La petite main, blême et fine, délicate, approche de la chevelure. La chevelure est étonnamment lisse, soyeuse. Empreinte d'une beauté parfaite, d'autant plus étonnante pour une princesse sauvage. Le contact des cheveux d'ébène dans sa paume vibrante ressemble fabuleusement à celui d'une eau, claire, limpide, pure, tant et tant que Ciel serait tenté de s'en abreuver.

Le petit prince était si saisi qu'il ne songea même pas, comme de coutume, à quels artifices Loutre Sage pouvait se procurer afin de sublimer ses cheveux infinis. Il ne songea pas à quel type de peigne elle employait, aux onguents qu'elle aurait pu utiliser... Il vécut l'instant, sans laisser sombre souvenir entraver sa jouissance, sans laisser angoisse future alourdir sa quiétude. Ses mains flottaient, dansaient dans les cheveux de la princesse Huron, et ce geste éminament doux le préservait de toute atteinte. Il l'apaisait, le ramenait à l'essentiel. A la sensation, exclusive, simple, absolue.

– Je ne peux pas voler. souffla-t-il brusquement, en un murmure si faible qu'on aurait cru un soupir du vent.

Ses doigts stoppèrent leur chorégraphie légère, le sentiment de légèreté s'effrita, mais il restait quelque chose de suspendu et entier à cet instant. Ciel s'éloigna quelque peu de la cascade noire et luisante.

– Pendant que je me promenais au creux de tes cheveux, j'ai eu l'impression de voler. Mais vois-tu... Voler à l'intérieur de moi.

Il ne parvenait pas à exprimer le fond de sa pensée, tout était comme étiolé, c'était un peu frustrant.

– Trouves-tu cela bizarre une fée qui ne sache pas voler ? Je sais que c'est plutôt... Il ne voulut pas utiliser le terme "anormal" car il devinait que Loutre le reprendrait sur ce mot. Pour un Huron, rien n'était anormal, tout était divers, éclectique et harmonieux. Plutôt atypique. Je n'ai jamais su. J'utilise des oiseaux. Enfin sais-tu, ils aiment cela ! Ils sont attachés à moi, du moins aimai-je à le penser... Crois-tu qu'ils le soient, toi ?

Son regard, une fois encore, balaya la pièce circulaire des yeux. A travers les branchages tissés qui en composaient la toiture, des rayons de soleil ravissants traçaient leur sillage.

– Dis-moi Loutre, tout le monde t'aime, n'est-ce pas ?

 

Spoiler:

Ciel, impassible sans paraitre figé, soutenait le regard de Loutre tout en réfléchissant à ses paroles. Il avait étudié tant d'ouvrages et de disciplines, et pourtant personne n'avait jamais pris la peine de lui émettre des vérités si essentielles. Il se demanda si Mab savait, elle. Il se demanda, aussi, pourquoi l'amour de Mab ne semblait pas lui suffire. Pourquoi malgré l'amour que la Reine lui portait, le bonheur ne daignait pas franchir les portes de son coeur de façon paisible et durable.
Il se trouva ingrat.

– C'est toi qui as raison, princesse Loutre Sage. Comme toujours, n'est-ce pas.

C'était très perturbant, pour l'être torturé et instable qu'était le prince Ciel, de découvrir une créature aussi peu tourmentée. Aussi in-tourmentée, même.
Soleil émit un miaulement rauque, remua le bout des pattes, mais il ne semblait pas encore prêt à se réveiller.

– Loutre Sage. Soleil m'aime et je l'aime. Je crois que lorsque je veux être heureux, je dois penser à Soleil. Est-ce selon toi une méthode adéquate ? Est-ce que cela marche pour les créatures ? Même les chimères ?

Ses sourcils se fronçaient sous le sérieux de sa réflexion. Ses propos avaient quelque chose d'absurde tant ils étaient mathématiques, mais à ses yeux ils étaient porteurs d'un sens réel.

– L'Esprit Nuit ne tardera pas, princesse. Aurais-tu l'amabilité de nous raccompagner, moi et mon ami ? La forêt m'est trop étrangère, je m'y perdrai et me ferai sans aucun doute dévorer sur le champ ! D'autant que Mab m'a mise en garde contre les esprits noirs qui demeurent encore dans certains lieux... Ceux qui t'aiment seront d'accord ?

Il s'approcha du doigt de Loutre, en bordure du meuble, et s'y assit avec aisance. Loutre avait un effet si apaisant qu'on aurait cru à de la magie.