Les ombres courent sur le sol, recouvrant même ce lieu qui paraît dénué de vie. A cet instant, Samurai ne se préoccupe plus de tels détails, de qui est réel et de ce qui ne l'a jamais été. Une ignorance bienvenue pour son esprit qui ne parvient pas à s'arrêter. C'est pour cela qu'il n'est pas rentré, que le soir tombe sans que le livreur ne laisse le ciel sombre le guider vers sa demeure. A quoi bon, puisqu'il ne serait pas en mesure d'y retourner de toute manière. Sur ce coup là, il n'a pas brillé par son intelligence, décidant de s'éloigner autant que possible du Grand Arbre. Il ignore les mystères du lieu, n'en connaissant que les rumeurs. Affronter un monstre géant ne serait pas une nouveauté, depuis la baleine.

Le sweatshirt qu'il porte pèse un peu trop lourd sur son dos, la capuche ne parvenant pas à totalement contenir sa chevelure détachée. Samurai n'est pas un guerrier en cet instant, seulement un enfant à l'esprit écrasé par une destinée qu'il a peut-être choisi sur un coup de tête. Pourtant, en fermant les yeux, il parvient à imaginer le champ de bataille, le tissu confortable de sa veste sur ses épaules (celle qu'il ne porte plus), et ses compagnons aux épées couvertes du sang de leurs ennemis. Le jeu évolue, se transforme en une réalité. Ses pieds heurtent des ossements à de nombreuses reprises, alors que Samurai refuse de voir le monde. Il s'amuse tant, malgré les chutes et les bleus, faisant semblant d'affronter une horde de créatures repoussantes pour le bien des siens.

Sekai no Owari est un peu lourde, lorsqu'il n'utilise qu'une main pour la tenir. C'est un signe qu'il ne craint aucun danger, et encore moins la nuit qui risquerait de le dévorer. Son souffle se fait plus rapide alors que le livreur tourne sur lui-même, jusqu'à ce que son épaule heurte une carcasse particulièrement imposante. Il rouvre les yeux. Le rire qui s'échappe de ses lèvres est un peu trop fort, témoignage du malaise qui avait consumé la grande partie de son cœur.

Les étoiles sont descendues du ciel visiblement, tandis que le perdu virevoltait dans sa danse solitaire. La créature est sublime, comme tirée d'un rêve. Peinte par un pinceau de constellations, quelque chose d'irréel. Sans doute est-ce un songe, un éveillé, comme ceux qu'on les gens dont l'esprit est dérangé. Le lion est un animal royal, n'est-ce pas ? Il ne se pose pas la question, n'a aucune envie de laisser la vérité envahir ses sens et les rendre inutiles.

La lame effectue un arc de cercle dans l'air, avant que le bout ne vienne se planter dans le sol poussiéreux. Il met un genou à terre, sa capuche glissant de sa chevelure pour dévoiler son regard brillant, quoique fatigué. En vérité, Samurai ne se sent pas si bien que ça, et la lourdeur de son corps n'est pas uniquement due à son jeu précédent.

« Seriez-vous à la recherche d'un guerrier pour défendre votre honneur ? » sa voix hésite, souffre de formuler ainsi ses pensées dans une langue qui n'est pas la sienne. « Lion-sama, je dois vous annoncer que je ne suis que… Perdu, » égaré ne lui revient pas, malheureusement. « Vous brillez comme le ciel lorsque les lumières sont éteintes, c'est joli. »

Est-ce que des règles existent, au sujet de se battre sous les étoiles ? Comment est-ce qu'il véritable combattant devrait réagir face à une créature bien plus impressionnante que lui ? Samurai n'a aucune intention d'entamer un duel, pas ce soir, ni pendant un moment. Couper les ombres et poursuivre ses propos cauchemars lui suffit amplement. Peut-être est-ce de la faiblesse, de ne se mesurer qu'à ce qu'on ne peut pas voir et encore moins battre. Ou bien de la bêtise.

Se redresser lui demande à un effort, de prendre appui sur le manche de sa tendre compagne. Son dos proteste, n'est pas entendu. S'il devait faire attention à la douleur chronique qu'il trimballe à ses côtés depuis toujours, Samurai ne serait pas en mesure d'exister pleinement. La poussière sur son genou ne le dérange pas. Pas plus que les nombreuses marques qui apparaîtront le lendemain sur ses pieds nus. Son regard clair hésite, passant du ciel à une carcasse pour finalement se poser sur la créature.

« Lorsque vous n'êtes pas en Harde, vous êtes vulnérables. »

La voix n'était pas attendue, malgré la magie de l'île. Son étonnement ne dure pas, remplacé par un hochement de tête un peu trop brusque. Après tout, il ne peut pas simplement partir en courant pour éviter le danger. Les livreurs n'ont pas l'autorisation de plier devant les volcans ou les lions. Oh, est-ce que Freckles connaît son interlocuteur, en tant que lionceau ? Dans le fond, ce n'est pas important.

« Je dois devenir fort par moi-même. C'est pour ça que je me suis éloigné, » il se défend, faisant glisser le fourreau accroché dans son dos pour y glisser Sekai no Owari. Un geste habituel qui est pourtant compliqué, avec les limitations de son corps brisé.

« Il est en colère contre moi, mon… L'étoile qui brille sur mon clan.  Je dois me racheter en trouvant ce qui ne va pas.»

Le lion baille, Samurai recule d'un pas.
C'est faible, de se laisser impressionner aussi facilement.

Alors, il tente se trouver du courage, enfonçant ses talons dans le sol. D'une main, il remet sa capuche sur sa tête, pour cacher son expression confuse. C'est devenu impossible de totalement s'égarer dans son ancien monde, le garçon le regrette.

« Lion-sama, qu'est-ce que la force pour vous ? »

La réponse ne lui convient pas, elle sonne plutôt comme une excuse. Une parole défaitiste qui sous-entendu qu'il n’accomplira jamais rien en premier lieu alors à quoi bon essayer ? Samurai ne peut que rejeter une telle possibilité. Son esprit est un peu comme ça pourtant, ces jours-ci. Prompt à vouloir le déstabiliser et lui faire croire qu'il n'a pas de valeur au sein des livreurs. Tout ça, c'est un mensonge. Il peut trouver ce qu'est la force, ce que ça signifie pour ceux qui ne sont pas nés avec.

«  Les Deux-Pattes comme toi ne sont pas forts. »

L'arrogance du maître lion n'est pas relevée verbalement. Cela serait un peu trop dur, dangereux aussi. Parce que même un guerrier (et il n'en est pas vraiment un) doit craindre d'offenser les dieux qui veillent sur lui. Sa tête tourne lentement, de droite à gauche. Même ça, c'est suffisant pour faire vibrer sa colonne vertébrale. La douleur ne peut pas se réveiller, puisqu'elle ne s'éteint jamais.

« Pour rentrer parmi les miens, il faudrait que je le mérite. Vous dites que je ne peux pas être fort, pourtant il y a des gens extraordinaires que je connais. » Samurai n'a guère d'assurance dans sa voix. L'illusion s'est brisée au point que la retrouver serait une perte de temps.

« J'ai vu mes amis se battre contre des monstres impossibles à vaincre, et revenir triomphants. N'est-ce pas de la force ? Vous êtes une créature divine, Lion-sama. Donc votre force est différente. »

C'est la première fois que cette notion le traverse. Un peu tardivement sans doute. Et le reste vient, naturellement. Les mots s'enchaînent dans son esprit tandis qu'il redresse la tête pour observer la créature. La capuche n'est pas un casque de guerrier, mais elle lui donne une fausse impression de protection.

« Une proie peut se défendre aussi, ne ?  Si elle fait ça, reste t-elle faible ? »

La poussière s'est accrochée à ses vêtements, remarque le garçon tandis qu'il attend une réponse. Sans doute que ne sera pas la bonne, pas une convaincante qui lui permettrait de résoudre ses soucis. Samurai a interrogé de multiple êtres au sujet de ce que représente son existence, n'obtenant jamais rien de satisfaisant en retour.

« Une Proie peut se défendre et s'échapper, mais elle restera Proie. Les choses sont ainsi. »

Faut-il alors se retourner, faire face à l'ennemi bien plus puissant avec l'espoir vain de lui faire mal ? Le garçon n'en sait trop rien. A la place, il fronce un peu les sourcils, son expression se faisant plus dure. Mêlée d'incompréhension également.

« Beaucoup sont à la fois Prédateurs et Proies. »

Ce n'est pas son cas. Il n'a jamais ôté la vie. Et, même en ayant le souhait dérangé de le faire d'une terrible manière, ça n'y change rien. Lorsque le lion majestueux s'éloigne un peu, qu'il saute sur le rocher, Samurai soupire. D'une main, il retire le fourreau accroché dans son dos, le laissant tomber sur le sol. Son corps suit, s'écroulant en arrière dans l'ossuaire, jusqu'à ce que les étoiles dansent dans son champ de vision.

« Comment vas-tu faire pour devenir fort ? »

S'il avait la réponse, tout serait si simple. Sa chute volontaire, en plein sur son dos meurtri, est une vengeance. Une façon de se rappeler qu'il est mortel, que son jeu a des limites qui deviennent parfois trop claires. Il préfère lorsqu'elles ne sont qu'une esquisse dont il ne distingue rien.

« Je l'ignore. Totalement. Je ne sais pas où se situe ma force, comment la découvrir. Ou la retrouver. »

La douleur s'étend, chauffant contre sa cicatrice pour se répandre dans tout son dos. Il ne le montre guère, outre sa respiration qui s’accélère un peu. Ce jour-là, est-ce qu'il a vu les étoiles également ? Brillaient-elles au-dessus de lui alors que tout s'effondrait ?

« Je voudrais juste être utile. Savoir me battre et ne jamais plier, Lion-sama. Mais c'est difficile. Impossible même. Mon corps a trop de limites. C'est comme si vous étiez un lion incapable de courir ou de bondir. »

Samurai ferme les yeux.

« J'aimerais bien être une étoile. Et briller tout autant que lui. »

La nuit est plutôt agréable, ou bien il se sent juste moins jugé lorsque les autres perdus sont loin. Le lendemain, il lui faudra certainement rentrer et se remettre au travail, ou bien affronter le courroux des mères et de son chef. Samurai n'est pas prêt à se confronter à un tel châtiment, pas tout de suite en tout cas. Un jour, peut-être qu'il s'éloignera plus longtemps, disparaissant comme le font certains pour revenir changés. Brisés aussi, souvent. Le garçon ne s'attarde jamais sur de tels détails.

« Debout. »

Samurai ouvre les yeux en sentant le contact contre son épaule. Une moue confuse s'affiche sur ses traits tandis qu'il se redresse. L'exercice paraît lui demander un peu trop de temps. Ce n'est cependant pas si compliqué. Le livreur a simplement besoin de faire attention, de ne pas trop pousser son corps. D'une main, il ramasse son arme, l'accrochant de nouveau dans son dos une fois debout.

« Lion-sama ? Qu'est-ce nous allons faire ? »

Finir dans l'estomac de la majestueuse créature ou revenir avec un membre en moins serait un chouilla difficile à justifier auprès de Freckles. Quoique le Lionceau a sans doute vu pire. La poussière est partout sur ses vêtements, forçant Samurai à passer ses mains sur le tissu pour en retirer le maximum.

Ses yeux tombent sur les étoiles qui glissent sur le pelage, et il émet un faible 'oh' devant leur beauté. Mains croisées derrière son dos, l'adolescent évite cependant de toucher. Histoire de ne pas perdre une main.

« Courir. »

Ici ? En plein milieu de l'ossuaire ? Sans chaussures ? Pas que Samurai en porte le reste du temps, mais tout de même. Le garçon se sent perdu face à cette demande. Ou est-ce un ordre ? Il ne se risquerait pas à aller contre le lion tout puissant. Son épée risque de le ralentir, de heurter son dos alors que ses jambes tenteront de le porter.

« Bien sûr, Lion-sama ! »

Un défi, donc. Samurai les apprécie, s'en nourrit même.

«  Sauf si tu veux que je te Chasse. »

Une perspective peu agréable. A la place, le livreur coure, démarrant sans réfléchir pour poursuivre le lion. Éviter les obstacles sur le sol n'est pas si complexe, tant qu'il ne va pas trop vite. La douleur ne s'atténue guère. Elle devient cependant secondaire tandis qu'il tente de rattraper le lion majestueux. C'est un peu comme de vouloir toucher les étoiles.

Ses lèvres se fendent en un sourire, tandis que ses jambes trouvent leur rythme. Un qui n'est pas aussi maladroit que l'on pourrait le croire.

« Je n'avais pas fait ça depuis longtemps, » il avoue, oubliant que crier en courant n'est pas une grande idée.

Ses poumons protestent vivement lorsque le lion décide de se perdre dans des bonds qui ont plus à voir avec un vol qu'autre chose. Son cœur s'emballe, ça lui fait mettre de côté les vibrations qui agitent son dos. Ce dernier n'a pas le droit de tout gâcher une fois encore. Tout comme les coupures sous ses pieds ne parviennent pas à l'arrêter.

S'il se lance de tout son être dans cette course dénuée de sens, alors Samurai est persuadé que son corps continuera sans s'arrêter. Tout du moins jusqu'à rencontrer un obstacle. La rivière en est un. Qu'importe que le gué lui permette de traverser sans crainte, la rencontre entre l'eau et le reste du Livreur se termine en une chute plutôt brutale.

Son genou rencontre le fond trop proche tandis que le gamin contemple son reflet, de la sueur coulant sur son visage. Le lion est-il encore là ? Il l'a perdu à un moment donné, sans s'en rendre compte et puis un bruit sourd a résonné. Ses mains plongent dans l'eau claire, et Samurai s'en asperge le visage pour se ramener à la raison. Tout fait mal, chaque partie de sa personne. Ce n'est pas une mauvaise sensation pourtant. C'est un truc qui lui donne l'impression d'être revenu à la vie.

La terre qui vole dans l'air un peu plus loin attire son attention. Sa voix ne sort pas, s'y refuse tant que ses poumons n'auront pas récupérés. A la place, sa main se lève, faisant un geste vers la créature couverte de poussière au loin. Est-il tombé lui aussi ?

Sans s'en rendre compte, Samurai se prend à rire.
Jusqu'à ce que ça se transforme en une quinte de toux.
Son corps a besoin d'une pause.

Peut-être qu'il s'agit d'un accident, que le lion s'est blessé lui-aussi, en se perdant dans cette course effrénée. Ou bien la créature majestueuse a tout planifié depuis le départ. Qu'importe la réponse, Samurai ne s'en soucie guère. Tout ce qui compte, c'est la manière dont ses doigts effleurent la surface de l'eau, y traçant des étoiles. Si semblables à celles que le garçon n'est pas en mesure d'atteindre.

« La douleur est supportable, » sa réponse l'étonne un peu. Une telle franchise est inhabituelle au sujet de sa condition. A quoi bon mentir, puisqu'il a geint plus tôt ? Prenant appui sur ses genoux, l'adolescent se relève. Sa tête se penche tandis qu'il tente de tester le niveau de résistance dans son cou et tout le reste.

Rien de bien grave. La quinte de toux est passée et la brûlure dans sa poitrine se fait plus distante dès qu'il inspire. Son mal chronique est autorisé à le ralentir mais certainement pas à lui interdire une telle course. Lentement, il revient vers son compagnon et le rivage.

« Et vous, Lion-sama ? » Il interroge tout en laissant ses yeux glisser sur le pelage étoilé.