Les visages flottaient encore dans le ciel, ils grimaçaient ou riaient. Parfois, Lunatic se contentait de tenter de les ignorer, il regardait ses pieds tandis qu'il traçait un nouveau chemin. Il devrait évidemment en faire un cercle, pour finir un autre cycle.

Et faire fuir le temps, ce satané truc ne le lâchait pas. Il ne le laissait pas grandir, une bonne chose, mais on dirait qu'il a trouvé le moyen de le faire pourrir. Décidément, ça en faisait pas mal de choses à gérer. Ou pas, juste que le Saturnien espérait ne pas se décomposer du dedans trop vite. Il avait Kuzco à entrainer, son fidèle compagnon et éclaireur à part entière ! Stealth était d'accord, tant qu'il ne mangeait pas les cartes. Enfin, Lunatic l'avait pris comme tel.

Bref, il se penchait de temps en temps, il insulta un des visages qui ne voulait pas se pousser.

- Si tu veux pas bouger les fesses que t'as pas, c'est pas grave au pire hein ? J'essaie juste d'être respectueux de ce que t'es. J'me dis que si j'étais un visage flottant fantomatique je voudrais pas qu'on me passe dessus.

Il roulait des yeux en passant au travers de l'hallucination qui disparu à cet instant.

Des fois, il aimait bien ses "amis" apparus juste après la mort de sa mère, mais d'autres moments il voudrait ne pas être observé. Il en a de rares occasions, mais voilà... c'est justement rare.

Ça l'énervait, il voudrait bien regarder les étoiles sans... il faisait nuit. Le garçon perdu arrêta sa marche, juste pour être bien sûr que le soleil était couché. Il ferma son sweat ouvert, il faisait un peu plus frais du coup.

Le son de l'eau arracha son observation agacée, il y avait une rivière pas loin. En qualité d'éclaireur, il su reconnaître la zone, mais du coup... quelques pas et voilà la fin du cycle. Il ne pouvait pas poursuivre son chemin en cercle. Là, sur ce rocher, il ne pouvait que constater que le courant faisait sa loi.

Les visages riaient, même le Sappa Inca Sumainka -l'ancêtre illustre de roi inca que Lunatic s'était inventé.

Sa mère était une reine après tout, forcément Sumainka était un empereur inca.

Les souvenirs du monde ordinaire mutaient. Se déformant en une autre réalité, des paysages de ruines antiques et une femme avec une couronne de plantes luxuriantes au centre d'un jardin en terrasses géométriques. Pourquoi était-il parti de cet autre monde d'ailleurs ? Ah oui, sûrement le chagrin de ne plus voir sa maman, ni même son père. Probablement.

Inutile de préciser que le Saturnien se montrait nostalgique d'un univers qu'il déformait de plus en plus.

Lunatic demanda donc à ses visages, ainsi qu'à Kuzco qui montrait le bout de son museau dans le col de l'adolescent.

- Alors ? Le cycle va se terminer et je vais pourrir ? Faut qu'on refasse une carte, ou faire un pont.

Il se pencha un peu au-dessus de l'eau et y croisa son reflet, sans les visages flottants.

- Ça me fait penser... à une jolie chanson.

Le paysage bleuté nuit, l'eau calme mais forte, cela ramenait les notes de son groupe préféré aux oreilles.

Une voix brisa les pensées du garçon perdu qui sursauta et dirigea le regard aussitôt sur la source. C'était une question, oui, mais Lunatic dû d'abord reprendre un peu ses esprits et entendre qu'apparemment la sirène n'allait pas le manger. Une sirène donc, heureusement qu'elle avait dit ne pas avoir faim. La surprise fut doucement remplacée par une mine débordante d'analyse, d'un doute sur la bonne idée de croire un poisson géant qui mangeait des gens.

Le Saturnien devint alors plutôt perplexe. Les sirènes ne préféreraient-elles pas plutôt les hommes, les adultes avec donc plus à manger ? Il n'était pas très renseigné concernant la science cryptide. Et ses explorations ne lui avaient pas apporté de réponse concernant ce fait pour le moment. Il faudrait le savoir, pour les prochains jobs.

Pendant que l'adolescent jaugeait la Vaporeuse qui se vaquait à des occupations... terriblement coquettes qui ne semblaient pas laisser un avis aux Visages. Ceux-ci semblaient ne rien exprimer concernant cette étrange rencontre, Lunatic en jugea donc que ça devrait aller.

En plus, et surtout, il était pourri. Les sirènes n'étaient pas des charognards non ?

Puis une autre question, et Cuzco couina tandis que l'éclaireur observait les amphibiens bizarres apporter du matos à la créature marine. Ça rappelait une légende d'avant au Saturnien, celle des rois maya ou inca -il ne savait plus- qui pouvaient apparemment se changer ainsi pour fuir. Mais ses ancêtres à lui n'avaient sûrement pas usé de cette ruse. Oh que non. Il avait des illustres ancêtres, et les Visages c'étaient sûrement eux.

Il y croyait à ses histoires, le Saturnien.

Et une nouvelle fois, des paroles qui ressemblaient un genre d'ordre gentiment lancé.

Lunatic plissa les yeux, se redressant, quelques pas en arrière de cette foutue berge.

- Je peux pas la chanter, cette chanson. Il me faudrait un orchestre, une batterie, des guitares électriques. Et l'eau ça file du mauvais coton avec l'électricité en plus.

Il jeta un regard aux Visages qui se balançaient.

- Mais la chanson parlait justement de sirènes. Enfin, qu'il faut lâcher les sirènes. C'était ça le titre, Turn Loose The Mermaids. Je suis désolé madame, l'île m'a coupé de ma musique.

Un temps, mains dans les poches. Lunatic avisa de nouveau la zone par où étaient venus les amphibiens pas finis. Encore méfiant. Il avait assez trainé sur l'île pour savoir que même un rocher pouvait être spécial. Rien que le Rocher qui parlait lui avait dit de faire attention sur terre et dans l'eau. Même dans les airs.

- Tes axolotls, y en a un qui a évolué jusqu'à la forme sans branchie ? C'est rare, mais ça arrive qu'ils se "finissent" ici aussi ? T'en as qui ont été rois ?

Oh bon sang, Lunatic commençait à se dire que les sirènes avaient un comportement bien différent de ceux décrits par des histoires de marins. Bien qu'il maintenait de la distance, juste au cas où, il roula des yeux au comportement gaga de la créature. Il cacha même les yeux de Cuzco, il ne devait pas voir des choses aussi... inappropriées.

C'était ça le mot ? Il en doutait un peu mais bref.

Puis, il plissa les paupières face au nom que la Vaporeuse se permettait de lui coller au visage.

- Non ça va je prends pas ce nom. Peter m'a déjà renommé une fois, et je crois que mon nom colle mieux. On peut pas dire que t'es très douée pour les noms humains, hein ? De toute façon, il a déjà pris mon ombre aussi. Y a plus moyen de me changer.

Encore un ou deux pas en arrière, et il s'installa pour de bon en s'adossant à un arbre. Il dévisageait la fille de l'océan, les Visages semblaient ne pas la remarquer. Il ne voyait pas les détails, mais il avait cru comprendre qu'elle était à moitié axololt. Les conseils de ses camarades disaient de se méfier, alors il restait sur ses gardes et veillait presque à ne pas voir avec précision la créature. Il avait entendu parler du fait qu'une d'elle usait d'un charme bizarre sans chant. Lunatic, il n'aimait pas trop ces dames de l'eau. Il avait toujours préféré les hautes montagnes.

Bref, il poursuivait.

- Je peux chanter le début quand même. Parce que je suis "bon prince", et que ma mère m'a bien appris a être gentil avec les filles.

C'était une reine après tout, et il fallait l'écouter. Même si la fille vexait et que c'était une peste de sirène. Le Saturnien se concentra un peu, essayant de se souvenir des paroles. Plus en détails. Une fois que la mélodie revenait, les mots arrivaient comme des vagues.

- A kite above a graveyard grey
At the end of the line
Far far away
A child holding on to the magic of birth and awe

Oh, how beautiful it used to be
Just you and me far beyond the sea
The waters, scarce in motion
Quivering still

At the end of the river the sundown beams
All the relics of a life long lived
Here, weary traveller rest your wand
Sleep the journey from your eyes

Good journey, love, time to go
I checked your teeth and warmed your toes
In the horizon I see them coming for you

The mermaid grace, the forever call
Beauty in spyglass on an old man's porch
The mermaids you turned loose brought back your tears

At the end of the river the sundown beams
All the relics of a life long lived
Here, weary traveller rest your wand
Sleep the journey from your eyes...

Oh, il était content, l'Île n'avait pas encore dévoré cette chanson ! Dommage que ce n'était pas la voix de la chanteuse, ni l'orchestre avec un violon... mais ça allait encore. C'était une jolie mélodie qui lui était encore accessible. Sûrement qu'il n'avait pas respecté la hauteur des notes, simplement parce qu'il ne pouvait pas. Sa voix était plus basse après tout. Il jeta un oeil aux Visages qui le regardaient, ils avaient bougé les lèvres comme pour aider les souvenirs à garder encore un peu ce qui avait été un jour appris par coeur.

Le Saturnien sentit une vague de nostalgie l'envahir, il aimait beaucoup ce groupe. Mais il ne se souvenait plus que de cette chanson. En réalité, il manquait encore la montée en force, qu'il appréciait, mais c'était les mêmes paroles répétées et c'était vraiment loin d'être comme dans sa mémoire avec sa performance.

Lunatic observa rapidement derrière lui, histoire d'être sûr que personne ne l'avait entendu. La sirène ne comptait pas. C'était juste une meuf cheloue.

Oui, c'était celui qui s'appelait Lunatic qui disait ça.

- Voilà, un chant humain. Le seul qu'il me reste, d'ailleurs.

T'as vu maman ? Tout ça à cause de toi, et parce que j'aime bien les larves avec des branchies. Se disait le Saturnien.

Toujours soucieux de la distance physique, norme de sécurité avec les sirènes, Lunatic se retenait de venir voir les bestioles de plus près. Il reposa son attention sur la fille de l'eau lorsque celle-ci se remit verbalement la couronne en place. Il fallut un moment au Saturnien pour comprendre qu'elle n'avait simplement pas saisi l'expression.

En vérité, la Vaporeuse donnait l'impression de faire des vagues. Tantôt peste, tantôt plus compréhensive ou douée de douceur. Le cocktail était particulièrement difficile à digérer, mais il fallait relever les notes de bontés parmi la diva de lycée. Du moins, elle avait tout l'air de ces filles insupportables dans les films pour teenagers. Enfin, ces machins qui venait du continent nord d'Amérique. Lunatic était plutôt planté dans la partie sud de toute façon.

Mais bref, d'un côté, l'éclaireur était tout de même content que les paroles de la chanson soient retenues par quelqu'un d'autre sur cette île. Il oubliait de plus en plus de choses, et beaucoup étaient incertaines dans son esprit.

- C'est précieux, ce qu'on risque d'oublier.

Qu'il dit en observant encore les larves étranges.

Et la créature anthropophage attrapa encore l'esprit qui s'en allait sur saturne. Lunatic se trouva partagé à nouveau entre méfiance et, ma foi, envie. Il hésitait. Ce n'était clairement pas prudent, mais les visages s'assemblaient déjà autour des bestioles.

- Les ancêtres ont l'air d'en être curieux, et c'est vrai qu'ils sont mignons, mais... donne-moi ta parole de princesse que tu me mangeras pas. Si je suis plus là, Kuzco sera tout seul. Et puis de toute façon tu serais malade après, et faut pas l'être je pense. Enfin, ça tombe malade une sirènes ? Se questionna-t-il dans sa barbe.

Il s'approcha et tendit une main franche vers la Vaporeuse. Au pire, il aurait un bras en moins, ce n'était pas grave, il était pourri. Evidemment, sûrement que sa chair ne tiendrait pas et se détacherait toute seule.

- Princesse... euh, c'est quoi ton nom ? Pour qu'une promesse ait de la valeur, c'est déjà très haut que ça vienne d'une royauté mais c'est mieux si y a ton nom qui suit.

Okay, donc, une promesse de princesse ça valait un pesant d'or. À faire jalouser les pirates. Lunatic choisit de faire confiance, et de ne pas penser à la possibilité de voir ses entrailles pourries étalées au sol. La main de la sirène avait laissé de l'eau sur la sienne, mais il ne s'essuya pas pour ne pas paraître impoli. Les Sappa Inca n'avaient pas peur d'avoir les doigts mouillés !

Puis, quand la créature marine tendit la petite Potate, Lunatic mit les mains en coupe pour offrir une zone agréable pour l'animal.

- Salut, Potate ! T'es toute jolie.

Le sourire s'agrandit, elle était mignonne cette bestiole. C'était drôle d'imaginer les rois Aztèques se changer en axolots pour fuir. Et à cette distance, la Vaporeuse était jolie aussi. Ce qui devait être plutôt normal pour une sirène. Non ? Il fallait bien manger les pirates libidineux.

Mais Perle demanda quelle était la source du petit gloussement, celui de Cuzco. Bon, en revanche, le dédain présent dans la voix de la chipie vexait déjà un peu le Saturnien qui portait beaucoup d'estime pour son compagnon de toujours. Cependant, il passa outre. Il pensait saisir l'attitude de la demoiselle-poisson, elle était vraiment similaire aux filles de riches qui passaient très rapidement dans son école. À l'époque. C'était loin... Ou peut-être était-ce des films ? L'esprit s'embrouillait et se répétait. Mais la clarté revenue, il désigna le cochon d'inde du bout de l'index.

- C'est Cuzco, mon équipier. C'est un cochon d'inde, mais il est plus courageux que ceux de son espèce.

Sinon, il ne partirait pas à l'aventure avec. C'était peut-être la magie de l'Île qui créait ces liens spéciaux.

- Tu veux le caresser ? Je veux dire, tu m'as laissé voir Potate, je peux te laisser voir Cuzco. Enfin, si la fourrure ne dégoûte pas sa majesté.

Il s'était installé pour de bon, tout en caressant gentiment et avec précaution la petite Potate. Il ne voulait pas provoquer de stress à la minuscule âme toute lisse et toute douce.

Les visages semblaient désapprouver, évidemment. Ils pensaient que la situation était dénuée d'intérêt dans la quête de destruction pour le Temps. Pour gagner en échange. Cependant, Lunatic refusait d'appliquer le principe des cycles à de si jolies créatures. Autant la sirène que les amphibiens. Ce n'était pas le moment, le Saturnien le faisait comprendre à ses fantômes en les ignorants. En refusant d'imiter leurs traits.

Doucement, en laissant l'axolot explorer sa main gauche, il fit sortir Cuzco pour le présenter à Perle.

- Cuzco, je te présente la princesse Perle. Et la jolie créature juste là, c'est sa petite Potate.

L'animal émit quelques gloussements en reniflant l'air.

Un axolotl avec des poils, on pouvait plus ou moins dire ça. Lunatic le supposait. Sauf que si on coupait une patte à Cuzco, elle ne repousserait pas.

L'éclaireur sursauta légèrement, soucieux de ne pas jeter en l'air les animaux, quand la sirène poussa un petit cri en se retirant vite la main. Le Saturnien cligna des yeux à plusieurs reprises, ne comprenant pas, mais il eut la réponse assez vite.

Là, il eut un sourire. Soulagé, ce n'était vraiment rien. Et les petits axolotls semblaient bien s'amuser, tout comme celle qui était dans la main du garçon perdu.

- Il ne vit pas dans l'eau, il lui faut de la fourrure pour avoir chaud. Mais ta Potate est aussi toute douce, l'éventail du doux est large.

Lunatic tendit un peu plus Cuzco, si Perle voulait le caresser sans être trop surprise.

- Tu veux faire connaissance avec lui ? Il n'a pas l'air d'avoir peur de toi, je peux te le mettre dans les mains si tu veux.

Un temps, en regardant son compagnon courageux.

- Par contre, il n'a pas les talents de nageur de tes compagnons.

Un petit rire désolé, il allait falloir faire attention.

Lunatic était content d'être tombé sur une sirène qui avait l'air de comprendre la responsabilité de protéger des amis aux coeurs si minuscules, et si vulnérables. L'éclaireur avait plus confiance en ce genre de personne, même si là... c'était une sirène.

- Je peux te poser une question ?

Il avait donné le nom de l'espèce de Cuzco, l'éclaireur observait la scène attendrissante qui prenait place au milieu de leur monde cruel. Le monde était un peu trop rose soudainement, tellement rose bonbon que ça pouvait bien cacher un poison.

Alors que Perle répondait dans une joyeuse taquinerie, Lunatic observait les visages flotter. Leur expression était un peu inquiétant, arrachant une mine plutôt anxieuse à l'adolescent.

Il figea ses yeux sur la sirène plutôt que sur ses compagnons étranges.

- Haha.. c'est vrai, c'est un peu bête.

Un peu embarrassé, mais il poursuivit.

- Est-ce que ça te dit quelque chose l'histoire d'un Rocher qui parle, sur l'Île ?

Les créatures, terrestres ou marines, pouvaient avoir connaissance de plus de choses que les humains. Parfois du moins. Mais alors le Saturnien profitait de la Vaporeuse pour apprendre un peu plus sur ce monde qui devenait aussi le sien. Qu'il le veuille ou non.

En espérant que le temps ne le rattrape pas.

En espérant que ses organes tiendraient assez longtemps.

Le Rocher avait parlé de créer un jardin d'organes, en y plantant des bébés tout juste nés. Mais voilà, ici, ce n'était pas une denrée courante. Et Lunatic ne se voyait pas capable de tuer.