« Rain m’a parlé d’un livre à mots ? Avec le sens pour chacun ? Un di—dic-aw? On en a pas, mais si j’en trouve un, ça serait trop bien. »
« Un dictionnaire ? »

Elle fait une moue. Impossible à trouver, elle en est sûre. Les livres sont une denrée rare sur l’Île, éparpillés entre le Grand Arbre et le Port, pour la plupart emmenés par des garçons perdus qui avaient la place et la présence d’esprit de les prendre avec eux lorsque Peter Pan s’est pointé à leur fenêtre. Les livres qui échouent sur le rivage sont gorgés d’eau, leurs pages déchirées et l'encre effacée. Le Pays de Jamais manque cruellement d’écrivains, se dit Shark, pensive, avant de de conclure qu'une armée de romanciers ne réglerait pas le problème du dictionnaire.

« On doit être le type de livre où la fin n’a pas été écrite, avec plein de chapitres aux pages sans rien dessus, c’est comme si on tenait une plume juste pour nous-même. »

Shark lève un sourcil pensif. Que de poésie. Mais c’est elle qui a commencé, après tout.

« Bien sûr, je pourrais te le passer, je vais faire de mon mieux pour y arriver. » dit Sky, et elle lui sourit. Il reprend : « Quels sont tes livres préférés ? Tu voudrais bien m’en parler, s’il te plaît ? »
« Bien sûr », fait-elle après une hésitation.

Elle sent au fond d’elle que Sky se force un peu, ou alors qu’il fait au moins des efforts pour faire tenir cette conversation, qui tient très bien toute seule. A leur grand étonnement, probablement. Et elle comprend. C’est bien, de pouvoir parler librement, avec quelqu’un qui est comme soi. Mais Shark se rend compte qu’elle n’a pas de vraie réponse.

« Je n’ai pas vraiment ... », commence-t-elle en se mordant la lèvre. « de préféré. Je lis n’importe quoi. C’est peut-être bizarre, mais c’est vrai. J’aime juste lire parce que ça passe le temps et que ça me fait me sentir bien. »

Elle tapote son crane du bout des doigts, comme pour imager. Oui, ça la fait se sentir bien, et intelligente en plus, ça lui fait apprendre plus vite, ça aiguise son esprit, tout ça.

« Les histoires dedans, je m’en fous un peu », elle admet. « Les personnages, aussi. Je préfère juste quand c’est bien écrit. Zeb ... »

De nouveau, une hésitation, un froncement de sourcils, elle ne sait pas trop comment appeler le Charpentier quand elle ne l’a pas en face. Quand elle l’a en face, elle l’appelle pas, elle le vouvoie et c’est tout.

« Zeb Skelton m’a prêté quelques livres. J’ai lu l’Île au Trésor. Ça parle de pirates, et tout. Un peu cliché pour nous, je suppose. Je ne peux pas vraiment te promettre de te le prêter puisqu’il n’est pas à moi. Mais bon. »

Elle s’apprête à parler de la bibliothèque du Port. Il y en a une, non ? Mais elle se rappelle, que lorsqu’ils pourront rentrer, Sky ne fera plus partie de leur groupe. Si tout va bien en tout cas. Alors elle se tait.

Exactement, un dictionnaire ! Un trésor d’une valeur inestimable qui pourrait devenir une quête de vie pendant son apprentissage. Shark connaît le terme, ça lui fait plaisir—toute leur discussion est un baume au cœur dont il ignorait avoir besoin. Sa maladresse de gamin qui veut bien faire n’est pas si terrible, bien qu’il aimerait la contenir un minimum histoire de ne pas embêter Shark.

Concentré, il écoute la réponse—un peu étonné aussi, que leurs raisons soient si différentes. Les histoires, c’est exactement ce qui l’attire, plus que la forme. Il y a une telle richesse dans le fait de s’imaginer auprès des personnages, à attendre une nouvelle arrivante à l’orée d’un champ, petite charrette qui avance péniblement dans le chemin rongé par la pluie et les années.

« C’est plus agréable d’être avec un livre que seul avec ses pensées, je trouve. Moi ça me fait ça, mais ma situation n’est pas très cool. » Lire, c’est une des rares activités qui ne fatigue que ses yeux et pas tout son corps. Au début, il galérait à comment se placer pour être confortable, comment tenir le livre et tourner les pages avec la même main.

« J’inventais des histoires avant, de mon pays, c’était des mensonges—je n’ai rien vécu de bien quand j’étais plus jeune, rien que je veuille raconter. Et dans les livres, c’est pas non plus la vérité tout en étant pas un mensonge ? C’est comme rêver éveillé. C’est ce qui est sympa, d’aimer lire pour des raisons différentes. »

A la mention de Zeb, Sky paraît réfléchir, uniquement pour qu’un masque neutre ne se glisse ses traits. S’il a entendu le nom, ça ne lui dit pas grand-chose à cet instant précis. Les pirates ont des noms tellement longs à rajouter un truc à la fin. Quel intérêt, vraiment ? Si t’es machin t’as pas besoin d’être machin truc, ou Mr machin, ou pire encore machin-machin.

« Pas grave, » l’Injuste comprend du sous-entendu, pour une fois, pas la peine de débattre sur son hypothétique date de départ, « est-ce que tu crois qu’il y a des gens qui écrivent des livres sur l’île ? » Un jour, ça lui plairait, d’en rédiger un.

« C’est plus agréable d’être avec un livre que seul avec ses pensées, je trouve. Moi ça me fait ça, mais ma situation n’est pas très cool. »

Elle hoche la tête en signe d’approbation même si être seule avec ses pensées, ça la dérange pas tant que ça. Sky met des mots sur sa situation avec beaucoup de candeur. Une situation pas très cool… Oui, aucune de leur situation n’est très cool. Elle ne s’enquiert pas souvent de la blessure du livreur. Peut-être qu’elle devrait. Elle ne pense pas beaucoup aux autres.
Shark écoute ce que raconte Sky, en hochant la tête encore, s’imaginant dans quel état d’esprit il faut être, pour inventer toute une vie pour se rendre plus intéressant. A une autre époque, elle aurait trouvé ça ridicule, peut-être même pittoyable. Elle essayait si fort de ne pas se faire remarquer, rentrer dans les clous. Maintenant, même si elle ne comprend pas, et qu’elle ne comprendra jamais, elle peut au moins essayer.
Sky est un gosse. Les gosses inventent des vies.
Elle a jamais été un vrai gosse.

« Est-ce que tu crois qu’il y a des gens qui écrivent des livres sur l’île ? »

Elle prend le temps de réfléchir, au moins une seconde.

« Je n’en connais pas. »

Et puis elle comprend l’implication, à demi-mot.

« Pourquoi tu en écrirais pas, toi ? » Elle ajoute : « Tu dis que tu inventes des histoires, autant les écrire. Et puis ça t’entrainerait, même si ton anglais n’est pas parfait. Si tu écrivais un livre, je le lirais, en tout cas. »

Elle a dit ça pour lui faire plaisir, bien sûr, mais au fond, elle n’a même pas besoin de mentir, parce que c’est vrai.

Si on souhaite écrire, ça doit forcément être pour quelqu’un non ? Pour laisser une trace, ou juste voir un visage changer au fil des pages, les sourcils qui se froncent et un petit ‘oh’ au bord des lèvres à la conclusion. Sky aimerait bien narrer quelque chose, juste pour voir ce que ça fait. Pour l’instant, il galère encore à lire, donc c’est pas pour demain.

« Au moins je suis droitier, » qu’il plaisante sans grand amusement, uniquement un truc qui sonne presque désabusé ; certains soirs, il ne reconnaît plus cette partie de son corps, la fixant comme s’il s’agissait d’une absence provisoire et incongrue, « Une fois que je pourrais lire, écrire serait cool. »

Il dit beaucoup ça en ce moment ‘cool’. Un besoin de changer son vocabulaire, de se défaire d’une ancienne identité qui le rend malade rien qu’à y penser.

« Qui sait, peut-être que ce livre, je pourrais le commencer à l’Arbre et le terminer au Port, » son regard se redresse, un sourire qui a un truc de mordant sur ses lèvres. Rien n’est définitif, pour Sky, pour un quelconque avenir.

Il a la nausée, juste un peu—entre son traitement et les choix qui s’enchaînent, bons ou mauvais, Sky n’est pas certain de ce qui ne va pas. Tout, probablement.

« Tu as décidé d’un nouveau nom ou pas encore ? Dans les livres, au tout début ou à la fin, j’ai remarqué qu’il y avait parfois des—je ne connais pas le terme, des mots pour quelqu’un ? Est-ce que ça se dit ainsi ? »

Quitte à écrire un ouvrage, à s’y investir, autant mettre le nom de celle qui aura suggéré le projet quelque part, nan ?

« Au moins je suis droitier. Une fois que je pourrais lire, écrire serait cool. »

Shark hoche la tête doucement en lorgnant sur l’espace vide là où devrait se trouver l’avant bras gauche de Sky. Elle n’a jamais fait de commentaire là dessus, et c’est rare qu’il en fasse aussi. Pourtant, c’est la raison pour laquelle il est au Ranch, non ? A sa place, elle le vivrait mal. Mais elle n’est pas à sa place.

« Qui sait, peut-être que ce livre, je pourrais le commencer à l’Arbre et le terminer au Port. »

Elle lui offre un sourire un peu incertain ?

« Dans ce sens ... ? »

Quelque chose dans le sourire de Sky la dérange. Il prend les choses trop à la légère pour elle. Ce qu’elle a décidé est irréversible, et grave, et terrible. Et lui, imaginer la même chose pour lui, ça le fait sourire.

« Tu as décidé d’un nouveau nom ou pas encore ? Dans les livres, au tout début ou à la fin, j’ai remarqué qu’il y avait parfois des—je ne connais pas le terme, des mots pour quelqu’un ? Est-ce que ça se dit ainsi ? »

Il lui demande encore un terme mais cette fois elle sait pas. Enfin, elle les a bien vu, les notes de premières pages, mais elle les lit jamais. Certaines sont des petits poèmes, d’autres de sobres « à ma mère », « à son frère », bref des choses qui lui parlent pas tellement à Shark.

« Je sais pas ... » Elle réalise qu’elle répond à ses deux questions en même temps. « J’y ai pas encore réfléchi. C’est difficile, les noms. C’est important. Je garderai pas Azami. J’ai pas l’impression que ce nom est vraiment à moi. Même s’il m’a aidé. »

Moriko se vexerait-elle ? A un autre moment, elle s’en serait vraiment inquiétée. Mais depuis qu’ils sont au Ranch, Moriko l’a laissée s’éloigner, ou alors c’est elle qui s’est éloignée, Shark n’est pas sûre. Mais elle n’a plus l’impression d’être sous la responsabilité de son ancienne sauveuse.
Et donc ce nom, elle y plus trop le droit.

« Ni quelque chose qui ressemble à Shark », songe-t-elle à haute voix. « J’aimerais bien quelque chose qui vienne de chez moi. »

Elle hausse les épaules comme pour se débarrasser de l’affreux sentimentalisme qui s’y est déposé.

« Comment tu choisirais ? »

Ni l’un ni l’autre n’a encore percé tous les secrets que renferment les livres et leur composition. Tant mieux, Sky espère ne jamais manquer de mots à apprendre, de trucs pour remplir son corps qui lui paraît aussi vide qu’une épave rongée par l’eau salée.

« J’y ai pas encore réfléchi. C’est difficile, les noms. C’est important. Je garderai pas Azami. J’ai pas l’impression que ce nom est vraiment à moi. Même s’il m’a aidé. »

Azami, qu’est-ce que ça signifie déjà ? Il y a des moments où sa langue maternelle file entre ses doigts restants, pour revenir un peu après.

« Ni quelque chose qui ressemble à Shark », songe-t-elle à haute voix. « J’aimerais bien quelque chose qui vienne de chez moi. Comment tu choisirais ? »

C’est où chez elle, chez lui ? Si on lui montrait une carte de l’Ordinaire, Sky doute qu’il reconnaîtrait quoi que ce soit. Tant mieux, là-bas, ça ne lui dit rien. Il hoche la tête, avec juste assez de retenue pour maintenir la nausée dans son estomac et pas sur le sol.

« J’ai hésité entre Sky et Sea, pendant longtemps—c’est le plus dur les noms. Quand tu es Perdu.e on t’en impose un, tu ne peux rien y faire. J’étais Samurai, sans vouloir l’être. Tu deviens ton nom, un personnage. » Pas un de roman qui a des tas de choix, non c’est être enfermé dans un stéréotype. Il plaint les enfants qui se retrouvent avec les pires.

« Je prendrais quelque chose de ma culture, un nom simple dont je me rappelle le sens. Je pense que le jour où j’aurais un nom d’adulte en tête, ça sera celui où je devrais quitter l’Arbre. » Vouloir grandir, c’est déjà trop tard, et il ignore ce qu’on va lui dire, à son retour, si ça se verra.

Mentir, ce n’est pas si difficile, il suffit d’avoir le cœur brisé pour ne plus ressentir la moindre culpabilité. « Il y a des gens qui ont plusieurs noms, ou qui en change. Je pense qu’il n’y a pas de mauvais choix, dans ton cas. Une fois adulte tu peux te trouver, rajouter un chapitre. »

Chassant la tristesse dans son regard, la pensée d'un foyer incertain, Sky continue : « Sky ou Sea, c’est court, simple à retenir. Même Samuel, on peut dire Sam. Je n’ai pas voulu de ce nom, pourtant c’est une part de moi, maintenant. Hm, Quelque chose, puis Sam et un nom de famille, je ferais comme ça.»

« J’ai hésité entre Sky et Sea, pendant longtemps—c’est le plus dur les noms. Quand tu es Perdu.e on t’en impose un, tu ne peux rien y faire. J’étais Samurai, sans vouloir l’être. Tu deviens ton nom, un personnage. »

C’est vrai, elle se dit. Elle n’a pas choisi d’être Shark. Ça ne l’a jamais dérangé d’être Shark, pourtant elle sait que ce nom ne lui pas été attribué par bienveillance, mais juste parce que ça sonnait dur, que ça rappelait ses cicatrices, et son attitude revêche, que c’était drôle. Mais c’est juste comme ça que ça marche, au Grand Arbre, ça ne se discute pas. A l’instant, elle n’a pas l’impression d’attribuer autant d’importance aux noms que Sky.
Samurai. Samuel.

« Je prendrais quelque chose de ma culture, un nom simple dont je me rappelle le sens. Je pense que le jour où j’aurais un nom d’adulte en tête, ça sera celui où je devrais quitter l’Arbre. » En entendant ça, elle a une petite moue triste. Il a déjà tout prévu, hein ? « Il y a des gens qui ont plusieurs noms, ou qui en change. Je pense qu’il n’y a pas de mauvais choix, dans ton cas. Une fois adulte tu peux te trouver, rajouter un chapitre. »

Et il conclut simplement :

« Sky ou Sea, c’est court, simple à retenir. Même Samuel, on peut dire Sam. Je n’ai pas voulu de ce nom, pourtant c’est une part de moi, maintenant. Hm, Quelque chose, puis Sam et un nom de famille, je ferais comme ça.»

Elle pige que maintenant. Sam, pour Samurai. Pour sa défense, elle le fréquentait pas du tout au Grand Arbre, pas assez pour se rappeler de ce nom là. Pendant une seconde, elle se promet que quand elle rentrera, elle fera plus attention à tout le monde, même les livreurs, et puis elle se rappelle qu’elle rentre pas. Erreur d’inattention. Ça fait moins mal cette fois.

« Je veux pas avoir à rajouter un chapitre. J’aimerais trouver du premier coup. »

Peut-être que c’est une condition débile à se poser, elle ne sait pas. Il y a quelque chose qui la dérange dans les tâtonnements, devoir revenir sur ses choix, et pire, devoir demander aux gens de l’appeler différemment, plusieurs fois. Oui c’est décidé, elle n’annoncera son nom que quand elle aura trouvé, et elle ne changera plus jamais.

« Mais je ferais comme toi », elle poursuit.

Elle répète presque mot pour mot.

« Quelque chose, un nom de famille, et Azami au milieu. » Elle ajoute, peut-être un peu catégoriquement : « Mais bon, les seconds prénoms ça sert vraiment à rien. »

A part à savoir qu’ils sont là.
Elle fixe Sky un peu durement, sans pouvoir s’en empêcher, en contraste avec ce qui sort ensuite de ses lèvres.

« Merci. Ça m’aide. »

« Je veux pas avoir à rajouter un chapitre. J’aimerais trouver du premier coup. »

Plutôt raisonnable.
C’est drôle, en vérité Sky n’a pas décidé s’il prendrait Sam pour Samuel ou pour Samurai, et il ignore quelle réponse serait la meilleure. Samuel c’est bien moins long qu’une vie entière à voir défiler des visages qu’il oublie au fur et à mesure. Pourtant, ça lui paraît presque plus important—la malheureuse réalité de cette histoire, c’est qu’il a plus l’impression d’avoir vécu en manquant de mourir que tout ce qui aurait pu se produire antérieurement.

« Mais je ferais comme toi  Quelque chose, un nom de famille, et Azami au milieu. » La signification d’Azami ne lui revient toujours pas alors Sky abandonne la recherche. C’est une constante de l’Oubli, d’égarer des termes.

Et puis, savoir qu’ils comptent utiliser le même modèle (il ne doit pas trop s’y attarder, sans quoi il risque de continuer à grandir dans ce corps où il manque de place), ça lui fait plaisir.

« Mais bon, les seconds prénoms ça sert vraiment à rien. »

Probablement que non. C’est juste un soupçon individualité en plus. « Dans ma culture, je crois qu’on en a même pas. » Les Perdus non plus, au final. C’est auprès des pirates que Samuel a découvert le concept, qu’il l’a étendu à sa personne.

Ignorant la dureté sur le visage de Shark—ça ne l’intimide pas spécialement, qu’elle soit ainsi, c’est plutôt bien si on veut survivre, si on sait pas manipuler par les mots ou les sourires—il lui rend son regard avec une lueur qu’il espère déterminée.

« Merci. Ça m’aide. »

Se relever lui prend un petit moment—une lenteur nécessaire pour pas se manger le plancher—quoique une fois debout, Sky peut se rapprocher de Shark, lui tendant sa main, grande ouverte. Un autre geste de pirate, échanges de poignes solides, les coudes qui s’entrechoquent. Une façon de sceller leur discussion. Le skateboard sous un pied, il repose son poids dessus sans non plus partir en avant.

« Un jour—plus tard—on se reverra au Port. Et on pourra avoir une autre conversation, » L’Injuste ne se pare pas d’un quelconque sourire, sourcils légèrement froncés, une franchise rare sur ses lèvres : « On parlera de lectures et de noms. Ou bien d’autre chose, parce qu’on aura changé tous les deux. Et tant mieux, si on continue de changer.

Qui sait, peut-être même qu’on deviendra amis. »

Si plus tôt, elle avait su qu’elle passerait un moment de sa journée à parler avec Sky, en tête à tête dans une pièce meublée d’un fauteuil et un grand miroir poussièreux, elle se serait imaginé autre chose. Ils auraient parlé de choses concrètes et matérielles, sur la vie au Ranch, la survie, et se seraient quittés très vite. Elle ne se serait pas imaginée pleurer sur son sort et avoir peut-être la conversation la plus importante de son séjour.
Mais bon, voilà.
La vie n'est pas toujours aussi simple qu'on pense.

« Un jour—plus tard—on se reverra au Port. Et on pourra avoir une autre conversation. On parlera de lectures et de noms. Ou bien d’autre chose, parce qu’on aura changé tous les deux. Et tant mieux, si on continue de changer. »

Sky commence à y mettre un point final, et elle lui est reconnaissante.
Elle a besoin de réfléchir, et d’écrire une lettre.

« Qui sait, peut-être même qu’on deviendra amis. »

Il lui tend la main, qu’elle serre. Quand elle serre une main, elle y met toujours beaucoup de fermeté, parce qu’elle a appris que ça plait aux gens, que ça montre du respect.

« Ça me va », dit Shark, qui pensait qu’ils étaient déjà un peu amis.

Mais elle n’a jamais vraiment compris comment marchaient ce genre de choses. Que Sky la considère comme une amie ou pas, ça ne lui empêchera pas de fermer l’œil.

« Profite d’être un perdu, Sky », dit-elle quand même juste avant de sortir de la pièce.

Elle l’a pas assez fait.