Loin d’être gêné par son allure de jeune infirme, Samuel répondit de son ton neutre :

« Je peux comprendre, plus ou moins. Je suis déjà cassé de partout, mon dos, mon bras—c’est un monstre qui l’a coupé—donc je n’ai plus grand-chose à égarer de plus. »

« Oh. »

C’est tout ce qu’il trouva à répondre à cette confession. Il se sentait soudain très con. De toute évidence, l’autre était bien plus mal au point mais s’exerçait malgré tout. Il avait l’impression de passer pour un incapable ou une poule mouillée. Et pire, il n’avait aucune idée de réponse pour rebondir après une histoire pareille. Il n’allait certainement pas demander les détails mais quand même… S’il ne rebondissait pas, est-ce qu’il passait pour un connard ?

« Une fois encore, mes excuses pour plus tôt. C’est—la merde. En ce moment. »

« Oh bah… Non, pas de problème, vieux. »

Vieux ? Jim s’infligea une gifle mentale. A trop vouloir détendre l’atmosphère, il s’égarait dans des manières qui ne lui ressemblait pas.

« T’as raison en ce moment, c’est vraiment… de la merde. »

Il n’y avait pas d’autres mots.

« Mais je veux dire… c’est toujours mieux que de mourir pas vrai ? »

« Oh bah… Non, pas de problème, vieux. »

Même après avoir vécu—depuis trop longtemps, sans doute—sur l’île, il reste des expressions, des termes que Samuel n’a jamais entendu. Est-ce qu’il fait vieux, avec ce corps qui le lâche de partout sans parvenir à rattraper les morceaux qui s’égarent ? Ah, peut-être. Ce n’est certainement pas une insulte, plutôt une réalité. Il est vieux, non ?

Peut-être qu’il prend tout de façon trop littérale.

« T’as raison en ce moment, c’est vraiment… de la merde. Mais je veux dire… c’est toujours mieux que de mourir pas vrai ? »

Un frisson, qui devient rapidement un spasme incontrôlé de son côté meurtri, le traverse. Reaper—elle voulait qu’il vive, qu’il paye le poids de cette confiance aveugle et stupide qu’il avait en elle. Ses doigts se posent contre son épaule, n’osant pas aller plus bas. Inspiration, expiration. Réalisant qu’il a laissé un blanc gênant, Samuel hoche la tête. A peine.

« Oui. Mieux vaut vivre. Je peux le faire, je crois. »

C’est juste qu’on—que les gens le considéraient déjà comme inutile à cause du reste, et maintenant il en a rajouté une couche en perdant son avant-bras.

« Un orbleu m’a coupé le bras avec ma propre épée, pour ne pas que je me transforme, pour me punir, » et il ne devrait pas dire une telle chose, mais les mots sont plus rapides que son esprit et c’est presque obscène, de révéler un tel détail. Peut-être que ça explique sa colère et son attitude, pas que ça soit plus qu’une excuse à ses yeux, « j’ai du mal avec—tout. »

Si Jim espérait sincèrement que la conversation prenne un tour moins désespérant mais il s’y était mal pris. Il avait noué la corde autour de son cou et Samuel n’avait plus eu qu’à mettre un coup de pied dans le tabouret.

« Oui. Mieux vaut vivre. Je peux le faire, je crois. »

Ces paroles lui firent l’effet d’un coup de poing dans le ventre et il eut toutes les peines du monde à rester impassible. Mais ses yeux s’écarquillaient, son regard se fixait dans le vide et un sourire contrit barrait son visage.

« Un orbleu m’a coupé le bras avec ma propre épée, pour ne pas que je me transforme, pour me punir.
— C’est… horrible. »

Ses lèvres bougeait et il entendait sa voix sortir presque mécanique débiter des politesses automatiques.

« J’ai du mal avec—tout. »
— Ça doit pas être facile. »

Et puis plus rien. Samuel le dévisageait à présent, attendant sans doute une réponse plus élaborée ou pire : qu’il le relance. Allait-il s’épancher sur ses propres états d’âmes ? Après tout, entre sa condition physique, la disparition du Jolly Roger et des membres de son équipage, le froid, Freckles, Boy, et l’odeur de steak grillé que dégageait Zeb, il aurait eu de quoi écrire un bon roman. Mais ça, il en était hors de question. Se confier à Tijl lui avait fait du bien mais cet échange là n’avait rien de semblable.

Ce n’était pas une discussion c’était une prise d’otage.

Jim déglutit. Il lui fallait une idée mais il avait l’esprit résolument vide, l’angoisse de la page blanche. Rien ne lui venait pas même la moindre banalité. Il en vain à prier pour que quelqu’un, n’importe qui, passe par ce putain de couloir et fasse un genre de diversion pour qu’ils mettent fin à cette conversation de manière naturelle. Mais ils étaient seuls. IL était seul. Avec lui.

« T’as faim ? »

Ce n’était pas grand-chose mais il eu l’impression qu’en lui, toutes ses angoisses s’étaient levées de leurs sièges et avaient levé les bras pour l’acclamer tandis que son bon sens s’était barré en claquant la porte.

« Ça doit pas être facile. »

Entre tout déverser—perte de contrôle semblable à celle qu’il ressent dès que son corps se rappelle à lui—et étouffer chaque vérité pour la tourner en un vulgaire mensonge, aucune solution ne se dessine comme plus profitable que l’autre. Le antalgiques qu’on lui donne, calmants écrasées dans des boissons au goût infect, ne doivent pas aider une forme d’auto-préservation quelconque. Néanmoins, Sky ne poursuit pas ce flot qui se coince en travers de sa gorge.

« T’as faim ? »

Il hésite, tentant de chasser cette boule qui s’est logée dans sa trachée et qui y fait pression—Sky ne s’était jamais soucié des autres, avant. De leurs histoires, de passés un peu en bordel qu’ils se traînent aussi. Lorsqu’il ira mieux, il se murmure de se la fermer, de créer des vérités plus digestes, qu’importe que le contenu soit un patchwork mal-cousu.

« Ouais, » qu’il lâche sans trop s’en rendre compte. Ouais, c’est—pas ainsi qu’il s’exprimait et il doit arrêter de faire des parallèles entre passé et présent, ça va le rendre dingue.

« J’en peux plus de la soupe qu’on me refile, » soit-disant pour sa convalescence.

Deux doigts glissent de ses lèvres à l’oreille, traçant un bleu sur sa joue qui provient d’une chute en skate. Rien de bien terrible, juste un soupçon de vert qui aura bientôt mis les voiles.

« Tu veux aller te servir ou bien cuisiner quelque chose ? » Sky fourre un peu n’importe quoi dans les blancs que son discours a laissé, inconfort qui est resté entre les deux garçons. Est-ce que le blond a des talents quelconques en cuisine ?

Pour être honnête, du moment qu’il mange un truc solide, il ira pas se plaindre. Quant à savoir si c’était une invitation à aller souper ensemble—disons que l’adolescent l’a interprété comme tel.

La question de Jim fut suivie d’un long silence pesant tandis qu’il restait là, immobile, les yeux fixés sur son interlocuteur. Son regard intense se faisait presque implorant. Il fallait que Samuel accepte. Il le fallait, sinon ils resteraient bloqués dans cette conversation et là…

« Ouais. »

Les épaules du mousse retombèrent lourdement alors qu’une vague de soulagement l’envahissait. Des muscles dont il ignoraient l’existence venait de se relâcher et il se sentit presque rajeunir.

« Parfait !
— J’en peux plus de la soupe qu’on me refile.
— On trouvera autre chose, alors.
— Tu veux aller te servir ou bien cuisiner quelque chose ?
— On va improviser ! »

Jim l’entraîna à sa suite, bien décidé à ne pas lui laisser le temps d’en placer une.

Quelques minutes plus tard, les deux garçons s’installèrent dans une cuisine encore désertée. Après une brève inspection des réserves, Jim proposa à son invité un classique de la gastronomie : un sandwiche. Désormais tous les deux servis, Jim décida d’ouvrir le bal pour montrer sa bonne volonté et qu’il ne comptait pas empoisonner qui que ce soit.

« Bonne Appétit ! » qu’il lui lance la bouche pleine.

L’unique pensée qui lui vient, entraîné dans une marche vers les cuisines, c’est que Jim devait être sur le point de mourir de faim ; nul doute que cette pauvre âme avait loupé le dîner. Sinon, d’où viendrait cette soudaine énergie qui semble animer l’autre garçon ? C’est encore plus évident alors que Jim s’élance sur son sandwich, en prenant une bouchée conséquente au passage. Sky met plus de temps à se décider—pas parce que ça ne lui donne pas envie, ce pain un peu dur qui englobe monts et merveilles est le Saint Graal des sandwiches.

« Merci pour ce repas. »

C’est plus que s’il serre ses doigts autour du sandwich à une main, il craint que certains éléments se retrouvent par terre. S’il garde le silence, skate abandonné à ses pieds, Sky prend une éternité à tenter de trouver une parade, finissant par se lever pour chopper un couteau—même ça, c’est un plan foireux, comment est-ce qu’il va tenir le sandwich en place pour le couper en petits bouts ?

Posant l’arme à côté du sandwich, histoire de bien faire comprendre au blondinet qu’il ne compte pas l’embrocher telle une saucisse pour sa cuisine, l’adolescent se sert de sa main pour la passer contre ses lèvres et sa joue, signe habituel de réflexion chez lui.

Demande de l’aide, c’est admettre avoir un problème ; pas son truc, lui qui a toujours tenu à être indépendant au moins sur le plan physique. Peut-être qu’en appuyant sa manche nouée contre—non, salir les bandages par transfert reviendrait à se réserver un créneau pour se faire engueuler par Rain. Très peu pour lui. Se rasseyant, il agrippe l’arme fermement, la glissant contre le rebord du sandwich pour en couper un petit morceau. Est-ce que ça fait des miettes ? Ouais mais au moins il peut porter la pièce coupée à ses lèvres.

« C’est bon. » et le pire c’est qu’il est sincère—il va juste lui falloir un moment pour tout manger quoi.

Ce n’était pas l’image qu’il se faisait d’un petit-déjeuner idéal : assis en face d’un inconnu et d’un sandwich gros au thon. C’était de genre de situations qu’ils éprouvaient un genre de regret pour les repas au Grand Arbre, le choix, les sucreries, … Mais il gardait du reste un souvenir suffisamment pourri pour oublier vite ce genre de pensées.

« Merci pour ce repas.
— De rien. »

Jim remuait nerveusement sur son siège. C’est vrai qu’il reprochait au pirate de manquer cruellement de savoir-vivre. Un petit merci de temps en temps ne les tuerait pas, merde ! Mais chez Samuel, tout était si cérémonieux qu’il n’y trouvait aucune satisfaction. Au moins, il avait l’air content.

Jetant un regard vers son interlocuteur, Jim découvrit avec effroi le garçon batailler maladroitement avec son sandwiche. Lui qui pensait pourtant que c’était un repas simple et sans prise de tête, il se sentait un peu con. Ce n’était pas comme s’il l’avait fait exprès mais… Quand même…

Il baissa vivement les yeux sur son repas pour éviter de croiser le regard du garçon. Il éprouvait une gêne à l’idée d’être surpris en train de profiter de ce spectacle un peu pathétique. Mais alors qu’il dévorait son sandwich au thon du regard, il entendit :

« C’est bon. »

Samuel était un garçon étrange. Mais il était une chose que Jim avait déduit sans trop de difficulté : ce garçon n’était pas du genre à mentir. En tout cas, pas dans un souci de politesse.

« C’est pas de la grande cuisine ! » rétorqua le mousse, quelque peu embarrassé.
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Bout par bout, Sky parvient à avancer dans ce qui est un très bon sandwich. Au moins c’est du solide, et pas de la soupe qui a toujours le même goût même si on lui dit que c’est pas la même. Il essaye de ne pas faire attention à la difficulté qui se glisse dans chaque geste, la situation est pas vouée à changer, donc il préfère y mettre de côté pour s’en agacer plus tard.

« J’espère pouvoir repartir bientôt, » Samuel balance entre deux bouchées, « ou—enfin, probablement, oui. »

Comme s’il allait rester au Ranch, planqué dans une chambre dont il peut à peine sortir sans se prendre mal parce que tenir debout sans médocs lui retourne l’estomac. Sky ne se sent pas vraiment de rentrer, pour être sincère, de se taper le chemin jusqu’au Grand Arbre, pas avant que les choses redeviennent comme avant.

Enfin, dans la limite du possible. Il doute que les bras repoussent. Coude sur la table, il abandonne son sandwich, pressant sa main restante contre sa joue pour observer Jim.

La grande activité du jour, visiblement.

« Pourquoi t’as quitté les perdus, toi ? » Son regard est légèrement embrumé, certainement à cause des antidouleurs en quantité importante dans son organisme et du repas. Ah, c’est pas le meilleur moment pour demander ça, pas alors qu’il commence à sérieusement fatiguer. « C’est cool si ça me regarde pas, juste—voilà. »

Finalement, Samuel avait trouvé l’astuce et il semblait manger de bon appétit. Ainsi, Jim put poursuivre son repas sans être trop tenté de lancer des regards furtifs vers son interlocuteur.

« J’espère pouvoir repartir bientôt, ou—enfin, probablement, oui. » fit ce dernier.

Jim ne pouvait pas lui donner tort. Même s’il doutait que la situation soit franchement meilleure dans les autres coins de l’Île. Mais c’était indéniable que le port était nul et pas l’endroit le plus sûr pour des mineurs.

« Pourquoi t’as quitté les perdus, toi ? » lui demandait-on soudain.

Jim s’étrangla avec la bouchée de son sandwich qu’il venait de prendre et se mit à tousser bruyamment. Il frappa son torse avec quelques coups de poings vigoureux avant de retrouver son souffle, ravaler ce qui était mal passé et fixer Samuel.

« C’est cool si ça me regarde pas, juste—voilà.
— Ouais voilà, c’est hyper personnel comme question. »

Jim se remit à mastiquer, traits tirés, corps crispé à l’évocation du pire chapitre de sa vie. Ce n’était pas la première fois qu’on lui posait la question, certes. Mais ça faisait longtemps et surtout cette fois, ce n’était pas un pirate en recherche d’une anecdote croustillante. C’était un gamin.

« C’était un accident. » il lâche enfin. « Quelqu’un est mort et tout le monde dit que je l’ai tué. Et c’est une lecture HYPER simpliste d’une situation très compliquée et merdique. »

Son sandwich avait pris un goût de cendre dans sa bouche. Il le reposa en laissant échapper une moue écœurée et le repoussa sur la table.

« En plus c’est lui qui a commencé. »

Assassiner un ex-collègue en le regardant s’étouffer serait malvenu, presque malheureux. Sky doute de pouvoir effectuer une quelconque manœuvre de secours à une main, et encore plus de songer à sauver la vie de qui que ce soit. Dans son état, au mieux, il fixerait le corps au sol en mastiquant son sandwich.

Tandis que Jim déblatère sur son passé tragique de perdu qui a mal terminé, Sky écoute, n’ayant plus vraiment faim non plus d’un coup.

« Hm, » il cligne les yeux, avec une lenteur pleine de fatigue, « on vire les gens pour si peu ? » C’est que sa mémoire effilochée lui rappelle plusieurs soigneurs qui sont restés malgré—quoique non, y’en a une qui jarté définitivement. Sky devrait le savoir, c’est la personne qui l’a traîné jusqu’au Ranch.

« Qui n’a pas déjà tué, et pas que par accident, » qu’il se contente de lâcher, pressant sa joue contre sa paume, son regard passant de Jim à un pan de mur derrière lui, « dommage que la situation se soit retournée contre toi. »

L’Injuste ne paraît pas désolé outre mesure ; Jim n’a pas l’air de détester sa vie de pirate, donc pourquoi le plaindre ?

« Freckles n'a probablement même pas remarqué mon absence. » Le Livreur ajoute, la bouche pâteuse.

La réaction de Samuel n’était pas vraiment celle qu’il attendait. Le peu de personnes à qui Jim avait raconté son histoire étaient des pirates. Certains lui avaient montré de la compassion, d’autres lui avaient témoigné une fierté mal placée dans son potentiel de tueur, et ça lui avait donné la chair de poule. C’étaient des pirates, forcément.

Samuel n’avait pas l’air attristé, ni même choqué. Il avait plutôt l’air de s’en foutre.

« Hm, on vire les gens pour si peu ? »

Si peu ? Quelqu’un était mort quand même ! Circonstance atténuantes, mais quand même !

« Qui n’a pas déjà tué, et pas que par accident.
— C’est exactement ce que je leur ai dit ! s’écria Jim, la gêne laissant place à un sentiment de révolte et de frustration couplée par la satisfaction de l’assentiment.
— Dommage que la situation se soit retournée contre toi. »

Dommage. Jim ramassa son sandwich et se mit à le mâchonner sans grand enthousiasme. Au final, il s’en sortait pas si mal. Oui, ça avait été horrible et il avait failli se faire tuer pour ça. Mais de toute façon, il n’avait jamais été heureux au Grand Arbre. Ici, c’était pas le paradis mais c’était plein de possibilités.

« Freckles n'a probablement même pas remarqué mon absence. » fait soudain Samuel.

Jim secoua la tête, laissant échapper un genre de gloussement nerveux. Puis il réalisa qu’il était sérieux.

« C’est pas sûr. Freckles est du genre sentimental. »

Après tout, il s’était souvenu de lui malgré leur longue séparation et sa haine, fraiche comme au premier jour, avait failli lui couter la vie.

« Mais si tu t’éternises, il risque de t’oublier. Tu comptes rester ? »

Le cri de révolte de Jim est si inattendu que Sky a du mal à réaliser ce que le garçon vient de dire. C’est qu’il a l’air de prendre ça à cœur. Plutôt logique pour le commun des mortels, et il est dommage que Sky galère à ce point à réfléchir à cet instant précis. Il se contente d’un vague ‘hm, hm’ qu’il espère compréhensif.

Puis Jim lui balance deux phrases qu’il juge contradictoire, entre l’amour et l’oubli, et ça laisse ses neurones dans une position mal-agencée pendant un long moment. Ce n’est pas que Sky a spécialement envie de fixer la toile d’araignée dans un coin du mur, juste que son esprit ne parvient pas à mieux faire. Après ce qui lui paraît être une éternité (au plus quelques secondes), il s’appuie avec son coude sur la table, pressant sa main contre son front pour cacher son regard déconcentré.

« J’ai tellement de médicaments dans mon corps que je ne tiens pas debout très longtemps… J’ai juste mal. En permanence. » S’il ne se traînait pas des douleurs chroniques par-dessus sa blessure la plus récente, sans nul doute que Samuel aurait plus d’aisance à se déplacer. Malgré le dosage élevé qu’on lui donne, ça reste compliqué à supporter.

Lui ne s’en plaint pas ouvertement en général, peu habitué à ce type d’effusion.
On ne veut pas des faibles, après tout.

C’est ce qui doit inquiéter ses médecins ; cette résistance que Samuel s’inflige, incapable de se reposer par crainte qu’on le mette dehors.

« Je peux à peine manger et m’habiller seul, donc je suis coincé, » il y a quelque chose de brisé dans sa voix, une note de fatigue si forte qu’elle fait trembler ses doigts restants, « Je n’ai pas encore décidé. »

Quel formidable aveux à balancer à Jim ! Comme si le pirate n'avait que ça à faire, qu'il allait lui balancer ses conseils de traître en chef, « Je dois en parler avec Shark. Quand je serais capable de le faire. Si Freckles m’oublie entre-temps, ça sera plus simple, quand on y pense, non ? »

A avoir disparu si longtemps, il est forcément devenu un traître aussi, dans le fond.

Il y eu un court silence Durant lequel Jim supposait que Samuel examinait ses options. Mais en l’observant, Jim réalisa qu’il n’avait pas l’air de cogiter. Seulement de… s’accrocher désespérément.

« J’ai tellement de médicaments dans mon corps que je ne tiens pas debout très longtemps… J’ai juste mal. En permanence. Je peux à peine manger et m’habiller seul, donc je suis coincé. Je n’ai pas encore décidé. Je dois en parler avec Shark. Quand je serais capable de le faire. Si Freckles m’oublie entre-temps, ça sera plus simple, quand on y pense, non ? »

Il y eut un long silence, cette fois. Probablement parce que Jim ne répondit pas. Il fixait Samuel, une espèce de réalisation dans le regard. Un Ah qui menaçait de sortir.

Il venait de comprendre un truc.
Un truc important qui expliquerait pas mal de choses.

« Mais en fait t’es complètement shooté, c’est ça ? »

Si Samuel était venu d’une autre époque, il aurait émis un petit ‘ding’ de victoire.

Malheureusement, le verbe ‘shooter’ n’étant pas inclus dans son vocabulaire, ou tout du moins pas dans ce sens là, sa réponse est un clignement lent des paupières. Puis un second. Et la main qui glisse du front pour venir soutenir son menton tandis qu’il offre à Jim le même regard qu’il aurait pour une poignée de porte qui aurait accroché son haut au passage.

« Hm ? Je ne vois pas ce que tu veux dire—tu parles des médicaments ? Que j’en ai beaucoup dans le corps ? Si ça c’est—si c’est ça, ouais. »

Il lâche le dernier mot sans grande élégance, trop pâteux pour réfléchir à ce que Jim aurait pu vouloir dire d’autre de toute manière.

« Je vais retourner m’allonger, merci pour le sandwich. »

Dès l’instant où Sky effectue un pas unique en arrière, il sent que c’est pas une bonne idée, c’est comme être fait de gelée. Une gelée bien visqueuse qui colle sur le sol et qui embrouille sa tête.

Maintenant qu’il envisageait cette hypothèse, l’ancien mousse trouvait un sens nouveau à toutes les étrangetés auxquelles il avait assisté. Samuel shooté, ça expliquerait beaucoup de trucs. Il se sentait même un peu con de ne pas l’avoir capté plus vite.

« Hm ? Je ne vois pas ce que tu veux dire. », Jim haussa un sourcil, l’air sceptique. « Tu parles des médicaments ? Que j’en ai beaucoup dans le corps ? », Il hocha la tête, en assentiment. « Si ça c’est—si c’est ça, ouais. »

Il y eut un silence gênant où Jim se dit qu’au fond, Samuel n’était pas un mauvais bougre. Un peu bizarre, certes. Un peu gênant, aussi. Mais au fond, c’était un gosse un peu paumé qui avait traversé beaucoup d’épreuves. Comme lui, en fait.
Et puis : ça faisait une éternité que Jim n’avait pas discuté avec quelqu’un de son âge sans se faire agresser physiquement.

« Je vais retourner m’allonger, merci pour le sandwich. », annonça finalement Samuel en effectuant un pas chancelant.

Jim tressaillit quand il crut le voir basculer en arrière. Il faillit se lever, se ravisa, se redressa quand même.

« Euh t’es sûr ? Tu veux que je t’accompagne ?  », il demanda sans réfléchir.

Il imaginait bien Samuel s’évanouir dans un couloir jusqu’à ce qu’un pirate, moins sympa, ne décide de lui faire un sort.