— Ma chère Foudre, c”est le grand jour !

Bourrasque aurait du cesser de parler de grand jour pour se rencontrer de parler de jour tout court, car ses visites à l”Archefeu étaient relativement courantes à présent. Mais Bourrasque aimait les phrases grandioses et les élans de coeur trop gros pour lui, nous le savons déjà.

Tout en nouant les attaches de son casque en cuir de châtaigner, elle peinait à contenir le doux frétillement de ses ailes qui trahissaient son excitation. Malgré la régularités de ses visites, elle était toujours envahi d”un entrain débordant lorsque elle se rendait chez Bougie.
Bougie.
Si les fées pouvaient avoir des frères, il est certain que Bougie eût été le sien.

Bougie et Bourrasque étaient nés le même jour pluvieux, et si l”orage avait irrésistiblement attiré l”embryon du Microbe, c”était le feu timide et tenace qui avait mené Bougie à lui. C”était là leur seule différence notable – avec peut-être une tendance à la noblesse plus prononcée chez la fée des vents – car leurs caractères ingénus et catastrophiques à la fois se révélaient constituer un lien à toute épreuve en terme d”amitié.

La Reine Mab les avait nommé l'un après l'autre, au sein de la grande salle de répartition du Palais Royal, et dès lors que leurs regards s'étaient croisés, il semblait que les deux êtres à peine nés savaient que leur destin était mêlé. Ils n'auraient pas tant souri, autrement.

Bourrasque, les sourcils froncés de malice, enfourcha le dos de Foudre et fila comme le vent.

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Après avoir passé l”Arche menant à la cité des fées des feux – essuyant quelques râlements de la part des gardes du fait qu”elle avait pilé trop tard, comme de coutume – Bourrasque ne consentit à ralentir sa cadence qu”une fois devant la petite demeure, incrustée dans la roche, de Bougie et Magma.

Elle descendit de monture, ce qui fit tinter Écharde, son épée, et héla :

— Y a-t-il un Lampion dans les parages ? Est-ce qu”un Lampion n”aurait pas oublié quel jour est-ce ?

Quelques fées du voisinage passèrent leur tête par les fenêtres sculptées. Bourrasque se demanda si Magma était là aujourd”hui. Magma n”était point mauvais avec Bourrasque, en dépit de ses frasques et ses maladresses – peut-être voyait-il en lui un peu de sa Bougie – mais c”était surtout parce que Magma connaissait Tramontane, et qu”il se doutait que celle-ci n”avait pas choisi le Microbe pour rien.

C'était un jour à marquer d'une pierre blanche, c'est ce que Bourrasque avait dit, ou était-ce Magma ? Quoiqu'il en soit, Bougie avait toujours trouvé l'expression fort appropriée, et s'était appliquée à chercher effectivement un petit caillou blanc à ajouter à côté de sa pile. Bien entendu qu'elle comprenait que ce n'était qu'une manière de parler ! Mais tout de même, c'était bien plus drôle et symbolique de le faire en vrai aussi.

Ses trésors de la sorte étaient répartis sur une étagère formée dans un petit renfoncement de la roche. Elle avait d'autres cachettes pour ceux qu'elle voulait garder pour elle, mais la plupart se trouvaient là. Il y avait un très beau boulon qu'elle avait volé à la Machine -en tous cas c'est ce qu'elle racontait, un grelot de Noël, et une écaille du crocodile ! (Jusqu'à preuve du contraire elle avait décidé qu'elle appartenait à ce fameux reptile). Posé à côté de ses affaires, soigneusement replié contre le mur se trouvait son joli lampion. Elle ne l'avait pas sorti aujourd'hui, déjà parce qu'avec Bourrasque, ce n'était pas la peine, et puis surtout il y avait de grandes chances qu'ils fassent n'importent quoi, et il ne fallait pas l'abîmer.

Peu après que Magma soit parti, elle entendit un bruit dehors. Oh déjà ! Elle claqua dans ses mains d'enthousiasme ! La voix de Bourrasque traversa la pierre grise, et le Lampion bondit à l'extérieur comme une véritbale petite boule de feu.

- TA TA DAM !

Bougie n'appelait jamais Bourrasque par son surnom, parce qu'elle avait l'impression qu'il était méchant. Magma lui avait expliqué d'où il venait, mais elle s'en moquait un peu, et n'y prêtait pas attention, pas assez peut-être. Mais elle n'était guère connue pour sa prudence ici.

Elle ponctua son salut sonore d'une révérence appliquée. C'était toujours un peu compliqué pour les fées du feu de saluer les autres en restant à bonne distance. Se relevant, elle adressa un petit salut de la main à Foudre.

- Magma vient juste de partir ! Il est parti chez les Delaware je crois.

Elle se reprit d'une voix forcée et plus lente, et ravalant un léger rire, elle demanda.

- Hm je vous demande pardon Sire Bourrasque, avez-vous fait bon voyage ? En tant que Lampion écuyer-majordome je serai ravi de vous guider à l'intérieur.

Bougie faisait toujours des entrées fracassantes, et Bourrasque était convaincu que cela tenait à sa nature de fée des feux. Elle-même n'étant pas très proche des habitantes du Volcan, ce qui lui laissait tout le loisir de fantasmer leurs manières et leur mode de vie. C'est ainsi que dans la tête de Bourrasque, les fées des feux prenaient des bains de flammes et qu'en lieu de morve, c'était de la lave en fusion qui leur coulait du nez lorsqu'elles attrapaient froid.
Quoiqu'il en fut, Bourrasque fit grandir son sourire en voyant débouler le Lampion, à l'image d'une comète qui sait qu'elle ira encore plus vite en tenant la main du vent.

- Magma vient juste de partir ! Il est parti chez les Delaware je crois.
- Chez les Delaware...

Bourrasque, qui demeurait plutôt cantonné aux territoires féériques, était toujours impressionné de voir certaines fées se lier aux autres peuples. Elle s'abîma dans la contemplation des mouvements gracieux qu'esquissait la chevelure incandescente de Bougie.

- Hm je vous demande pardon Sire Bourrasque, avez-vous fait bon voyage ? En tant que Lampion écuyer-majordome je serai ravi de vous guider à l'intérieur.

Quelques nuances de gris fleurirent sur les joues de Bourrasque.

- Pff, tu dis bien des bouffonneries aujourd'hui ! Mais en vérité, elle était un peu fier. Est-ce que Foudre peut rester se reposer ici ?

Si Magma rentrait, il devinerait aussitôt pourquoi sa pupille n'était pas à la maison.

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Bougie aimait à vivre ses aventures à l'extérieur, mais Bourrasque, bien que friand d'aventures tout autant, était trop fasciné par le peuple feu pour le déserter si vite. Ce fut elle qui demanda à Bougie de s'y attarder, et tandis qu'ils arpentaient ensemble les chemins et les escaliers qui jalonnaient l'Archefeu, le Microbe s'arrêtait presque à chaque morceau de sentier, remarquant quelque détail ayant capté son attention.

- L'Archefeu est si impressionnante ! dit-elle en voyant passer devant eux une grande fée entièrement rouge dont le front était orné de cornes embrasées - une vision du plus grand effet chez Bourrasque. Chez nous, tout est plus... eh bien, moins impressionnant. Il y a bien les grandes sculptures de nuages, et puis les enfants de la Baleine Volante qui traversent parfois notre ciel, mais tu vois, ce n'est pas pareil. Ici, tout est... PUISSANT. Et pour illustrer son propos, elle brandit son poing dans les airs.

Ce fut ce moment que choisit un geyser de lave pour jaillir brusquement à leur côté. Bourrasque poussa un petit cri, portant par automatisme sa main contre le pommeau d’Écharde.

- Crois-tu que l'on pourrait s'approcher du coeur du Volcan ?

Elle avait hésité, car la voix de Tramontane lui parvenait même de la Lune. Et les fées des vents n'étaient pas faites pour venir trop près du feu. Mais l'autre voix, qui était la sienne, tâchons d'être honnête, lui intimait avec insistance : vas-y, vas-y, tu sais bien que jamais ne dit non Bougie !

hrp:

La fine frontière entre jeu et réalité n’était pas toujours claire pour Bougie. Elle l’était même assez rarement, soyons honnête. Lorsqu’elle appelait Bourrasque Sire et le traitait comme le grand chevalier qu’il souhaitait être, ce n’était ni une moquerie, ni non plus un hommage, plutôt une sorte de constat amusé. Elle acceptait le rôle qu’il avait dans le jeu et se fabriquait son propre personnage tout autour. Parfois écuyer, parfois, elle aurait voulu elle aussi être chevalier, mais Bourrasque était plus noble qu’elle, et sans doute plus sage, le rôle lui incombait mieux.

Elle acquiesça en réponse à son ami fée et s’écarta pour laisser le champ libre à Foudre, au cas où la libéplume souhaiterait rentrer. Ils se mirent en marche, l’Archefeu n’était certainement pas son coin favori, elle le connaissait trop, mais elle s’accommodait tout de même de la promenade. Parfois les grandes aventures commençaient à un endroit calme et inattendu. Elle doutait toutefois que les rues de pierre tortueuses offrent beaucoup de secrets.

Elle retint un sourire lorsque Bourrasque sursauta. L’effet n’était pas vraiment le même sur elle puisqu’elle ne pouvait se brûler, tout cela était bien moins impressionnant. Elle était toutefois heureuse de voir que son ami estimait les fées du feux, car beaucoup les trouvaient surtout destructrices et chaotiques. Elle craignait parfois que ce fut vrai, et il y avait certains endroits où elle n’osait pas trop bouger de peur de tout incendier, même si elle ne s'en souciait pas souvent.

Perdue dans ces pensées, elle répondit juste d’une voix plus calme que d’accoutumée :

- J’aimerai bien voir la Baleine Volante un jour moi.

La proposition de Bourrasque lui rappela une histoire que Magma lui avait raconté, et son enthousiasme habituel reprit le dessus.

- D’accord, allons-y ! Tu sais qu’il parait qu’il y a des diamants et toutes sortent de pierres là bas ? On pourra peut-être se faire un vrai trésor !

Elle gloussa tout en se mettant en route.

- Et moi je serai le dragon qui le garde. BWAAARG.

Elle imita une sorte de feulement en crachotant une flammèche.

- Ah mais non. Après tu vas vouloir me pourfendre avec Echarde, donc finalement non je ne veux plus.

Bougie avançait joyeusement en racontant son histoire. Elle n’avait pas conscience de la chaleur qui montait tandis qu’ils s’approchaient petit à petit. Elle ne pensait jamais à tout cela.

C'était toujours plaisant d'écouter Bougie. Bourrasque ne s'était jamais ennuyé en entendant ses récits, même ses inventions, même ses billevesées. Il y avait dans le ton de Bougie, comme dans celui de Bourrasque, cet élan jeune et vigoureux qui rendait tout enthousiasmant.

— Tu sais qu’il parait qu’il y a des diamants et toutes sortent de pierres là bas ? On pourra peut-être se faire un vrai trésor !

Les trésors n'intéressaient pas Bourrasque plus que cela, mais l'idée que le Volcan en renfermât un était bien plus palpitant. Ses ailes se dressèrent légèrement dans son dos.

Elle sourit en voyant la minuscule flamme s'extraire de la bouche de Bougie. A l'aube de leur amitié, ce genre de libertés la courrouçait et elle se fâchait un petit peu : « Tu tiens donc à ce que j'ai une jambe bleue et une jambe rouge ? », mais avec le temps, l'on s'habitue à tout.

— Ah mais non. Après tu vas vouloir me pourfendre avec Echarde, donc finalement non je ne veux plus.

Bougie changeait rapidement d'avis.

— Ne dis pas de sottises ! Je ne pourfends pas les bons dragons, et toi, tu serais un bon dragon. Un jour, j'ai entendu un enfant humain dire qu'il allait en capturer un. Ce qu'ils peuvent être bêtes !

Mais Bougie n'approuvait que rarement ses blâmes à l'égard des humains. En général, elle ne disait rien.

Bourrasque mit du temps, elle aussi, à prendre conscience de l'atmosphère qui s'emplissait d'une chaleur de plus en plus suffocante. Sous ses vêtements de cuir souple, elle se sentait, précisément, cuire, et ses cheveux gris s'étaient collés à son front.
Elle faillit faire une réflexion à propos du feu qui brûle, mais se retint juste à temps.

Ils venaient de gagner le coeur du Volcan.

▲▼▲

La cité des fées des feux s'établissait dans la roche noire, tout autour, mais aucune maison n'était trop proche de la lave. En revanche, une sorte d'escalier grossier faisait le tour des façades et descendait jusqu'en bas en colimaçon. Lesdites façades n'étaient pas lisses, il y avait des grottes, des rochers, des pics escarpés, de sorte que l'on pouvait aisément s'y reposer – ou s'y cacher.
Bourrasque contempla avec une fascination mêlée d'effroi les bulles de magma qui crevaient à rythme régulier dans la mélasse rubescente, sous ses pieds, et les petites projection de lave qui s'élevaient et retombaient, comme des fées éphémères.
Au centre de la mélasse, de hautes et gracieuses flammes dansaient tranquillement, comme bercées au rythme de la respiration du Volcan tout entier. Bourrasque se demanda si c'était là l'Esprit Feu, mais l'émotion lui tenaillait trop la gorge pour qu'il pût en sortir le moindre son.

Ils s'approchèrent encore, empruntant doucement l'immense escalier.

— Que se passera-t-il si l'on tombe à l'intérieur ? Toi, tu ne brûleras pas, n'est-ce pas ? Mais moi...

Bougie acquiesça à la mention du bon dragon, c’est sûr elle saurait se tenir ! Mais elle n’ajouta rien quand Bourrasque mentionna les humains, cela l’attristait plus qu’autre chose qu’il les voit ainsi, c’était du gâchis.
Ils avancèrent donc dans silence jusqu’au cœur du Volcan lui-même. Là, la lave coulait par endroits, et au centre glougloutait un bouillon de magma en fusion. Parfois, on confondait les éclats de celui-ci avec une fée. Bougie emboîtait le pas de Bourrasque qui avançait petit à petit vers l’escalier.

— Que se passera-t-il si l'on tombe à l'intérieur ? Toi, tu ne brûleras pas, n'est-ce pas ? Mais moi...

- Hmm oui… Mais tu ne tomberas pas, je te rattraperai, ne t’en fais pas, je suis un bon dragon.

Quant à elle, elle s’était déjà approchée du bord plusieurs fois. Elle sentait la chaleur, mais pas plus que si Bourrasque se plongeait dans une baignoire d’eau chaude.

- Tu ne vas pas pouvoir t’approcher trop en bas.

Elle ne dit pas « ça serait trop dangereux », c’est presque sacrilège pour elle, mais au fond, elle le pense sans doute un peu. Elle ne considère juste pas le risque.

- Mais j’ai une idée ! Tu peux essayer de voir sur les parois si tu vois un reflet, ça sera sans doute un diamant. Moi je vais le chercher les yeux fermés, et tu me guides !

De cette façon, ils pouvaient tout le deux participer à la chasse au trésor sans frustration, quelle bonne idée ! En plus là, c'est sûr, c'était vachement moins dangereux.

— Mais tu ne tomberas pas, je te rattraperai, ne t’en fais pas, je suis un bon dragon.

Bourrasque ne releva pas – elle avait trop chaud pour parler, de toutes façons – mais elle sentit ses joues grisir légèrement, et ce n'était pas à cause de la fournaise qui les encerclait.

La proposition de Bougie lui parut quelque peu incongrue. Cela étant, son enthousiasme était si communicatif que Bourrasque ne s'attarda pas sur sa confusion. Elle acquiesça vigoureusement.

— Mais alors, pas de tricherie ! Promets solennellement.

Elle porta le poing à son cœur, relevant le menton, incitant Bougie à faire de même.

▲▼▲

Les parois qui entouraient le cœur du volcan étaient noires, dentelées, on les aurait crus creusées de rides et de balafres. Bourrasque en effleura la surface de ses paumes moites ; ses brassard lui enserraient la peau. Comment les fées des feux supportaient-elles de vivre dans un tel climat ? En relevant la tête, elle s'aperçut qu'on ne voyait guère le bleu du ciel, obstrué par la fumée sombre. Elle eut brièvement l'impression de suffoquer, mais tâcha de vite reprendre contenance. Il ne s'agissait pas de se montrer faible aux côtés de Bougie, ou de quiconque d'ailleurs.

Du reste, un petit éclat bleuté, dans la roche, attirait déjà son attention.
Bourrasque s'y précipita, collant pratiquement son nez contre la paroi obscure et rugueuse qui renfermait l'éclat.

— Serait-ce... souffla-t-elle pour lui-même.

Elle sortit Écharde de son fourreau et tenta de gratter la façade, effritant peu à peu la roche. Un labeur qui s'avérait quasiment impossible.

— BOUGIE ! Où était-elle passé ? Je crois que... HAN !

Écharde dérapa, lui échappa des mains avant de valser dans les airs. Bourrasque n'eut pas le temps de comprendre. Lorsqu'elle reprit ses esprits, sa précieuse épée verte avait chuté droit dans la bouche du volcan.

— NON !!

Elle s'étendit à plat ventre et se pencha par dessus bord, serrant ses doigts contre la paroi escarpée. Elle ne savait pas du tout si elle serait capable de maintenir son vol dans une telle atmosphère.
Son regard fébrile balaya le paysage flamboyant du regard. Nulle trace d'Écharde. Non ! Non, non ! Bourrasque était attaché à cette épée comme on est attaché à la maison de son enfance, à un animal de compagnie, à un souvenir précieux. Elle ne pouvait se résoudre à...

Là !!
Écharde gisait sur un morceau de roche qui, par malheur, venait de se détacher d'un gros bloc et commençait tout doucement à dériver dans cette mer de lave. A la moindre vague véhémente, elle disparaitrait au sein du magma.

Des larmes de désespoir emplirent les yeux gris de Bourrasque.

Elle avait juré main sur le coeur, avant de s'envoler joyeusement pour lancer le jeu. Elle en avait déjà oublié le danger, la chaleur, et dans ses cabrioles c'est tout juste si elle n'en oubliait pas son ami. La mémoire lui revint bien vite, mais comme elle avait juré, elle garda les paupières bien closes en entendant la voix de Bourrasque. Elle se dirigea dans sa direction à l'aveugle, sans remarquer l'angoisse qui perçait dans l'exclamation de la fée des vents.

Elle s'assit sur la falaise à côté de ce qu'elle avait identifié comme Bourrasque, et qui était très vraisemblablement un gros cailloux poreux.

- Il faut que tu me guides mieux parce que sinon je ne vais pas y arriver.

Personne ne lui répondit directement. Bourrasque lui jouait elle un tour ? Elle hésita à ouvrir un oeil, quand soudain :

- NON !!

Ses paupières s'écarquillèrent instinctivement. Elle se mordit la lèvre, pourvu que son ami de lui en veuille pas d'avoir trahit sa promesse, mais les choses avaient l'air graves ! En quelques gestes elle se retrouva à ses côtés.

- Bourrasque qu'est-ce qu'il se passe ?

Elle ne remarqua pas Echarde immédiatement, mais baissant les yeux, elle scruta dans la direction vers laquelle la fée était penchée. Sans réfléchir plus longtemps, elle fonça droit vers la lave pour récupérer l'arme. Elle ne savait pas si elle arriverait à temps, ni si elle arriverait à freiner... Retenant son souffle, elle tendit le bras en avant, n'entendant plus rien d'autre que la vitesse et les bulles de magma.

Elle voulait bien faire, comme les chevaliers, être héroïque, comme Bourrasque ! Pour une fois qu'elle pouvait aider !

Son poing se resserra autour de la poignée et elle parvint en une fraction de secondes à faire un petit looping sur elle même pour éviter la surface de la lave. La tête lui tournait avec tout cela, et elle remonta en zigzaguant, avant de tomber à genoux, épuisée par le sprint. Quelques étoiles dorées  dansaient devant ses yeux et elle-même était devenue plus rougeoyante.

- Pfiou. C'était moins une.

Elle n'avait même pas regardé vers l'écuyer-fée, tout accaparée par l'urgence de la situation.

Bourrasque ne respirait presque pas, alors que ses yeux peinaient à suivre la silhouette véloce de son amie.

— Où est-elle, où est-elle ? demandait-elle à voix haute, alors même que personne n'aurait pu lui répondre. La voilà !

Son gros coeur bondissait à chaque pirouette de Bougie – celle-ci faillit se faire emporter par une vague de lave et ne s'en rendit même pas compte.
Lorsque la fée des feux récupéra Écharde, Bourrasque s'autorisa une exclamation de joie, mais regretta aussitôt de se réjouir alors que le Lampion était toujours en train de risquer sa vie – bien qu'elle ne fût pas certain de cela, est-ce que le feu peut tuer le feu ?

— Je suis là !! Elle se leva d'un bond, les ailes frétillantes. BOUGIE !

Elle agita les mains, mais le vacarme du volcan empêchait sa voix de porter. Pourtant, elle s'exprimait en langage fée, celui qui ressemble à un tintement de clochettes.

Sans trop réfléchir, elle fit vrombir ses ailes et se rua aussi vite que possible en direction de la fée des feux.

— Je suis là ! hurla-t-elle alors même qu'elle était tout près à présent.

D'un geste tout fébrile, elle tendit la main pour reprendre Écharde.

— J'ai été très imprudent, et toi très courageux. Et imprudent aussi.

Elle baissa les yeux vers le coeur du volcan.

— Tu crois que tu meurs, si tu entres dedans ?

Bourrasque posait toujours beaucoup de questions sur la mort.

Un looping et hop un autre ! Bougie vole au-dessus du magma comme si c'était un jeu d'enfant, car c'en est un pour elle. Avec Echarde dans la main, elle se calme sur les cabrioles, cherchant son ami dans un tintement joyeux. Bourrasque la rejoint avant même qu'elle n'ait eu le temps de réaliser. Le Lampion lui lâche un immense sourire en lui tendant son arme :

- Et voilà ! Tu as vu comme j'ai évité les obstacles ! Il faudra que je raconte ça à Magma !

Les paroles de la fée des vents atteignent enfin son oreille. Imprudent ? Ah bon ? Loin d'elle l'idée de remettre en question son ami, elle a bien trop de mal à saisir les nuances de l'adjectif pour cela. Bon, peut-être qu'il vaudrait mieux ne rien en dire à son mentor alors. Elle fait une petite moue malicieuse pour rassurer Bourrasque. Ils s'en sont sortis, alors tout va bien !
Mourir ? Là-dedans ? Quelle drôle d'idée. Quoique, elle n'en sait rien au fond.

- Je ne sais pas trop, je ne me suis jamais brûlée. Je me demande quelle sensation ça fait. Tu crois que je meurs si on me laisse dans un verre d'eau trop longtemps ?

Elle pose la question sans y songer vraiment, ce ne sont que des mots pour elle, une devinette. Un jeu. Tout en parlant, elle tournoie doucement au-dessus du vide, oubliant de faire attention une fois de plus.

- Dis, tu penses qu'on pourrait me trouver une épée ? Pour quand je pourrais être aussi chevalier que toi ?

Mais elle ne pourrait jamais être aussi chevalier que Bourrasque, elle n'est pas assez concentrée, elle le sait. Est-ce qu'elle a le droit d'avoir une arme tout de même ? Elle imagine déjà un sorte de cristal en forme de lame, parce que rien d'autre ne pourrait convenir au feu, n'est-ce pas ?