La pluie avait décidé de leur offrir un peu d'accalmie bienvenue, ce qui n'empêchait pas le sicilien de râler sur le sable humide qui rentrait dans les chaussures et tâchait le bas de son pantalon blanc. Il lui faudrait penser à contacter le Joker pour en faire un supplémentaire, car il ne pouvait ni se montrer sale ni passer son temps à faire de la lessive comme une titzia.

Du bout d'un bâton, Dino titillait les objets et autres déchets à demi-ensevelis de la plage. Il n'y avait pas grand chose de convainquant et le sac en toile qu'ils avaient emporté était encore entièrement vide. Pas une heure qu'ils étaient là et le Mafieux s'ennuyait déjà à mourir. C'est que généralement il envoyait les autres fouiller à sa place et se contentait de racheter ou échanger.

« Pas de Bible, pas de bénitier, même pas un joli verre pour faire calice. Madonna mia, Inquisitore, je commence à douter que la providence accompagne notre bonne initiative. »

En effet, le Mafieux ne s'était pas confessé depuis avant son arrivée sur l'Île. Ce n'était pas bien grave aux vues des conditions par ici mais il lui avait pris une lubie, comme souvent, et le sicilien s'était mis en tête de réaliser une messe de Pâques en compagnie de l'Inquisiteur et peut-être du Frère, s'il voulait bien.

Dino avait une Foi bien ancrée, jusqu'au plus profond de ses gènes, mais cela ne l'empêchait guère d'interpréter la bonne parole à sa guise comme il avait appris de sa Familia et de Cosa Nostra. Dieu, Maria et le Fils, tous Miséricordieux et compréhensifs de servir les intérêts et de réparer l'honneur bafoué. Toutefois, cette messe pour laquelle il retournait toute la plage à la recherche d'objets d'Église, était au fond davantage un divertissement un peu original qu'un vrai besoin qu'il sentait de se repentir.

Son bâton s'accrocha soudain à un morceau de tissu qui dépassait à peine du sol. En le soulevant et à mesure que le sable tombait, le vêtement se dévoilait. Un rire secoua les épaules de l'Italien et celui-ci se tourna vers son comparse qui, il savait, n'avait pas l'humour facile.

« Guarda ! On dirait que Seigneur Jésus à d'autres divertissements en tête pour nous. »

Sur ces mots, le sicilien leva son bâton vers le nez de l'Inquisiteur. Au bout de celui-ci oscillait une jolie petite-culotte toute de dentelle rouge et lacets noirs.

Ils tournaient un peu en rond, enfin, ce n’était qu’une image. En réalité, la plage était grande. Mais c’était pour dire que la recherche n’avançait pas vraiment. Une recherche d’objets qui pourraient permettre de faire une messe de Pâques. Allan n’était pas très convaincu, pensant que ce n’était pas l’endroit ni le moment pour cela. Mais il ne pouvait pas non plus refuser ou bien y mettre une mauvaise foi. Il fallait tout de même saluer l’initiative. En quelque sorte. Le Mafieux était un repenti de l’Île après tout.

L’Inquisiteur suivait le mouvement, fouillant le sable, le balayant d’un coup de chaussure.

Un soupir, alors qu’il ne pouvait pas s’empêcher de surveiller derrière lui, de se méfier de tout ce qui pouvait les entourer.

Un autre soupir, et Allan s’apprêtait à grommeler mais… il fut arrêté dans son élan par une trouvaille de Dino.

Une culotte.

Allan arqua un sourcil. Ils auraient pu aller directement à la Maison Close si ce n’était que ça.

Le matelot croisa les bras, avant de finalement faire entendre sa voix.

- Hilarant.

Ironie, grande ironie. Mais ce n’était pas encore du mépris. Allan Lorden avait un minimum d’estime pour tous ses collègues. De terre ou de mer. Tant qu’ils étaient pirates. C’était des alliés en plus contre l’île.
Mais faire des efforts sur l’humour. Il ne fallait pas trop en demander tout de même.

Il poursuivit la marche, d’un côté, il serait bien heureux de trouver le Marteau des Sorcières. Il en aurait peut-être besoin un de ces jours, au cas où, peut-être qu’il avait oublié des détails.

Un reflet attira son attention, bien que la pluie brouille le soleil, la lueur du jour était tout de même présente. Même sous sa capuche, il distinguait quelque chose. Une énième babiole ou objet convoité ? Grande question.

- Par là…

D’un pas décidé, la silhouette du Pirate entraîna ombre et corps pour mettre fin à la curiosité. Ce n’était qu’une radio chromée. Enfin… ça, Allan ne le savait pas. Que c’était une radio. Il observa l’objet longuement avant de se retourner vers Dino pour le questionner.

- Qu’est-ce que ce fruit du Démon ?

L’air le plus sérieux du monde l’accompagnait.

Si peu de joie de vivre, c'en était désolant. Il lui faudrait inviter le matelot à autre chose qu'une messe un de ces jours. Du whisky, des cigares, un bon poker et quelques ragazze, tout pour dérider le vieil inquisiteur solitaire. C'était un homme d'honneur, au fond, mais il manquait de gaieté. Rien, toutefois, qu'un peu d'affection féminine et de bon vin ne puisse remédier. Dino décida qu'il en ferait une mission personnelle, sa mission, celle de sauver un homme fidèle au grand Dio de la détresse. Il serait le Jésus de l'hédonisme.

Prenant de l'élan et réalisant un demi-tour sur lui-même, le sicilien envoya le sous-vêtement voler jusqu'à la mer d'un coup de bâton sec. Le léger ressac s'occupa de le faire définitivement disparaître dans l'immensité salée.

« Par là... »

Tournant la tête vers son compagnon, Dino le suivit diligemment, s'arrêtant près de lui lorsqu'il stoppa et fixa avec une visible confusion une radio qui avait des airs de toaster.

« Qu'est-ce que ce fruit du Démon ? »

Les mains croisées sur le haut de son bâton comme sur une canne de grande qualité, l'italien eut à peine une seconde pour décider, un sourire amusé soulevant tout juste le coin de sa bouche. Heureusement qu'il était doué pour bluffer aux cartes, sinon son rire l'aurait indéniablement trahi.

« Ah, je ne pensais pas en trouver ici. » timbre sérieux, sombre « Les sorcières du vingtième siècle l'utilisaient pour parler aux morts et aux démons. Elles savaient en faire sortir des voix qui rendaient fous et influençaient les mortels à suivre les voies du Malin. »Disgusto dans son ton, un soupçon de peur. Le mafioso était bon acteur.

Il n'avait rien contre signore Lorden, il l'aimait bien même, ma il était si austère, si sérieux; c'était trop tentant. Et puis sa description, au niveau de la métaphore, n'avait pas été complètement fausse.

Allan avait écouté la jolie explication de Dino avec un air… perplexe. C’était difficile d’imaginer ce qui pouvait bien traîner au vingtième siècle. L’Inquisiteur avait tout sauf envie d’imaginer la possibilité que des sorciers puissent évoluer dans ces choses plus matérielles… ça ne leurs ressemblait pas. Du moins, selon lui.

- Tout objet créé avec la magie du Diable, que tu dises vrai ou non, n’est que ruine loin de son mage créateur.

Du moins, loin de la source de base, le sorcier à l'origine, ce qui n’était rien d’autre qu’une de ces fameuses théories bancales qui changeaient selon les villes. Il avait répondu ces mots en se désintéressant totalement de l’objet, mais peut-être que demain il en dirait d’autres. Ici, rien n’était stable, encore moins pour le Matelot qui n’avait plus presque plus rien de lui-même. N’agissant plus que comme un brouillon de ce qu’il a pu apprendre. Des mélanges du passé, de son passé, de légendes et de choses vécues en ces lieux.

Allan scruta à nouveau les environs, se dirigeant vers le bord de l’eau. Il y voyait quelque chose de claire contrastant avec le sable mouillé.

Est-ce qu’il avait cru à l’histoire de Dino ? Il l’aurait peut-être voulu, Lorden, pouvoir parler aux morts, à ceux qui ont pu garder un peu de leur mémoire d’avant. Ses congénères morts durant les premiers jours sur cette île. Il aurait pu peut-être parler aux siens, savoir ce qu’il y avait eu avant toute cette mascarade en Enfer. À moins qu’ils ne soient pas déjà tous morts. Dans les Limbes des Pirates. Des hommes de la mer forcés à rester sur terre.

Un pas décidé, les bottes de l’Inquisiteur s’arrêtèrent devant l’objet qui l’interrogeait. Il se baissa pour écarter un peu de sable, pour distinguer une main rigide et froide sortant du sol. Quelque chose sans doute enterré dans le sable, de manière négligée.

- Allez, on déterre ça. Je me demande de quoi il s’agit.

Une statue peut-être ? Grande question, c’était difficile à dire avec ces semblants de doigts pâles qui peinaient à sortir à l’air libre et salé.

Ils n'allaient quand même pas passer autant de temps juste pour trouver de quoi faire une sorte de messe de fortune.

Allan était un homme austère. Sérieux, semblait-il, jusqu'à la moindre goutte de son sang. Et même si le sicilien moquait parfois cette sévérité, il se devait de reconnaître que l'homme avait une belle prestanza dans son port et sa façon d'être.

« Allez, on déterre ça. Je me demande de quoi il s’agit. »

Arrêtant ses pas près de l'Inquisiteur, Dino baissa les yeux vers la découverte ensevelie de celui-ci. Prometteur ? Main du Christ ? C'était peut-être un peu d'espoir de penser tomber sur quelque chose de pareil si tôt.

Mais après tout, il se considérait Homme d'Honneur qui avait la fortuna, la chance, souvent de son côté.

Accroupi, le Mafioso creusa un peu dans le sable au moyen de ses doigts, dégageant le bras de la statue jusqu'au coude, celui recouvert de tissu sculpté peint d'un bleu délavé. Puis il tira, manquant de tomber à la renverse lorsque la plage lui céda enfin l'objet.

« Mio Dio ! »

Le sacrilège l'offensait, mais certainement moins que le Pirate lorsqu'il le découvrirait.

« Je ne sais pas amico, est qu'il faut la laisser ici, ou la ramener et la laver de tout ça. »

C'était la Madonna, Santa Maria qui tendait les bras pour offrir la miséricorde à ses fils et qu'un d'entre eux avait souillée. Des croix avaient été tracées sur les yeux de la statue ainsi qu'un pentagramme à l'envers de mauvais goût dans son dos, et on pouvait des marques laissées par une lame sur toute la longueur du corps. C'était une grande sculpture, au moins quarante centimètres de haut, l'effet n'en était que plus saisissant.

Véritablement, Dino n'était pas dévot à voir le Diable partout ou à vivre réglé sur le moindre enseignement de l'Église. Il priait sa médaille de temps en temps, avait eu cette idée d'une messe, perché no, rien de plus. Mais il restait un vrai fils d'Italie, avait reçu deux sacrements, il n'appréciait pas qu'on s'en prenne ainsi à la mère du monde.

Une découverte qui serait peut-être plus intéressante qu’un sous-vêtement se présentait à eux. Et lorsque Dino eut fini de sortir la statue du sable, Allan ne put que froncer les sourcils à la vision blasphématoire de la Vierge. C’était impensable, une vision absurde. Lorden s’interrogeait même sur le monde d’où venait cette statue ainsi profanée.

- Sacrilège…

Mot échappé dans un souffle alors que les yeux noirs ne pouvaient pas se détacher de ce… jouet de sabbat.

La laisser ou la ramener et la purifier de ces symboles sataniques ? Une question soulevée par Dino. L’Inquisiteur s’accroupit pour observer la création salie, il se demandait si ce serait récupérable. Et surtout, si un bûcher avait au moins été érigé pour les hérétiques qui avaient osé commettre un tel acte de vandalisme.

Un soupir avant de prendre la statue et de se relever.

- Je ne sais pas si on pourra la remettre en état, mais mis à part ces… horreurs, elle semble être dans un état plutôt bon. Pour cette île.

Pour cette île, oui. Parce qu’il ne fallait pas être difficile avec les bontés du sort.

Le Matelot ne parvenait pas vraiment à imaginer que l’on puisse être aussi peu respectueux de celle qui était la Mère des Hommes. C’était comme défigurer sa propre génitrice. Brûler les coupables serait une solution de salvation pour les âmes perdues qui avaient fait cet acte odieux.

Attentif aux marques laissées par une lame, Allan finit par se dire qu’elles étaient moins dérangeantes que les symboles immondes. On ne pouvait décidément pas demander mieux à une île régie par un démon.

- Je ne sais pas si nous trouverons une autre relique providentielle. Au moins, nous avons quelque chose...

Un regard sur les alentours, ils pourraient encore trouver d’autres éléments, une croix peut-être. Mais la statue offrait déjà beaucoup pour une messe improvisée, une messe de fortune. Allan n'appréciait que très peu la vision blasphématoire de la Vierge vandalisée, un air désolé se dessinait un peu sur le visage du Pirate.

Quoique puisse en dire le monde, le sicilien était un homme de nature généreuse, du moins envers ceux qu'il considérait dignes de son amitié. Il avait attendu de l'Inquisiteur une vive colère envers les profanateurs de l'objet, aussi brûlante que les bûchers érigés contre les sorciers, et était prêt à nourrir celle-ci pour voir si le Pirate irait jusqu'à se lancer dans une chasse à l'homme. À présent ce dessein lui paraissait futile et il fut plutôt touché par les traits presque déconfits du grand homme.

« C'est la volonté de Maria si on l'a trouvée. »

Sortant un mouchoir de sa poche, Dino essuyant délicatement le visage de la statue toujours lovée dans les mains d'Allan. Lui-même ne savait réellement ce qu'il pensait de cette découverte mais son coeur se réchauffait à imaginer que la Mère les avait choisis pour la sortir de sa disgrâce. Croire était plus agréable que non et il n'y perdait rien.

« J'ai une idée, amico. »

Le mafioso ramassa une fourchette en argent à ses pieds et la mis devant le visage de l'Inquisiteur.

« Je peux faire un moule de la statue et la couler en argent. Et pour ses yeux... » Déboutonnant sa chemise, il exposa la chaîne qui descendait sur son torse et au bout de laquelle il portait sa médaille miraculeuse tout contre son coeur. Sauf qu'il y avait à présent deux bijoux sacrés reposants entre ses pectoraux; une petite croix rudimentaire était venu s'y ajouter.

L'objet, dans sa conception, n'avait rien de particulier ou de spectaculaire mais son éclat le rendait unique et fascinant. Il s'agissait d'un métal lisse d'un bleu clair doux et lumineux qui attirait les yeux et insufflait un sentiment de paix à celui qui y attardait son regard.

« Il m'en reste peu, c'est un métal propre à l'Île et très rare. Mais imagine, Inquisitore, les yeux de notre Maria brillant d'un tel éclat. Tous viendraient se convertir. »

Dino disait juste. La Mère les avait peut-être choisis, le nombre de personnes dignes ne devaient pas être très élevé en ce bas monde.

Allan observa le Mafieux essuyer un peu la statue, au fond, le spectacle de cette œuvre avait quelque chose de triste. L’Inquisiteur ne pouvait que se consoler de les savoir assez digne, qu’un signe bon se trouvait parmi cet Enfer. Une étrange mélancolie naquît dans son esprit. Une bien particulière sensation de flash, de répétition dans les gestes.

Trouver une pauvre babiole, mais lui accorder une importance toute pleine de douceur malgré l’état. Le Matelot se trouva presque peiné de ne plus avoir réellement accès à ses souvenirs. Il aimerait pouvoir y mettre des dessins plus nets. Mais ce serait plus plus tard, Dino reprenait déjà l’attention de l’Inquisiteur. Ce dernier plongea ses yeux sombres sur la fourchette présentée. D’abord, sans comprendre. Puis, la suite éclaira tout.

Une belle idée.

Et le pendentif que le commerçant présenta avait en effet une matière d’un éclat nouveau aux pupilles d’Allan.

- En effet, de tels yeux n’auraient aucun égal dans cette beauté. Cette Île en a bien besoin.

Il observa la Sainte Marie souillée et se dit qu’elle aurait donc droit à une resplendissante renaissance. Cela avait de quoi faire penser à l’Inquisiteur, qu’un peu d’espoir demeurait encore. Que l’Enfer ne serait peut-être pas éternel.

- Combien de quantité d’argent te faudra-t-il ?

Il observa les alentours en prononçant ces mots. Une multitudes d’objets traînaient en ces lieux, les services et autres vaisselles pourraient être d’une grande utilité. Et Allan supposait que Dino avait de quoi traiter de tels métaux dans son atelier.

Évidemment, il allait l’aider. Il n’avait pas la main artisane du Commerçant, mais il pouvait contribuer pour ce type de tâche. Sans rechigner.

Ce n’était pas son genre. Et puis, quelque chose demeurait un peu mélancolique. Ce n’était pas encore parti de son âme. Mais impossible de lier cela au passé. Il n’en restait presque plus rien, le temps avait tout dévoré. Absolument tout. Au point qu’un nom écrit dans une bible ne lui évoque plus rien qu’un sentiment lointain.

- Quant à la réalisation, je m’en remets à toi Dino, tu sais façonner le métal. Je ne saurais le m’y prendre, à tel point qu’il serait question de blasphème.