Sugar n'a pas toujours été une fille. A la vérité, Sugar ne sera jamais une fille. Jan, le pauvre petit Boer, ne pourra jamais atteindre son but…
Mais revenons un siècle plus tôt.
Jan
31 mai de l'an mil neuf cent huit. Jan, petit dernier d'une famille de trois : Maëvis, Louis, et lui, né le jour de la fin de la guerre. Ses parents sont alors les heureux propriétaires d'une plantation dans l'état libre d'Orange. On pourrait passer des heures sur la politique et l'historique de cette région, mais venons plutôt au fait.
1914. Un assassinat à Sarajevo déclenche une série d'événements en Europe qui fragilise la paix. L'Europe est en guerre. Ici, une révolte. Son père et Louis partent se battre. Jan n'a que six ans, il ne comprend pas. Ici, là-bas, les gens se battent et meurent. On lui a dit « soit gentil ». On lui a dit « aime ton prochain ». On lui a dit « attention aux Nègres ». Mais faire la guerre, tuer des blancs, il ne comprend pas.
Il restera la dernière figure masculine de la maison à partir de ce moment là. Les Nègres travaillent à la plantation, une préceptrice vient éduquer Maëvis et lui. On lui apprend à lire, on lui donne un livre paru récemment. Il est difficile à lire, il y a là aussi des morts, mais un nom reste sur le cœur du petit Jan.
Peter Pan1916. Après avoir demandé à sa mère où étaient partis les hommes, celle-ci lui répond que les hommes partent à la guerre. Que c'est leur rôle. Ils sont les gardiens et protecteurs, ceux qui tuent et meurent pour la patrie. Mais petit Jan n'a pas envie de mourir pour la patrie…
«Allons, Jan, c'est la fierté de tout homme de se battre et de mourir pour protéger la femme, la mère et la fille ! Soit un bon garçon, et arrête de dire ces sornettes ! »
« Alors je ne serai pas un homme ! »
« Et tu seras quoi, alors ? Une fillette ? »
« PARFAITEMENT ! »
1918 La guerre est finie. Mais cela fait déjà un an et demi que Jan ne s'habille plus qu'avec les anciennes robes de Maëvis. Mais sa mère le Regarde, le Juge et le Pointe du Doigt. Maëvis aussi. Jan se sent seul. Il n'ose pas sortir, il a l'impression que les gens le Regardent. Mais il n'en démord pas. Jan ne veut pas se battre et Mourir. Jan veut être une fille, coûte que coûte. Les repas sont lourds, les punitions tombent souvent. Maëvis le moque et le raille, et sa mère ne le défend pas. Les visites du coiffeur se soldent toujours par une violente bagarre, et le coiffeur refuse désormais de s'occuper de Jan. Ses cheveux poussent, et il ressemble de plus en plus à une fille.
Et lorsqu'en 1919, pour se tenir compagnie, les femmes de la maison s'achètent chacune des animaux de compagnie, mieux traités, mieux nourris, la haine sourde que leur vouait Jan se mêla insidieusement à une jalousie montante.
Un an de mauvais traitements, de moqueries, de tourments, d'ignorance et Jan craqua pour la première fois. Lorsqu'il se réveilla, entre ses mains se trouvait un couteau de boucher. A ses pieds, le chat de la mère. Et Maëvis était en train de hurler devant le cadavre de ses canaris.
Jan en avait trop fait. Sa mère n'allait plus seulement le Pointer du Doigt, le Regarder et le Punir. Cette fois, sa mère allait le Tuer.
Alors Jan court, loin, Dehors. Les gens le poursuivent dans la plantation. Les gens le Cherchent pour le Tuer. Jan a peur, Jan ne veut pas mourir. Alors Jan appelle le seul héros qu'il connaît, celui qui a refusé de suivre la marche du monde. Jan appelle
Peter Pan. Et vous savez quoi ?
Peter Pan est venu.
Celle qui se faisait appeler Janis devint Sugar, et contre son Nom et son Ombre, elle devint résidente de l'arbre. Pour ne plus jamais grandir. Pour ne plus jamais à avoir à subir les Regards, à se faire Pointer du Doigt. Ici, on ne sait pas qu'il s'appelait Jan. Plus personne ne le sait, maintenant.
Sugar veut tout faire comme une fille, et c'est pour ça que Peter a vu en lui le rôle de Mère. Cuisiner, s'occuper des petits, ça oui. Sugar veut bien. Ici, on accepte que ce soit une fille. On accepte qu'il soit elle. Même si personne ne sait qu'elle est il, ici, Sugar a des amis. Sugar a des enfants. Maëvis s'était moquée de lui, en lui disant qu'il n'aurait jamais de Mari et donc jamais d'Enfants, mais ici, à l'Arbre, ses petits Récolteurs sont tous ses enfants. Prends ça dans tes dents, Maëvis.
Adieu, Jan
Plus tard, dans l'Arbre. Après de nombreuses arrivées et de nombreux départs. Ici, le temps ne compte pas. Mais Sugar avait fait des choses, entre temps…
Melissa
Sugar obtient une apprentie. Melissa. Une Personne de Couleur. Savoir que l'arbre avait des Personnes de Couleurs était pour Sugar une légère source de malaise. Savoir que ces personnes pouvaient avoir un rôle aussi important que Mère ou Chef l'angoissait fortement. Qu'en plus elle dusse s'occuper de l'une d'entre elle horrifiait Sugar, mais au fond d'elle, Sugar savait que Peter verrait un jour. Qu'il serait juste et renverrait cette Personne de Couleur au rang d'enfant qu'elle mérite.
Et Sugar lui apprend à être Mère, sachant très bien que cette Personne de Couleur n'y arriverait pas. Elle lui apprend le ménage, et Melissa la surpasse. Elle lui apprend la cuisine, et encore une fois, Melissa semble avoir plus de succès. Alors Sugar se démène, rajoute du sucre, s'énerve et ne comprend pas, mais il y a d'autres choses que Sugar sait faire et que Melissa ne peut pas. Sugar raconte des histoires, mais Melissa en raconte de plus belles. Sugar câline les enfants, mais ils préfèrent aller voir Melissa.
Melissa.
Melissa. Melissa. Melissa.
Sugar devait s'en débarasser. Mais pas trop méchamment, tout de même. Parce qu'elle avait finit par l'apprécier, cette Personne de Couleur. Au moins, ce n'était pas une Nègre. Elle allait trouver un moyen de la faire trébucher, et de la faire oublier.
Mais Melissa a commis une erreur que Sugar ne pourra jamais lui pardonner. Alors que Sugar se lavait seule, Melissa est entrée. Et Melissa a vu.
A son réveil, Sugar vit Melissa étranglée entre ses mains. Son assistante sans vie. Ça ne devait pas se Savoir. La chance était avec Sugar ? Les Sentinelles de l'époque étaient des manches ? Toujours est-il que, dans la nuit, Sugar tira un cadavre pour le cacher dans un bosquet. Mais c'était pas assez loin. Alors plus loin, et encore plus loin…
Jusqu'à arriver à la Machine.
Longtemps après, encore, Sugar vient rendre visite à Melissa, « belle à croquer ». Elle a déjà servi ses fémurs de sucre d'orge à la fête de Halloween. Elle s'est déjà servie de ses boyaux pour faire du caramel. Mais son doux visage sucré, éternel, Sugar n'ose à peine que de temps en temps le lécher...
Adieu, Melissa
Il y avait aussi ce jeune Récolteur…
Scullion
Scullion, c'était un drôle de larron. Très honnête. Trop honnête. Un Allemand, d'après l'accent. Et un petit chef en cuisine. Sugar adorait le voir s'affairer avec ses trouvailles, à mélanger ces ingrédients secrets pour faire les sauces les plus bizarres qu'il soit. Pas assez sucrées, parfois, pas assez goûtues. Parfois se mêlant avec justesse aux plats que la Praline crée pour ses enfants.
Scullion, il est drôle avec ses sauces bizarres. Certaines font pousser les cheveux, d'autre font voir des formes bizarres. Et qu'est-ce qu'il est radieux chaque fois qu'il découvre quelque chose de nouveau ! Bon, Sugar le gronde souvent, Scullion se couche parfois très tard. Mais elle fait ça pour son bien. Parce qu'il doit dormir, et qu'il oublie souvent.
Parfois, Scullion a des éclairs de génie. Comme cette sauce étrange qui endort, beaucoup. Sugar en a fait des bonbons, et s'en sert pour attraper les ECUREUILS – killkillkillkillkill. Mais aussi elle en fait pour Soul, depuis qu'il est là. Ces petits bonbons qui endorment les enfants trop blessés. Qui endorment mais qui ne tuent pas. Pas toujours…
Un jour, Sugar a demandé à un chasseur de lui apprendre à préparer un lapin. Quelle ne fut pas la surprise de ce dernier quand la créature, réveillée en plein dépeçage, se mit à couiner devant une Sugar perturbée .
Un jour, Sugar ne vit plus Scullion. On lui avait dit qu'il avait grandi. On lui avait dit qu'il était banni. Ça a rendu Sugar toute triste de perdre un de ses enfants préférés. Mais quelques bonbons, quelques lapins… La vie reprend son cours, et, qui sait ? Un autre enfant intéressant viendra.
Adieu, Scullion.
Parfois, Sugar a envie de s'amuser. D'étranges façons, d'ailleurs. Comme cette fois, où ce petit Récolteur lui dit qu'il a peur de Mary…
« Mary ? Mais elle est très gentille, tu sais ? »
« Oui mais elle me fait très peur ! »
« Écoute. Tu vas te déguiser, et on va lui offrir quelque chose, et tu verras, elle est très gentille ! »
Au début, cela partait d'une très bonne intention. Vraiment l'envoyer se réconcilier avec Mary, la très effrayante mère des Soigneurs. Mais, au fur et à mesure de l'habillage du petit Récolteur, elle trouva que celui-ci ressemblait beaucoup à un petit chiot. Un gentil petit chiot tout mignon.
« Et si tu lui écrivais un poème ? »
« Mais je sais pas écrire ! »
« Alors heureusement que je suis là ! »
L'idée était simple. L'enfant allait dicter, Sugar allait écrire… autre chose.
« Mary
Mary est la plus belle |
Mary est la poubelleBelle comme une hirondelle |
Qui ne mérite qu'un coup d'pelleElle a de jolis yeux |
Elle a d'horrible yeuxEt aussi de beaux cheveux|
Qui puent autant que ses cheveuxEuuuh… »
« Ça devrait suffire, mon chou. Vas-y, apporte lui, et dis moi comment ça s'est passé!»
L'enfant ne savait pas lire non plus, il ne savait pas dans quel piège Sugar l'avait mené. Et de loin, Sugar se délecta du spectacle. Quand l'enfant revint en pleurs, Sugar l'embrassa, le câlina, le dorlota pour le calmer.
« Elle ne devait pas être de très bonne humeur, aujourd'hui… Peut-être que tu devrais rester avec moi, en fait… »