L’excitation contrôle ses gestes, les emplissant d’une maladresse plus importante que les autres jours. Ah, c’est un tel privilège d’être envoyé à la mort, d’avoir été choisi pour une aventure extraordinaire avec—le nom lui a échappé, égaré dans les tréfonds de sa mémoire effilochée. Samurai ne s’en préoccupe pas le moins du monde, préférant bousculer ceux qui croisent sa route dans sa course au départ. Où est donc son compagnon ? Pas trop loin, il l’espère. L’épée presse contre son dos à chaque pas, sautillement qu’il devrait éviter pour ne pas aggraver sa condition. Mais Samurai est un héros, alors à quoi bon agir comme un humain en se focalisant sur sa douleur.

Bientôt, ils iront conquérir le volcan, lieu si dangereux où la lave vous happe d’un seul coup, léchant les os pour les rendre sombres et encore plus fragiles. Si seulement l’Injuste savait se concentrer sur ces détails, s’il était en mesure de faire plus que de se tenir à l’orée de l’Arbre, un éclat trop brillant dans ses yeux.

Oh, nom. Il devrait chercher à s’en souvenir. J—Jack ? Non. Jaunisse ? Non plus. Il y a un ‘j’ au début, voilà tout.

« June ? » Tout sonne faux et, de toute manière, il l’oubliera bien en l’espace d’une seconde. Il lui est rare de s’intéresser à ses compagnons. Oh, la boîte ! L’adolescent l’avait presque oubliée, accrochée à sa taille. Petit trésor fait de bois, qui contient un trésor dont personne ne doit prendre possession. L’ouvrir serait trahir, n’est-ce pas ? Oh, ses doigts quémandent un tel acte, ou bien que Samurai s’empare de son arme pour pourfendre un ennemi quelconque. Une once de destruction, en sacrifice envers les dieux.

La joie s’engouffre en lui comme le vent gonfle une voile. Il aime les missions parce qu’elles lui donnent l’impression qu’on lui fait confiance, gagner ce sentiment d’accomplissement à son retour. Il aussi cette légère tension dans son corps sur le départ, une peur qui ne l’écrase pas mais qui le réveille, qui le fait se sentir bien là, vivant.

Samurai l’accompagne. Jerk ne le connait pas très bien mais le livreur a depuis longtemps gagné son respect.

— June ?

C‘est à lui qu’il s’adresse. Ce n’est pourtant pas son nom, aucun de ceux qu’on lui a donné par le passé.

— Jerk, il corrige poliment.

Ça n’est pas très important, au fond. Il se présente une nouvelle fois pour éviter un malentendu. Il ne se rend pas compte que dire seulement son nom peut déjà être pas mal interprété. Il y en a qui se mettent en colère, sans raison apparente. Il n’a jamais compris pourquoi mais n’a jamais pu leur en vouloir.

Il sait qu’il a beaucoup à apprendre.

« Jerk. »

Comment le prononcer correctement ? Samurai découpe les syllabes dans sa bouche, langue glissant contre son palais. Est-ce important de connaître les autres, de les considérer comme plus que des visages qui passent et trépassent ? L’Injuste ne s’en soucie guère, trop occupé à se tourner vers son compagnon, à l’admirer tel le héros qu’il doit certainement être s’il a été également choisi.

« Moi c’est Samurai. »

Ils sont si nombreux, sur l’île. Des dizaines d’individus qui existent l’espace d’un instant avant de disparaître. A cet instant, il n’y a qu’eux, et c’est tout ce qui compte. Il est l’aîné—le leader, n’est-ce pas ? On compte sur lui et s’il n’était pas aveuglé par cette preuve de confiance, il y verrait autre chose de moins reluisant. Les basses besognes que l’on confie au premiers venus.

« Les aventures sont si—fantastiques. J’ai si hâte que l’on y soit. Tu as déjà été au volcan, toi ? »

L’air brûlant qui se presse contre le visage, est-ce agréable ? Est-ce que ses fines chaussures—pour une fois qu’il en porte—seront suffisantes ? Oh, Samurai ne veut songer qu’à la beauté du voyage, aux découvertes extraordinaires sur leur chemin.

« Jerk, » qu’il répète, pour tenter d’ancrer le nom, juste un peu.

— Moi c’est Samurai.

Jerk le sait. Mais il ne relève pas.

L’éclaireur ouvre la marche, armé de sa machette. Il s’en sert pour écarter les branches sur son passage. Il en a vu d’autres trancher des herbes hautes qu’ils auraient pu enjamber, simplement par jeu. Il n’a jamais compris pourquoi. Mais si un vrai danger se présente, il n’hésitera pas à utiliser son arme.
Car c’est son devoir.

— Les aventures sont si—fantastiques. J’ai si hâte que l’on y soit. Tu as déjà été au volcan, toi ?

Samurai sourit et son sourire est communicatif. Jerk se surprend à l’imiter, plus discrètement, à sa manière.

— Oui. Plusieurs fois. De loin.

En tant que huron mais aussi en tant qu’éclaireur, il lui est arrivé d’approcher la montagne noire. La première fois, il était très jeune. Elle lui avait fait peur. Aujourd’hui, il va s’en approcher comme jamais il ne l’a fait auparavant. Il va l’escalader et voir son cœur.

Cette pensée le rend nerveux.
Mais elle ne l’effraie pas.
Il n’est pas seul.

D’ici là, une longue route les attend. Jerk déplie sa carte. Ils doivent se frayer un chemin dans la forêt jusqu’à atteindre la rivière. De là, ils la suivront jusqu’au Volcan. Le plus dur restera la longue ascension finale.

Jerk deviendra Jack—ou un autre nom quelconque—bien assez rapidement. C’est une perte de temps de s’y intéresser. Il est bien plus habile lorsqu’il s’agit d’étirer ses lèvres en un sourire si fier—un peu pitoyable aussi, comme si la moindre preuve d’attention de la part d’un chef suffisait à lui décrocher la lune.

« Oui. Plusieurs fois. De loin. »

Fantastique, ainsi ils se lancent dans une quête dont ils ignorent presque tout. Samurai songe que c’est le meilleur type d’aventure, celui où rien ne peut mal se dérouler tant qu’on oublie que ça pourrait partir en vrille. L’apparition de la carte l’intéresse brièvement, un regard en biais. Il n’y comprend pas grand-chose, aux directions. Contrôler ses propres pas est étrange, pour le guerrier qui respire pour autrui.

« Je n’y ai jamais été non plus. Le volcan est un esprit, non ? Un du feu, qui dirige la terre et qui touche presque les—ciels ? Cileux ? Le mot pour le ciel mais quand il y en a plusieurs—que c’est un tout et pas juste les nuages et le bleu. »

Samurai abandonne son explication sous forme de question, ses doigts pressés contre sa nuque. Est-ce que son dos tiendra le choc ? Ah, il n’a pas franchement envie de se donner un quelconque choix.

« Je respecte les esprits, même si tout le monde ne croit pas en eux. » Il lui semble—un souvenir fugace, qu’il a toujours été ainsi, entouré de créatures invisibles pariant sur sa malchance et son avenir. C’est plutôt terrible dit ainsi. « Ce qu’on va accomplir, ça sera une offrande, un peu, ne ? » Un moyen de se débarrasser de quelque chose tout en préservant un équilibre que Samurai invente certainement.

— Je n’y ai jamais été non plus, confie Samurai. Le volcan est un esprit, non ? Un du feu, qui dirige la terre et qui touche presque les—ciels ? Cileux ? Le mot pour le ciel mais quand il y en a plusieurs—que c’est un tout et pas juste les nuages et le bleu.

Jerk hésite à l’aider, lui-même n’est pas très sûr. La langue des enfants ne lui est pas encore très familière. Elle est complexe, comporte beaucoup de règles et d’exceptions. Il s’y perd souvent. Aussi, il opte souvent pour le silence.

— Je respecte les esprits, même si tout le monde ne croit pas en eux. Ce qu’on va accomplir, ça sera une offrande, un peu, ne ?

Un sourire passe brièvement dans le regard de Jerk. Ils ont beau être si différents, leurs croyances se ressemblent. Jerk se permet rarement d’évoquer sa vie de huron, il craint que ça soit mal vu. On pourrait mettre en doute sa loyauté envers Peter.

— Dans mon clan, un ancien a raconté que… que l’Esprit feu dans la montagne a fait l’Île. Ses larmes dorment dans le sol et réchauffent le terre.

Penser à toutes ces vieilles histoires le remplissent de nostalgie.

— Il disait que la colère du volcan n’était pas une punition mais un signe de changement. Qu’il ne fallait pas en avoir peur.

Le volcan n’a rien d’une tombe, d’un lieu où l’on termine la quête ultime. C’est un autel au milieu de l’île, qui leur offre des possibilités qui s’étendent au-delà de l’horizon.

« Dans mon clan, un ancien a raconté que… que l’Esprit feu dans la montagne a fait l’Île. Ses larmes dorment dans le sol et réchauffent le terre. »

« Hey ? » La surprise perce dans sa voix, bouille presque. Et son visage se fait pensif, regard levé vers le ciel qui les domine. L’histoire est fantasque, tout autant que les siennes. Pleine de sens également. Sa tête de hoche, avec une retenue qui n’apparaît qu’au dernier moment. L’os qui serpente son dos l’en remercie, retournant dans les tréfonds du corps pour l’attaquer plus tard. « C’est certainement l’esprit le plus puissant de ce monde, s’il a été capable de créer l’île. »

Si sa loyauté sans faille devrait se diriger vers Peter, Samurai est trop occupé, l'espace d'un instant, à vénérer quelqu’un d’autre, cheveux de feu et doigt manquant.

« Il disait que la colère du volcan n’était pas une punition mais un signe de changement. Qu’il ne fallait pas en avoir peur. »

Jerk n’est pas encore devenu souvenir, ce n’est qu’une histoire qu’il n’a pas encore lue et encore moins vécue. Qui est l’autre garçon ? Ah, Samurai l’ignore, tandis qu’ils marchent ensemble. Curieux, il tourne la tête vers son compagnon après un moment.

« Le changement créé la crainte. C’est un nouveau chapitre dont on ne connaît rien. Je peux comprendre ça. Mais je crois que les esprits existent pour veiller sur nous, pas pour détruire. »

Est-ce que le clan est similaire au Shinsengumi dans son essence ? Est-ce ainsi qu’ils vivent ? Probablement pas. Son imagination aime à faire des détours, jusqu’à lui faire perdre l’idée première qu’il avait.

« Tu racontes de belles histoires, dis-moi en une autre, s’il te plaît. »

Ces mots prononcés, Jerk se perd en sa mémoire. Ses souvenirs sont flous mais vertigineux. Son regard vague trahit une tristesse contenue. Les anciens discutant près du feu... Les enfants jouant dans les arbres… Phasme Suprême lui enseignant la méditation… Son grand père sculptant le bois… Sa mère lui chantant une berceuse… Son chez lui…

— Le changement créé la crainte. C’est un nouveau chapitre dont on ne connaît rien.

Un nouveau chapitre. Oui, tout ça fait partie du passé. Jerk revient à lui, hoche la tête.

— Je peux comprendre ça. Mais je crois que les esprits existent pour veiller sur nous, pas pour détruire.

Samurai semble y croire fermement. Il ne le contredira pas. Mais il sait que la vie existe à différentes échelles, qu’il est des êtres parfaitement indifférents à leur sort, et d’autres qui ont pour seul volonté la destruction. C’est aussi le cas chez les Hommes.

— Tu racontes de belles histoires, dis-moi en une autre, s’il te plaît.

Le compliment le surprend. Jerk ouvre de grand yeux.

— Non, je…

C’est faux mais il ne peut pas le contredire. Samurai est quelqu’un de bien et ses mots le touchent.

— Je ne suis pas conteur. Mais mon frère il…

Tiens. Quand a-t-il pensé à lui pour la dernière fois ? Il l’a pourtant évoqué sans penser, comme une banalité. Le choc laisse place à la peine. Penser à lui, lui avait toujours réchauffé le cœur. Et maintenant, ça le laisse de marbre. Leur lien s’étiole.

Il se reprend :

— Mon frère racontait bien. Je ne sais pas si je peux…

En plus, il ne sait pas ce qu’il pourrait bien lui raconter.

Ceux qu’ils vénèrent sont voués à changer, tout comme l’île. Si ses pensées ne lézardent pas encore dans son esprit pour y tracer des failles imprécises, Samurai se laisse tenter par d’autres possibilités ; il a vraiment envie que leur marche soit peuplée de récits, de quelque chose qu’il risque moins d’oublier qu’un être fait de chair et de sang.

« Je ne suis pas conteur. Mais mon frère il… »

Il lui faut quelques secondes, un froncement de sourcils, un ‘hm’ trop fort, pour remettre le concept à sa place. Certains enfants ont des adelphes ; est-ce leur loyauté retourne vers eux ou bien est-ce ses liens sont illusoires comparé à Peter ? Samurai n’a pas envie d’y penser. Conteur, c’est un terme de mère, un terme de natif aussi—

« Mon frère racontait bien. Je ne sais pas si je peux… »

« Raconter demande de l’entraînement, » il confirme, songeant à cette épée qu’il n’utilise jamais et qui n’a aucune utilité réelle, « chaque fragment, chaque morceau de l’histoire— » 

Les contes sont des émotions, l’Injuste voudrait révéler, tel un secret caché depuis l’aube de ce monde, des sensations qui courent contre la peau, qui glissent contre les lèvres et les paupières. Pour le coup, en anglais, ça serait un peu—trop. Le sourire se moue en une réflexion qui attire son regard sur Jerk, qui s’attarde sur le garçon.

Regarder, c’est étrange. Samurai préfère apercevoir les gens, un flou dans le coin de l’œil, distance permanente.

« Je n’ai pas de frère, je suis venu tout seul. Est-ce que c’est bien, d’avoir un frère ? Est-ce que cette histoire a le mérite d’être importante sans être un secret ? Si oui, j’aimerais l’entendre. » Il n’y a pas de ‘si non’, l’Injuste étant ainsi. Néanmoins, il n’ira pas forcer son compagnon à la conversation si cela lui déplaît.

— Raconter demande de l’entraînement, chaque fragment, chaque morceau de l’histoire, fait remarquer Samurai.

Jerk ne peut pas le contredire. Pourtant, au fond, il croit : il y a des choses qu’on n’apprend pas. Il y a des dons qu’on n’imite pas. Hérisson a hérité de quelque chose de fort et captivant. Il le tient peut-être de leur mère. Cette capacité à s’oublier, à faire tout oublier, le temps d’une histoire.

— Je n’ai pas de frère, je suis venu tout seul. Est-ce que c’est bien, d’avoir un frère ? Est-ce que cette histoire a le mérite d’être importante sans être un secret ? Si oui, j’aimerais l’entendre.

Ça fait beaucoup de questions. Et Jerk n’est pas sûr de toutes les comprendre. Mais il accepte de se livrer un peu. Ces souvenirs qu’il a peur de perdre le rendent heureux et triste à la fois.

— C’est bien, enfin je connais que ça. On est nés en même temps.

C’est vrai. Il n’a jamais connu la solitude avant de le quitter.

— Une ancienne m’a dit qu’on était un seul fils séparé en deux.

Deux poupons, la tignasse hérissée, toujours collés l’un à l’autre. Leur mère les appelait ses petites bogues.

— Quand on est tout le temps deux, on a besoin de personne : le reste existe pas. C’était pas facile de parler aux autres. J’ai encore du mal…

Avant, son frère parlait pour lui. Et il parlait bien. Puis, ses amis l’avaient encouragé à s’exprimer.

— On est deux et on s’imagine pas autrement. Et puis un jour… juste un jour… on se retrouve seul et on se met à réfléchir. On réalise qu’on est l’écho de quelqu’un d’autre, qu’on n’a jamais rien fait que pour soit, pensé que pour soit. On réalise qu’on est une moitié, qu’on est personne et peut plus retourner dans l’ombre. On peut plus… exister à moitié.

Ces mots lui échappent comme des vérités muselées qu’il découvre en même temps que Samurai. C’est vrai. Il a commencé à réfléchir par lui-même très tard. Et ça l’a frappé. C’est pour ça qu’il s’est éloigné, qu’il a eu des secrets. Jusqu’à ce l’accident. L’accident d’Hérisson lui a rappelé quelle était sa place. Il pouvait exister mais il devait exister pour les siens. Mais la chose ne lui serait plus aussi naturelle.

« C’est bien, enfin je connais que ça. On est nés en même temps. Une ancienne m’a dit qu’on était un seul fils séparé en deux. »

S’il y avait eu un second lui, reflet de sa personne, qu’est-ce que ça aurait changé ? Est-ce que l’un aurait été le favori, et le second oublié ? Bien sûr, les perdus sont une famille, adelphes qui s’évitent et se jalousent pour ensuite s’aimer brutalement. C’est différent néanmoins, Samurai le comprend. Ou bien c’est plus de l’ordre de deviner quelque chose d’immuable.

« Quand on est tout le temps deux, on a besoin de personne : le reste existe pas. C’était pas facile de parler aux autres. J’ai encore du mal… On est deux et on s’imagine pas autrement. Et puis un jour… juste un jour… on se retrouve seul et on se met à réfléchir. On réalise qu’on est l’écho de quelqu’un d’autre, qu’on n’a jamais rien fait que pour soit, pensé que pour soit. On réalise qu’on est une moitié, qu’on est personne et peut plus retourner dans l’ombre. On peut plus… exister à moitié. »

Oh. Ses pensées s’ancrent vers Sekai no Owari, épée inutile qu’il trimballe avec une ferveur sans égale. Unique amie, compagne fidèle qu’il juge être une autre partie de son âme. Pourtant, elle n’est pas faite de chair, incapable de répondre aux questions qu’il est encore capable de chasser. Ses bras se croisent, doigts qui s’accrochent à ses manches.

« Moi non plus, je n’aime pas—je ne suis pas très doué avec les gens, ne ? J’évite les noms, les visages, je vis ma propre histoire. Seul. » Une pause, une qui s’étend jusqu’au ciel, « moi je ne connais que toi, que ton nom que je ne pourrais pas retenir, que tes histoires que tu partages et qui sont aussi brillantes que les étoiles. Ton frère ne n’importe pas autant que toi, puisque je ne le connais pas. »

Pour Samurai, injuste et peu prompt à s’ouvrir, c’est une tirade qui paraît presque exagérée, ton trop brusque tandis que les phrases s’enchaînent. Ce n’est pas souvent qu’on s’ouvre à lui, alors il estime que rendre la pareille ne coûte pas tant que ça.

« L’écho… » Lui-même n’est-il pas que l’écho d’un guerrier qui n’a jamais existé ? Ah, c’est trop compliqué ! « Jerk—c’est bien Jerk, ne ?—tu es entier, à mes yeux. Tout le corps et tout l’esprit. »

Lorsqu’il comprend à qu’il vient de s’ouvrir comme il l’a rarement fait avec un inconnu – amical certes, mais inconnu – il se contracte. Est-ce la solitude qui le fragilise ? Est-ce qu’il perd en discrétion ? Autrefois, il enviait ceux qui étaient capable de parler longuement, avec naturel, capable de mettre des mots sur ce qu’ils ressentent et ce qui l’entoure. Mais dans sa bouche, il entend les choses autrement. C’est… ridiculement égoïste, étrange et … mal.

«  Moi non plus, je n’aime pas—je ne suis pas très doué avec les gens, ne ? J’évite les noms, les visages, je vis ma propre histoire. Seul. »

Jerk hoche la tête mais il craint d’entendre la suite. Il a peur que Samurai se moque de lui, ou pire : qu’il l’invite à continuer, qu’il l’encourage dans cette faiblesse.

« Moi je ne connais que toi, que ton nom que je ne pourrais pas retenir, que tes histoires que tu partages et qui sont aussi brillantes que les étoiles. Ton frère ne n’importe pas autant que toi, puisque je ne le connais pas. L’écho… Jerk—c’est bien Jerk, ne ?—tu es entier, à mes yeux. Tout le corps et tout l’esprit. »

Le visage de Jerk, toujours immobile, connait une subtile transformation. Le bout de ses oreilles semble rougir, sa mâchoire se contracte et son regard se fait plus fixe que d’habitude. Puis, bien vite, il détourne la tête et accélère le pas.

S’il changeait de sujet, est-ce qu’il serait froid ? Blessant ? Mais il n’a pas non plus envie de continuer sur le sujet… Aussi, il choisit le silence.

Mieux vaut se concentrer sur leur objectif commun : la quête.

Ses paroles se sont emportées, passion dévorante s’immisçant dans son anglais plein de politesse et d’enthousiasme. De fausseté aussi, en un sens. De ce jeu qui l’englobe jusqu’à l’étouffer, épée inutile qui colle à son dos et pensées qui ricochent pour être balancées aussi loin que possible. Si Jerk—hey, peut-être qu’il va parvenir à conserver le nom jusqu’au bout de leur aventure, ne l’oubliant qu’ensuite. Ce que ça serait bien, pour une fois, de s’intéresser vaguement au monde.

Lorsque les pas de son compagnon se font plus pressants, Samurai n’a aucun mal à le suivre, à le rattraper plutôt que de conserver une distance confortable entre eux. Il préfère être à ses côtés de nouveau, même sans rien avoir à rajouter. Le volcan les accueillera bien assez tôt, les englobant de sa chaleur meurtrière et de ses multiples dangers. Que cela l’excite, l’idée d’être un héros pour la journée ; un vrai pas juste un menteur qui s’amuse.

Bientôt, l’imposante destination les accueille et un sourire fend son visage, alors qu’il tourne la tête vers Jerk. Est-ce que ce dernier s’est remis de ses émotions ? Ah, Samurai n’en a rien à faire, il ne faut pas le croire juste le moins du monde. Il n’est qu’un rêveur stupide et égoïste.

« On va accomplir le destin qui a été écrit pour nous dans les étoiles, ne ? »

Ils marchent côte à côte mais n’échangent plus un mot. Pourtant, il n’y a ni gêne, ni rancœur. Le silence est confortable et un regard vers Samurai lui indique que son camarade d’a rien perdu de son enthousiasme. Tant mieux. Il n’a jamais cherché à le refroidir.

D’ailleurs, il fait de plus en plus chaud. Jerk sent sa peau devenir moite et la chaleur du sol à travers ses semelles. Ils approchent de le destination.

« On va accomplir le destin qui a été écrit pour nous dans les étoiles, ne ? » lance finalement Samurai.

« Je pense pas qu’il y a place pour nous dans les étoiles. »

A ces mots, il entend quelque chose. Le bruits de griffes acérées grattant la surface rocailleuse du volcan. La cadence marquée d’un pas pressé. Quelque chose les suit.

Jerk se retourne brusquement, le cœur battant. Il voit une silhouette bouger dans les rochers, se soustraire à sa vue. Il n’a pas eu le temps de voir ce que c’était mais il en est certain désormais : quelque chose les suit, quelque chose se cache à leur vue.

« Tu as vus ? »

« Je pense pas qu’il y a place pour nous dans les étoiles. »

Une pensée bien malheureuse, pour le garçon qui s’imagine toujours dans le ciel, dansant entre les nuages. Pas que la situation lui laisse le temps de corriger Jerk, de dire que si si, il faut simplement y croire. Une pointe de malice ne parvient pas à se glisser dans sa voix, pas quand ils sont interrompus par les pas de quelque chose qui ne devrait pas être dans leur sillage.

Certes, la discrétion n’était pas exactement au centre de leur voyage jusque là. Samurai s’étonne quand même (pikachu face), son expression se remplissant d’excitation à l’idée d’un quelconque combat, d’une pointe de quelque chose d’amusant. C’est que marcher n’est pas très héroïque.

« Tu as vus ? »

Difficile de faire autrement. Sa tête se hoche, fourreau qui glisse lentement de son épaule, au cas où il
aurait besoin (envie) de récupérer son épée. Un plan voué à pas grand-chose, puisqu’il peut à peine s’en servir ?

« Qui va là ? »

L’ombre qu’il a aperçu a disparu de son champ de vision, alors il se tient sur ses gardes, un pied derrière l'autre, genoux fléchis, prêt à attaquer avant de poser d’autres questions.