Plus tôt /

La présence incongrue au sein de sa boutique est une plaie, rien de plus. L'énergumène brasse de l'air, inlassablement. Une carte, qu'il beugle, et le trésor qui va avec ! N'est-ce pas le jeu le plus ancien au monde ? Si l'Oublié croyait encore en ces fantaisies, il résiderait au Grand Arbre et non plus au milieu des pirates. Difficile d'interrompre cet éclat de joie qui habite Jack, contrôlant ses mouvements au hasard. Xen accepte, à contrecœur. Même pas par intérêt, au final. Quelle est son excuse alors ?

L'Oublié l'ignore. Combler un vide quelconque, probablement. Apprécier le fait qu'on veuille de sa personne, même si ça ne compte pas puisque Jack n'est qu'un vulgaire étranger de plus, prêt à piller des terres qui ne sont pas les siennes. Enfin, son pays d'origine n'a pas vraiment de leçon à donner à ce sujet~ Une fois que la tornade s'en est allée, Xen s'égare dans d'autres occupations. Une pointe d'opium par-ci par-là. Il a le temps de se préparer à ce voyage qui commencera le lendemain. Connaissant Jack, peu probable qu'il se présente au lever du soleil comme promis. Zyrrha ferait une meilleure accompagnatrice, si elle n'était point occupée ailleurs. Ce ne sont pas ses affaires, et il se sent bien incapable de s'intéresser aux autres plus que nécessaire.

Peut-être que ça ne sera pas une tragédie, qui sait.

Au réveil, l'Oublié passe un moment à se préparer, alors que le Port est encore figé dans la noirceur. Le soleil viendra, à son rythme. Personne ne peut dire quand, pas que ça lui importe. Sa besace ne contient guère d'objets utiles. Il a préféré un ouvrage qu'il est en train de lire, et quelques babioles diverses, une gourde d'eau et ses lunettes. Du maquillage, quelques bandages. Ah, Darkness lui ferait la morale, s'il était en vie. Xen est un peu trop grand pour se faire hurler dessus parce qu'il est incompétent. Ce qui l'occupe le plus, c'est de peindre son visage de la bonne manière. La première fois, tout est trop coloré, une explosion qui hurle qu'il ne sait pas quoi faire de sa personne.

La seconde, c'est insuffisant. De colère, il efface tout, recommençant jusqu'à ce que ses doigts tremblent et que le résultat soit acceptable. A présent ses jambes sont engourdies, et il les frotte énergiquement. Sa tenue est un peu plus adaptée que les autres jours. Au moins, avec des leggings et des bottes, l'Oublié n'aura pas froid. La jupe et le poncho ne font qu'ajouter un peu plus de bleu, le rendant potable, il présume.

Jack est en retard, dans ce monde où l'heure n'existe pas.

Ou bien être mauvaise langue est une occupation délicieuse. Assis en tailleur devant sa boutique, Xen en profite pour parcourir quelques pages du roman du moment. C'est un peu trop farfelu pour ses standards, mais tout lecture est bonne à prendre.

Et enfin le voilà, le héros flamboyant, prêt à les entraîner vers une mort certaine. Xen cache ses lèvres avec son écharpe, masquant un sourire un peu moqueur. Le livre retourne dans sa besace, cachée par le poncho.

« Jack, je t'attendais. »

Sous-entendu, tu m'as fait attendre.

Attendre de son vis-à-vis qu'il l'écoute revient certainement à surestimer les capacités de son encéphale. Enfin, si Xen n'avait pas voulu participer un minimum, refuser l'offre était une possibilité. Au lieu de se retrouver dans ce pétrin. Ses yeux sombres jugent la main étendue un moment. Une longue pause qui se termine lorsqu'il accepte l'aide. Le contact n'est que minimal, et il se voit mal le refuser. Surtout avec l'état de son corps qui n'apprécie pas le moindre effort.

Ami fidèle, hm. Sont-ils si proches que ça ? Probablement pas. L'amitié est quelque chose de complexe à obtenir, ça demande de l'argent et de la patience. Et même ses amis ne l'apprécient pas outre mesure, alors qu'une personne que Xen connaisse à peine utilise un tel titre— Il nommerait ça de la manipulation, si ce n'était pas Jack. Ou alors, l'homme cache bien son jeu. Son expression se transforme en quelque chose de mauvais, même si le bas de l'écharpe le cache. Mensonge ou non, ils ne sont pas proches, ce n'est au mieux qu'une erreur de jugement.

Une qui met l'Oublié mal à l'aise.

Ils n'ont qu'à se rendre au temple mentionné par son compagnon de route, et récupérer ce trésor qui n'existe probablement pas. Autant se concentrer là-dessus. Ses muscles protestent après quelques pas, peu habitués à ce traitement dès l'aube. Ah, Xen n'a pas le luxe de s'arrêter, et il ne s'embête pas à surveiller que Jack le suive. Il est certain que l'autre voudra être à ses côtés à un moment où un autre. Sinon qui écouterait ses balivernes habituelles ? De son côté, il n'a guère à dire, préférant se focaliser sur ses pas. Lents et calculés.

Un petit-déjeuner aurait été mieux qu'une tasse de thé. C'était ça ou le maquillage.
Pas de choix possible, dans un tel cas.

Pourvu qu'ils rentrent rapidement, si possible avec de quoi décorer les étagères du bric-à-brac. L'idée d'égarer le blond au cours du voyage et de subir les foudres de Zyrrha ne lui dit rien d'ailleurs. Elle serait capable de le renvoyer dehors en pleine nuit pour qu'il le ramène. Vu le froid de ces derniers temps, ça serait une corvée supplémentaire que le marchant ne se sent pas d'endurer. Qu'importe la maigre affection qu'il est capable d'avoir pour Jack.

Au moins, le bougre ne va pas tenter de le séduire après avoir trop bu cette fois.

La capacité d'entendre sans écouter est un atout certain pour ce voyage. Xen doute de posséder suffisamment de concentration pour tenir le rythme effréné de l'esprit de son compagnon. Prétendre, par contre, lui sied comme un gant depuis toujours. Ainsi, face à la carte balayée par le vent, l'Oublié se contente de glisser le bout de ses doigts sur un coin du parchemin, en signe de compréhension. En vérité, sa connaissance en la matière est sommaire. Des cartes, il en récupère parfois, sans y apporter un véritable intérêt.

« J'ai l'intention de t'accompagner au bout du monde, ou tout du moins de l'île. » Sa façon de sous-entendre que suivre lui convient, pour l'instant. Son arrogance ne ressortira que si elle se sent invitée à la fête. Là, c'est surtout le besoin de repos qui prime, ce qui est ridicule puisqu'ils viennent de partir.

Déjà l'aventurier est en mouvement, prêt à conquérir et à piller tout ce qui se trouvera sur son passage. Tout ceci est lassant. L'Oublié n'apprécie guère de ne pas être le point central de la conversation, même alors qu'aucune parole ne souhaite lui échapper. Marchant derrière Jack, il attend son heure, lui laissant le soin de dégager le chemin. Une vulgaire branche risquerait d'abîmer son visage qui a déjà vécu assez de mésaventures. La cicatrice sous son œil gratte un peu, sous le maquillage. Une sensation fantôme, probablement.

« Qui sait~ Si tu désires une réponse, tu n'as qu'à me rendre visite plus souvent. » Excellent moyen de cacher son incompréhension face à la question. Des babioles, Xen en a des dizaines. Certaines ont une valeur réelle à ses yeux, d'autres ne servent qu'à ramener de l'argent pour l'opium.

« Si nous croisons un monstre sanguinaire, me protégeras-tu ? »
Sa langue glisse sur ses lèvres. Ah, c'est un peu risqué, de quémander un sacrifice alors qu'ils ne sont pas si proches.

(Tant mieux, ça lui évitera de recommencer.)

Les excuses sont pitoyables, dénuées de la moindre once d'intérêt. C'est fou la facilité avec laquelle Jack ouvre la bouche pour n'offrir que des histoires qui n'intéressent que lui. En un sens, n'est-ce pas une telle stupidité qui le rend amusant ? Xen n'en est pas certain, pas alors qu'il a décidé de lui laisser les commandes de leur aventure. De la fainéantise, ni plus ni moins. C'est que l'Oublié n'a guère la concentration nécessaire pour qu'il en soit autrement.

« Évidemment que je te protégerai, voyons ! »

Naïf. C'est embêtant, de trouver ça adorable. Tant d'attention pour sa personne. Est-ce que son Dragon valeureux oserait faire de même ? Autant ne pas s'interroger alors que la réponse est connue de tous. Flatté, Xen envoie un baiser dans la direction de Jack.

« Mon preux chevalier, que j'admire votre courage. »

Et sa maladresse face aux branches. L'Oublié passe parfaitement en-dessous des plus hautes, de par sa taille. Ce qui lui permet de ne pas subir un sort aussi ridicule. Son sourire est difficile à masquer pourtant, outre en redressant son écharpe pour cacher le bas de son visage.

« Prête attention à ce qui t'entoure, j'ai beau avoir été soigneur, je doute d'être en mesure de guérir chaque blessure. » S'avançant, il presse ses doigts contre le dos de la main de son ami, son regard focalisé sur un arbre derrière eux. Puis, avec élégance et fatigue, il reprend la marche.

« Oh je ne t'avais jamais parlé de mon passé de perdu, il me semble ? »

Est-ce l'aube d'un mensonge de plus ?
Probablement.

Beaucoup de paroles lui viennent, pleines de prétention et d'indifférence face à l'intérêt de Jack. La vérité ne viendra pas ; le réaliser l'épuise déjà. Xen a tant de secrets, d'identités derrière lesquelles se cacher. Toutes possèdent un poids équivalent qui n'existe que pour écraser ses épaules.

Ses pieds pivotent sur le sol, mains croisées derrière son dos en une promesse brisée de plus, tandis qu'il accepte de s'arrêter pour répondre à son compagnon.

« Blue, » l'Afghan est rarement celui dont il s'inspire. Juste cette fois, « tel était mon nom. As-tu oublié le tien ? C'est courant, après tout. »

Lentement, Xen s'approche. L'incertitude de l'esprit compensée par le reste, son corps trop proche de celui de Jack pour que cela soit confortable.

Je n'ai jamais été un garçon.
Xen est incapable de le dire ainsi, ne se sentant pas d'affronter la réponse.

(Le rejet a toujours attisé ses pires démons.)

« Je doute d'avoir jamais apporté de l'attention aux étrangers. Néanmoins, peut-être est-ce mieux ainsi pour nous deux. » Se reculant d'un pas, il se tourne vers le reste de leur parcours.

« Je suis soulagé d'avoir grandi, de ne plus être un enfant égaré, est-ce également ton cas ? »

Oh, il surestime certainement le blond.

Il y a une leçon douloureuse dans l'absence de reconnaissance. Bright n'a pas prêté attention à quiconque, outre quelques malchanceux. Et le Grand Arbre lui semble être une chimère qui s'accroche à lui sans invitation. Grin ne lui inspire rien, pas que ça le surprenne, et il se contente de soupirer aux paroles de son camarade.

Oublier est simple, si l'on ne possède qu'une myriade de souvenirs semblables qui forment un tout. Xen subit un sort différent, des moments qui restent trop vifs, presque brutaux, dont il ne parvient à se débarrasser. La jalousie est une réponse si courante qu'il la repousse sans douceur, ayant mieux à faire que de se lamenter pour le coup. Puis vient la suite, inacceptable.

Menteur.
Xen laisse ses pas ralentir, puis cesser totalement.

Jack ne peut être sincère. Ou alors, sa stupidité n'a qu'égale que son envie de périr.

« Tant mieux pour toi, » répond le serpent, voix acide et mauvaise, « je ne m'attache pas ainsi au premier venu. »

C'est faux, tellement faux. Xen aime jusqu'à se blesser, qu'il ne reste rien. Ses doigts tracent la marque cachée sous l'écharpe, son expression distante.

« Tu ne sais rien de moi, outre que je viens te quémander ce dont j'ai envie, pas besoin de prétendre que nous avons un quelconque lien pour ne pas m'offenser. »

Aveuglé par le dégoût, ou une quelconque émotion qu'il ne parvient pas à nommer, le jeune pirate s'élance soudainement. Tout son corps se remet en marche, se glissant entre les branchages pour prendre la tête du cortège. Comme s'il avait besoin de la pitié de qui que ce soit !

L'importance cruciale de l'écoute n'est certainement qu'un détail pour eux deux. Sans quoi, Xen et son vis-à-vis prendraient le temps d'assimiler ce qu'ils disent au lieu de l'ouvrir de manière si désinvolte. S'arrêter lui demande de se calmer assez longtemps pour faire volte-face. Ce qui lui vaut de finir avec quelques feuilles dans sa chevelure. Il les arrache une par une, quelques mèches teintées les rejoignant peu après. Qu'importe ce qu'il dira, les insultes qui viendront, sournoises et malsaines, si Jack n'a pas envie de les comprendre—ah, comment peut-on être si dénué de bon sens ?

(Xen en a certainement une bonne idée, considérant ses erreurs.
Néanmoins, lui n'est pas aussi stupide.
Probablement.)

« Je préfère être seul, » et c'est un mensonge tout autant qu'une vérité. Avec les autres, tout devient compliqué. Xen n'est pas en mesure d'avoir des relations saines avec les gens, et encore moins de les comprendre. « Ta présence est loin de me répugner, cesse de tant t'inquiéter. C'est juste que je disais quelque chose de totalement différent et je crains que ton cerveau ne parvienne pas à me suivre. »

La colère retombe, s'écrase même. A quoi bon ? Jack n'est pas de ceux que l'on peu repousser si simplement. Xen n'apprécie pas tant qu'on prenne soin de lui, sachant ce que ça signifie ; qu'un prix sera à payer tôt ou tard.

« Je m'en sors avec ce que tu me donnes, plus de soupe serait—gâcher de la nourriture. Et, j'insiste, pas besoin de venir plus souvent. » Cela lui apporterait uniquement du stress. Xen, pour ses frasques et son attitude peu recommandable, ne trouve du bonheur que dans ses lectures à l'abri du monde.

« Marche donc devant de nouveau, au lieu de déblatérer n'importe quoi, Highwater. » Le temple ne devrait plus être si loin, si ?

Oh, un mur. Admirable.

L'escalade ne concerne pas Xen, pour ne pas dire que ce n'est pas la peine qu'il y songe puisque ses bras ont une force de nouille humide. A présent, la solution la plus simple serait d'encourager Jack à grimper, quoique s'il fait ça, Xen se retrouvera seul de ce côté, possible victime d'une attaque fulgurante à son égard de la part d'une bête féroce. Donc, autant garder Jack dans son champ de vision.

Le sabre passe néanmoins un peu trop près de son visage déjà marqué par l'amour, ce qui lui arrache un 'tsk' désapprobateur.

« Ta carte nous a été bien utile, Highwater. »

C'est un compliment, n'est-ce pas ? Xen espère que ça apparaît comme tel, puisque son attention est de remercier son compagnon de voyage pour ne pas les avoir conduit à la mort. Enfin, la journée est loin d'être terminée, autant ne pas trop s'avancer.

Xen se décide à longer le mur, à défaut d'une autre solution. Ici encore, la végétation reste agaçante et il est prompt à repasser derrière Jack pour éviter de chuter sur une racine quelconque.

« Nous ferons une pause vers l'entrée, je n'ai guère l'habitude de marcher autant. » L'absence de nourriture et l'effort physique palissent son teint d'une manière maladive, ce qui ne change guère des autres jours. Il doute que ça se soit véritablement sous son maquillage encore parfait. « Tu vas trop vite depuis tout à l'heure, » le jeune pirate ajoute finalement après une hésitation.

Ah, Xen a un ton qu'il espère insolent. Plus simple de passer pour un enfant gâté qui ne supporte qu'on aille contre ses désirs plutôt que comme quelqu'un qui a bousillé sa propre santé au point d'être aux portes de l'enfer à n'importe quel moment. Autant ne pas changer ses bonnes vieilles habitudes après tout.