Ces derniers temps, Eileen avait plus de moments pour elle que d’ordinaire. Profitant d’une baisse d’activité au Bureau de Tabac et du fait que son frère était -contrairement à elle- très occupé par son travail, elle avait pris quelques jours pour traverser l’Île et rendre visite à ses amis natifs vivant à proximité du Canyon Rouge.
L’aller s’était très bien passé. Elle avait pu avoir de la compagnie sur une partie de son chemin et s’était bien assez accommodée de la solitude lorsqu’elle campait près du clan de l’Ours pour ne pas s’ennuyer durant son voyage. De plus, elle avait appris à bien mieux manier son arme depuis ce moment-là, même si la diplomatie restait son outil de prédilection.
Passer rien qu’une journée parmi les Piccaninnys la ressourçait autrement. Dawn était un passé qui n’appartenait qu’à elle, une aventure qu’elle avait entreprise seule. Avec le soutien constant de certains, humains comme créatures à qui elle devait beaucoup, mais il s’agissait d’une période de sa vie où elle s’était construit un jardin secret, qu’il lui plaisait de revisiter.
Le retour s’annonçait plus compliqué. Espérant faire au plus vite -elle n’avait pas l’intention de partir plus de deux jours, et n’avait ironiquement pas vu le Temps passer- la Diligente avait fait le pari de s’introduire dans le Labyrinthe Infesté. Un raccourci, initialement.
Elle avait entendu des récits -de Perdus, mais pas que- sur ce lieu. Elle était prudente, maligne, armée, et s’était convaincue que cela suffirait. Elle n’avait pas de temps -aussi inexistant soit-il- à perdre. Et puis, tant qu’elle restait éloignée des murs et trouvait la sortie avant la fin du jour, elle devrait s’en sortir, non ?
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« Galar an bháis ort... » maugréa la jeune femme en essuyant sa lame sur le tissu de sa robe : elle ne savait pas si toutes les créatures de cet endroit étaient effectivement venimeuses comme les histoires le racontaient, mais elle n’avait pas l’intention de chercher à vérifier. Mieux valait une lame propre qu’un risque d’infection par coupure. A ses côtés gisait le cadavre de ce qui ressemblait à s’y méprendre à un énorme moustique, heureusement bien plus lent que son minuscule cousin. Il lui avait foncé dessus plus qu’il n’avait vraiment cherché à la combattre, mais quelque chose lui disait qu’il s’agissait plus d’un mauvais présage que d'un coup de chance.
Eileen soupira, continuant son chemin en tentant de son mieux de faire fi des fourmillements qu’elle pouvait entendre de chaque côté des parois, fond sonore qui la poursuivait depuis son entrée. S’en détacher lui permettait de mieux se concentrer sur tout bruit qui pouvait en différer -et donc être bien plus dangereux. Sa main droite tenait fermement son épée mais sa gauche n’était pas loin de la dague pour le moment encore rangée à sa ceinture. Heureusement pour elle, elle avait été bien entraînée.
Déterminée à trouver la sortie -ce n’était pas comme si elle pouvait rebrousser chemin à présent- la jeune femme continua sa route, empruntant un long corridor jusqu’à arriver à un embranchement. Face à elle, les ronces foisonnaient d’insectes plus hideux les uns que les autres. Alors, gauche, ou droite ?
Un nouveau bruit attisa son oreille. Étaient-ce... des pas ? Humains ? Fallait-il fuir ou au contraire aller à leur rencontre ? La Diligente fronça les sourcils. Aucune des options ne lui paraissait enviable, mais elle n’était pas contre un partenaire potentiel. Elle prit donc la direction des bruits de pas.
« Nách mór an diabhal thú... »Elle le reconnut rapidement : le second du Capitaine faisait partie de ces hommes dont on lui avait dit de se méfier, ceux qu’il valait mieux qu’elle évite. Un roulement d’yeux lui échappa alors qu’elle repensait à tous ceux qui lui avaient fait cette recommandation : dans un cas comme ça, même son pire ennemi pouvait être un allié, non ?
Gardant ses distances, mais baissant son arme pour tâcher de montrer qu’elle n’avait pas l’intention de l’attaquer, Eileen adressa un signe de tête à l’autre humain.
« Monsieur Smee. » En temps normal, elle ajouterait une phrase toute faite sur le plaisir de leur rencontre, mais les conditions n’étaient pas vraiment réunies pour cela.
Un part d'elle espérait que la Mouche trouverait également l'instant trop critique pour la reconnaître, elle et ses liens de filiation dangereux auprès des pirates originels, notamment les plus Givrés d'entre eux.