Son souffle crée des nuages blancs, ses pas ont creusé un chemin circulaire dans la terre rouge, sa présence a tué toute la végétation du lopin de terre que ses frères lui ont octroyé.
Loutre Sage est maudite et tout ce qui l'approche en pâtit : les plantes fanent presque immédiatement, les animaux la fuient quand ils peuvent ou pleurent en s'affaiblissant à ses côtés, les humains ressentent un bourdonnement aigu dans leur esprit, s'intensifiant jusqu'à les faire tomber à terre si ils osent rester trop proche.
Les trois chefs de clans se sont réunis pour débattre rapidement de la princesse revenue maudite du Bal des Pirates. La décision est provisoire car prise dans l'urgence au milieu de toutes les autres à prendre en ce qui concerne les enfants, animaux et autres créatures arrivant pour se mettre en sécurité. Et personne n'aurait été en sécurité à côté de celle qui fut l'Harmonie.
Elle n'est pour l'instant qu'une coquille vide d'où s'échappent des éclairs de colère, d'impatience, d'intolérance et de cruauté.
On a fourni à la huron des vêtements de laine si épais qu'il impossible de deviner sa silhouette mais certains guérisseurs qui l'ont aperçu ont parlé d'une perte de poids inquiétante.
Un petit tipi, suffisant pour elle seule, a été installé à l'écart du campement, bien à l'écart, et des totems sculptés rapidement dans du bois ont été plantés autour afin de délimiter une zone. Pour que personne n'y entre ou pour qu'elle n'en sorte pas ? Les chamans ont simplement parlé d'une protection sans préciser pour qui.
Loutre Sage a été priée de ne pas franchir sa zone et pour l'instant elle a obéit sans que l'on sache très bien pourquoi.
Une squaw lui apporte à manger deux fois par jour, déposant l'auge à la limite de la terre maudite ; elle les remporte le plus souvent pleines.
Personne n'est encore venu la voir et personne ne devrait s'y risquer.
Car personne ne sait ce qu'est, ni ce que veut ce qu'il y a à l'intérieur d'elle.

Quelqu'un franchit le cercle de totems. Elle s'immobilise dans ce cercle de terre battue par ses pieds et lève la tête vers l'entrée du tipi.
Elle sait déjà qui est son visiteur, elle voit bien mieux qu'avant. Elle n'est plus l'Harmonie, elle est bien plus puissante.
Koala s'arrête à l'entrée, elle attend qu'il soit prêt ; la Huron sait, sas que cela ne la perturbe, que sa présence est nocive.
Enfin, le papoose entre. Il paraît calme, serein, mais elle sent, elle voit, comment ça se tord à l'intérieur. Elle voit les différentes noirceurs qui s'agitent en et autour de la Flèche. Ses doutes, ses craintes, ses angoisses, son combat intérieur constant.
Loutre Sage est immobile comme une statue, comme si elle était morte avec les yeux ouverts.

Paix en ton cœur, Loutre Sage.

Son cœur ne ressent rien, une armure de ténèbres visqueuses l'entour et le protège ; même de la douceur.

Le tiens se craquelle, bientôt il cédera et tu ne survivras pas à l'explosion.

Sa voix est froide, dénuée de tout sentiment. Elle énonce un fait, car elle le voit : les fissures blanches qui strient le cœur de Koala Cosmique, la fumerolle emprisonnée à l'intérieur, son combat pour en sortir, qu'importe si son geôlier y perd la vie.
Pourquoi la huron a essayé d'endiguer ce phénomène inéluctable aux côtés du papoose ? Une perte de temps et d'énergie. Rien ne pourra empêcher la fumerolle de se libérer.
Elle la sent déjà pulser frénétiquement sous les tentacules de son aura, de sa nouvelle puissance.
La fumerolle sent ce qu'il y a à l'intérieur de celle que l'on surnommait l'Harmonie.

Le papoose avance d'un pas, un seul, et plante son baton dans le sol, comme une amarre. Ou un drapeau blanc. Il ne tremble pas, ne vacille pas et elle voit le bouclier de calme qui protège son âme et son cœur des paroles de son ancienne mentor.

- Comment te sens-tu aujourd'hui ? Il semble que ton humeur est encore chargée d'amertume.
- Je n'ai plus d'humeur. Je n'ai plus toutes ces choses inutiles que sont les sentiments.

C'est faux, elle a encore la colère, l'impatience, la cruauté et l'intolérance qui s'échappe de la gaine visqueuse autour de son cœur. Il ne laisse passer que ces sentiments.
Elle continue de fixer Koala comme une statue funèbre et un sourire déforme son noble visage. Pas un sourire comme elle en aimait illuminer le monde. Un sourire tordu, ignoble, comme si quelque chose à l'intérieur tentait de faire sourire la coquille qu'il pilote. Quelque chose qui ne sait pas sourire.

Tu es là pour essayer de me sauver.

Ce n'est pas une question. Elle voit clairement à travers la Flèche.