Oh, can't anybody see
We've got a war to fight
Never found our way
Regardless of what they say

suite de "Des Os dans la Boue"

Le voyage de retour est flou. Je ne garde aucun souvenir du chemin parcouru ni de nos discussions. Ça a été coupé au montage. Palabrer dans le vent est un art en soi. Je suis tellement oubliable que j'oblitère les passages chiants de ma propre vie. Marrant que ceux qui restent marquants soient ceux que je ne veuille pas garder.
Tout ce que je sais, tout ce que je sens, c’est que l’atmosphère est plus légère, presque frivole. On s'en foutrait presque d'avoir failli clamser. La seule chose qui me ravive l'épisode en mémoire c’est l'exaltation soudaine qui m'habite à la vision de l'Ossuaire.

La Maison.

Stupide pensée qui s'évanouit presque aussitôt mais se traduit par un rire qui me soulage les tripes. Parfois, c'est bon d'être en vie. On a beau ne pas avoir peur du Grand Cut de Fin, ça n'est pas pour autant qu'on a envie qu'il nous tombe trop vite sur le râble.

Je choisirais ma Fin.

J'observe le profile de mon camarade. Just a les trait tirés. Tout est noué chez lui, tout est sur la réserve, comme si le danger n'était jamais vraiment écarté. A croire qu'il est habitué à ne jamais lâcher prise. Pas de repos quand on est un bouclier ou un bon menteur. Après tout, qu'est-ce qu'un masque si ce n’est un bouclier plus subtile ?

Je maîtrise le sujet.

Je bourrade l'épaule du cow-boy et lui assène mon sourire de connasse des grands jours. On a bien mérité notre soirée picole! J'entame un détour par les Fourneaux. C'est la pièce à vivre et à dormir, aménagée dans le crâne d'un dinosaure gigantesque qui nous aurait certainement bouffés en amuse-gueules de son vivant, organisée autour du feu que Tool et moi -en bonne partie- avons construit et continuons d'alimenter.
Je fais signe à Justice de m'attendre. J'enjambe les gamins pelotonnés les uns contre les autres comme des chatons dépenaillés. Nous avons tous pris l'habitude de dormir avec nos manteaux, les uns sur les autres. Dans un recoin, les artisans en exil ont installé un semblant d'atelier. Des étagères on été montées littéralement sur tibias. (Des tibias de mammouth mon pote !) Sur les rayonnages, s'étalent les conserves de nos maigres rations (mes bocaux en verre ont la côte.) et de la viande qui sèche, quand on a du bol. Les chasseurs font souvent choux blanc.

Une oeillade d'un côté, puis de l'autre.
Accroupie près d'un os de la taille d'un tronc, je cherche la fente. Le bousin est creux et sert de cache à ma contrebande. J'extirpe une bouteille de vodka pleine, un paquet de clopes et un petit paquet enveloppé dans de la toile de jute.

Je reviens discrètement auprès de mon partenaire de crime.

- Alors, tu m'la montres ta fameuse planque ? qu'j'lui chuchote avec une lueur de malice dans le regard.

Just aperçoit une rangée de côtes arrondies, perçant la surface enneigée comme des rochers et des volutes de fumée s’échapper de fourneaux improvisés. Il distingue quelques badauds se faufilant entre les huttes et un peu plus loin, une sentinelle postée sur un contrefort. L’Ossuaire.

Cette vision lui arrache un soupir tandis que ses épaules s’affaissent légèrement. Se savoir rentrés, peut-être à l’abris, ne lui apporte qu’un vague réconfort. Soudain, c’est comme si toute la fatigue, toute l’angoisse de ces derniers jours qu’il avait su refouler se rappelaient à son bon souvenir.

Il se sent amer et vanné, d’humeur à shooter dans quelque chose de dur et que ça fasse mal.

Nasty lui rappelle sa présence d’une bourrade amicale et un de ses sourires grimaçants. Oui, pour ce genre de pensées noires, il est en bonnes compagnie. Elle l’entraine dans le mess et lui demande de l’y attendre. Il la regarde s’éloigner en se demandant ce qu’elle mijote. Mais très vite, il s’en fout et reporte son attention sur la grande salle. C’est là qu’il passe le plus clair de son temps lorsqu’il abandonne sa casquette de sentinelle pour celle de cuistot.

Distraitement, il passe devant les étagères bricolées où s’alignent des réserves, des pots et tout ce qui ressemble de près ou de loin à des ustensiles. Du coin de l’œil, il remarque une forme qui attire son attention.

« Alors, tu m'la montres ta fameuse planque ? »

Il fait volte-face, le cœur battant. Elle, par contre, il ne l’a pas vue. Et à son œillade mauvaise, il devine que c’est bien ce genre de réaction qu’elle espérait.

Garce.

Il se surprend à pouffer puis reprend de son air nonchalant habituel :

« Ok mais je te préviens, c’est pas la batcave. »

Ils se dirigent dans un gros crâne bizarrement échoué à l’écart de l’Ossuaire. Quand il l’avait trouvé, Just en avait vaguement conclu qu’il avait pu être entraîné par les pluies jusqu’ici. A l’intérieur, ce n’est pas le grand luxe. Tout juste de quoi s’asseoir et éviter de poser ses fesses sur le sol froid, et les restes d’un feu de camp allumé la veille.

Just tire le rideau qui lui sert de porte et s’écarte du passage pour la laisser entrer.

« Voilà. » Qu’il présente sobrement.

Justice sait pouffer. C'est une information assez réjouissante que je cale dans un coin de cervelle. Evidemment, il se recompose rapidement une attitude de mec cool qui se fout de tout. Chacun ses costumes de scènes.

- Ok mais je te préviens, c’est pas la batcave.
- Ca tombe bien j'f'rais un très mauvais Alfred.

Je tombe immédiatement amoureuse de sa forteresse de solitude (Faites pas chier ... c'est Superman, mais ça reste du DC comics, ok ?). Ce crâne esseulé à taille humaine, en marge de toute connexion immédiate avec le camp, est une bulle d'air intime.

- Wow! J'kiffe sévère!

Je promène mon regard sur l'ameublement ascétique, le côté dépouillé et parfaitement impersonnel. Il n'exprime rien de la personnalité profonde du Cowboy.

- Y'a moyen d'la rendre vachement plus cosy c'te garçonnière. Quelques peaux de bêtes, des tags sur les murs, une réserve d'bouffe et d'piquette... Manque plus qu'une belle chaine hiffi pour foutre du gros son.

Je me marre comme une gamine dans la tanière du Père Noël. Se faisant, je me demande quel genre de musique écoute un mec comme Just. Du country ? Je ricane toute seule.

- P'têt ben qu'j'tiens un peu du Alfred, finalement... Je lui tends la bouteille de vodka et prend mon plus bel accent de péteuse. Si Môôônsieur veux bien se donner la peine de rincer le gôôôsier ? Môôônsieur sera fort aimââââââble.

Puis, plus par habitude que pour filer la métaphore, je réunie le bois mort à demi-consommé et ravive le feu à coup de briquet.

Nasty le dépasse et pénètre dans le Crâne comme un vilain mal de tête. Contre toute attente, elle semble conquise :

« Wow! J'kiffe sévère ! »

Si c’est sévère, c’est que c’est bien. Just hausse les épaules avec un semblant de modestie avant de lui emboîter le pas. Il tire le rideau derrière lui comme si ça pouvait encore les protéger du froid ou des regards indiscrets.

Il s’accroupit devant le foyer, y jette une buche. Puis, il tire une vieille boite d’allumette dans laquelle trois bâtonnets se battent en duel.

Nasty continue sa visite, tout en notant les améliorations possibles. C’est vrai qu’elle est artisan. Il oublie parfois que les gens comme Apache et Nasty ont aussi un boulot.

« Y'a moyen d'la rendre vachement plus cosy c'te garçonnière. Quelques peaux de bêtes, des tags sur les murs, une réserve d'bouffe et d'piquette... Manque plus qu'une belle chaine hiffi pour foutre du gros son. »

« Je pensais que ça resterait une installation temporaire alors j’ai pas pris le temps de vraiment m’installer. Mais si tu veux décorer, te gêne pas. »

Après quelques vas et viens nerveux sur la tranche de la boite, il n’obtient pas la plus petite étincelle. La frustration commence à le gagner quand sa camarade reprend d’un coup :

« P'têt ben qu'j'tiens un peu du Alfred, finalement... Si Môôônsieur veux bien se donner la peine de rincer le gôôôsier ? Môôônsieur sera fort aimââââââble. »

Les singeries du Panda lui arrache un rire franc qui secoue ses épaules.

« T’es con. »

C’est finalement Nasty qui parvient à démarrer leur feu de camp à l’aide d’un briquet. Comme quoi fumer est utile. Quoique…

« Ce serait pas mon briquet, ça ?»

Celui-là même dont il s’est servi pour allumer sa clope quand ils étaient encore dans le marécage. Avec tout ça il avait oublié de le récupérer, et elle, elle n’avait vraisemblablement pas trouvé bon de lui rendre.

- Je pensais que ça resterait une installation temporaire alors j’ai pas pris le temps de vraiment m’installer. Mais si tu veux décorer, te gêne pas.
- C'est un "temporaire" qui prend ses aises et qu'est parti pour durer. Autant qu'on s'enjaille...

J'allume son feu et fais l'abrutie. Ca a le mérite de le faire rire : pas un de ces faux-semblant un peu crispé, un truc qui sonne vrai. Un truc qui me plait bien.

- T’es con.
- Et fière de l'être!
- Ce serait pas mon briquet, ça ?
- Ouep, que je fais nonchalante en lui rendant après usage. Pas eu le temps de t'le rendre après tout ce foutu bordel....

Je pousse un soupir et me laisse couler à plat sur le sol.

- Putain de journée... Je nous roule un joint ?

Je me tourne sur le ventre en mode crêpe et farfouille dans mon paquetage. Je sors le petit sachet en toile de jute et le paquet de clope. Posément, je dépiaute la dernière pour récupérer le filtre et un peu de tabac, que je coupe avec de la beuh. Mon cône est parfait, vachement moins tordus que ceux d'Apache. On va dire que je suis pas artisane pour rien. Je me l'allume directement sur le feu de camp et tire quelques lattes parfumées et savoureuses. Je fais de magnifique ronds de fumée. Je noue aussi les queues de cerise avec ma langue, mais c'est pas franchement la saison.

Je tend le pétard à mon camarade.
Ouais.
Mon camarade.
Lui, au moins, il sait porter ce qualificatif sans se débiner comme un lâche. Dans le marais, il m'a pas abandonnée. S'il l'a pas fait dans l'urgence d'une mort imminente, y'a fort à parier qu'il le fera jamais. Mais bon, chuis pas con. Le Just m'a l'air d'un fin calculateur. Si jamais je nuis un jour à ses projets, je sauterais sans état d'âme. J'ai jamais droit aux états d'âmes et de toute manière, je ne les mérite pas.

- Alors... Raconte, comme t'es d'venu pote avec notre Hérisson national ?

Lorsqu’elle lui rend, Just se surprend à l’ouvrir comme pour en vérifier l’état. Pourtant, il ne lui accorde pas un regard. Mais ce geste quotidien et machinal a quelque chose de rassurant. Petit rituel qui lui donne un semblant de contrôle.

Contrôle ? Le souvenir du monstre ne fait qu’une bouchée de sa vague bonne humeur. Ça sert à rien de se biberonner de jolies chansons quand on a manqué de se faire bouffer par une créature des marais avec la voix de son frère décédé. Ils ont un répit. Demain, ils devront encore se battre. Sur l’île où le temps n’existe pas rien ne dure. Et quand on croit avoir tout compris, on se prouve vite le contraire.

« Putain de journée... Je nous roule un joint ? »

Son regard perdu le vague et une expression un peu sinistre, le sentinelle se contente d’un hochement de tête. Il lui faut un truc pour se vider la tête.

A ses côtés, Nasty fume comme une pro. Les ronds de fumées s’élèvent et s’élargissent avant de s’estomper. Le spectacle finit par le distraire de ses idées noires. Il se surprend même à lâcher un : classe entre deux oh admiratifs.
C’est son tour.

Ce qu’elle lui tend ressemble à une clope qu’on aurait roulé soi-même mais l’odeur n’a rien de comparable. Ça lui rappelle de vieux souvenir. La dernière fois qu’il a fumé un joint, c’était avec Apache. C’était la Nuit, ils étaient au bord du bassin. Une anguille géante les avaient attaqué. Puis les sentinelles leurs étaient tombés dessus.
C’était le bon temps.

Deux doigts hésitants viennent pincer le joint qu’il porte à ses lèvres. Il inspire.

C’est dégueulasse. Comme l’autre fois.
Il toussote, il arrondit ses lèvres et lève la langue du palais pour tenter sa chance mais c’est pas aussi facile que ça en l’air.

« Alors... Raconte, comme t'es d'venu pote avec notre Hérisson national ?
– Je me le demande encore.

Ce n’est même pas une blague.

« On n’a rien en commun. Et il est pas… arrangeant, comme mec. ». Jusque-là, c’est indéniable à son goût. « Mais je m’étonne encore plus que lui, il m’apprécie. »

C’est que lui, il est tout ce qu’il y a de plus ordinaire. Rien de particulièrement rebutant ou d’engageant. Un just, ni plus ni moins. Sans dégaine spectaculaire, ou gueulante affirmée. Rien ne se qui ne semble pourtant intéresser le punk.

« Au début notre… coopération était strictement pro. Mais quand tu bosses avec quelqu’un pendant aussi longtemps, tu finis par développer des sentiments, j’imagine. C’est humain. »

Certains pourraient en douter mais il est bel et bien humain. Il s’est attaché au punk et sans trop savoir comment : le bouc émissaire est devenu un ami. Autant dire qu’en terme d’imprévus, ça se pose là.

« On a fait un peu les quatre-cent coups, alors ça a dû se faire pendant ? » qu’il hasarde.