La période de crise qui semblait avoir enveloppé l'Ile dernièrement semblait ne pas en finir. Rares étaient ceux qui n'en pâtissaient pas, et les robots, Rounard compris, en faisaient partis.
Ils ne manquaient pas de carburant (qui sait à quoi ils fonctionnaient depuis toutes ces années ?), n'étaient ni atteints par le froid, ni par le Givre. En soi, ils faisaient sûrement partis des mieux lotis.

Mais, au fond, Rounard s'inquiétait. Non pas pour lui, ni ses semblables, mais bien pour les petits humains de l'Ile : les enfants. Comment arrivaient-ils a survivre, dans ces conditions ? Ils devaient avoir eu tant de pertes dans leurs Camps.
Clover lui avait bien dit qu'un des Résistants, une Armurière dont elle n'était pas fichue de se rappeler du nom, était portée disparue depuis quelques temps déjà.

Et Soap ? Ne pas avoir de nouvelle de la jeune Récolteuse turlupinait réellement le Rapide. Jamais il n'aurait pensé que l'état d'une Garçonne Perdue à peine rencontrée lui triturerait autant l'esprit.
Mais elle était si gentille, si pure ! Ce serait vraiment dommage qu'une si bonne gamine périsse pour une chose dont elle n'est pas responsable. Un peu comme Scourge… oh, ils auraient tellement dû s'expliquer gentiment. Qu'est-ce qui lui avait donc pris ?

Enfin, ce n'était pas le moment d'y penser. Il ne pouvait pas rester focalisé sur le passé ad vitam eternam… Ses interrogations l'avaient même fait s'arrêter net sur son chemin.
Car oui, l'animatronique n'était pas dans un coin à se ronger les sangs, mais bien à la recherche de sa Récolteuse.
Il n'avait pas pu visiter entièrement le Camp des Réfugiés, la dernière fois. Alors, il y était revenu, avec la ferme intention de trouver celle qu'il cherchait.

Mais, pourtant, un bruit suspect le surprit, et il se vit obligé de faire un détour, s'éloignant un peu plus des limites du Camp. Qu'était donc ce bruit ? Des sanglots, les éclats de voix d'une discussion ?
Dans tous les cas, le renard Pirate ne mit pas bien longtemps à en trouver la source : une jeune fille aux cheveux châtain, visiblement une habitante du Grand Arbre étant donné ses vêtements, qui semblait en grande conversation avec quelque chose devant elle, et que le robot ne voyait pas.

Ce n'était pas Soap, mais qu'importe dans le moment présent : elle ne paraissait pas bien, et Rounard n'allait pas rester sans rien faire.
Il venait de sympathiser avec une des résidentes du Grand Arbre. Alors pourquoi pas une autre ?

- C-ç-ça n'a pas l'airrr d'aller… que se passe-t-t-t-il ?

Demanda-t-il de sa voix la plus douce possible.
Pas simple de paraitre sympathique pour un robot en si piteux état comme lui. Ses grandes dents, son look de Pirate de base et sa voicebox enraillée n'arrangeaient rien.
Surtout, que, le pire, c'est qu'il arrivait derrière la fille. Quelle vision de cauchemar elle aurait, si jamais elle se retournait !

Elle a crié. Prévisible, elle a crié. Qu'il soit arrivé par le nord, le sud, l'est ou l'ouest, elle aurait crié de toute manière. Que ce soit par surprise ou par peur de son apparence, elle aurait crié tout de même.
Rounard avait l'habitude, que les gens crient en le voyant. C'était un peu triste, quand même.

L'un comme l'autre, actuellement, ne bougeaient plus. C'était quelques peu lamentable, mais aucun ne semblait savoir que faire dans l'instant présent.

- Erm...

Laissa échapper Rounard de sa voix éraillée, sans réellement s'en rendre compte, alors qu'il regardait distraitement le chemin de l'écureuil qui vint se poser sur l'épaule de la fille l'air de dire "tu l'approches, je fais un malheur".
Il n'avait visiblement pas la notion de taille.

– Que… quoi ?

Il volait haut, ce début de conversation.

- Je... je...

Mais alors, vraiment haut.

Le renard robotique n'osait plus bouger de peur de faire décamper la Garçonne. Elle, elle devait être tout simplement paralysée par la peur.
Quelle belle brochette d'idiots c'était ! Ça avait tout de même un petit quelque chose de comique.

- T... tout va b-b-bien ?

Bugga l'animatronique, dans le sens propre du terme comme au figuré.
Il se tenait toujours immobile, ses paupières de plastique cliquetant à intervalles réguliers alors que ses yeux jaunes étaient rivés sur l'adolescente et son animal.
Seule ses pattes se levèrent un peu pour venir se placer devant lui, comme pour dire qu'il ne voulait aucun mal.

Elle allait peut-être prendre les jambes à son cou, qui sait.
Ce n'était évidemment pas ce que le Rapide voulait -au contraire, il l'avait abordée pour l'aider !- mais à ce rythme là, c'était probablement ce qui allait se produire.
Tu parles d'une tentatives de réconfort !

Non, ce début de discussion ne volait décidément pas bien haut. Rounard avait encore des progrès à faire en ce qui concernait sa manière d'aborder les jeunes.
C'était tellement plus simple jadis, lorsqu'ils venaient à lui et qu'il n'avait pas le réel besoin de quitter sa scène.
Et dire que maintenant, il parcourait mont et vallées pour s'assurer, de loin, que les gamins allaient bien.

Bon, certes. Là, ils n'était pas si loin de son interlocutrice.
Mais ça allait, avec Soap, non ? Alors pourquoi ça n'irait pas avec elle ?

- Je suis… juste fa, fatiguée.

Logique. Qui ne le serait pas, dans une condition pareille ? Enfin, c'est ce que le Rapide se disait, parce qu'entre un humain et un robot, les différences étaient flagrantes.
Il essayait franchement de se mettre à leur place, de se dire ce qu'ils pouvaient endurer. Peut-être pourraient-ils ainsi se rapprocher.
Franchement, c'était vraiment parti d'une bonne intention !

- Toc -

Dans un grincement de métal, le renard Pirate s'abaisse afin de voir ce qui a provoqué ce bruit sur sa carcasse.
A ses pieds, l'écureuil, visiblement tiraillé entre la curiosité et la méfiance. Les oreilles de l'animatronique ont un petit mouvement sec, indescriptible, alors qu'il observe la frêle boule de poils.

Son comportement un peu trop aventureux ne plait visiblement pas à son humaine, qui le réprimande simplement en prononçant son nom.
Nouveau tiquement d'oreilles.

- Attila ?

Son ton était clairement amusé.
Une pause, le temps de bien observer la bestiole. Le nom avait de quoi faire rire le renard. Qu'est-ce qu'un écureuil pouvait bien avoir à envier à un Roi ?

- Un bien grrrand nom pour un si-un si-un si petit gabarit…

Fit le robot, goguenard, relevant les yeux vers l'habitante du Grand Arbre en face de lui. S'il pouvait lui sourire, il le ferait. Cela faisait bien longtemps que quelque chose ne l'avait pas réellement amusé.
Et il doutait fort que le rongeur, une si petite chose, ait assez d'esprit pour comprendre que Rounard se moquait ouvertement de lui.

Malgré son ancienneté apparente, Rounard semblait avoir encore bien des choses à apprendre. Comme se méfier des apparences, en somme. Ou, qu'un petit écureuil, sur une Ile pareille, peut probablement être comparé à un grizzly.

- … oh.

Le Rapide, malgré son surnom, n'eut même pas le temps de bouger alors qu'il se faisait escalader par l'agile rongeur, qui fit par lui atterrir sur le bout du museau.
L'animatronique loucha sur le poids plume en un claquement de billes de plastique jaunes. Même son cache-œil se releva pour mieux aviser la petite Créature...

– Attila ça suffit !

… que la jeune fille retira presque aussitôt, avec un peu de mal, semblerait-il.

– C'est peut-être un petit gabarit, mais sa force dépasse largement sa taille…

Expliqua-t-elle, avant que ce dernier ne démontre ses propos en direct, lui assénant un violent coup de patte postérieure qui coupa le souffle à sa propriétaire qui le lâcha sur le coup.

- Iiiim… prrressionnant ?

Fut tout ce que trouva à dire le robot, le regard posé sur la Perdue qui se désolait de sa relation avec l'écureuil.

- C'est de ma f-f-faute... je n'aurai pas du faire de-faire de-faire de remarque…

Ajouta Rounard, s'accroupissant en un grincement de vérins pneumatiques devant l'écureuil.

- Désolé, Attila…

Puis, il relève la tête, s'adressant cette fois à la Garçonne Perdue.

- Et désolé, ermmm… jeune fille ?

Bien tenté. Mais il est vrai qu'ils ne s'étaient toujours pas présenté, et le Rapide ne connait jusque là que le nom de l'agressive boule de poils miniature.

- Rounard.

Se présenta simplement le robot, donnant deux petits coups de patte (main ?) sur son torse. Ca suffira de son côté. Il n'y avait rien à savoir de plus.
Surtout pas les accidents passés.

Caroline.
Ça, c'est un nom de Mère à ne pas s'y tromper. Ça sonne comme tel, du moins.
Le fait est que, malgré le fait qu'il en avait vu passer, des Perdus, il n'avait toujours pas compris la différence entre les Mères et les autres.
Pour lui, qui sait si la notion "d'ombre" avait une quelconque signification ?

- Enchanté, C-C-Caroline.

Trouve-t-il bon d'ajouter, sur un ton qui se voulait poli. Jusque là, tout se passait bien, alors pourquoi ne pas continuer sur un si bon chemin et rester cordial ?
C'est que le renard mécanique ne prête même plus attention à la fougueuse boule de poils, qui paraissait bien intriguée et tournait autour de lui, tapotant ici et là en se demandant probablement à quel genre de sorcellerie elle faisait actuellement face.
Même les reproches de sa maîtresse -vu l'autorité de cette dernière, on pouvait d'ailleurs se demander qui était le maître de qui- ne paraissaient pas atteindre l'écureuil, qui continuait de faire le tour du propriétaire en ignorant royalement ce qui lui était dit.

– … je suis vraiment désolée.

- Ce n'est rien...

Le Rapide n'était pas mécontent qu'un humain ou un animal s'approche de lui, de temps en temps. Lorsqu'il abordait autrui dans le plus grand des calmes, il semblait même presque attirer la sympathie.
C'est une bonne chose. Mais il est vrai qu'il ne se trouve pas au Parc, ce n'est pas son territoire, il n'a rien à défendre. Or, quand il défend ce qui lui appartient, il a plutôt tendance à montrer les crocs.
Ça fait fuir les gens. Quoique. Soap était restée, elle.

– C'est la première fois que je vous vois par ici… c'est le givre qui vous a obligé à bouger vous aussi ?

Demanda soudain Caroline, visiblement encline à faire la conversation. Qu'il en soit ainsi ! S'il lui répondait, cela lui changerait les idées, à lui comme à elle. Comme ça, elle ne pleurera plus comme au début, si elle pense à autre chose.
Et lui, ça le rassurerait. Car oui, le grand méchant Rounard devait bien l'admettre; il ne supportait pas de voir un enfant pleurer, peu importe son âge. Le bruit des sanglots et les larmes qui coulent lui rappellent trop de mauvais souvenirs d'événements qu'il aurait préféré ne jamais vivre.

- Du tout... Nous, rrrobots, paraissons immu-immu-immunisés au Gel... j'étais juste venu pour voir si... tout allait bien de v-v-votre côté...

Comme cela lui fait étrange de dire ouvertement qu'il s'inquiétait pour autrui... cela fait même tourner la tête au robot, qui tentait d'éviter le regard de son interlocutrice.
S'il avait pu, il aurait probablement rougi.

- J'ai plus tendance à res-à res-à rester aux alentours de votre Arrrbre... pour aider une des vôtres restée sur place... je... je lui-je lui-je lui dois bien ça...

Expliqua plus amplement l'Enchanté. Il est vrai que Clover, bien qu'étant désagréable, leur était d'une grande aide avec sa passion pour la mécanique.
Elle était après tout devenue la mécano autoproclamée des animatroniques du Parc... et ceux-ci le lui rendaient bien. Du moins, pour ceux qui étaient restés actifs.

- Et vous... vous... t-t-tenez le coup ?

Ose-t-il après un court silence, tenant à continuer de lui-même la conversation si bien entamée. Le renard Pirate robotique bute presque sur chacun de ses mots; ce n'est pas si facile de se soucier des autres alors que l'on a du mal à instaurer le contact... il doit être si maladroit.

Les oreilles du robot se dressent à la mention d'habitudes perdues. Ça lui rappelait la Pluie... lui qui était presque constamment dehors, s'était retrouvé du jour au lendemain à faire les 100 pas dans le restaurant, tournant comme un lion en cage.
Il avait vu les dégâts que pouvait faire l'eau au contact du métal. L'un d'entre eux s'en était retrouvé totalement paralysé avant que Clover ne lui vienne en aide. Et depuis, ce dernier semblait s'être brutalement pris d'affection pour elle.

Pourtant, si ses habitudes n'avaient pas été chamboulées, qui sait s'il aurait pu faire la connaissance de Soap ? Et si cela n'avait jamais été le cas, il n'aurait même pas daigné s'aventurer près du Canyon pour espérer la revoir... et par conséquent, il ne se serait jamais retrouvé à discuter avec Caroline en ce moment même.
Quelle réaction en chaîne...

– Dîtes, est-ce qu'à l'Arbre vous avez vu Clover et Meteor ? C'est mes enfants, je… je m'inquiète.

Un peu surpris d'être sorti de ses pensées par un nom qu'il ne connaissait que trop bien, Rounard cligne des yeux en de petits cliquètements réguliers. Ses oreilles frémissent.

- Cloverrr, dis-tu ?

C'est dit si vite que sa voicebox endommagée n'a même pas eu le temps de buger. Pauvre enfant. Devoir veiller sur une humaine aussi bornée et soupe au lait que Clover ne devait pas être facile tous les jours.
Elle avait bien du courage.

- Je... je ne connais pas l'autre mais...

C'est plus fort que lui. Le Rapide se coupe lui-même en plein milieu de sa phrase pour s'accorder un soupir sincère, à mi-chemin entre fatigue et exaspération.

- Disons qu-qu-qu'elle rrreste fidèle à elle-même... parfois-parfois-parfois j'aimerai qu'elle s'arrête un peu de bouger...

Avoue finalement l'animatronique, appuyant ses dires d'un regard las.
Forcément, lorsque l'on décide de fabriquer des meubles et machines de grande taille comme elle avait l'habitude de le faire ces derniers temps, il lui fallait bien un coup de patte des robots pour l'aider à transporter le tout.
Évidemment, c'était sur lui que cela tombait, ainsi que sur Salem. Elle ne leur laissait aucun répit !

- Vois-tu le poêle dans votre-dans votre-dans votre campement ? C'est elle qui l'a fabrrriqué...

Et le déposer n'avait visiblement pas été aussi simple que prévu, apparemment. Du moins, c'est ce que lui avait rapporté la blonde lorsqu'il avait daigné les rejoindre après sa petite escapade au Camp !

Visiblement, apprendre que Clover construit des choses pour les emmener au Camp n'a pas l'air de réjouir la brune. Rounard se sentirait presque idiot d'en avoir tant dit. Mais bon ! Si elle savait...

- Eh bien... elle ne-elle ne-elle ne l'a fait qu'une seule fois... Crrrois-moi, elle ne vient pas souvent i-c-c-ci.

Fit nonchalament le renard Pirate, en un haussement d'épaules grinçant. Il est vrai que c'était Salem qui l'avait le plus forcé à emmener la première version de son poele aux Réfugiers, en premier lieu.
Quant à Clover... autant dire qu'elle s'en serait bien passé. Surtout qu'il y a apparemment eu une altercation avec une fille du Camp. Mais bon, encore une fois, le Rapide était plus loin, et ce n'était pas ses affaires...

– Ils sont bien installés à l'Arbre au moins ? J'espère qu'ils viendront nous rejoindre si ça va pas…

- Rien à signaler p-p-pour l'instant...

Fallait-il lui dire que la blonde râlait pour un oui pour un non sur tout ce qui pouvait bouger ? Probablement que non. Cette fille devait assez bien la connaître pour s'en douter d'elle-même... la magie des "Mères", comme ils appellent ça au Grand Arbre, sans doute ? Elles avaient difficilement l'air évitables... bien que Clover n'en parlait pas beaucoup.
Elle préfère se plaindre de ce qui ne va pas, pour ainsi dire. Peut-être s'entendait-elle bien avec Caroline, raison pour laquelle elle ne l'avait pas encore mentionnée devant lui ?

Si Rounard pouvait sourire, il l'aurait fait, en réponse à la remarque de son interlocutrice, faite seulement à demi-mot. La façon dont elle posait vivement des questions à propos des Artisans en disait long sur elle : elle avait l'air de beaucoup tenir à eux. C'était probablement le genre d'attitude que l'on attendait d'une Mère.
On a tendance à vouloir savoir comment vont les personnes dont on est proche, et cela, même lui, un simple robot, le comprenait. N'avait-il pas accepté de faire tout ce chemin en partie parce qu'il voulait en profiter et revoir Soap ?
Tout ne s'est pas passé comme il le voulait, finalement.

- Ne t'en-ne t'en-ne t'en fais pas... mais si tu t'inquiètes, je peux t'emmener là-bas quand tu le désires. Je crois que je vais avoir tendance à t-t-trainer dans les parrrages pendant un moment...

"Jusqu'à trouver Soap", avait-il envie de rajouter, mais même pour lui, cela ne se faisait pas de parler de quelqu'un d'autre à une personne que l'on venait à peine de rencontrer.
Cela revenait à dire "je cherchais quelqu'un et tu es tombée sur mon chemin", et à entendre, c'était assez déplaisant aux yeux de l'animatronique.
Mais il ne regrettait rien ! Caroline étant de plutôt bonne compagnie, il se mettait même à agir naturellement en face d'elle... et ça lui faisait un bien fou.