Le rapport de Jack avec son départ du Grand Arbre était étonnamment complexe pour l'énergumène. D'un côté, il n'avait pas choisi de partir, et ne l'avait pas particulièrement bien vécu : c'était qu'il appréciait sincèrement sa vie de Garçon Perdu, à l'époque. Et par là-dessus, il avait toujours trouvé la raison de son bannissement particulièrement injuste. Il n'avait pas compris, et ne comprenait toujours pas, ce qu'il y avait d'adulte à vouloir manger à sa faim. À ses yeux c'était même plutôt l'inverse : il n'avait pas de souvenir précis à ce sujet mais il avait une vague impression que se priver pour laisser les enfants manger, ça c'était un truc d'adulte.

Donc oui, on pouvait légitimement dire que Jack était salé sur le sujet.

Mais d'un autre côté, se retrouver au Port puis à la Ferme avait été la meilleure chose à lui arriver. Il s'était épanoui dans cette nouvelle vie encore plus qu'il ne l'avait fait à l'Arbre.

Conclusion : tout ceci était compliqué, et généralement il évitait de trop y penser. Mais son idole avait demandé, et il se devait donc de lui répondre.

– J'étais Enfant Perdu, oui ! dit-il donc avec un hochement de tête emphatique. J'étais Récolteur. L'Arbre c'était super, j'étais absolument ravi d'être là ! Mais je me suis fait bannir parce que j'avais un jardin potager... Il paraît que seuls les adultes font ça, expliqua-il d'un ton boudeur absolument pas discret. Moi j'ai jamais compris pourquoi vouloir manger c'était un truc d'adulte, enfin je veux dire, évidemment que j'étais Récolteur donc je ramenais des trucs, c'était mon rôle, mais pourquoi j'aurais dû  forcément ramener des trucs d'absolument n'importe où sans savoir ce que j'allais trouver alors que je pouvais juste faire pousser mes légumes ? C'était même pas ennuyeux, c'était rigolo ! Et comme ça on était sûrs de pouvoir manger !

Une pause, un soupir.

– Mais bon. Truc d'adulte. Du coup maintenant je suis à la Ferme du Port, je fais pousser tous les légumes que je veux, et c'est chouette ! J'ai détesté me faire bannir, mais au final je crois que ma vie est encore meilleure à la Ferme qu'à l'Arbre. On m'aurait dit, j'y aurais pas cru, conclut-il dans un impressionnant accès de lucidité.