Les Arcanes auxquelles Ailin avait accès étaient un jeu bien solitaire, octroyées par le Jamais sous la forme d'une malédiction qui se donnait des airs de bénédiction. Certes, l'énergie qui courait dans ses mains avait bien des utilités : soigner par le toucher, renforcer le pouvoir d'un onguent, d'un poison...

Mais à quoi d'autre l'Ivoire avait-elle accès ? Rien, ou presque. Ainsi n'aurait-elle pas pu sentir le combat qui avait lieu entre les deux magies opposées : celle du Bayou, qui n'avait rien à voir avec la sienne. Celle des orbleus, issue de la même source que ses propres pouvoirs, mais trop différente pour qu'elle en saisisse moindrement la marque.

Peu importe. Ailin faisait face à un spectacle subjuguant qu'elle dévorait des yeux sans en rater une miette. La lueur habitée dans son regard gris trahissait le plaisir qu'elle prenait à voir cette créature souffrir en s'égosillant.

Ailin avait le goût de la torture et de la cruauté. Son cœur battait plus fort et son sang se gorgeait d'une euphorie spécifique, délicieusement sombre, froide et chaude en même temps.

Elle restait à distance, profitant de cette performance grisante avec sur le menton quelques doigts égarés.

"Les liens sont là, et les loas ne les aiment pas.
- Fascinant..."

C'était une première réussite. Klere avait réussi à dévoiler le lien reliant l'orbleu au cœur du Mal Glacial. Et, même si cela n'était effectivement pas très étonnant, il précisait combien la magie du Bayou réagissait mal aux fils d'énergie froide qu'Ailin ne pouvait pas voir, mais qu'elle ne pouvait s'empêcher de visualiser.

Ne pouvait-on pas aller jusqu'à rompre ces liens ? Qu'aurait-il fallu faire pour ça ? Seul Lundi et ses loas pouvaient lui dire. Et qu'allait-il advenir du zombi si on y parvenait vraiment ? Il était encore couvert de Givre contaminant, alors peut-être que l'expérience était vouée à l'échec, en le sens où la créature même brièvement guérie (ou plus vraisemblablement morte) reviendrait immédiatement à son maître (si elle le pouvait encore). A moins qu'on parvienne à éliminer les deux simultanément...

"Mais ces étincelles... elles m'ont ouvert un chemin."

Ailin fronça les sourcils. Son mari n'était pas tout le temps très clair lorsqu'il se laissait aller à ses expériences, galvanisé par ses résultats. Avaient-ils besoin d'un chemin ? Pour briser l'envoûtement de l'intérieur, peut-être, en le faisant comme imploser ? N'était-ce pas dangereux de s'aventurer sur ce terrain ? S'approcher du Givre, c'était pire que de jouer avec le feu...

... Et Lundi s'était justement approché de la cage de l'orbleu. Près. Trop près. Exactement comme il avait dit à Ailin de ne pas faire.

"... Klere.
"Je sens une émotion s'en dégager."

L'Ivoire n'avait aucune idée de ce que son mari comptait faire, mais elle était approximativement certaine que c'était une mauvaise idée. Elle fronçait d'autant plus les sourcils, désormais. D'inquiétude.

"Klere, n'oublie pas face à quoi tu te trouves s'il te plaît. Tu devrais reculer. Et si tu suis ce lien, qui te dit que tu ne risques pas de t'y frotter de trop près ? Tu pourrais être contaminé à distance."

Un temps de silence avant qu'elle ajoute à mi-mots.

"... Fais attention à toi, s'il te plaît."

Si ça ne suffisait pas à le convaincre, elle aussi allait s'approcher de la cage pour qu'il prenne mieux conscience des risques. En attendant, elle ajouterait un argument plus pragmatique :

"Et pense aux enjeux. Tous les habitants de cette tour seraient en danger s'il venait à t'arriver malheur dans cette entreprise."

Toutes ses femmes, tous ses enfants. Puis que se passerait-il ensuite ? Ailin n'osait l'imaginer. Ce n'était certainement pas ce que son mari souhaitait.