Les demandes avaient des échos d'évidence pour Lundi. Que refusait-il à ses femmes ? Mis à part ce qu'il considérait comme trahison. Les yeux sondaient jusqu'à l'âme de la fille de joie, impossible d'ignorer ces émotions qui engloutissaient même la voix qui parlait.

Le regard du troisième Baron se voilait d'un sérieux mortel, ne réagissant qu'à peine à la caresse que la joue senti un instant. La dernière condition, qui ressemblait à une supplication, résonnait avec ces sentiments que le Céleste pouvait presque voir couler sur les doigts. Est-ce que s'il venait à lui arracher la tristesse, celle-ci reviendrait toujours ?

Finalement, après un bref instant où seuls le vent et les bijoux de Lundi se faisaient entendre, Klere relâcha sa prise pour saisir d'une main celle qui s'était posée sur sa joue. Un sourire entre piment et miel trancha les lèvres du guédé.

- Quel époux ne donnerait pas ces choses à une de ses épouses, hein ?

Il embrassa le dos de la main qu'il tenait, avant de replonger les yeux dans ceux de Miss Noir.

- Si tu entres dans ma famille, tu vas devoir respecter chacun de ses membres. N'insulte jamais les nôtres. Et ne me trahis pas.

Les mots étaient enveloppés de netteté, assez pour se forger d'un air sec. Le Céleste avait mis fin à des vies par peine d'avoir été trahi, il avait mis fin à des souffles pour le bien de sa grande famille. Chacune des âmes demeurant à Gwo Kay Won étaient soutenues par le maître des lieux, mais aussi redevables. Les liens que Lundi chérissait tant ne pouvaient jamais être réellement rompus, et si on s'y tentait... Klere les préférait détruits que coupés.

Le sérieux disparut du visage sombre, un sourire plus lumineux trouva trône en dévoilant les dents du bonheur. Evidemment, même fleur bleue, il savait que la femme que la foudre avait désignée ne lui portait pas d'amour. Pourtant, elle acceptait de le marier. Il devra veiller à ce que sa nouvelle conquête ne dérange pas l'harmonie complexe des siens. Klere verrait plus tard. Pour le moment, il préférait profiter de ce contrat qu'il affectionnait tant.

- Et si tu m'embrassais, maintenant ?

La demoiselle avait offert au Baron ce qu'il lui avait demandé. Evidemment que le Céleste s'en trouvait satisfait, le sourire en coin pouvait en témoigner.

La plaisanterie qui avait précédé a cependant eu le pouvoir, l'espace d'un instant, soulever encore des questions à l'encontre de Noir. L'esprit avait l'air d'être séparé en deux et de vouloir se diriger en des directions bien opposées. Lundi prenait ce qu'on lui donnait, même si une vague étincelle de raison soulevait parfois un rythme bancal dans les mots et les gestes de l'autre.

Signer un mariage à Lundi était un contrat qui ne pouvait jamais être rompu. Jusqu'à ce que la Mort y mette un terme. Seule cette lame pouvait rompre le lien, et cette lame était souvent tenue par la foudre elle-même.

Une vague de colère et de tristesse, un sabre qui pouvait rompre la force de l'amour que Klere portait à ses femmes. Peu importait les dissonances qui se montraient, la raison était ailleurs et laissait le coeur dicter les envies de son règne.

Alors que Noir s'éloignait en déclarant que le mariage se ferait, le Baron Lundi se redressait avant de prendre la parole.

- Bondye, oui.

Quelque chose d'un peu médisant dans la voix, mais pas assez pour réellement avoir de l'impact. Juste un réflex comme un autre. Klere portait évidemment plus d'intérêt aux esprits du vaudou, et il devinait bien que Noir portait une religion diurne dans le coeur.

- Et Hevioso tout autant.

Pourtant le miel enrobait les mots du Céleste alors qu'il soulignait déjà une chose importante dans sa famille, un quelque chose de moralisateur derrière le sourire amusé peut-être ? Difficile à dire.

- Prends ce que tu veux emporter, et viens à Gwo Kay Won au Bayou. Personne ne t'empêchera de m'y rejoindre.

Un temps passe, juste assez pour laisser l'air porter l'arôme de la mer entre eux.

- Est-ce que tu comptes changer de nom ?

Grand sourire charmeur.

- Je veux savoir quoi mettre sur ton alliance~

Klere contemplait la demoiselle qui avait accepté de l'épouser sans se soucier du caractère surprenant de cette demande formulée dès la première rencontre. Le Baron d'orage demeurait fidèle à lui-même. Et il essayait toujours.

Tant pis pour les affaires de la fille de joie, apparemment, elle n'en avait pas plus que ce qu'elle portait. Le rire qui s'envola dans les cieux arracha un sourire en coin, discrètement surpris, au Guédé. Un rire de soleil accompagné de pluie. Les excuses expliquèrent le pourquoi de cette attitude, mais Lundi n'en était pas vexé. Il aimait bien ce mélange.

Il en sentait même un vent d'affection dans le coeur alors que sa nouvelle dulcinée essuyait l'encre qui perlait sous les yeux.

Et enfin, le Céleste savait ce qu'il ferait gravé sur le métal.

- Alors, Carolina ce sera.

Satisfait, il se plaça aux côté de la Pleureuse et embrassa la joue qui se présentait.

Avec tendresse, il attrapa le bras de Carolina, et l'attira un peu vers lui comme pour l'emmener plus loin. Plus profondément dans les terres, où le Bayou commencera à apparaître.

- Si tu n'as rien à régler au Port, viens avec moi dès maintenant. Nous nous marierons aussitôt! Je te trouverai une robe à la hauteur, ou tu choisiras, peu importe tant qu'elle brillera sur toi.

Tout allait toujours si vite en affaire avec Lundi, lorsqu'on lui disait oui... tout de suite il prévoyait déjà tout ce qu'il fallait faire afin de lier une âme à lui pour l'éternité.

Comme si l'infini n'avait pas le temps... la foudre se précipitait.

Sans plus de cérémonie, Klere fit tournoyer Carolina avant de l'attraper dans ses bras. Presque enfantin.

- Prête ?

Prête pour tout ce qui impliquerait d'épouser le troisième fils de Maman Brigitte ? Prête pour l'Éternité dans les liens sacrés des cieux ?