Because I’m happy…
Come along if you feel like a room without a roof
Because I’m happy…
Clap along if you feel like happiness is the truth
Because I’m happy…

I try to be...

Le monde s’est résumé à son seul toit : le plateau perché d'un canyon. La terre rouge, battue et rebattue par milles pieds, que constitue ses tuiles ne cède pas. Les Réfugiés sont nombreux, pourtant. Petits, grands, paumés. De la chaleur humaine qui embue l’atmosphère sans parvenir à la réchauffer.
Songeur, Nobod contemple la danse des esprits loups gardant leur montagne. En équilibre sur l'arrête d'une falaise, le Clebs a l'impression d'être l'un d'eux. Ils sont 99 lui a précisé une fois Knitting avec son sens de la précision pour les chiffres. (Depuis qu'elle n'a plus rien à compter, la Maladie s’est emparée d'elle pour ne plus la quitter. Elle balbutie des calculs dans un sommeil enfiévré ponctué de toux sanglantes.)

Pourquoi pas 100 ?
Pourquoi faut-il toujours qu'il y ait des absents ?

Curve est partie.
Le monde s'est peut-être réduit, mais l'espace qu'elle emplissait lui semble terriblement vide. Les Perdus, vont, viennent : c'est la vie, c'est l'oubli, c'est ainsi. Pourtant il ne s'imaginait pas la voir disparaître un jour de son champ de vision. Il s'aperçoit que ses taquineries lui manquent, la manière qu'elle avait de claquer les bulles de ses chewing-gum (Où diable les trouvait-elle ?), leur longues séances de casse-tête pour trouver la  bonne manière de confectionner ses corsets. Elle n'était pas que du bagout et des formes, elle était remarquablement intelligente.

Elle avait de la présence.
Et je me sens creux.
Un peu.

Pit accuse le coup plus durement qu'eux tous. Passé le choc de la surprise, il a accepté cette décision et lui a fait courageusement ses adieux. Nobod n'est pas dupe. Le maquillage du Joker s'écaille par endroit, laissant voir bien d'autres facettes. Chien fidèle, le Clebs voit, sent, écoute.
Il sait.
Le raccommodeur rebrousse chemin, sillonnant entre les tipis bombés d'âmes qui vivent. Il salue quelques têtes connues, fait un crochet vers l'endroit où les natifs distribuent de la soupe (une sorte de bouillon d'herbe et de racine avec - si on a de la chance- un morceau de rongeur dedans) et s'en fait servir deux bols. Lorsqu'il pénètre sous la tente de son chef, il lui tend cette maigre pitance en premier lieu. Il s’assoit en tailleur auprès de lui et effectue une série de gestes explicites. "Mange. Tu n'as pas mangé hier. Tu n'as pas mangé avant-hier non plus. Tu as suffisamment oublié pour le moment, tu pourras recommencer demain. Ce soir tu manges, c'est tout."

Pit avait parlé trop vite, il avait été trop sûr de lui. Il avait souri jusqu'au dernier moment. Curve lui en avait déjà parlé, elle allait tout préparer... elle irait bien... elle aurait au moins leur ami commun Dino... Non ? Bizarre, pourquoi cette peur quand meme au creux de la fosse ? Pourquoi le besoin d'étouffer ce gamin ? Pourquoi le faire taire mais le garder en vie tout de même ? La quatrième facette savait, elle ne souriait pas tant, elle se contentait d'attendre les opportunités. Prendre doucement plus de place. Jusqu'au non-retour. Des idées fleurissaient dans l'esprit, ou l'inspiration anisée ? Tout était souvent teinté de cette facette un peu verte... Bizarrement.

Mais pour le moment, l'ombre se contentait de tenir le visage du gamin dans la boue. Pendant que le Joueur se concentrait sur le jeu et que le Pion avait le coeur en mal. C'était comme lorsque Dusk était déçue de lui, c'était comme lorsque que Pit avait dû dire à son ancienne mère qu'il avait fait une bêtise... Oh les peaux, ce n'était rien. Sauf lorsque Dusk avait dû laver sa chemise rougie.

Là non... Love maintenant était partie ailleurs pour régler un petit souci. Un contre-temps que le Joker s'empressera probablement d'oublier.

Là, le chef des raccommodeurs avait relâché un peu... il avait laissé un sentiment peiné le prendre à la gorge. Cette affreuse impression que la porte était fermée et qu'il était coincé dehors. Ça le mettait à la fois en rogne et désemparé. Alors le pion se contentait d'être là. Un peu.

Dans cette tente, ou un tipi ? Ah oui, c'était un tipi.

Et une silhouette familière attire finalement les lacs d'absinthe, des lacs un peu absents... ces temps... quand il n'y avait pas de parfum anisé.

Pit se contentait jusqu'à maintenant de dessiner des courbes sans chercher à créer de nouveaux modèles, de nouvelles pièces grandioses... son carnets de voyages pleins de croquis peinait à se vêtir de carbone. Rapidement, le bol tendu par Nobod attrapa l'attention volatile de Pit. Celui-ci offrit son fameux sourire mécanique au Clebs en prenant le repas d'une main, mais les gestes qui suivirent réduisirent la fausse joie du faciès. Un rictus en coin se montra, moins chaleureux mais clairement plus sincère.

- Haha, Nobod... t'as peur de manquer de travail si je m'évanouis ?

Puis les yeux toxiques se penchèrent sur la nourriture. Toutes les facettes se concentraient dessus, Pit n'était pas encore enfermé dehors. Il fallait faire surface. Le Joker posa définitivement le carnet mis à l'arrêt maladie, et se concentra sur le bouillon. Une, deux, trois, quatre pénibles cuillères furent avalées.

- T'es sûr que ça va pas nous tuer plus vite que le givre, ça ?

Et les prunelles se posèrent sur Nobod, puisque les oreilles ne pourraient pas l'entendre. Pointe de blague, mais c'était terriblement forcé. C'était vraiment bizarre. Cette impression de ne jamais plus revoir la Curve d'avant...

- Haha, Nobod... t'as peur de manquer de travail si je m'évanouis ?

Le clebs se contente d'un sourire en pointillés, celui qu'il réserve aux démonstration d'humour du Joker. Un étincelle d'amusement anime son regard noir. Ses phalanges s'activent au dessus du bol : "J'ai pas envie d'finir à la fourrière, c'est tout."
A-t-on déjà vu un chien sans son maitre ?
Il lui faut encore une muselière, il en a conscience. La violence dort toujours, tapie en lui.

Pit avale ses quatre malheureuses cuillerées tel un galérien ramant sur une mer sans vent. Où sont les mères quand on a besoin d'elles ?

- T'es sûr que ça va pas nous tuer plus vite que le givre, ça ?


Ce n'est ni le Givre, ni la soupe qui consume Pit. "Finis." L'ordre est sans appel, les rôles inversés. Voilà l'animal obligé de materner son pauvre chef, rongé par la solitude et les non-dits.

A moi, tu peux parler.
Tes secrets sont bien gardés.
A qui pourrais-je les confier, à part le Silence, hein ?

Nobod fixe le rictus que s'impose le Joker. Il a envie de le lui effacer du visage comme un mauvais dessin à la craie sur un tableau trop noir. D'ailleurs, il lui pince la joue avec un froncement de nez réprobateur. Encore, de part, et d'autre, comme pour assouplir cette peau hyper tendue.
Finalement, il pose son propre bol pour frapper deux fois dans ses paumes et racler le plat de sa main avec la tranche de l'autre. Indexes croisés sur la bouche. "Arrête de te forcer, tu vas te faire une entorse du sourire, à force."

Courte pause.
Les deux garçons se toisent, s'auscultent.
Deux chiots qui se reniflent et se savent malades.

Nobod sert le poing et se frappe la poitrine, puis celle de son interlocuteur. Ses doigts éclatent en confettis imaginaires au dessus de leurs têtes. "Moi aussi, elle me manque, tu sais." Il laisse son pouce courir sur sa gorge, puis trace une trace une croix sur son front avec avant de sceller la marque invisible avec son poing. "Je ne me laisse pas crever pour autant."

Très bien, très bien, le chef se résignait à manger. Notant les mots qu'il lisait de la part de Nobod. Ces mots visaient plutôt juste. Malgré l'évidence, Curve manquait à tout le monde. Avant, c'était elle et le Joker contre le reste du monde, hein ? C'était une amie, et depuis, il l'avait revue dans la planque de Dino... mais il sentait que le port la changeait. Enfin, le ranch pour les rebelles. Il restait tout de même des fidèles, il restait tout de même Nobod qui avait été là pour sa montée. Pour gagner cette place. Pourquoi fallait-il déjà qu'il soit chef ?

Oh ça c'était ennuyeux. Il avait oublié la base du plan initial.

Il l'avait oublié, alors il se contenterait d'allumer quelques feux çà et là.

Ça devrait faire plaisir à Ginger, tiens.

Finissant le bol, il le posa au sol. Avant de porter les puits d'absinthe sur le Clebs, presqu'intrigués. Le Joker avait-il une fois demandé à son fidèle exécutant quoi que ce soit en rapport au Jeu ou aux poupées ? Aux cartes à placer ? Pit prit une inspiration calme, avant d'expirer. Histoire de savoir qui parlait. Ce devait être le joueur. Puisqu'il s'attachait plus, puisqu'il comprenait plus les liens entre les gens.

- Ouais... Non, faut pas crever. Ça lui ferait de la peine, c'est difficile de tenir sa classe en étant déprimé. T'es sympa, Nobod, de te soucier de ton toqué de chef, héhé.

L'index droit trouva le chemin de la tressette qu'il entortillait distraitement. Il fallait se reprendre. Pourquoi est-ce qu'il ressentait tout ça, hein ? C'était le plan, c'était prévu. Tout se tissait comme il le voulait. Il l'avait voulu. Il l'avait décidé.

Ce n'était qu'une règle du Jeu. L'arbre allait devenir trop compliqué, il faudrait veiller à ce que les gens précieux n'en souffrent pas.

- T'en fais pas, vas. T'iras pas à la fourrière, je laisserais pas ça arriver.

Pit jouait avec les secrets des autres, il usait et abusait de la sympathie de Peter et de son image si accueillante. Il en avait épié plus d'un pour attraper les grandissements et tenir ces personnes sous sa menace, enfin non... il disait qu'il les protègerait. Si la loyauté de Pit était peu fiable pour le reste du monde, elle était réelle pour ses raccommodeurs.

C'était la dernière chose qu'il avait retenu de son ascension. Il devait être là pour ceux qui étaient cassés. Il détestait qu'on crie sur eux, il détestait qu'on rompt leur monde coloré dans les tissus. Ah Knitting dérangeait un peu la joyeuse famille, mais ce n'était pas grave. Pit l'aimait aussi, il savait adresser le bon regard quand il voulait qu'elle reste à sa place. Peaky était un bon exemple, ses mains étaient d'excellentes porte-aiguilles.

Le sourire revint, et les lacs d'absinthe laissèrent une vague absence avant de laisser apparaître autre chose. Une facette qui voulait voir son chien.

- Si j'avais eu un chien, je pense qu'il m'aurait accompagné partout dans la ville. Peu importe les odeurs que j'avais sur moi. C'est comme ça que ça fonctionne, hein ?

Cette autre facette qui savait grossièrement ce qui avait pu se passer dans ces chambres dégoutantes, ou en étant enfermé dehors. Avec Carmine au Port, il fallait serrer les rangs. Elle avait le don de rappeler à l'ordre ceux qui prenait les raccommodeurs de haut. Il ne faudrait pas que ça change.

- À toi, je peux parler. J'ai l'idée, et toi tu sauras concrétiser. Nobod, toi t'as pas flippé avec les peaux que je prenais, c'est juste ?

La quatrième facette vivait mieux le "manque" de Curve, elle se concentrait sur des faits. Et serait une bonne fosse, se remplissant de ce que les gens en face voudront y voir. Tant qu'il pourra réaliser son manteau avant de devoir passer à la suite du Jeu.