nouveau un rire lui échapper en pensant à autre chose. Il y avait quelque chose en fait, au niveau du jeu.

- Sinon, j'ai une poupée rose-bonbon qui ne peut plus se passer de moi.

Parce que c'était amusant, attraper des gens dans ses filets. D'en faire des cartes ou des poupées. De faire grandir, ou de protéger pour en user comme bon lui semblait. La Mésange, il avait pu faire bien des choses. Il devait juste éviter de la faire grandir un peu plus s'il cela ne lui était d'aucune utilité. Et puis, il fallait bien quelqu'un vers qui venir chercher des câlins. C'était comme ça que les choses se faisaient, non ? Un devoir lointain, dont le chef avait oublié la véritable nature ainsi que son ressenti premier.

- Mais je suis aussi un peu triste, ma très chère Curve a disparue d'ici. Elle était si réconfortante.

Et sa carte reine, une acolyte de qualité était dorénavant au port. Oh il pouvait encore la voir, l'enlacer, mais il devait avouer que son statut d'adulte lui donnait un peu de peur au ventre. C'était plus difficile de passer les mains sur les courbes, et la langue dans les lèvres colorées. Pourtant, son amie n'avait rien d'une femme si âgée. C'était peut-être qu'elle avait l'air plus sophistiquée. Peu importait, ça reviendrait à la normale. Non ? Un dessin un peu triste traçait ses traits sur le faciès. Bien vite détruit par le sourire éternelle, bavant de miel avec des prunelles d'absinthe qui reflétaient la folie peut-être.

- Je crois pas que j'ai des soucis de coeur, tout est comme ça l'a toujours été. Héhé. Je suis le chef des raccommodeurs, c'est normal que je sache utiliser des dés, non ?

Un rire, il trouvait sa logique implacable. Elle était innée. Ancrée dans la chair, très profondément. Presque douloureusement. L'ombre gardait les restants des peines. Des lumières du camp réchauffaient un peu le paysage froid, et Pit cessait de rire. Il fallait être un peu discret tout de même. Il l'avait été avec Ginger tout de même, n'allant pas jusqu'à dire tout ce qui lui semblait normal. Tout ce qui était mécaniques et toujours présent, avec ou sans coeur, c'était comme ça que l'on agissait avec les humains. Non ? Fille ou garçon, peu importait.

- Te mets pas dans de sales draps, hein ? J'ai déjà dû faire gaffe à deux ou quatre trucs avec la cheffe-là.

Il n'en dirait pas plus, hors de question de mêler plus que ça. Pit n'avait juste aucune idée de ce que Ginger avait exactement en tête, mais même s'il supposait que ce n'était pas du chantage... il se souciait de ses anciens protégés. Lui, il n'avait pas peur de la Gueule-Cassée. Il avait même beaucoup ri à servir de révélateur de monstre. Mais tout le monde ne se fichait pas de ce qu'il advenait de l'enveloppe d'un pion.

Ne sont-ils pas si proches du ciel, tout en s'éloignant de plus en plus ? Ginger prêche des inepties, pensées contradictoires, monstruosités ancrées trop profondément dans sa chair. Elle est le fruit interdit, création terrifiante de personnes qui ne voient les enfants que comme une collection sans fin que l'on expose au plus offrant. Une décadence permanence qui est la cause de son amour si malsain pour les autres, besoin de tout avoir, de blesser pour offrir la libération—est-ce Pit qui a encouragé cela ? Oh non, l'ange aux yeux verts n'a rien provoqué, Ginger est arrivée ainsi. Elle se souvient de la chaleur des Raccommodeurs, tous ensemble, à l'abri du monde sous un amas de couvertures. Et pourtant, elle a voulu s'élever encore plus haut, toucher les étoiles et les capturer. Courtisane lui offre tant de possibilités, de portes closes qu'elle peut envoyer valser.

Ne vont-ils pas trop loin, en permanence ? A trop croire en eux-même, en ce qu'ils ont décidé de construire ? Bien sûr, Ginger aime Pit, elle lui accorde plus de confiance qu'à n'importe quel garçon. Est-ce suffisant pour ne jamais s'interroger outre mesure ? Qu'importe les punitions divines qu'ils infligent—en ont-ils le droit en premier lieu ? Ginger ne veut pas s'y attarder, parce que ça voudrait dire remette en question tout ce qu'elle a voulu s'enseigner, il y a bien longtemps. Il est simple d'aimer, de se dire qu'une tasse vide est comme un cœur, et que l'on peut la remplir jusqu'à ce qu'elle déborde. Les noms, les dés, est-ce qu'ils ne sont pas lancés un peu trop brutalement, parfois ?

« L'arrogance des hérétiques est bien pénible, je le crains. »

La leur également. Dans le fond, ce sont les dieux qui brûlent le plus fort, qui étincellent jusqu'à ne rien laisser outre des histoires fantastiques. Elle sourit, le coin de ses lèvres relevé avec une timidité certainement feinte—Ginger n'est pas une bonne enfant, et elle a prétendu l'être trop longtemps pour se défaire de cette image.

« Les poupées, si elles se multiplient, certaines vont se salir ou être oubliées dans des tiroirs. Et aucun jouet n'aime se retrouver dans un placard. »

Ah, ce n'est pas l'idéal, de clamer un fragment de son passé pour s'en servir en guise d'exemple. L'Exaltée ne souhaite guère voir Pit s'écrouler un jour, sous le poids de la trahison d'une de ses—poupées. Cela n'aurait aucun sens, de tout perdre ainsi. Elle n'a pas besoin de le protéger, pourtant. Ils sont bien trop forts pour ça. Elle se prend à observer le fond de la tasse, teinté de quelques grains de thé. Jamais elle n'enlacerait un garçon, ça irait contre toutes les règles.

« Je ne crains pas son visage, ni ses paroles. Je veux simplement la récompenser, l'aimer un moment. Après tout, je suis courtisane, qui oserait me refuser ce que je désire ? » Ginger quémande beaucoup et si peu à la fois. Elle se sait effarante dès que ses lèvres s'ouvrent, que ses paroles peuvent virer à l'horreur. Pourtant, il ne lui viendrait jamais à l'esprit de prendre ce qui ne veut pas être partagé, de toucher sans en avoir le droit. Elle-même—elle n'a pas confiance en ses mains, en leur poids contre les épaules d'une autre.

« Tu n'as pas besoin de mon soutien, maîtrisant ton univers, je tiens à te l'offrir tout de même. Pour la chemise et tout ce qui suivra. Je suis la reine des flammes, celle qui est née pour s'y baigner et les enlacer. »

La pyromane exagère, les cicatrices sous sa robe en témoignent. Rien ne lui appartient totalement, au même titre que le prétendu contrôle n'est qu'une illusion. Bientôt, ils seront uniquement des visages parmi tant d'autres au milieu du camp et personne ne fera attention. Ne sont-ils pas tout autant immuables que celui qui porte ce nom ? Des pièces que l'on ne peut bouger, des préceptes peints sur chaque mur et chaque arbre. Des murmures sur leur passage, des souvenirs qui ne sont pas encore égarés dans la lande.

Son sourire s'étend, dévoilant une partie de sa dentition.
Personne ne s'en prendra à eux.
Elle le croit.

Les paroles de la courtisane avaient toujours eu cette teinte imagée, enfin, Pit les trouvait colorées. Il suffisait d'avoir un jour été l'un de ses protégés, et le Joker ne s'en détachait plus jamais. Tant qu'il s'en souviendrait, en tout cas. Un peu comme un grand frère pour pleins de petits cadets. Une comparaison qui, pourtant, lui semblait bien étrangère. Le chef se contentait d'hausser les épaules à la remarque sur les jouets abandonnés, il pensait toujours prendre soin d'au moins les mettre en pièces avant de les laisser. Ou non ? En était-il certain ? Oui. À sa manière. Prenant encore ses règles pour des lois universelles.

Peut-être qu'en effet, Heaven allait devoir être un peu dressée. La passion avait un goût agréable, le chef aimait que l'on s'attache à lui, mais il devait gérer les humeurs trop pleines de vie de la poupée en rose. Juste pour s'assurer qu'elle ne s'attaque qu'à ce qu'il voulait ou qu'à ce qui l'indifférait. Même s'il ne comptait pas sur elle pour véritablement user de la mort. Ou de manipulation. Il aimait ne se faire confiance qu'à lui même. Bref, ces pensées étaient ennuyeuses, bien qu'un peu nouvelles. La suite des mots de l'Exaltée gardèrent le sourire du chef accroché. L'intention était si mignonne à ses yeux toxiques, et la fin parfaitement poétique. Probablement, il ne savait faire que la poésie des tours de magie, alors il ne se trouvait pas en position de juger avec certitude la qualité des images.

Bien cachée dans son manteau, la cicatrice tirait un peu sur la chair. L'adolescent continuait la marche vers la solution pour ce sang inutile qu'il avait laissé attaquer sa chemise, et le visage du Joker se cachait à moitié dans le col remonté du vêtement chaud. Il repensait au plan, à ce qu'il avait fait juste pour voir un monstre ressurgir. Il avait payé cher juste par caprice, juste pour montrer qu'il avait raison. Juste pour avoir une anecdote. Les mots à donner au bon moment à la bonne personne, il avait pu jouer avec Apache à ce sujet. Ginger, elle, elle n'avait pas besoin de savoir. Elle ne risquerait rien.

La mention du soutient offert par la garçonne attira les prunelles d'absinthe sur elle. L'ombre, le joueur, le pion ou encore le gamin, tous retenaient ce genre de mot. Tous prenaient soins de ceux qui prononçaient ce genre de chose.

Le Joker sortit le menton de sa cachette, répondant au sourire ensoleillé de Ginger.

- Les couleurs des flammes sont celles qui te vont le mieux, c'est vrai. J'suis sûr que la Gueule Cassée pourra pas détourner les yeux du soleil que t'es.

Il tapota le sommet du crâne de son ancienne protégée, du dos de la main afin de ne pas risquer de salir avec un restant de sang. L'ombre laissait place au joueur qui connaissait mieux ce niveau. L'approche du camp, en se faisant un peu discret pour ne pas attirer l'attention sur la batte ou le tissu blanc sali, se passait ainsi sans trop d'encombres.

- Ça va si j'passe un coup à ma tente ? J'aimerais quand même mettre quelque chose sous mon manteau. J'sens le vent s'engouffrer c'est pas terrible. Ensuite, on se débarrasse de mon vieux torchon.

Et qu'il y ait un ou deux colocataires, ce ne serait pas suspect. Pit était coquet des fois.

Oiseaux, ils volent ensemble dans le ciel, passant au-dessus l'un de l'autre, les rayons du soleil baignant leur plumage avec une telle intensité que le monde ne peut les contempler qu'un instant. Oh, qu'elle apprécie Pit pour tout ce qu'il est, cette beauté sur ses traits, celle qui vient de ses paroles, de sa chaleur envers ses cadets. Il est ce que Ginger inspire à devenir, un amour absolument parfait—quoique sans poupées pour l'entourer et attendre des ordres—qui attise un feu sacré au sein du cœur des siens. Leur arrogance est une épée de Damoclès, un piège qui se referme chaque jour, sans qu'ils ne veuillent le remarquer. Ensemble—n'est-ce pas une erreur, d'entretenir une telle amitié—leur pouvoir s'étend jusqu'à leur permettre de frôler le soleil, sans se soucier qu'ils y perdent leurs ailes. Pit est un garçon—impossible de l'oublier, de se défaire de cette traîtrise permanente que ces derniers portent en eux—ce qui ne l'empêche pas d'être un compagnon fidèle. Son jeu n'a pas à être respectable. Il suffit simplement que Ginger n'en connaisse pas toutes les règles.

Sous le geste, elle redresse la tête, un signe qu'elle pourrait rendre cette marque d'affection si elle le souhaitait. Il n'y aura pas de sang sur sa peau, et encore moins dans sa chevelure, là est tout ce qui compte. La tasse vacille entre ses doigts, tenue avec un peu moins de soin d'un seul coup. C'est que la pensée de la cheffe des Chasseurs est captivante, tournoyant contre ses lèvres un moment.

« Je n'ai pas l'intention de la brûler, c'est évident. Simplement de partager ma chaleur avec elle. Il est de mon devoir d'offrir autant de soutien que je le peux à ceux qui m'entourent, » son ton est baigné par une douceur qui lui sied aussi bien qu'une peau de mouton sur un loup. Ginger s'en délecte certainement, bien que les paroles suivantes lui causent une moue un peu moins encourageante.

« Voyons, que penseront les gens si je pénètre dans ton intimité ainsi ? L'idée reste emplie de bonne volonté, et tu te dois de songer à ta santé, il me serait bien triste de te voir mort à cause d'un coup de froid. Je n'aurai qu'à attendre avec patience devant la tente que tu daignes finir de te préparer. »

Ses principes sont ancrés dans la pierre, immuables. Ginger y tient particulièrement, quitte à se faire traiter de 'vieux jeu' assez régulièrement. Elle ne fait que suivre les manières élémentaires.

« Néanmoins, il serait charmant que tu remplisses ma tasse si tu as de quoi le faire. Rien de tel qu'un peu de thé pour le reste de notre voyage. »

Pas que ce dernier doive spécialement durer, puisqu'il leur suffira de balancer le tissu souillé dans un bon feu et de le regarder partir en lambeaux. Malgré tout, Pit sait généralement se montrer agréable en tant qu'ami, et elle est certaine qu'il fera un effort pour honorer sa requête. L'Exaltée a des standards, après tout.

L'adorable petite était si bienveillante, selon les critères de Pit du moins. Il afficha un grand sourire à cette histoire de partager un peu de chaleur à la cheffe des chasseurs. Mais le Joker pensait quand même à sa petite partie de jeu qu'il considérait avoir gagné contre la Gueule-Cassée. Bien que cela, ça ne concernait pas Ginger. Oh que non. Ce serait la tremper dans la boue de la Fosse, il ne le faut pas.

La marche continuait, et bientôt le Joker devinait la tente où il pourrait enfin enfiler une nouvelle chemise. La réponse de la courtisane le fit un peu rire, mais rien de moqueur. Il trouvait juste ça très... Ginger. Puis la demande sur de quoi remplir la tasse vide rapporta les yeux sur la compagne de balade et de correction de preuves un peu dérangeantes, Pit prit un temps avant de répondre avec son sourire bavant de miel comme on le lui connaissait.

- Ça marche, je trouverai un truc.

Sur ces mots, il tendit la main pour y accueillir la tasse.

- J'me dépêche, je veux pas que tu te changes en glaçon.

Il se trouvait drôle tandis qu'il disparaissait dans le tipi. Rapidement, il retira le manteau et tira en vrac des habits d'un sac qu'il avait emporté. La chemise enfilée, il remit sur les épaules sont manteau. Il toisa en même temps la chemise salie délaissée au sol, puis les yeux remontèrent sur un de ses colocataires. Pit souriait, et se demandait si les vampires auraient faim. Avant de sortir, il se souvint de la tasse, et se détourna pour s'en occuper. Il l'avait posée le temps de s'habiller sur son lit. Il se souvenait que Peaky avait pris un genre de termos. Il vint s'asseoir sur le lit du raccommodeur en question, celui-ci ouvrit un peu les yeux, perdu dans la brume du sommeil.

- Hey, j'te pique du thé okay ? C'est pour Ginger, tu sais, elle était avec nous avant. Tu vas pas refuser d'en donner à une petite soeur non ?

Grand sourire. Et aussi beaucoup d'impatience, parce que le Joker se souciait plus du résultat que du moyen pour y arriver. Le raccommodeur, se contenta d'acquiescer et de se cacher sous la couverture. Il avait toujours été très obéissant.

- Merci~

Le Joker s'attela à se servir, et s'en alla, non sans se baisser pour attraper la fameuse chemise. Il se retourna une dernière fois pour vérifier que tout le monde dormait, et que des traces rouges ne s'étaient pas égarées.

- Je suis de retour, Peaky te dit le bonjour.

Un rire amusé en tendant la tasse.

Tasse offerte, en une promesse immuable de toujours lui offrir ce qu’elle désire si elle sait demander de la bonne façon, Ginger se retrouve bien vite abandonnée. Oh, c’est elle qui n’oserait point pénétrer ainsi dans l’intimité de son ami. Aucun risque de brûler, de devenir une torche capable de guider Peter jusqu’à un lieu où il serait enfin en sécurité—qu’il lui manque, creusant un vides entre ses cotes, la laissant aux prises avec son esprit et ses choix plus terribles les uns que les autres—il lui faut se contenter d’un soupçon d’ennui. Pit est plein de courage, sourire flamboyant sur ses lèvres depuis qu’ils se connaissent—Ginger ne regrette pas son départ, ses aspirations trop grandes pour la contenir—et elle est si heureuse qu’ils soient amis, une seule entité contre les hérétiques.

Déjà, alors que ses pensées l’entraînent, qu’elle songe aux allumettes au fond ses poches, Pit est devant elle, réchauffé par des habits plus propices à leur marche. Tant mieux, elle ne voudrait pas qu’il attire la mort dans son sillage—si quoi que ce soit arrivait au soleil qui guide les Raccommodeurs—oh Ginger serait furieuse. Et tous savent que son humeur doit rester sous contrôle. Acceptant le présent, elle plie une jambe derrière l’autre, en une révérence des plus simples. Que la tasse est chaude entre ses mains. C’est bien plus agréable que de les laisser s’engourdir.

« Tu lui retourneras son salut, je te prie. Nos chers amis me manquent parfois—oh tant de visages, d’habits éparpillés et d’aiguilles maladroites. »

D’une main, elle lui fait signe d’ajuster son col, qu’elle juge imparfait. Pit a réputation, des fils qui dépassent ou des amis mal enfilés seraient malheureux. Oh, il est fort probable que Ginger a trop d’affection pour la perfection et que ses standards sont terrifiants pour le commun des mortels.

« J’ai croisé Seraph l’autre jour, échoué vers l’Ossuaire. Quel étrange garçon, il se parlait à lui-même, un rire des plus insupportables s’échappant de ses lèvres. »

Elle s’est toujours gardée, avec un soin exemplaire, de mentionner qu’ils furent amis dans l’Ordinaire. Pour plusieurs raisons, la plus évidente étant l’Oubli. Néanmoins, le savoir aux prises avec les éléments et ses démons aux allures angéliques ne l’amuse guère. Pas que ce soit ce qui importe le plus, à cet instant.

Après avoir soufflé sur son thé, prudence nécessaire pour ne pas se brûler la langue, elle se permet de redresser la tête, s’interrogeant sur la suite.

« Allons nous délaisser des pêchés des hérétiques par les flammes, à présent. Il me tarde d’observer le feu dévorer ce qui ne devrait exister. »

Parle t-elle de la chemise ? Probablement.
Espérons.