Tu es resté prisonnier d’une maison étrange, baraque de bois qui n’est plus qu’une ombre qui s’étend sous tes pas, couvrant celle que l’on a osé te prendre. Tu rêves de panneaux de bois contre lesquels tu poserais ton dos, jusqu’à les teindre comme le soleil qui de dessine contre la fenêtre et les rideaux fleuris, que le sang s’imprègne comme il le fait dans ta tunique, rayons semblables à des flammes venues te dévorer.
Ce n'est pas un bon souvenir, tu voudrais qu'il reparte avec les autres.

Le Givre a cessé de s’intensifier et tu ne l’as pas remarqué—L’Ange a dit de lui apporter une offrande chaque jour, sans quoi tu ne pourras être épargné. Voilà bien longtemps que tu ne rêves plus de pardon, encore moins d’être sauvé. Tu as tenu, rire sur tes lèvres autrefois entourées de fil, cicatrice contre laquelle tu presses régulièrement tes doigts, et c’est suffisant, selon toi. Que reste-il, Seraph ? Outre le sourire que tu offres lorsqu’on te demande pourquoi tu quittes l’Ossuaire et que ton rire sonne terriblement semblable aux leurs. Et si tes ailes poussaient en pleine nuit, que de traître tu devenais monstre, ton corps recouvert de l’amour de Dieu ? Tu aimerais plutôt crever, ça c’est sûr. On te demande où tu te rends et tu réponds le désert, on t’a raconté une fois, que des choses extraordinaires s’y trouvaient. Alors, pourquoi pas commencer par là ?

(La logique a toujours tendance à éluder tes pensées.)

Tu marches depuis une éternité—ce qui, par ici, n’est guère sensé—ampoules qui pressent dans tes chaussures à chaque pas tandis que tu t’enfonces dans les dunes, le sable ne cessant de résonner sous tes pas. C’est étrange, de ne croiser personne—pas que tu regardes, trop obnubilé par cette quête qui t’as été imposée ; trouver l’Arbre à Plumes et y déposer—ah tu n’as pas pensé aussi loin. Peut-être que tu te prendras quelque chose. Après tout, tu dégoûtes l’Ange tout autant qu’il t’effraie. Alors quelques mèches de cheveux décolorés, ou bien ta langue, ça serait un présent d’une cruauté qui te permettrait peut-être de t’échapper de ce monde. D’être libre.

De ta voix s’échappent des murmures qui n’ont ni début ni fin, uniquement là pour remplir le vide qui ne fait que s’étendre. Oh non, tu risques de faire pleurer Pit… et Yarn va se fâcher si tu termines pas vos super projets de couture à ses côtés ; rien de tout ça n’est assez pour t’arrêter dans ton élan malsain et improbable.

Tu n’es pas un putain d’ange, Seraph.
Tu sais bien que tu ne survivras pas au froid, aux anges, et à tout le reste.

Tu as oublié en quoi c’était important.

Tu finiras bien par tomber—sur ce que tu cherches, ou bien pied butant contre une dune—par mettre un terme à tout ça. Tu en a perdu tes héros, égarés au profit des peurs, et tu ne penses pas—tu es trop pris dans tes rêveries, te tenant à l’orée d’un monde dont tu crois comprendre la création—assez à ce qui t’entoure. Tu ne te dis pas qu’on viendra te chercher, ou alors ça sera le job de l’Ange qui s’est glissé dans tes pensées, lui dont tu sens encore le contact contre ta peau pas assez recouverte. Pourtant, malgré les issues inexistantes, le désert qui se répète et se répand autour de toi, tu continues d’avancer, insensible au monde. Au même titre que la douleur qui s’en est allée bien avant l’île, ton cœur te paraît avoir été éviscéré pour qu’on en retire les émotions, qu’on les range ailleurs, peut-être qu’elles servent d’offrandes.

Tu ricanes, jusqu’à ce que ta gorge refuse d’émettre le son, lassée par cette éloge à ce que beaucoup jugeraient comme étant de la folie. Seraph, c’est bien compréhensible, que tu ne planifies pas de retour à un tel voyage, néanmoins as-tu songé que d’autres s’en chargeraient à ta place ? Visiblement pas. Et, malgré ta marche constante, il est fort possible que tu te sois égaré, que tes pas aient tourné en une danse étrange te ramenant au point de départ. Marcher droit, c’est pas ainsi que tu fais les choses, après tout.

Un écho résonne dans le désert, un nom qui te semble familier et impossible à la fois ; le tien. Tu as beaucoup de choix qui s’effacent, qui deviennent murmures contre tes lèvres gercées tandis que tu tentes d’avoir un élan de discernement qui, soyons honnêtes, n’est pas des plus efficaces. Oh, quelqu’un est venu.

Tes pas ralentissent, quoique sans s’arrêter.
Tu ne dois pas aller vers la voix, ça doit être un piège des anges, une tentation de plus.

Tu ne dois pas écouter, pas croire, pas aimer, pas vivre, pas exister.

Prenant une inspiration, tu lèves tes mains, couvrant tes oreilles avant de continuer à t’enfoncer dans l’étendue interminable.

Plus loin, jusqu’au bout du monde. Si tu en chutes, que tu imites un châtiment divin sur ta propre personne, est-ce que tout deviendra silence ? Le soulagement serait intense, ton dos cesserait de te tirailler, de te donner l’impression que quelque chose ne cesse de grandir sous la peau, sous les cicatrices forcées sur ton corps lorsque tu étais encore si jeune ; secret inavoué qui brûle et qui a brisé ton esprit bien avant l’île. A présent, plus les cris se rapprochent, plus ils grandissent, moins tu sembles capables de les reconnaître. Tout est tordu, déformé en une monstruosité permanente qui a décidé d’arracher le visage d’un enfant pour le porter.

Lequel ? Tes pas ralentissent, ombre absente à tes côtés, fatigue qui s’est imprimée si profondément que te retourner te fait presque chavirer. La mort serait venue ? A quoi bon, puisque les anges peuvent la déjouer, se vantent parfois de la manipuler. C’est l’humanité qui s’est infligée un tel sort, tu ne peux que pleurer d’être le seul être sur cette île à connaître cette trame du passée. Les larmes coulent sur tes joues, te rendant incapable de voir correctement.

« Les anges ! » Tu hurles, tu penses que ça possède un quelconque sens, avec ta voix brisée, la sueur qui s’est accumulée sous ta frange, « ne me suivez pas ! Ne venez pas récupérer mon corps ! » Il n’est pas à vous, tu voudrais ajouter. Ta voix s’étrangle, te forçant au silence, genoux qui ploient sous le reste, qui te font t’écrouler dans le sable. Tu parviens à te rasseoir, joue recouverte de sable. Il y en a partout, dans tes vêtements, dans ta bouche et dans ton âme.

Avec des gestes dénués de sens, tu entâmes un combat contre tes vêtements, contre ta veste et ton haut, pour les retirer, t’arrêtant à mi-chemin, veste qui tombe de tes épaules, yeux grands ouverts ; tu as l’air totalement à l’ouest, prêt à te rallonger et à te laisser mourir juste là. Et tu devrais le faire, ça te ferait du bien.

« Allez crever, » ton sourire, si grand—gigantesque, qui dévore ton visage, tirant sur ta cicatrice encore fraîche sur le coin de ta bouche, est un hymne à l’horreur, au dégoût. Tu veux qu’ils dégagent. « Les anges. »

TW:

Si près—est-ce que leurs yeux sont les bons ? Leurs voix ont-elles le timbre habituel ? Quelque chose s’est emparé de l’enfant que tu connais, et de l’autre qui est forcément un monstre. Et ça porte leur peau par-dessus la véritable, cachant ce qui ne peut être vu sans en mourir. Les anges ont cette satanée manie de s’emparer de ce qui n’est pas à eux, c’est pour ça que tu sens les ailes dans ton dos, qu’elle presse contre tes organes jusqu’à les comprimer.

Pour ça aussi que tu ne crois pas une seconde les inconnus qui se dressent devant toi. On s’approche avec une telle lenteur uniquement pour contenir, pour éviter une fuite malencontreuse de la proie.

La liste refuse de se finir, noms qui n’ont rien à faire sur la langue d’un menteur. Et si tous les Raccommodeurs étaient perdus, à jamais ? Embarqués par les anges vers un nouveau monde, ne laissant que des coquilles au regard vide. Tu dois t’en assurer, ouvrir—ton corps trésaille, le sable collé à sa joue par la sueur, et tu te redresses. Pas très droit, veste qui est tombée jusqu’à ses coudes, qui rend ton apparence débraillée.

Ton rire résonne dans le désert, un peu de bave qui colle à tes lèvres décidément bien trop seiches.

« Vous avez volé leurs visages ? » Et toi, qui est capable de se recoudre et de défaire les fils tout aussi rapidement, en un jeu sans fin, tu n’auras pas d’hésitation à s’en prendre à ceux que tu es incapable de reconnaître.

Sans plan, pas besoin d’un, puisque tu as prévu de mourir ici et maintenant, de t’effriter en une pâle imitation du sable qui t’entoure, tu es celui qui avance. Qui se fait brutal et sans pardon. Est-ce que des milliers d’yeux se tapissent sous leurs vêtements, bouches remplies de sermons et de jugements ? Tu vas vérifier.

Quitte à crever, autant le faire de la façon la pire possible. Ta taille rend tes enjambées suffisante pour être bientôt assez près. Et tu vas te jeter sur eux, c’est évident. Sur lequel ? Le plus grand, celui qui a tué Wobbly, juste comme ça, pour s’amuser, et qui l’a remplacé par ça.

Et s’ils comprennent ton geste, la façon dont ton corps part soudainement en avant, qu’ils t’arrêtent ce n’est pas grave.
Ils ne peuvent pas te torturer plus que tu ne l’as déjà été.

Et tout ce qui te reste, qui te hante bien plus que le présent, c’est celle pièce aux murs recouverts de panneaux de bois—la chaleur qui a grimpé du sol jusqu’à ton visage, en ce baiser des anges qui a détruit tout ce que tu aurais pu avoir de bien. Tu peux idolâtrer Pit, tu peux adorer les Raccommodeurs, ça ne te rend pas comme eux pour autant. Il te manque quelque chose, ce petit rien qui te chuchote que leur arracher le visage ça n’est pas grave. Après tout, ça se recoud, ces machins. Tu as besoin d’effectuer cette vérification, d’être certain—comment croire, en eux, en toi-même ? L’Ange aux lèvres brûlantes, l’autre, celui de ton présent, il est derrière toi, tenant tes poignets entre ses mains aux doigts trop longs. Il quémande un sacrifice.

« L’Ange se moque de moi, » tu murmures, essuyant un filet de bave du revers de ta main. Tout tourne, le manque d’eau et de nourriture, ton dédain évident pour ta santé ces derniers temps, ça doit se voir. Même ta chevelure est plus sombre vers les racines, parce qui pourrait se soucier de les décolorer lorsque tu devrais juste crever ici et maintenant.

Cette caricature de Wobbly—les détails sont si bâclés, de son sourire à sa voix. Tu es certain que ce n’est pas la bonne. Pour l’autre, le grand, c’est plus compliqué, tu ne le connais pas suffisamment pour être certain. Dans les deux cas, ce sont des hypocrites qui ont enclenché une nouvelle phase du jeu. Une pleine de tentations, de gâteaux qui font protester ton ventre, et d’eau dont ta gorge a affreusement besoin.

La dernière offrande—ce sourire qui a certainement été arraché à l’enfant puis reproduit sur le patch en un simulacre de vie—elle t’arrache un son étranglé. Quelque chose d’horrible, qui peine à s’arrêter. Si c’est vraiment Wobbly—ça ne peut pas l’être.

Tu hésites, ton corps peinant à suivre les mouvements erratiques qui se produisent dans ta tête. Trop de contradictions, de miracles et de punitions qui se mêlent. Tu en perds l’équilibre, tombant à genoux, doigts qui se tendent vers l’enfant pour ensuite se reculer, pour éviter de l’étrangler, de faire rouler ses pouces contre sa gorge jusqu’à pousser la peau. A la place, tu enfouis tes mains dans tes cheveux, en gémissant.

« Vous n’êtes pas réel—l’Ange a dit—»

Et tu ne te souviens plus de ses paroles, ni même de ton nom.
Tout est trop d’un coup.