C'est vrai qu'en y repensant, Smoke n'était peut-être pas réellement lui-même. Peut-être qu'après tout ce temps, la cigarette avait fini par effacer son âme, et que la fumée avait pris possession de son corps, devenu coquille vide...
Oh, ça pouvait être possible, sur cette Île. Mais une telle façon de penser faisait très Creepy-esque. N'était- il pas celui qui parlait zombie et science-fiction ? En soi, c'est assez cool... Oh, pourquoi donc lui en vouloir autant, d'ailleurs ? Ils discutaient si bien, là, dans l'instant présent.

- Il est peut-être plus simple d'avoir de l'importance pour une personne que pour cent… mais il est aussi plus simple de perdre une seule personne.

- Se lier est éprouvant dans n'importe quel cas. Je suis plus à l'aise avec Pumpkin qu'avec les humains. Tu peux t'enfumer et ne jamais bouger, te perdre dans le brouillard et être d'accord avec ce choix. Rester là où tu es. Ou bien tu peux être la plus visible, bien être vue, prétendant être sûre de toi alors que tu continues d'avancer sans connaître la destination. Aucune réponse n'est mauvaise.

Mince, c'est que leur discussion prenait réellement un tournant philosophique. C'était tout de même assez agréable de pouvoir ainsi parler à cœur ouvert, tout le monde pouvait donner son avis.
C'était peut-être ça, son problème, au final ? Heaven ne savait pas où aller parce que les autres ne lui donnaient pas leur avis. Mais après, en écoutant autrui, il est aussi vrai qu'elle était passée à côté de beaucoup de choses.
Encore une impasse. Cette indécision devenait ennuyeuse, à force ! Au moins, leur conversation avait le mérite d'être à la fois intéressante et distrayante.

- Je ne vous pensais pas si philosophes !

Rit la Récolteuse, qui affiche un petit sourire discret. Dans l'instant présent, elle ne déteste personne, pas même son propre Chef qu'elle a encore du mal à accepter. Elle est juste en train de tenir une discussion sérieuse ayant pour base son ressenti.
Était-ce simplement parce que c'était elle, le sujet de conversation, que cela lui faisait autant plaisir d'y participer ? Ou se laissait-elle seulement porter ? C'était agréable de discuter un peu avec autrui. Elle devrait le faire plus souvent.
Mais pas avec n'importe qui.

Les Récolteurs, c'est un peu une famille encastrée dans la plus grande famille qu'était la communauté des Garçons Perdus. Cette discussion ne sortirait jamais du groupe, hein ? Cette discussion restera jamais un secret à trois ?
Peut-être pas. Si jamais ça s'ébruitait, est-ce que les autres comprendraient, est-ce qu'il y aurait des conséquences ? Mince, il y avait vraiment trop de possibilités à prendre en compte...

Adviendra ce qu'il adviendra, la Mésange n'allait pas s'arrêter de parler comme ça. Au mieux, il ne se passera rien. Au pire, les conséquences pourront l'aider à s'orienter, plus ou moins radicalement.

- C'est dingue, tu viens de me résumer en deux mots, Creepy. Tu es vraiment observateur... j'aimerai bien que nos conversations soient toujours comme ça.

Lâcha soudain Heaven. Que son Chef retienne bien ce qu'elle venait de dire, parce que ce n'est pas tous les jours qu'elle lui dira quelque chose de gentil !
Elle pourrait d'ailleurs très bien continuer le sujet de conversation, mais ça paraissait mal parti. Entre celui qui ne donne pas son avis et l'autre qui en donne un, contraire à ce qu'elle espérait, elle n'irait pas loin.
Ça avait pourtant un semblant de logique. Cent moins un égal quatre-vingt-dix-neuf. C'est plus avantageux, c'est mathématique, mais la jeune fille n'a jamais aimé les mathématiques.

L'amour et la rêverie, ce ne sont pas des choses que l'on peut prendre en compte dans une équation. Quel en serait donc le poids ?
Dans l'esprit de la Mésange, en tout cas sentimentalement parlant, un Pit valait plus que mille Perdus, tous confondus.
C'est un peu triste, en y repensant. Elle se disait qu'elle allait droit dans le mur en raisonnant ainsi. Mais est-ce seulement grave ?

- Je dois vous ennuyer. Les problèmes de cœur d'une jeune fille en fleur ne sont pas forcément un bon sujet de conversation... Je parle et j'agis souvent sur un coup de sang, en ce moment. On peut parler d'autre chose si vous voulez... en tout cas, ça m'a fait plaisir d'avoir votre avis, et surtout d'en parler.

Ajouta l'adolescente d'un ton calme. Le fait d'être juste posée à parler avec ses collègues avait quelque chose d'apaisant. Ça semblait au moins calmer un peu la migraine.
La preuve en fut que, lorsque la Récolteuse s'étira pour se remettre assise (en un genre de position en tailleurs, mais à sa façon), son mal de tête ne se fit même pas sentir, ou si peu.

« C'est dingue, tu viens de me résumer en deux mots, Creepy. Tu es vraiment observateur... j'aimerai bien que nos conversations soient toujours comme ça. »

Ainsi, l’âme d’Heaven a été sacrifiée pour plaire à une armée de démons et l’un d’entre eux à décider d’habiter son corps. Une idée saugrenue quoique moins improbable que d’avoir une conversation pas si antipathique avec ces deux là. N’est-ce pas à lui de s’assurer qu’ils puissent s’ouvrir les uns aux autres sans crainte ? Hm, Creepy n’est pas le plus talentueux dès qu’il s’agit de s’exprimer. Néanmoins, il ne pourrait jamais en venir à rejeter l’un de ses Récolteurs, pas même le pire des traîtres. Les sacrifier pour le bien commun, par contre—ah, une telle situation ne s’est encore jamais produite, pas depuis qu’il est chef.

Pendant qu’elle leur parle de ‘jeune fille en fleur’, concept qui lui échappe quelque peu—il suppose qu’il s’agit du moment de l’adolescence où l’on s’ouvre à de nouvelles possibilités, comme tomber amoureux ou bien faire des rituels pour s’adresser aux monstres qui hantent ces terres—Creepy se redresse, libérant Smoke du poids qu’il lui imposait.

« C'est rare que quelqu'un soit content de parler de quelque chose de sérieux avec moi. »

Quelle journée étrange. Trop de confessions d’un seul coup, est-ce qu’ils sont sous le joug d’un maléfice quelconque ? Peu probable.  

« Je suis là, si vous voulez parler. N’importe quand. Je peux écouter. Aujourd’hui c’est déjà assez, je pense, » un bâillement étouffé lui échappe en traître, « Pumpkin me manque et je ne sais pas encourager sans. Néanmoins, que tu sois une fille en fleur, un garçon en citrouille, ou en autre chose, n’est pas une raison pour qu’on ne t’écoute pas, Heaven. »

Smoke est quoi, lui ? Excellente question.

« Smoke, tu es un garçon ou une fille ? Ou juste toi ? La réponse n'est pas obligatoire. »

Autant demander quand même, au lieu de le tapoter de son fémur pour obtenir un semblant d’être humain sous les cendres. Creepy se tourne un brin, assez pour tendre sa main vers la cigarette sans la toucher ni faire mine de la prendre. Oh, vu son historique de santé, ce n’est pas l’idée du siècle mais les natifs font ça, non ? Pour se rapprocher.

C'est fou comme l'on pouvait être satisfait juste en déballant ce que l'on avait sur le cœur. Ca avait quelque chose de rassurant, de se rendre compte que lorsqu'elle parlait, il y avait quelqu'un pour l'écouter.
A moins qu'elle n'ait pas réellement de problèmes et qu'elle cherche juste l'attention. C'est possible aussi après tout. Elle avait Pit, non ? Donc, elle n'avait pas de problème. Quelle étrange façon de raisonner que celle de se limiter à la présence d'une seule personne pour se sentir vivant.

Mais bon, se poser des questions sur sa manière de raisonner n'était pas la priorité d'Heaven. Après tout, sa pauvre raison en prenait un coup à chaque fois qu'une coquille lui arrivait.
Le bannissement de son ex ? Ca fait un. La fois où elle a appris la vérité à son sujet ? Ca fait deux. Le fait qu'elle se rende à l'évidence de ses sentiments à l'encontre du pire connard possible au Grand Arbre ? Ca fait trois.
Et il jouait avec sa faiblesse et son instabilité, ce sale type.

Mais bon, encore une fois, la Mésange le lui pardonnait. Pourquoi ? Oh, allez savoir. Elle-même n'en avait pas la moindre idée. Est-ce pour cela que l'on dit que l'amour rend aveugle ?
Ce genre de conversation est encore trop risqué pour être dévoilé.

- C'est rare que quelqu'un soit content de parler de quelque chose de sérieux avec moi.

Oh. Vraiment ? Voilà une preuve que depuis quelques temps, la Récolteuse se désintéressait de ses collègues. Après tout, elle n'avait jamais parlé à Smoke… ou si peu.
Même s'il n'avait pas réellement d'avis -ou avait-il peur de le donner sincèrement ?- il savait écouter ce qu'on lui disait. Qu'il le retienne ? Pas sûr.
Dans tout les cas il servait un minimum à quelque chose, il était là, et c'était plaisant.

- Je suis là, si vous voulez parler. N’importe quand. Je peux écouter. Aujourd’hui c’est déjà assez, je pense.

Fit leur Chef. Il voulait visiblement stopper la conversation. La preuve : il ne put s'empêcher de réprimer un bâillement.

- Pumpkin me manque et je ne sais pas encourager sans. Néanmoins, que tu sois une fille en fleur, un garçon en citrouille, ou en autre chose, n’est pas une raison pour qu’on ne t’écoute pas, Heaven.

- Anwww… ce que tu dis est chou.

Ce n'était pas sûr qu'il connaisse l'expression, surtout. Cela fit doucement rire la jeune fille, plus par amusement que par simple moquerie.
Même sans son ours, il arrivait un minimum à dire quelque chose de rassurant, le Cryptique. Et il n'était pas si horrible que ça, au final...

- Smoke, tu es un garçon ou une fille ? Ou juste toi ? La réponse n'est pas obligatoire.

… mais il posait juste des questions étranges, comme ça, sans prévenir. Bah, ce n'est pas la Mésange qui allait le juger là dessus. N'aimait-elle pas traîner avec un type dont elle peinait à suivre le fil de la pensée, après tout ?

- C'est un amas de fumée qui a pris forme humaine par magie !

S'exclama l'adolescente sans même laisser au principal intéressé le temps de répondre. Ca la faisait bien rire. Et le pire, c'est qu'elle avait sorti ça du tac-au-tac, sans même penser à ce qu'elle disait !
Eh, au fond, c'est peut-être vrai. Il fume tellement, qui sait si la fumée n'a pas fini par prendre possession de son corps ? On est sur Neverland, après tout.
Tout est possible.

« C'est un amas de fumée qui a pris forme humaine par magie ! »

Qui est apparu en premier ? La fumée ou le corps ? Est-ce que Smoke est né sur l’île, amas de cendres revenant à la vie grâce à sa cigarette éternelle, ou bien est-ce que la fumée est venue plus tard, se glissant dans chaque méandres de l’âme de son Récolteur. Quelque soit la réponse, elle convient à Creepy. Le Cryptique n’irait pas rejeter une personne par manque d’humanité ; les monstres lui sont de formidables compagnons, bien plus doux que les humains.

« Je suis juste moi, je suppose. Je ne me sens pas autre chose… Et qu'on me pose la question ? Ça aussi c'est rare... »

C’est suffisant, qu’être Smoke lui aille. Creepy n’a pas besoin de plus, acceptant la cigarette en se demandant s’il lui faudra la passer à Heaven ensuite, histoire de sceller leur pacte d’amitié nouvellement fondé.

« Tu es bien comme ça. Et en tant que chef—non en tant que personne, je voulais être sûr. Je ne voulais pas—mal te définir ? » Il doit y avoir un terme pour ça ; le chef des Récolteurs ne l’a jamais entendu.

Tout comme fumer n’est pas commun pour lui. Le geste lui demande quelques secondes, par manque d’expérience. Son corps essaye de masquer une protestation, sans y parvenir. Il toussote, et, contrairement à toute attente, ça le fait rire, juste un éclat dans sa voix. C’est la journée visiblement.

Il n’ira pas avouer son secret ; cet amas d’organes ravagés par l’abus de médicaments qu’il doit trimballer partout.

« Heaven, tu as déjà tenté ? »

En toussotant, le Cryptique offre la cigarette à son propriétaire, paume pressée contre son torse pour tenter de se calmer. Ça va bien passer, ça ne l’inquiète pas vraiment.

Oh, elle a fait rire Smoke. C'est sûrement le meilleur truc qui lui soit arrivé jusqu'à maintenant, dans cette conversation. Faire rire quelqu'un, de bon cœur, par son intervention.
Ça avait quelque chose de satisfaisant, alors autant en profiter, suivant du regard la cigarette qui passait dans les mains de Creepy, et qui allait sûrement lui être proposée ensuite.

Jamais de la vie.

- Les questions de genre, c'est encore un peu flou pour moi. Quand je suis arrivée ici... je me rappelle qu'on commençait vraiment à en parler ouvertement, dans le Monde Ordinaire. Je ne sais pas trop ce qu'il en est aujourd'hui.

Jugea bon de réagir la Mésange, faisant suite aux propos de son Chef sans réellement attendre une quelconque réaction au sien.
On apprend encore des choses chaque jour...

- Heaven, tu as déjà tenté ?

- Non... et c'est pas un truc que je tenterai non plus.

Paume devant elle, esquissant un petit geste, la Récolteuse fait comprendre qu'elle ne désire pas essayer. De toute façon, elle n'avait pas vraiment envie de s'étouffer à moitié comme Creepy, seulement en prenant une simple bouffée.

- Rien que l'odeur de la fumée m'a toujours donné mal au crâne.

Elle regarde Smoke avec insistante, levant ses deux pouces en l'air l'air de dire que là, c'était bon quand même. Elle survivait. Après tout, son nez était plus ou moins bouché, et puis, elle l'avait déjà avant de venir s'installer près de lui, sa migraine.
Alors, un peu plus ou un peu moins...

- Et on m'a appris toute jeune que c'était rempli de merdes en tout genre. On fumait pas, chez moi... enfin, pas pendant un moment.

Elle grimace. L'odeur de la fumée de cigarette, mélangée à celle du Whisky et de la pisse de chat, lui revenait en mémoire en un douloureux souvenir se passant dans un appartement miteux.
La décadence... c'était ce qui lui avait pris son père après que lui ait tout perdu. Sauf sa fille. Mais elle ne comptait visiblement plus à ses yeux après coup.

La Mésange fait silence. Elle se pince les lèvres et se tait, tête basse, partagée entre tristesse, colère et déception.
Est-ce que les deux autres ont eu une vie pourrie, eux aussi ?

Heaven parle de genre, et l’esprit de Creepy pense ‘horreur, science fiction, aventure’ et non pas les réponses attendues. Où est-ce que chacun d’entre eux se situerait ? Ah, on ne peut pas tracer des comparaisons ainsi, risquer de briser des liens encore bien trop fragiles entre eux. Peut-être que Creepy se posera des questions plus tard, qu’il ira remettre en question ce qu’il a été jusque là. Ou bien il oubliera la conversation, ce fragment de fumée offert aux démons pour les apaiser et protéger les siens.

« Rien que l'odeur de la fumée m'a toujours donné mal au crâne. »

« Pas de missions ensemble pour vous deux, » il note à mi-voix, plus pour lui-même qu’autre chose. Oh, à cet instant, il ne lui semble pas que cela soit véritablement gênant. Le Cryptique tente, en tant que chef, de tracer des lignes entre ses gosses, de bien les placer là ils peuvent se tenir. Genre, éviter que Pale ne s’écrase au sol après avoir ingéré autant de fumée que celle continue dans les cheveux de Smoke, par exemple. ‘J'essaie déjà de ne pas tuer Pale’ que Smoke balance, et Creepy le remercie intérieurement de cet élan de camaraderie.

« On fumait pas, chez moi... enfin, pas pendant un moment. »

Après quelque chose ? Avant ? Sont-ils tous maudits, protagonistes les ayant torturés jusqu’à faire d’eux des monstres tapis dans l’ombre ? Creepy tapote sa cage thoracique avec sa paume, une fois encore. Il lui semble que les conséquences seront minimes bien que rien ne fonctionne toujours correctement dans son corps. Pas en même temps en tout cas. Est-ce que s’ils savaient, ça lui retirerait son titre ? Un jugement cruel, contre lequel il dresserait son fémur, le brandissant jusqu’à combattre tous ceux sur sa route.

« Je sais pas si on peut mourir de ce qu'il y a dans une cigarette, ici. »

« Pas besoin de le découvrir, on veut pas savoir, reste juste en vie, » qu’il marmonne avec sa voix monotone. Où est Pumpkin pour apporter un soupçon de joie—hm, utiliser l’ours, ça serait mettre un masque et là ils tentent tous d’être honnêtes, ça serait chiant, de leur faire ça.

« On fume pas dans les hôpitaux, on a pas le droit, donc j’ai jamais testé. »

Ah, c’était trop sincère. Une main tendue vers des détails qu’il ne compte pas révéler. Néanmoins—si Heaven est prête à laisser s’échapper quelques pièces de son existence, il n’a pas l’intention de la laisser seule, d’abandonner l’un de ses enfants parce qu’il n’est pas assez valeureux pour s’exprimer. Vies de merde, c’est le lot des mioches de l’île, ils sont au courant.

Le collègue tout en gris ne se fiche définitivement pas de tout ce qui l'entoure, comme venait de le prouver son geste.
Bien que simple, basique, il avait tout son sens : détourner la tête pour ne pas que la migraineuse se prenne plus de fumée de cigarette qu'elle n'en avait besoin.

Ça la fait sourire, d'ailleurs.

- Tu aurais pu me le dire plus tôt tu sais. J'essaie déjà de ne pas tuer Pale, je peux faire attention à ne pas te donner de migraines non plus.

- T'inquiètes...

Il ne pouvait pas connaître les humeurs du vent, après tout, et prévoir qu'il tourbillonnait sans cesse de façon complètement anarchique.
Il ne pouvait pas savoir qu'au final, sa collègue aux cheveux roses sentait que sa tignasse ondulée avait déjà très vite pris l'odeur de la fumée.

Tant pis !

De toute façon, voilà que Smoke s'évadait dans des hypothèses. Est-ce qu'il allait mourir, à cette allure, malgré sa cigarette enchantée ? L'avenir seul le dira.
Les tumeurs, aussi, se manifesteront peut-être d'elles mêmes, comme de gros blobs chantant qui se seraient mis à envahir son corps tout entier.

Ils étaient sur l'Ile de l'Imaginaire, non ? Alors un truc on-ne-peut-plus dégueu de ce genre pouvait bien arriver. Rien que d'y penser avait quelque chose d'affreux. Oh, elle ne le souhaitait à personne, cette histoire de tumeurs chantantes.
Ils avaient déjà une maladie bizarre qui faisait apparaître un certain organe de façon anarchique sur le reste du corps, non ? Alors niveau gore et surnaturel, c'est bien assez.

Creepy non plus n'a pas l'air de vouloir un quelconque souci de ce genre dans son groupe, visiblement. Enfin, peut-être qu'il râle dans son coin à cause d'autre chose, la Mésange n'en savait rien.
Elle n'avait pas réellement prêté attention aux grommellements de son Chef, en fait. Ce qui suivait, par contre...

- On fume pas dans les hôpitaux, on a pas le droit, donc j'ai jamais testé.

Ah, ça, c'est intéressant. Allaient-ils déballer chacun leur passé tour à tour, pour ceux qui s'en souvenaient ? Ça pourrait faire office d'un énième sujet de conversation.
Ils étaient si bien à discuter, là, tous les trois, se réchauffant mutuellement par la chaleur de leur corps et de leurs mots.

C'était si agréable, Heaven ne pensait à rien d'autre, juste à leur petite discussion.
Même pas à Pit.

- On n'a pas fumé jusqu'à mes 12 ans. Ensuite, avant de venir ici, j'ai vécu dans un petit appart rempli de fumée pendant...

Un temps. Devait-elle dire 4 ou 5 ans ? Elle était censée être arrivée sur l'Ile alors qu'elle avait 16 ans... pas 17. Prendre un an entre temps n'avait rien de glorieux, surtout chez les Perdus.
C'était même passible de Bannissement. Mieux valait éviter d'en parler. Pourtant, à contrario, la Récolteuse ressentait qu'elle pouvait presque tout dire à ces deux-là, qu'ils n'allaient pas juger, ni la dénoncer, ni rien d'autre.

Mais, elle se méfiait tout de même un minimum.
C'était une situation bien compliquée.

- ... pendant... heu, jusqu'à ce que je débarque ici. Du coup, t'avais quelque chose de spécial pour passer ta vie à l'hôpital, Patron ?

Il était peut-être préférable de revenir à autre chose, comme le cas de son Chef, par exemple. Elle aurait pu rajouter qu'il n'avait pas besoin de répondre s'il ne voulait pas.
Après tout, le passé pouvait être si douloureux... et surtout lorsque cela concerne un hôpital. Ce cadre-là n'avait, en lui-même, absolument rien de drôle.

« On n'a pas fumé jusqu'à mes 12 ans. Ensuite, avant de venir ici, j'ai vécu dans un petit appart rempli de fumée pendant... pendant... heu, jusqu'à ce que je débarque ici. Du coup, t'avais quelque chose de spécial pour passer ta vie à l'hôpital, Patron ? »

Le fil temporel de l’Ordinaire est une notion floue que Creepy peine à replacer dans un quelconque contexte. Il se souvient de la petite fille dans Alien, Nut, ou Noot, il n’est plus sûr du nom. Celle qui a survécu toute seule à bord d’un vaisseau envahi en se cachant là où les adultes n’ont pas réussi le même exploit. Si ça se trouve, Heaven se cachait du monstre de fumée, petite. Creepy glisse une main sous son sweat, pour la poser sur son flanc et sentir des marques qu’il parvient à oublier en partie ; l’effet mais pas la cause. Ou bien est-ce l’inverse ? C’est mieux d’avoir Pumpkin, au moins ça l’occupe.

« Comme une odeur imprégnée dans un tissu dont on ne peut pas se débarrasser... »

Est-ce que Smoke trace un lien entre les hôpitaux et le reste de la conversation ? Une fois de plus, Creepy n’en est pas certain. Le Cryptique hausse les épaules, ou plutôt une, pas renfrogné, simplement un peu paumé d’un coup. Il a éliminé la majorité de ses souvenirs, enfin, il en était persuadé jusqu’à ce qu’en parler suffise à faire remonter un flot à la surface.

Une phrase en particulier, traverse son esprit, laissant une douleur vive dans sa mâchoire crispée.
Tu es aussi taré que maman, c—

« Ma mère me rendait malade, pour avoir de l’attention. »

Il ne l’a jamais dit à voix-haute. Pas même à Hollow, qui pourtant est aussi au Grand Arbre. Bien sûr son grand-frère est au courant, juste que ce n’est pas leur type de conversation.

« Elle me rendait malade, tout le temps, et j’ai été opéré plusieurs fois parce que tout le monde la croyait. J’étais malade sans l’être. »

Creepy dégage sa main. Il n’ajoutera pas que ça lui a ruiné son système immunitaire à vie, qu’il est un chef bancal qui ne vaut pas assez. Pas plus qu’il n’ira dire que Hollow était dans le même cas, que leur vengeance fut morbide et cruelle. Tout ce qui lui reste, c’est la comptine qu’il chantonnait ce soir-là, assis sur les marches.

« Elle nous laissait voir des films d’horreur tous les jours—un Halloween permanent. Une sorte de fête sans fin. »

Pourquoi est-ce qu’il la défend, d’un coup ? Il ne se souvient même plus de son visage, alors à quoi bon ? Tu es comme elle, Hollow ricane dans un coin de son crâne habité par des créatures toutes plus horribles les unes que les autres, jusqu’à la moelle.

Parfois, il se demande ce que ça ferait, de se rendre malade, d’être au centre de quelque chose. Dans le fond, c’est pour ça qu’il est devenu chef, non ? Pour avoir de l’attention—c’est tellement simple de dire que personne n’aurait pu mieux diriger.

C'est ça ton excuse ?

C’est détestable, de contenir une telle faiblesse, de sentir quelque chose de trop lourd se loger dans sa poitrine tandis que ses doigts grattent le dos d’une main, là où il y a une fine cicatrice causée par un cathéter de trop—les ongles s’en vont et viennent sur la peau.

Le fait que personne ne prenne en compte son hésitation apaise quelques peu la Récolteuse qui sentait que tous ses muscles s'étaient tendus à la mention de son âge qu'elle avait failli laisser fuiter.
Allons, allons, elle n'avait pas à s'en faire. Un an, pour une fille, ça ne se remarque pas tant que ça... sauf quand vous vous appelez Pit. Oh, peut-être qu'il avait simplement tenté de la piéger ce jour-là, en vérité.
Et elle avait marché dans ledit piège, les deux pieds en même temps, même. Parce que sinon, ce serait trop simple, n'est-ce pas ?
Si ça ne s'était jamais produit, qu'elle n'était pas tombée dans le panneau, qu'elle avait continué à feindre et faire comme si de rien n'était... est-ce qu'elle en serait là aujourd'hui ?
Superficielle, jalouse, dépendante, et surtout complètement accro ?

N'y avait-il que lorsque sa tête lui faisait mal, qu'elle pouvait presque sentir son cœur tambourinner à ses tempes, qu'Heaven se remettait réellement en question ?

Cette constatation lui fit perdre le fil de la conversation, du temps, de l'espace, et de sa propre situation actuelle : casée avec son Chef et l'un de ses collègues. Elle n'entendit même pas le début de ce que ce dernier venait de dire, et ne reprit contact avec la réalité qu'à sa conclusion :

- Il y a des choses qui restent. Comme une odeur imprégnée dans un tissu dont on ne peut pas se débarrasser...

Logiquement, il devait parler de leurs souvenirs, comme il s'agissait du sujet de conversation actuel. Peut-être même venait-il de lâcher nonchalamment l'un des siens, comme pour apporter sa petite pierre à l'édifice, sans que la Mésange ne puisse l'entendre.
Mais, elle n'en savait rien, trop plongée dans ses pensées qu'elle était à ce moment-là pour faire attention à quoi que ce soit l'entourant. Mieux valait ne pas réagir de peur de se tromper et de paraître à la fois suspicieuse, et surtout complètement idiote. Cependant, rester silencieuse un peu trop longtemps demandait un trop grand effort à la pipelette qu'était la jeune fille.
Dans le doute, elle répondit simplement :

- C'est une belle comparaison. Un peu plus, et on jurerait avoir affaire à un Diplomate, avec de telles tournures de phrases.

Puis ponctua sa remarque d'un petit rire qui laissa une petite esquisse de sourire aux coins de ses lèvres.
Esquisse de sourire qui disparut d'ailleurs bien vite avec ce qui suivit :

- Ma mère me rendait malade, pour avoir de l’attention.

À l'entente de la véritable bombe que venait de leur lâcher leur Chef, la Mésange tourna la tête si vite vers l'intéressé que son épaisse chevelure rose bonbon lui fouetta violemment le visage.

- Elle me rendait malade, tout le temps, et j’ai été opéré plusieurs fois parce que tout le monde la croyait. J’étais malade sans l’être.

Bref coup d'œil jeté à la main du Cryptique, pressée contre son corps, sous ses vêtements. Sur une marque laissée par une cicatrice, suite à une opération qui n'aurait jamais eu lieu d'être, sans doute.
Pendant ce temps, lui semblait minimiser la chose en racontant qu'en contre-partie, il regardait des films d'horreur tous les jours, comme une fête.
Voilà donc d'où provenait sa passion pour les trucs et machins un poil morbides, du coup.

- Au diable les films d'horreur, c'est super grave, ce que tu racontes-là !

S'exclama Heaven un peu plus fort que ce qu'elle voulait. Le contrecoup, comme l'écho de sa voix dans sa propre tête, la fit grimacer. Elle s'accorda une petite pause pour faire passer la douleur - ça ne lui fit rien.

- Je... je voulais essayer de dire quelque chose de rassurant, mais je trouve rien. Et puis, c'est un peu tard, en plus.

Ajouta-t-elle, un peu abattue. Finalement, la situation dans laquelle elle se trouvait dans le Monde Ordinaire, elle, n'était clairement pas aussi terrible que celle de sa Tête.
Lui, ça jouait sur le plan psychologique et physiologique. Elle, seulement sur le plan psychologique. Quoique. Elle ne mangeait plus grand chose, à un moment. Mais c'est un détail.

- Moi, à côté, j'ai pas à me plaindre... mon père a simplement préféré rechercher du réconfort auprès d'une maîtresse et de l'alcool au lieu de sa propre fille, après la mort de ma mère, et j'ai fini délaissée.

Bref haussement d'épaules.
Maintenant qu'elle était ici, ça ne lui faisait plus grand chose car tout ceci appartenait au passé, mais en même temps, Heaven est bien consciente que ce brusque abandon par sa figure paternelle a fait d'elle ce qu'elle est aujourd'hui.
C'est de ça qu'il vient, ce fameux besoin maladif d'attention, d'affection. Pour ne plus se sentir abandonnée, jamais. Quitte à s'accrocher aux mauvaises personnes.
Enfin, "mauvaises personnes" aux yeux des autres, car en soi, Pit ne lui a jamais rien fait qui puisse lui porter atteinte de quelconque manière que ce soit - ou elle ne s'en souvient plus.
"Mauvaises personnes" du point de vue de l'éthique, aussi, mais qu'est-ce que l'éthique sur une Île pareille, où tuer n'est pas un acte odieux aux yeux d'une grande majorité de la population ?

- Mais je crois que j'avais des amis pour m'aider à aller mieux. Puis, Peter est venu me chercher... et j'ai comme l'impression que je suis pas partie seule, bien que je ne me souvienne pas de la personne avec qui j'aurais pu partir. Ça m'étonne, car si j'étais réellement partie aux côtes de quelqu'un, je l'aurais sans doute pas oublié...

Avait repris la Mésange alors que son esprit divaguait sur autre chose. Maintenant qu'elle en parlait, cela faisait bel et bien un moment qu'elle avait cette sensation d'avoir oublié quelqu'un qui comptait pour elle, sans savoir les raisons qui l'avaient poussée à oublier ladite personne, et encore moins son identité.
Elle restait donc avec ce fantôme sans nom et sans visage, comme une ombre du passé planant au-dessus de sa tête sans jamais se dévoiler complètement. C'était comme une intuition. "Une odeur imprégnée dans un tissu et dont on ne peut pas se débarrasser", en quelques sortes.
La remarque de Smoke prenait vraiment son sens pour elle.

L’enfant aux ours en peluche ravagés, qu’est-ce qu’il penserait, de ce chef qui en fait trop ou pas assez ? Probablement pas grand-chose, obnubilé par des films aux fins toutes plus terribles les unes que les autres. Creepy oubliera cette conversation, il n’en doute pas, elle s’effritera, disparaissant derrière la fumée de Smoke. En ce qui concerne son passé, tout ce qui s’est produit avant son arrivée, plus sa mémoire peine, moins il aura mal. Sinon, pourquoi être là ?

« Au diable les films d'horreur, c'est super grave, ce que tu racontes-là ! »

Il redresse la tête, une surprise sincère sur ses traits d’habitude figés en une sorte d’ennui permanent ; que Heaven sorte ça, c’est—il n’a pas le souvenir d’avoir été écouté, dans sa douleur initiale, qu’il s’est écoulé un temps avant qu’on ne comprenne son calvaire. Il voudrait lui répondre qu’il est comme sa mère, qu’un truc ne va pas, et qu’on y peut rien.

« Je... je voulais essayer de dire quelque chose de rassurant, mais je trouve rien. Et puis, c'est un peu tard, en plus. »

Sa mère n’est en effet plus un souci ; elle a enduré un sort acceptable pour ce qu’elle a fait. Creepy garde ce détail pour lui, parce qu’il n’a plus les détails, que son esprit bute sur l’escalier et la chanson qu’il fredonnait cette nuit-là. « Ce n’est pas si tragique. Je m’en suis remis en étant ici. »

Déjà elle enchaîne sur son passé, père indigne, ou plutôt dévasté par la perte d’un être cher. Un concept qui échappe au Cryptique. Néanmoins, il n’a pas besoin de comprendre, uniquement de la soutenir, comme elle vient de faire pour lui.

« –et j'ai comme l'impression que je suis pas partie seule, bien que je ne me souvienne pas de la personne avec qui j'aurais pu partir. Ça m'étonne, car si j'étais réellement partie aux côtes de quelqu'un, je l'aurais sans doute pas oublié... »

Un détail qui attire son attention, dos d’une main en feu après l’avoir grattée. Sa première pensée est que ça doit être Pit, sauf qu’il n’imagine pas vraiment que ça soit lui. Peut-être quelqu’un d’autre, un visage lointain qui a disparu trop tôt.

« Franchement, si l'Oubli suivait des règles claires, beaucoup de choses seraient sans doute plus simples... Je ne serais pas surpris que ton impression soit correcte. »

Smoke lui tend sa cigarette, et Creepy la reprend sans y penser, tirant dessus avec des doigts encore tremblants. Cette fois, il étouffe sa toux avant qu’elle ne puisse sortir, prenant soin de ne pas cracher sa fumée vers Heaven.

« Pas pour moi, je crois. Et l’Oubli est—parfois je me souviens, parfois non. Je pensais avoir oublié l’hôpital. Hôpitaux. » Il rend la clope à Smoke, quoique en agrémentant le geste d’une tape sur l’épaule de ce dernier de son autre main. Une sorte de ‘merci pour tout, d’être là et de garder ton tueur de poumons dans ton coin’.

« J’étais avec Hollow en arrivant. C’est mon frère—aîné, » qu’il ajoute, les sourcils légèrement froncés, « mon frère est soigneur maintenant, » à son ton, il est évident que Creepy n’est pas fan de son aîné, pour ne pas dire que leurs rares mots échangés sont plein de venin et d’agacement. « Tu voudrais retrouver cette personne, si tu pouvais ? »

Si oui, est-ce qu’il pourrait l’aider d’une quelconque manière ? Fixant ses mains à présent vides, Creepy les glisse dans la poche avant de son sweat, les gardant jointes pour les réchauffer.

« Ma mère, ton père, et plus rien pour Smoke—quel trio. »