D'un geste de la main, Grenouille chassa mécaniquement un bourdon rose bonbon qui ne cessait de tourbillonner autour de lui. Il ne se formalisait plus des insectes plus ou moins bariolés qui entravaient sa route. Ils étaient florissants au Pays de Jamais. Scrutant le chemin barré de lianes basses, de racines tortueuses et autres fougères plus ou moins toxiques, il ne prêtait guère attention à sa destination. En revanche, s'il ne la surveillait pas, il la redoutait gravement.

Peter avait confié au Funambule une mission des plus importantes. Des plus périlleuses aussi. Et tandis qu'il s'approchait dangereusement du repaire du monstre tapi dans l'ombre de l'île, son cœur battait au rythme de ses pas, tambour cadencé par l'angoisse et l'alerte. Repoussant une feuille large – en vérité, elle devait faire sa taille – Grenouille finit par se trouver face à la Grotte. En partie immergée par une sorte de marre encerclée de végétation, le Funambule n'aurait d'autre choix que de s'enfoncer dans l'eau froide et vaseuse pour pénétrer dans l'antre de la bête. Il déglutit en clignant des yeux.

Votre mission si vous l'acceptez : récupérer la couronne de fleurs offert à l'Enfant Roi par les fées. Tombée lors d'une bataille contre les pirates, le Crocodile l'avait emporté avec lui sans qu'on sût pourquoi. Peut-être même l'avait-il gobé. Une couronne certes d'un raffinement fort délicat, mais Grenouille avait été effaré – il n'était pas encore tout à fait accoutumé aux caprices de son roi – à l'annonce de l'ordre de Peter. D'autant plus que ce dernier avait toute conscience du risque que l'entreprise représentait, puisqu'il avait pris le soin d'envoyer Grenouille, et non sa précieuse Stealth.
Un peu amer, le Funambule cracha sur le sol, s'essuya la bouche d'un revers de main, et s'approcha de l'eau sombre. Au loin, les ronflements du Crocodile résonnaient contre les parois de la caverne.

La mission ne serait pas aisée. Mais il n'avait pas le choix. Il n'avait jamais, jamais le choix.

A cet instant, Grenouille ignorait qu'un serpent d'eau venimeux venait de s'introduire dans l'eau à sa suite, bien décidé à en faire son repas.


 

Grenouille entendit juste un son bref, semblable à un coup de vent brusque. Swift. Un truc comme ça. Le corps embourbé dans l'eau vaseuse, il se retourna vivement. La première chose qu'il vit, ce fut le corps sans vie du reptile, le corps perforé d'une flèche acérée. Le serpent dérivait, les yeux exorbités, la langue pendante. Grenouille lâcha un cri étouffé, perdant l'équilibre en s'empêtrant un peu plus dans la boue qui tapissait le fond de la marre. Son cœur battait la chamade, percutant le danger après coup et rattrapant son retard en accéléré. La scène se rembobinait dans sa tête.
Levant les yeux, il aperçut la silhouette inimitable de Stealth. Sa cheffe. Sa toison de feu, broussailleuse et lumineuse, contrastait effrontément avec la noirceur terne de ses propres cheveux. Il ne lui fallut pas longtemps pour comprendre que l'Ardente venait de lui sauver la vie. Le souffle raide et agité, il la fixa un long moment, encore sous le choc de l'évènement et incapable de réagir à la venue de sa supérieure.

Extrayant son bras droit de l'eau, il désigna l'entrée de la Grotte – qui laissait toujours échapper de lourds échos de ronflements – et chuchota en articulant exagérément :

– Je vais dedans. Ne rentre pas. Peter ne veut pas. Je dois récupérer la couronne.

Adressant un dernier signe à Stealth lui intimant de demeurer à l'écart, Grenouille se retourna et poursuivit son chemin jusque dans la caverne humide et rocailleuse. Lorsqu'il s'extirpa un peu plus de l'eau, son short, ses chaussettes et sa chemise étaient détrempés, et il dut se forcer à ne pas claquer des dents. Plaquant la main à l'intérieur de sa poche, il agrippa l'étoile juive chiffonnée qu'il gardait toujours auprès de lui.
La Grotte était légèrement immergée. Chacun de ses pas provoquait un son de flaque qui se répercutait contre les parois. Il balaya le lieu des yeux, la gorge sèche. Il ne voyait ni la bête, ni la couronne. Ça lui donna un peu envie de pleurer.

La pénombre qui régnait dans la grotte contrastait tant avec la luminosité de l'extérieur que Grenouille mit un certain temps à s'y accommoder. Ses paupières tressautaient sous l'effort qu'il employait pour tâcher de capter un minimum de lumière. Il ne manquerait plus qu'il débouche directement dans la gueule ouverte du Crocodile !
Il tâchait de ne pas progresser avec précipitation, pourtant chacun de ses pas provoquait un son résonnant qu'il ne parvenait pas à étouffer. Les mains plaquées contre les parois froides et raboteuses, il avançait lentement, hésitant, craintif. Soudain, son pied heurta une protubérance rocheuse qu'il n'avait pas vu, et son corps culbuta brusquement avant de s'étaler sur le sol dans un bruit mat. Par chance, la chute avait été si brutale que Grenouille n'avait même pas eu le temps de crier. En revanche, ses mâchoires avaient violemment heurté la rocaille humide, et bientôt, un liquide chaud et ferreux se déversa dans sa bouche. Il cracha un glaviot de sang, s'essuyant les lèvres de sa manche, et se releva péniblement.

– Putain... souffla-t-il d'une voix larmoyante.

Mais perdre une dent ou deux ne représente qu'un maigre forfait en comparaison de perdre sa vie. Aussi Grenouille ne mesura la menace qui pesait sur lui que lorsque l'évidence s'insinua dans son esprit d'ores et déjà alarmé : le Crocodile ne ronflait plus. Et une certaine agitation vaguement bruyante avait remplacé les grondements sourds qui témoignaient de sa torpeur. La Bête s'était réveillée.
Se nichant précipitamment derrière un rocher pointu, le menton toujours barbouillé de sang, le Funambule s'accroupit en se plaquant les mains contre la bouche afin de ne pas rendre sonore sa respiration. Pendant un instant, le Crocodile fit mine de se diriger vers la mare afin d'y barboter à loisir... Mais l'odeur du sang le freina. Stoppant sa marche tranquille, il releva son immense claquoir, véritable gouffre carnassier, tout en faisant frétiller ses naseaux. Passant la langue contre ses dents acérées, le reptile finit par faire demi-tour et s'avança dangereusement du rocher où Grenouille avait trouvé refuge. Celui-ci ferma les yeux, le souffle emballé. Il ne voyait pas comment il aurait pu se sortir de là, cette fois.

Un éclair ardent dans le brouillard noir.
Grenouille ne comprit pas tout de suite qu'il s'agissait de Stealth. Les paupières crispées à s'en faire éclater les rétines, il attendait l'inévitable en serrant les dents, se demandant vaguement comment c'était de se faire bouffer par un carnivore géant. L'inévitable ne vint pas pourtant, et ses paupières quasi cousus finirent quand même par s'entrouvrir craintivement. Le Crocodile s'était arrêté, bruyant mais immobile, retourné, détourné. La réalité traça son sillage fatal dans l'esprit du Funambule. Il aperçut l'éclat d'une flèche gisant sur le sol humide. Il comprit.
Se relevant, il se saisit d'une pierre anguleuse, courut en direction de la silhouette pétrifiée de sa cheffe vers laquelle le reptile se ruait. Dangereusement. Lâchant un grand cri rauque, comme pour se charger de courage, Grenouille lança la pierre sur lui, visant l’œil. Il n'avait jamais fait un truc aussi dément de sa vie. Touché.
Le Crocodile rugit de douleur – de rage aussi – mais à défaut de le calmer, la souffrance le rendit assez confus pour que les enfants eussent le temps de faire diversion. Grenouille bondit sur Stealth et fonça de toute sa force sur son corps raidie par la peur. Tous deux furent projetés dans la mare profonde qui bordait la Grotte, s'enfonçant dans l'eau sombre dans une puissante éclaboussure.

– Dans l'eau ! Plonge dans l'eau !

Le reptile était biologiquement bien plus avantagé qu'eux pour évoluer en terrain aquatique. S'il apercevait leurs têtes débordant naïvement à la surface, il n'en ferait qu'une bouchée.
Grenouille se laissa immerger, retenant son souffle, contenant sa panique.
C'était périlleux. Chaque seconde, le froid leur engourdissait un peu plus les os.

En cet instant, le corps de Grenouille était un boulet. Pourtant, il ne le tirait pas vers le fond. Au contraire, il prenait un soin mesquin à tâcher de faire remonter son propriétaire à la surface, l'exhibant ainsi aux yeux minuscules de la Bête qui les traquait encore. Afin de palier à cette tendance qu'il peinait à combattre, Grenouille avait fixé ses doigts gelés sur une pierre calée au fond de la marre. L'eau sombre et sale lui abimait les yeux. Mais il reconnut très vite la silhouette de Stealth.
La Cheffe des Éclaireurs était bien plus gauche que sur la terre ferme, ainsi immergée. Elle semblait se débattre contre un monstre invisible, gesticulant comme un pantin au ralenti. Sa tenue, lourde et encombrante, l’empêtrait dans ses propres mouvements. Il fallait qu'elle se déleste, qu'elle se libère. Sinon, elle était condamnée.

Le Funambule, les yeux plissés par la douleur tiraillante que l'eau souillée infligeait à ses rétines, observa les contours flous et agités de sa supérieure, terrassé par l'impuissance. Cette fébrilité aurait tôt fait d'attirer le Crocodile. En plus... Oh non !
Stealth s'était en effet déchargée de son accoutrement, si typique de sa personne, mais au-dessous dudit apparat, l'Ardente avait revêtu une chasuble aux nuances élégantes... Et non moins dangereuses, dans une situation où le camouflage était seul gage de survie.
Comme pour sublimer le dramatique de la scène, l'oxygène vint à manquer dans la poitrine du petit français. Des flashs réguliers, qui n'avaient rien à voir avec la clarté des fées, attaquaient sa vision qui ne tarderait pas à se brouiller. Son thorax semblait sur le point d'éclater. N'y résistant plus, il poussa sur ses jambes et remonta d'un bond à la surface, insufflant une grande bouffée d'air. Le Crocodile, absorbé par la silhouette colorée et mal en point qui remuait devant lui, ne l'avait même pas remarqué.

Dans un réflexe plutôt inspiré, Grenouille ôta sa chemise délavée et la lança à plusieurs mètres, captant ainsi l'attention du reptile qui se rua dans cette direction. Il pataugea en direction de Stealth et lui saisit le poignet, l'attirant vers le rivage.
Une fois qu'ils l'eurent atteint, le corps tressautant sous l'effet de la peur et du froid, Grenouille se mit à quatre pattes et toussa avec ferveur. Puis, un mince filet d'eau, chaude cette fois, s'écoula de ses culottes. Une eau jaunâtre, qui ne provenait pas de la marre.

Le visage pétrifié de honte, il leva la tête en direction de Stealth.
Il avait vraiment eu peur. Vraiment.

Grenouille voudrait dire quelque chose.
Mais y a rien à dire.
Il s'est pissé dessus. De peur, d'angoisse, d'épuisement.
C'est tout.
Y a rien à dire.

Heureusement, le flot pisseux se mêlait aux écoulements d'eau vaseuse qui alourdissaient ses habits. Grenouille grelottait vigoureusement, les lèvres bleuies, frictionnant ses bras maigres dans une vaine tentative de se réchauffer. Il tourna la tête vers la silhouette énorme et déchainée du Crocodile, à quelques mètres dans la mare, qui s'acharnait contre sa pauvre chemise.
Se redressant péniblement grâce à l'aide de Stealth – il n'était même pas sûr qu'il y serait parvenu de lui-même – , le Funambule secoua ses cheveux d'ébène détrempés et essora son maillot de corps qui n'avait de cesse de se plaquer désagréablement contre lui. L'intimité de Stealth était singulièrement dévoilée au travers de sa tunique, aussi détourna-t-il le regard avec embarras. Elle l'emmenait dans la Jungle. Elle faisait demi-tour. Ce fut à cet instant que Grenouille se demanda, qui de Peter ou du Crocodile, lui faisait le plus peur.

~

– Stealth ? Je... Je crois que j'ai une idée.

Il stoppa son pas, contraignant la jeune fille à s'arrêter elle aussi. La cadence de la Cheffe des Éclaireurs était soutenue, athlétique, témoignant de l'expérience aguerrie qui avait hissé l'Ardente au grade de chef. Tout bouleversé d'avoir ainsi l'attention de sa supérieure, Grenouille poursuivit en tâchant de prendre un ton hardi :

– Il existe une baie par ici... Elle a une odeur délectable mais est très dangereuse. Wild m'en a parlé. Nous, ça nous tuerait. Le Crocodile, je ne suis pas sûr, mais ça peut le rendre assez malade pour qu'il nous laisse tranquille. S'il a mangé la couronne, il pourrait la régurgiter – je sais c'est dégouté – et il serait bien trop malade pour nous poursuivre. On pourrait réussir la mission. On peut le faire.

Il n'avait pas remarqué sa faute d'anglais. Il trouvait son discours aussi audacieux que convaincant. Ses yeux pâles scrutaient ceux, moins maladifs, de l'Ardente. La tentation de rentrer au camp était sacrément tenace. Mais tous deux savaient ce qu'ils risquaient.
Et puis... Ainsi arrachés à la mort, ainsi rescapés du danger, il semblait qu'un lien étrange nouait leur deux êtres. Grenouille n'avait jamais été très proche de Stealth. Trop soudée à Peter, trop puissante, trop flamboyante. Trop chef. C'était sa supérieure, point barre. A présent, même s'il peinait à le concevoir totalement, les choses avaient changé. Au moins un peu.

Grenouille esquissa un sourire crispé d'embarras. Ce n'était pas le moment de sourire, il le savait, il ne voulait certainement pas donner l'impression qu'il prenait tout ça à la légère. Grenouille ne prenait rien à la légère. L'inconscience contagieuse de Peter ne l'avait pas encore pénétré jusqu'à l'âme, contrairement à la plupart des Enfants Perdus. Il savait que la mort était grave, que la douleur était puissante, que la peur était fatale. Il savait, encore.

Il fallait qu'il réfléchisse. Il se posa sur une pierre et plaqua ses paumes contre ses tempes en fermant les yeux. S'il se trompait, leur sort était scellé. Et pas pour le meilleur. Si seulement Feather était là ! Elle aurait pu ébaucher un vague croquis, ses doigts de virtuose étant capables de reproduire toute forme, même les plus abstraites. Mais Feather n'était pas là. Wild non plus. Il fallait qu'il trouve le moyen de fendre la brume de sa mémoire pour retrouver ce souvenir, ce souvenir décisif.
Rouge. C'était rouge. Le jus était... violet... Non, noir, il était noir ! Elles poussaient près des endroits aqueux. Oui, il se souvenait. Près des endroits aqueux. Grenouille se souvint que la marre du Crocodile se poursuivait sous la terre pour donner lieu à une marre plus petite, plus limpide, non loin d'ici. Les bais étaient là. Elles ressemblaient à d'énormes groseilles rougeâtres, et leurs feuilles étaient couvertes de points blancs.

Toujours grelottant de froid, Grenouille retint les frissons qui menaçaient de l'ébranler et se redressa vivement. Il donna une description précise de la plante à Stealth, qui le considérait avec gravité, hochant la tête. Le Funambule observait le visage changé de sa chef. Plus pâle, plus tiré, comme... comme délavé. Ses cheveux rassemblés dans son dos n'encadraient plus son visage comme un brasier vif et chaleureux, même l'éclat de ses yeux s'était terni.
Pourtant, Grenouille avait vu l'Ardente affronter une foule de situations périlleuses, mortelles souvent. Elle était une archère hors paire, bien plus émérite qu'il ne le serait jamais. Lors des abordages, il ne l'avait jamais vu trembler. Alors, Stealth, Stealth la stoïque, qu'est-ce qui t'arrive ?
Grenouille n'osa pas le demander.

Brusquement, un son distinctif, entre le reniflement cacophonique et le rugissement bestial, s'éleva de la Jungle. Le sol se mit à vibrer, tandis que les oiseaux apeurés s'envolaient en gracieuses nuées. Grenouille lança un regard horrifié à l'égard de la cheffe des éclaireurs.

– Stealth... C'est lui... C'est le Croco, Stealth ! Il nous traque ! On n'arrivera jamais à le distancer !

A moins qu'ils ne trouvent, par un miracle improbable, un moyen de courir aussi vite que le vent, la gueule gigantesque du reptile les goberait avant qu'ils n'eussent atteint le prochain croisement.

Grenouille l'avait oublié.
Mac. L'impressionnant étalon que chevauchait toujours l'Ardente. Sa robe noble, d'un noir luisant et profond, déboula du chaos de la Jungle dans un bond gracieux. Mac. L'inséparable compagnon de Stealth. La puissance que l'animal dégageait était telle que le Funambule en était cloué, assommé.

Grenouille n'eut rien le temps de comprendre, rien le temps d'analyser. Les mouvements à la fois hâtifs et précis de sa cheffe l'entrainaient avant que sa pensée n'eût le temps de définir le sens des évènements qui se déroulaient en accéléré devant lui. Avec lui.
Son postérieur secoué, ses membres raides et sa tête en feu lui faisaient atteindre des sommets de douleur, mais l'adrénaline empêchait sa cervelle effrénée de l'alarmer. Il s'agrippait de toute sa force infantile au corps de sa supérieure, dont l'expression déterminée, fière et assurée bridait son propre affolement. Mais quand même. Il avait vraiment la frousse.
Au cœur des cahots, des secousses et des battements déchainés de son propre pouls, il finit par distinguer les contours tressautant de la marre. La marre pure et limpide, d'un bleu pâle comme celui de ses prunelles. Le cheval galopait si vite qu'à chaque tournant, Grenouille hoquetait de peur de foncer droit dans un arbre. Stealth, elle, semblait vouer une confiance inébranlable à son ami. C'était la toute première fois de sa vie que Grenouille montait à cheval.

Des craquements sonores résonnaient dans son dos, et le petit Funambule, alerte, finit par se retourner, sans cesser de s'accrocher à Stealth comme une tique sur un pelage de chat. Le Crocodile, fou de rage, décimait la flore en chargeant comme un taureau au sein d'une corrida.

Et d'un seul coup.
Le cri, l'ordre de Stealth. L'ordre des ordres, plus impérieux, plus essentiel que tous ceux qu'elle avait pu lui proférer depuis qu'il avait intégré sa faction. Attrape-le au vol.
Grenouille aurait bien voulu lui dire qu'il n'en était pas capable, qu'il ne pouvait pas, là, comme ça. Il était trop nul, trop petit, et trop malhabile. On ne pouvait pas lui confier une tâche si importante ! Non, non ! NON !
Mais il ne dit rien, il ne dit rien. Il n'avait pas le choix. Alors il ravala son angoisse, son manque d'assurance, il ravala ses mots et tendit son bras, puis tout son corps. Pour attraper cette maudite baie. Maintenant.

Ses doigts grêles se resserrent contre la tige qui porte les baies carmin. Grenouille tire, la plante résiste. Il insiste, étreint, tire encore. Les baies se détachent, admettant sa victoire. Il a réussi. L'action n'a duré qu'une fraction de seconde. Elle a semblé bien plus longue.

–   Ste-alth ! articula-t-il, tout secoué par la ballotements du cheval et bouleversé par son exploit. Tout n'était pas encore fini. Il-Il faut qu'on se hisse dans un-un arbre, le temps de tr-trouver comment lui mettre dans la gueule. Est-ce que-que Mac pourrait nous amener jusqu'à un-un grand chêne ? Je t'ai-aiderai à grimper et on pourra... lui... aïe ! Lui lancer les baies dans la gue-gueule après ! Ouh !

Comment pouvait-elle paraitre si son aise en une telle posture ? Lui, il n'en pouvait déjà plus.