Alors qu'elle était naufragée, il est la première personne qu'elle a rencontré sur l'Île de Jamais, et ce n'est que bien plus tard qu'elle s'en rendit compte : le Baron Lundi l'a tout de suite intriguée. Plutôt que de la vexer, les moqueries dont elle a fait l'objet lors de cette prise de contact étrange sur la plage ont stimulé son intérêt, de même que la négociation implicite par laquelle ils ont ensuite échangé des informations. Après tout, Ailin n'aime rien de mieux que les batailles de rhétorique.

Plus tard, une machination visant à renverser le pouvoir qu'elle s'était octroyée au Port l'a poussée à s'approcher du guédé. Ailin devait fuir le Port et trouver une protection solide. Quoi de mieux que celle d'un Baron ? Elle savait sa propension à s'attacher à des femmes par étranges coups de foudre. Elle savait aussi que ce coup de foudre garantissait en théorie qu'il ne la rejette pas, même après avoir découvert les formes que cachaient réellement ses vêtements.

Ailin, au-delà de quelques rares âmes à Kinlochbervie,  ne s'était jusqu'alors jamais réellement attachée à quiconque. Sa main et son esprit n'avaient jamais été guidés par quoique ce fut d'autre que le plus froid des calculs. A force de se tourner autour, de jouer avec les mots et avec les situations, l'écossaise cessa sans en prendre conscience de faire semblant. Prise à son propre piège, elle se rendit compte qu'elle l'aimait vraiment. Dès lors, elle ne contrôlait plus les choses autant qu'elle l'aurait souhaité. Elle devenait très vulnérable.

Il est probablement la première personne à qui Ailin s'est jamais ouverte au point de lui montrer ses failles, ses plus grandes fragilités. Sa douceur et le soin qu'il a de la rassurer dès qu'elle en a besoin n'ont fait que renforcer l'amour qu'elle lui porte. Et avec cet amour, une foi et une confiance à toute épreuve. Elle se sent extrêmement chanceuse qu'il l'accepte comme elle est. Extrêmement reconnaissante aussi. Malgré les échanges acidulés qu'elle continue d'avoir avec lui - car la dynamique de leur relation a toujours fonctionné ainsi - cette tendresse émerge dans chacun de ses gestes et ses regards. Il va sans dire qu'elle tuerait pour lui et pour tout ce qui lui tient à cœur. Et lorsqu'on connaît vraiment Ailin, on sait que c'est assez littéral.

Mais tout n'est pas toujours idéal, principalement faute aux doutes qu'Ailin a vis-à-vis d'elle-même, alimentés par sa dysphorie. Elle regrette de n'avoir pas eu l'occasion de le séduire parfaitement avant que la foudre ne la rattrape et se pose parfois la question de l'authenticité de leur relation. Elle craint qu'il ne se lasse d'elle et de ce corps inadapté. Elle ne formule jamais ses peurs mais n'en fait pas un secret pour autant. Il les lit sans doute en elle. Il parvient toujours à les éloigner. Lorsqu'elle est seule avec lui, Ailin ne porte plus aucun masque.

Ainhoa est une femme qu'il ne faut pas sous-estimer et dont il vaut mieux se méfier lorsqu'elle vous a pris en grippe. Cela, Ailin le sait depuis l'instant où elle l'a croisée pour la première fois. Leur première rencontre a eu lieu au Casino, tandis que l'épouse du Baron venait visiter celle qui était encore en train de le séduire. Ainhoa a tout de suite cherché à lui faire comprendre qu'elle voyait clair dans son jeu, et qu'elle ne voyait pas d'un bon œil ce qu'elle était en train d'accomplir.

Ce n'était pas cela qui allait dissuader Ailin, laquelle n'avait de toute façon guère d'autres choix si elle souhaitait survivre dans de bonnes conditions. Puis elle est tombée amoureuse de Lundi, et ses motivations ont évolué.

Elle avait beau faire de son mieux pour être une épouse exemplaire, Ainhoa continuait de se méfier d'elle et d'être hostile à sa présence. De ce qu'on lui avait expliqué, elle aurait dû commencer à mieux l'accepter. Il fallait voir les choses en face : Ainhoa paraissait avoir une dent spécifiquement tournée contre elle.

Ailin n'avait elle-même rien contre cette femme dont elle respectait et appréciait d'ailleurs la force de caractère et la personnalité. Elle n'avait aucun intérêt à cultiver son inimitié et moins encore les inquiétudes qu'elle lui inspirait peut-être. C'est vrai qu'elle se ressemblaient beaucoup. Peut-être qu'Ainhoa n'aimait pas ça. Bien sûr, ce n'est pas parce qu'Ailin essayait d'arrondir les angles qu'elle se laissait marcher sur les pieds : elle se défendait mais ne renvoyait que rarement les coups, bien qu'elle se laissa aller parfois à quelques piques à l'acidité modérée.

Puis lors d'une nuit où Ailin s'est fait agresser sur la plage par un pirate ivre qui a déchiré ses vêtements, Ainhoa, témoignant de la scène, a appris ce qu'Ailin s'évertuait à cacher à tout le monde sauf à son mari. C'est ce qui étrangement les rapprocha. Ainhoa cessa de craindre qu'Ailin puisse la remplacer : elle partageaient des problématiques communes. Elles n'étaient pas plus capable l'une que l'autre de donner des enfants à Klere. Ailin quant à elle fut touchée de la façon dont Ainhoa prit ses révélations imprévues. Comme Lundi au préalable, elle accepta de garder son secret. Elle ne l'invalida pas. Tout à l'inverse, elle prit même quelques initiatives pour l'aider à mieux vivre sa féminité, proposant notamment de lui appliquer des tatouages au henné, ce qu'elle n'avait jamais fait pour elle au préalable.

Ce fut à partir de ce moment que leurs ressemblances les rapprochèrent, au point qu'elles développèrent une amitié qui se changea avec le temps en profonde complicité. Puis s'ajouta une attirance physique qui désarçonna complètement Ailin, laquelle ne pensait pas pouvoir ressentir du désir pour les femmes. Parce qu'elle faisait désormais entièrement confiance à Ainhoa, Ailin laissa sa comparse découvrir ces failles qu'elle n'avait jusqu'à présent montrées qu'à son mari. Il fallait cela pour explorer cette nouvelle relation.

Même à ce jour, Ailin n'est pas entièrement certaine d'en comprendre l'exacte nature. N'y a t-il qu'une forte amitié entre elles, doublée de ce désir qu'elles prennent régulièrement plaisir à combler - seules ou accompagnées par une tierce personne dont on ne citera pas le nom ? Ou bien ces sentiments vont-ils plus loin ? Et si c'est le cas, est-ce réciproque ?

Blablabla.

Blablabla.