Il a fait quelques allez-retours entre le volcan et le Manoir, depuis son réveil. Ca va, le chemin commence à être assimilé. Son nouveau rythme également, la discrétion qu'il faut garder pour visiter la Reine et prendre ses ordres. Ca lui va, de toute façon, de ne pas voir trop de monde. Il n'a pas vraiment envie, au fond. On lui pose des questions pour savoir comment il va sans qu'il n'ait l'impression que sa réponse honnête ne soit requise. Ou bien on lui envoit des regards compatissants pour les gens qui ont connu ses frères, et ça c'est pire que tout. Ca lui donne juste envie de tout brûler, ou bien de tout oublier dans le sommeil à nouveau. Alors il ne sociabilise pas plus que nécessaire, Tison. Juste ce qu'il faut pour ses missions, ou pour ne pas attirer de soupçons. De son peuple, il n'y a bien que Mab qui ne lui pèse pas.

Mais Mab, elle a toujours été unique, n'est-ce pas ? C'est pareil pour tout le monde, la Gigue en a conscience.

Mab à qui il n'arrive pas à en vouloir de l'avoir tiré de son sommeil si doux, et pour qui il se met en quatre. Mab dont il accepte tout ordre, si disgracieux ou inavouable soit-il. Mab, qu'il ne traite pas avec la même déférence que ses pairs mais au contraire avec une familiarité qui horrifierait sans doute le reste des fées. Les chichis, lui, ça l'embête. Il se sent trop vieux et trop usé pour vraiment s'en soucier.

Tison, il a même poussé le bouchon jusqu'à proposer a la souveraine de se boire un verre un jour. Le genre de truc qu'on propose a ses poteaux et ses proches, quoi. Pas a la foutue Reine des fées. Pas a un être éternel qui a vécu mille fois sa durée de vie, a autant de .. Ouais non, pas elle. Sauf que lui, il s'en fout. Et pourquoi pas hein ? Pourquoi s'embarrasser de tant de chichis pour tout ? Alors ouais, il l'avait invité. Pour quand elle veut -c'est pas comme si son agenda a lui était bien chargé. A part les missions qu'elle lui confie, il n'a pas grand chose pour meuble sa vie. Sauf si on compte le deuil, mais ça, c'est un peu constant.

C'est d'ailleurs le souvenir de ses frères qui le pousse ce soir a ranger la maisonnette. Jamais l'habitation n'a été aussi impeccable que depuis qu'il vit seul. Lui qui était si bordélique, le voilà qui désormais range et nettoie par ennui et fuite en avant. Il ne manque de rien, si ce n'est de l'essentiel. Mais jamais l'espace immaculé et si ordonné ne pourra combler ça. C'est juste un joli déguisement de son chaos intérieur.

Peut-être qu'il devrait écouter les conseils de Mab et se trouver un compagnon pour lui tenir compagnie. Il n'avait pas vraiment dit non, juste un vague "je verrais". Ca avait été trop de choses d'un coup pourqu'il puisse réellement y songer. De toute façon, il ne saurait pas où commencer ses recherches, alors..

Avec un soupir, Tison s'assoit mollement dans un gros pouf écarlate, les pétales de coquelicot s'enfoncant sous son poids. Maintenant que ses missions sont faites et le ménage terminé, il se retrouve avec le même problème que bien souvent : que faire de son temps ?

Il s'était posé depuis.. Oh. Pas si longtemps, en vrai. Difficile à dire précisément, mais ses pensées avaient divaguées quelque peu et frôlées des zones d'ombre qu'il préfère garder à distance. Au lieu de s'y confronter, Tison hésitait à reprendre un peu de Fumée. Juste un peu, assez pour se détendre, pour oublier. Juste une touche pour approcher cette somnolence qui si longtemps l'avait préservé.

Il allait justement se lever pour céder à cette tentation quand quelqu'un avait toqué à sa porte. Un quelqu'un dont il avait reconnu la voix, bien évidemment. Le vouvoiement lui avait presque arraché un sourire, d'ailleurs. Mab, Mab, Mab. Pas besoin de tout ça avec lui, tu sais ? Tu peux le tutoyer.

Se dépliant avec un vague grognement pour la forme, la Gigue se relève et va en quelques longues enjambées ouvrir la porte. Devant celle-ci se tient, comme prévu, la Reine des fées. Comment ça se fait que tu te sois pointée ici, c'est une bonne question. Un truc officiel, une visite royale de routine à l'Archefeu ? Une mission pour lui ? Oh, nah, ce serait bizarre. Ou alors peut-être que tu as accepté son invitation à venir boire un verre. Ce serait chouette, ça, tiens. D'abord parce qu'il t'aime bien, et puis aussi parce que ça réglerait son problème de "qu'est-ce que je fais de mon temps ?".

- Yo Mab ! Quel bon vent t'amène ? Rentre, rentre ! Inutile de prendre racine devant la porte, hehe.

Un grand sourire qu'il fait presque par une vieille habitude, et la fée s'écarte pour te laisser rentrer. Au moins son habitat est-il impeccablement rangé, c'est toujours mieux pour les visites à l'improviste. Un des avantages du deuil ? Non, ne poussons pas si loin. Tison entend d'ici les râleries de Cendre, il revoit le sourire doux de Fournaise, et ça lui tord juste assez le coeur pour qu'il ne puisse pas bouger l'espace d'un instant. Puis, déjà, le voilà qui sagement referme la porte d'entrée.

- J'te sers un truc à boire ? C'est pas comme au palais, désolé, mais j'ai un du jus d'grenat, et de la liqueur de pivoine.

Bon, et quelques graines de pavot arrangées, mais chut. Ca, c'est pour sa conso personnelle, et il ne sait pas trop si tu en serais partisane. Peut-être un peu plus tard ?

Il t'accueille avec un sourire, et ignore totalement les deux autres gugus autour. En soi, s'ils veulent venir ils peuvent. Mais Tison a bien compris que ces gens là t'accompagneront partout, n'ont pas leur mot à dire de grand chose, et ne lui vouent pas un grand amour. Le glapissement qui résonne amuse même un tantinet Tison, qui décidément trouve les autres fées très coincées. Mais, bah. Au le fond lui s'en fiche. La vie est trop courte et éphémère pour se soucier de ce genre de choses, de l'impression qu'on donne, de la popularité qu'on a. Et en prime : être trop populaire ne lui apporterait rien de bon dans ses activités discrètes pour la Reine. Bien que trop d'impopula.. Impopularité, ça se dit ? Naah. Mais ça pourrait, non ? Ca sonne comme un mot qui pourrait exister.

Pourquoi il cherchait ce mot, déjà ? Oh, pas grave. Ca lui reviendra.

- Installe toi Mab ! C'est pas aussi grand et beau que le palais, mais c'est confortable.

De fait, s'il y a un point sur lesquels les frères s'étaient entendus pour la décoration, c'était une ambiance cosy. Cendre avait été un peu plus direct et avait (comme toujours) canalisé les élans chaotiques de Tison qui y aurait entassé de tout et n'importe quoi. Il avait bien fallu toute la tranquille patience de Fournaise pour que l'ensemble soit harmonisé. Mais la touche personnelle de chaque frère avait créé quelque chose à l'image de leur fratrie.

L'entrée donne directement sur une grande pièce principale d'ou rayonne le reste de la maisonnée. Un plan de cuisine honorable, une table ronde solide et assez grande pour accueillir une demi douzaine convives comme l'attestent les tabourets autour, un espace avec de multiples poufs, coussins, et quelques fauteuils.. L'ensemble est spacieux, bien plus que ce dont Tison en avait eu l'impression à l'époque. Vivre seul et non à trois joue un rôle, très certainement. Mais le fait d'être désormais une fée du logis et de ne plus éparpiller ses affaires partout est également un facteur décisif. Les couleurs sont principalement dans des tons chauds qui oscillent du brun au rouge sombre, en passant par les nuances qui les séparent. Ca et là, des touches d'orangé et de jaune chaud éclairent la pièce.

Sur une suggestion de Cendre pour éviter que Tison ne détruise tout quand il est en crise, l'essentiel du mobilier est taillé dans la roche et poli par l'usage, sans angles pointus. Des coussins en pétales ou duvet d'insects divers ajoutent la touche de confort moelleux qui rend difficile (pour Tison en tout cas) de se lever une fois confortablement installé.

Aux murs, plusieurs ouvertures vitrées parsement la pièce en plus des multiples petites lampes qui brulent un peu partout. Ces fausse fenêtres, avec leurs lampes derrière, étaient une idée de Fournaise pour éclairer moins agressivement et ouvrir un peu l'espace. C'est lui aussi qui s'était chargé de trouver les motifs pour ornementaux, oscillants entre l'orangé, le jaune chaud et l'éclat plus neutre du verre translucide. Autour, des décorations murales habillent les murs : de multiples photophores, bougies de toutes sortes et quelques torches plus larges pour une lumière plus franche éclairent l'habitat. La plupart sont éteintes quand tu entres, ceci dit : Tison connait l'endroit par coeur et n'a pas encore songé à allumer tout ça. Flemme.

La Gigue, lui, avait apporté.. Des taches de couleur. Est-ce surprenant ? Chaque porte est ornée d'un symbole qui en signifie l'usage et les têtes de chaque frère, reconnaissables aux cornes, indiquent leurs chambres respectives. Le plafond haut est la seule note qui détonne dans le panel chaleureux : y a été peint le ciel de nuit, avec ses étoiles et constellations. Tison avait mis un point d'honneur à ce que les étoiles soient justes et retransmettent celles que l'on voit lorsqu'on se couche au bord du cratère pour admirer le ciel. Et pour cause : il les connait par coeur. Autour des portes et fenêtres, quelques fleurs de feu ont été ajoutées tardivement. Quand Tison les avait créé avec ses arabesques enflammés, il les avait tellement aimé qu'il avait supplié qu'on le laisse en ajouter dans la pièce commune. Et d'ailleurs, sa chambre est sans nul doute l'endroit le plus peint et repeint de l'habitation : à l'époque, il refaisait souvent la décoration au gré de ses humeurs et inspirations.

Te laissant décider où tu veux t'installer, la Gigue se dirige vers la cuisine et sort une carafe dont le liquide écarlate trahit le contenu. Deux verres, quelques graines d'amarante grillées et autres grignoteries sur le plateau, et le voilà qui revient avec son chargement. Si tu ne t'es pas mis sur le pouf coquelicot, c'est là qu'il s'affale apres avoir posé son chargement. Sinon.. Oh, il y a largement assez de gros coussins et fauteuils pour s'accommoder.

- Oh, c'est tranquille ! Faut pas hésiter à toquer, hein. Tu connais mon emploi du temps, autant que ça serve. Comment va ?

C'est très vrai, oui. Et une facon comme une autre de rappeler que tu viens quand tu veux et qu'il ne voit pas grand monde par ailleurs. Quant à savoir si c'est par manque d'envie ou autre chose, c'est une autre question.

Mais voilà : une fois installé, le fé réalise qu'il fait quand même bien sombre. Seul, il s'en moquait. Mais maintenant qu'il y a une invitée, ouh, non ! Ca ne se fait pas, de laisser quelqu'un dans le noir. D'un bond presque souple, le voilà qui se relève et inspecte la pièce pour choisir quelle mèche allumer entre bougies et fenêtres artificielles. Finalement, en quelques gestes fluides qui tranchent avec ses mouvements raides, le fé décide d'éclairer les trésors de Fournaise qui décidément avait bon oeil, et quelques photophores dispersées ça et là. D'un coup, la pièce s'anime et semble prendre vie au mouvement des flammes, révélant mieux le plafond constellé et les décorations autour de vous alors que Tison se laisse retomber où il s'était installé.

- Désolé, j'allume pas forcément autant quand je suis seul. Mais hey, t'es là, autant te montrer ! Tu m'dis, si tu veux plus de lumière, ou moins. J'suis pas compliqué.

C'est qu'il est fier de leur chez eux, quand même.

Il n’a plus trop l’habitude d’accueillir, Tison. Avant ca se faisait, oui. Mais ca, c’était avant. Quand ils étaient au complet. D’un imperceptible soupir, le fe balaye cette douleur qui devient habituelle, pour mieux se concentrer sur toi. Ca lui fait plaisir de voir que tu observes a nouveau les lieux depuis qu’il a allume. Il veut que d’autres voient a quel point ses frères étaient doués, tout en peinant à inviter des gens dans leur antre. Mais ce n’est pas rare qu’il ait des envies contradictoires, ces derniers temps. C’est simplement une nouvelle gymnastique de sautiller d’une emotion a une autre, une qui le fatigue mais a laquelle il se fait.

Il te sourit discrètement quand tu le rassures sur l’éclairage, et se penche pour attraper son propre verre. Mais quand tu lui réponds, tu peux voir quelque chose traverser on regard. Difficile a dire si c’est de la compassion ou de la sympathie, et lui-meme ne saurait sans doute pas si on lui demandait. C’était la, c’est tout.

- Hey. Je sais que je l’ai d’ja dit, mais not- Hurm. La porte est ouverte, pour quand tu veux. Et si j’peux faire un truc, hein. T’hésite pas. Pour admirer le decor ou autre chose.

Est-ce de l’impératif qu’il utilise envers toi ? Un garde royal a du tomber dans les pommes quelque part a cause de la Gigue : ça doit avoir des repercussions sur l’île d’ainsi troubler l’ordre des choses, non ?

Heureusement pour le restant des gardes, tu changes le sujet et lui retourne la question. C’est a son tour de s’affaisser un peu. Tout comme tu as été honnête avec lui, il le sera avec toi. Pas parce que tu es la reine (tu dois sans doute pouvoir distinguer quand quelqu’un te ment de toute façon) mais parce que tu es toi, et que tu as fait l’effort de ne pas prétendre avec lui. Et aussi, quelque part, parce qu’il se dit que tu dois sans doute pouvoir le comprendre.

- J’sais pas. Ça.. Va ?

Il doute de ce qu’est aller bien ou pas, dans sa situation. Il est, c’est tout.

- Y a des jours sans, et des jours neutres. Mais c’était pire avant. La tête occupée, ca aide. Ils seront toujours la, mais j’ai des choses a faire alors j’peux pas m’arrêter… J’suis clair, ou pas ?

C’est si difficile de peser ses mots. D’essayer de dire ce qu’il ressent quand il st si a vif, et anesthésié en meme temps. Avant, il était si shoote et insouciant que ce genre de problème ne se posait pas : Tison disait simplement tout ce qui lui passait par la tête.

C’était si simple, avant. Si doux, aussi. Mais c’était avant.