Il pose une question et il a comme l’impression de commander la seconde salve sur l’ambulance. Cette fois, elle n’essaye même pas de détourner l’attention avec ses singeries. Pas de blague, pas de traits d’esprit pour détendre l’atmosphère.

Timber ne bouge pas, ne dit rien, vraisemblablement acculée. L’espace d’un instant, il se demande s’il ne devrait pas rajouter une couche mais il renonce aussitôt : elle est sur le point de craquer. Tout en elle pue la défaite et l’acceptation, comme les vieux soldats qui se jettent sous une pluie de balle pour en finir.

Après quelques instants de flottement, la bucheronne se tourne vers lui, arbore un sourire malheureux et brave :

« C'est si obvious ?  »

Just ferme les yeux, songeur. Evident ? Maintenant qu’il le sait, c’est sûr que tout fait sens. Elle ne manquant pas une occasion de le toucher, ses regards furtifs, cette tension bizarre. Mais il lui aura fallu du temps pour deviner alors…

« Non. Enfin pas pour moi. »

Un sourire tragique, il tapote son front de son index et reprend :

« Tu ne l’as peut-être pas remarqué mais je suis très lent. Genre vraiment. »

Et puis il percute. Combien de fois il a cru passer des moments fun avec des gens sans histoires, pour réaliser ensuite qu’ils ont eux aussi avaient toute une sensibilité qui peut revenir au grand galop. Apache, Nasty et même Freckles. Ils se trainent tous un bagage lourd auquel il préfèrerait ne pas penser. Mais un jour ou l’autre, il est bien obligé d’admettre que personne n’est aussi simple qu’il le voudrait.

Timber ne fait pas exception.

« Lent mais pas aveugle quand même. »

L’abcès crevé, il sent un changement radical opérer dans l’air. Comme si la question venait de déterrer toutes les pierres d’une construction timide. Il y a des signes, des gestes auquel il n’avait accordé ni sens ni importance qui prennent une image toute différente.

« Bah, j'ai jamais été connue pour ma discrétion, haha. »

Timber ponctue sa plaisanterie d’une gorgée de rhum. Elle semble moins nerveuse, lui-même ne se sent pas particulièrement tendu. Pourtant, il y a un fond de gravité dans cette conversation.

« Mais no pression hein. Ça m'va aussi si tu veux juste qu'on reste potes. »

Il lui décoche un regard curieux, à la recherche d’un sens caché derrière ces propos. C’est tout un langage qu’il a l’impression d’apprendre petit à petit. Mais il est à peu près sûr qu’ici, il n’y a pas de piège. Juste un choix.

Just dévisage cette fille qu’il a l’impression de redécouvrir. Il a toujours trouvé Timber vaguement mignonne. La couleur de ses cheveux a toujours retenu son attention quand il la voyait de loin, si bien qu’il oubliait parfois de faire attention à ses traits. Elle a pourtant un visage agréable, rose de santé. Un nez long et pointu comme celui d’un renard. Ses yeux bruns pétillent d’une lueur espiègle la plupart du temps, mais ils sont parfois très doux.

Il ne se rend pas compte qu’il la fixe depuis une bonne minute et quand son regard descend sur sa bouche, le reste se fait sans préméditation.

Il se penche simplement, pose sa main sur son épaule comme pour prendre appui. Puis, il presse sa bouche contre la sienne dans un baiser prude, un baiser d’enfant.

La chaleur des lèvres d’une autre personne sur les siennes est une sensation nouvelle et bizarre mais pas réellement désagréable. Il sent les mains de Timber sur sa nuque tandis qu’elle le presse contre elle. Ses doigts grimpent dans ses cheveux, son cœur s'emballe. Il a l’impression que quelqu’un vient d’augmenter le volume et que toutes ses sensations suivent. Elle guide ses gestes, doucement et il apprend son rythme. C’est un langage qu’il ne connait pas et il apprend lentement. Mais il apprend. Et quand il oublie de réfléchir, il se laisse dépasser par ses propres envies.

Plusieurs fils s’infiltrent dans sa bouche. Pris de court, il ouvre les yeux (quand est-ce qu’il les avait fermé ?). Timber s’écarte légèrement pour tirer les mèches de cheveux qu’elle a égaré dans sa bouche.

« Sorry for that. »

Elle sourit, l’air gêné, avant de laisser échapper un rire nerveux.

« C’est pas grave. » Il répond, le plus sérieusement du monde.

Il se penche une seconde fois, prêt à reprendre les choses où ils les ont laissé quand un bruissement retient son attention.
Il se fige, glisse un regard sur le côté. Ce n’est que le vent qui souffle sur les tentures mais ça lui a fait prendre conscience de ce qui les entourait et qu’il craint quelque part d’être pris sur le fait.

« On devrait pas rester ici. »

Quand il se tourne vers Timber, il voit ses traits tendus, son air partagé. Et soudain, il se rend compte de ce qu’il vient de dire. Ou plutôt, de la portée de ses paroles, de tout ce qu’elle peuvent laisser entendre. Il sent le rouge lui monter à la tête, ouvre la bouche pour… se justifier ? Il n’a pas envie qu’on les voit mais… Pourquoi ? Jusqu’où il s’imaginer aller dans ce délire spontanée. Est-ce qu’il peut vraiment prétendre jouer les innocents ou admettre que l’espèce d’un instant, il l’a voulue.

L’envie fugace de frapper sa tête contre un mur pour se remettre les idées en place lui traverse l’esprit avant de s’évanouir.

« J'peux pas quitter mon poste avant que la relève arrive. »

Elle n’a pas l’air d’en mener plus large que lui. Et il la regarde toujours, un peu gêné, un peu honteux.

« … Et je suis sentinelle, je suis sensé savoir ça. »

Il baisse la tête, l’air de dire : quel con. Bien sûr qu’il le sait alors pourquoi avoir demandé ça.

Alors il se rend compte qu’un choix s’offre à lui. Et aucune option ne lui semble dénuée d’embarras.

Rester. Sans savoir quoi faire, sans savoir où diriger la conversation.
Partir. Passer pour un crétin et essayer de trouver le sommeil.

Finalement, son regard tombe sur une bouteille de rhum tout juste entamée et curieusement, la perspective de rester lui semble pas aussi bizarre.
Il s’empare de la bouteille, descend une gorgée.

« Je t’ai raconté la fois où un pirate m’a attaqué avec une flute ? »