Les cris des prisonniers résonnaient dans les cachots tandis que leur maître vénéré exultait de les entendre. Il jouissait de leur souffrance, cadeau suprême à ses oreilles. Assis sur son trône, au plus profond de la terre, bien en dessous de la maison souterraine, la face cachée de cette île, le Seigneur des Ténèbres, le ténébreux, grand, beau, sadique, séduisant Pit observait sa cour d'un œil amusé. Devant lui se trouvait un pauvre garçon perdu qui avait eu le malheur de le froisser d'être plus beau que lui. Nul ne doutait  que pareil crime resterait impuni. Personne ne s'élevait contre le maître du Caliente.

A ses pieds, son fidèle chien, Weasel, se reposait paresseusement. Nu comme un ver, il ne parassait pas souffrir du froid, bien au contraire. Son corps tout entier semblait se consumer, de désir. Un seul coup d'oeil pouvait le confirmer. A sa nuque, un collier de pique était accroché, preuve ultime qu'il était bien un chien. Et qui disait collier disait laisse, comme la belle que son maître tenait de sa main gauche tandis que la droite le caressait de temps à autre, le faisant gémir et glapir un peu plus à chaque fois. Vraiment, on ne pouvait trouver chien plus heureux.

Ce n'était pas le cas de l'autre malheureux. Ce dernier était au bord des larmes et tentait d'implorer le pardon du Seigneur. Le pauvre ignorait qu'un tel spectacle ne faisait que renforcer ses bas instincts. D'une voix sussureuse, le maître demanda au chien :

-Eh bien mon beau, qu'allons nous faire de lui ?  

Comme chaque jour depuis maintenant une trop longue période, il pleuvait à seaux. Dans l'ensemble, Heaven s'en était accommodée. Après tout, les ondulations dues à ses cheveux mouillés lui allaient bien, et puis maintenant, elle se faisait une garde-robe, donc elle pouvait se changer si jamais elle se retrouvait trempée. Étonnament, à présent, cela la dérangeait de devoir porter la même tenue trop longtemps. Commençait-elle à devenir coquette ? On se demande bien pourquoi.

Elle avait aujourd'hui opté pour LA robe, celle en tissu imitant le jean, s'arrêtant à mi-cuisses, avec de grandes manches et un col en V. La chose la plus dérangeante, c'était ledit col en V, parce que, justement, une petite fermeture éclair y était placée. Imaginez un peu le résultat si elle venait à être ouverte... tout le monde pourrait voir le soutien-gorge noir et brun de la Récolteuse, chose qu'elle tentait d'éviter à tout prix.
Elle n'était pas d'humeur à aller faire un tour tout de suite, sous cette pluie salée qui vous mouillait entièrement en quelques secondes. Après tout, elle avait du temps devant elle : le Parc d'Attraction pouvait attendre, et elle devait faire ses heures sup' le soir. Certes, elle s'en serait bien passé, de ces heures en plus à passer en compagnie du merveilleux, excécrable, plaisant, asssomant Pit.
Ho, elle pouvait en trouver des mots et leurs antonymes pour le décrire; c'était tout à la fois : une chose et son contraire. Mais bon, le fait était là : il y avait quelque chose avec lui qu'il n'y avait plus ailleurs, avec quelqu'un d'autre. C'en était désolant.

Marchant sous la pluie d'une cadence assez rapide, la Mésange filait vers un coin où s'abriter, c'est-à-dire la Cabane qu'elle partageait avec quelques uns de ses collègues, et qui accueillait maintenant une certaine petite squatteuse qui avait vu son trou se faire innonder. Bon certes, tout le Gratin et le Sous-gratin se retrouvaient maintenant sans Maison Souterraine et partageaient la Cabane de leur groupe respectif (ou une au choix pour les Courtisans, donc).
On pouvait dire des occupants de cette Cabane en particulier qu'ils étaient bien tombés; Shipper n'était pas une Courtisane embêtante. Du moins, pas pour Heaven, en tout cas. Elle passait le plus clair de son temps sur sa machine à écrire, sortant des fanfictions perverses pour public averti qui avaient, jusque là, beaucoup fait rire la Récolteuse. Pourtant, elle restait malgré tout assez jeune pour écrire ce genre de choses...

- Hey la crevette ! Encore en train d'écrire à ce que je vois !

S'était joyeusement exclamé la Mésange alors qu'elle entrait dans la Cabane, essorant ses cheveux sur le pas de la porte. La jeune Courtisane l'apostropha en retour, lui demandant si elle voulait jeter un œil à son prochain texte.

- Bien sûr que je veux ! Je vais pouvoir lire en avant-première... le bol !

Avait alors répondu la jeune fille, l'intérêt se faisant ressentir dans le ton qu'elle avait employé. Sans attendre, elle se dirigea vers la machine à écrire, posant son regard sur la feuille de papier qui était déja bien noircie de mots.
Le début commençait assez étrangement. Ça parlait de prisonniers et d'un maître, ce qui étonna quelques peu l'adolescente, jusqu'à ce qu'elle voit un nom qu'elle connaissait bien : Pit.
Logique ! Ha, s'il voyait ça, son égo ferait un bond. Il sortirait sûrement quelque chose dans le genre "c'est mon poste au sommet du Jeu" ou une connerie comme ça. En ce qui concernait Heaven, elle se faisait son petit commentaire dans sa tête, sur chaque ligne, chaque mot qui la composait.

Pit, ténébreux ? En général, non. Mais là, dans le contexte, peut être bien.
Grand ? Oui.
Beau ? C'est subjectif, mais oui, ce n'était pas Heaven qui pouvait dire le contraire. Elle venait même de s'en mettre a rougir, juste un peu.
Sadique ? On pouvait se poser la question, mais bon, après, ne lui avait-il pas dit qu'il s'était amusé à faire Bannir des demoiselles ? Ça peut être considéré comme étant une preuve de sadisme. Est-ce qu'il avait déja été sadique avec elle ? Ça pouvait porter à confusion vu qu'en géneral elle se triture l'esprit toute seule.
Séduisant ? À deux cents pour cent, c'est indéniable.

- Le Maître du Caliente... Tu m'as tuée.

Commenta l'adolescente en laissant échapper un petit rire, sourire aux lèvres.
Ledit sourire s'élargit encore plus lorsqu'elle passa au deuxième paragraphe, qui rabaissait Weasel au rang de chien. N'est-ce pas ce qu'il est vraiment, à obéir docilement ainsi au Chef des Raccommodeurs ? Ho, il allait voir rouge. Comme quoi, même les Courtisans pouvaient se montrer dégueulasses entre eux.

- Hooooo j'en connais un qui va être vexé jusqu'au trognon, j'en ris d'avance ! Il est trop Uke comme ça...

Rajouta-t-elle en ricanant. Franchement, si cette fanfiction passait, ce serait la honte assurée pour la fouine de Courtisan ! Ce serait tellement beau, tellement jubilatoire.
En continuant sa lecture, Heaven fit une brève grimace lorsqu'elle vint à la fin du dernier paragraphe. Elle avait déja imploré Pit par le passé, d'une façon aussi pitoyable que celle du type dans l'histoire, et autant dire que cette image lui revenait en tête en lisant. C'est qu'elle se mettait presque à la place du personnage.
Et ensuite, et ensuite, et ensuite...

- Haaaaa ~ c'est déja trop hardcooooore !

Gémit la Récolteuse en se retirant précipitamment, se couvrant les yeux de ses mains alors qu'elle rougissait de plus belle. Dans sa tête, elle commençait à délirer sur des choses qui devraient mieux rester cachées derrière la brume rose.
Si l'on devait illustrer son état, intérieurement, ce serait avec une scène manga culte; un bon saignement de nez explosif, symbole des pervers. Extérieurement, c'en serait un plus discret.

- Tu voulais mettre un peu d'humour en marquant "être plus beau que lui" ? Parce que tu sais, il est tout à fait capable d'être dégueulasse quand on le vexe...

Repris la Mésange en se calmant doucement, lâchant un rire jaune au passage. Elle avait envie de rajouter "crois-moi, j'en sais quelque chose" mais elle s'abstint. Il ne fallait pas trop en dire non plus.

- Par contre, tu veux un conseil ? Mets peut être un peu plus de détails sur le mec qui pleure, et puis sur Pit. J'arrive pas à m'imaginer... ce qu'il porte.

Chemise déboutonnée comme à l'habituelle, ou autre chose ? Voilà la remarque bizarre !
Il n'y a pas à dire, face à une petite perverse comme Shipper, Heaven ne faisait plus sa sainte nitouche !

-Eh bien mon beau, qu'allons nous faire de lui ?  
-Laisse le tranquille Pit !

Le condamné frémit tandis qu'un murmure d'effroi emplit la foule. Telle la mer devant Moïse, celle ci se divisa en deux pour laisser apparaître leur sauveur : Scar. Ce dernier les jaugeaient tous de son heure sombre et torturé. Weasel se mit à pencher la tête, intrigué, tandis que son maître se léchait les doigts. Cette brusque apparition n'était pas prévue mais elle lui donnait des envies. Seulement, le brûlé n'avait pas envie de jouer :

-Laisse le, il ne t'a rien fait.
-Parce que si c'était le cas, j'aurais le droit ?
-Tu sais très bien ce que je veux dire.
-D'accord, mais si je n'ai pas envie ?

Scar soupira. Il s'était douté que faire changer d'avis le seigneur de ces donjons ne serait pas chose aisé. Mais il le devait. Il l'avait promis à Soul. Devant les yeux implorants du chef des soigneurs, il n'avait pas pu dire non. Il se devait de ramener ce petit à son presque-père. C'était pour Soul. Celui pour qui il ferait n'importe quoi. Il inspira un grand coup et déclara :

-Je me porte volontaire pour subir ton courroux mais laisse le partir.

Sur son trône, Pit eut un large sourire. La situation lui plaisait de plus en plus. Et le chien à côté de lui laissa sortir un gémissement de plaisir. Cette nuit encore il serait satisfait.

Ho là là quel tonnerre de justifications ! C'est qu'elle défendait ses idées, la crevette ! Heaven en fut d'abord quelques peu vexée -après tout, elle n'aimait pas non plus qu'on remette son point de vue en question- avant de se détendre à nouveau, souriant de la fougue de sa "pseudo petite sœur" (oui, elle en avait décidé ainsi. Shipper était l'une de ces fillettes que la Mésange appréciait beaucoup car quelque part, elles lui rappelaient une certaine petite cousine du Monde Ordinaire qu'elle aurait bien aimé avoir pour petite sœur. La petite elle-même avait dit à ses amis que sa cousine était "sa super grande sœur")
Voilà que la petite Courtisane lui parlait de kinkshaming, ce qui fit doucement rire la Récolteuse, qui soupira brièvement.

- Je te dis ça parce que je le connais, banane.

Avait vivement répondu la jeune fille, alors que le Citron à côté d'elle trouvait une excuse en disant que ce n'était qu'un jeu. Heaven tiqua à ce mot tant elle l'avait entendu de la bouche de quelqu'un d'autre -ce quelqu'un se trouvant justement être l'antagoniste principal de la fanfiction du moment-, mot qui ne présageait rien de bon venant de cette personne, puis, se ressaisissant, elle tapota affectueusement la tête de Shipper, puis lui répondit d'un ton à la fois sérieux et désolé :

- Justement, il y en a qui s'en prennent aux autres en prétendant que c'est juste pour jouer.

La conversation dévia bien vite sur un autre sujet, celui de l'apparence de Pit, ce qui était bien plus intéressant du point de vue d'Heaven. Elle avait déja une référence en tête, référence dont le style vestimentaire lui avait plus d'une fois tapé dans l'œil, et attendait juste un feu vert pour la lancer. La mention d'un pantalon en cuir avait fait lâcher à la Récolteuse une exclamation mêlant surprise et satisfaction. Sa référence en avait justement un ! Les deux filles devaient être sur la même longueur d'onde.
Et alors que l'adolescente tendait la main vers la pile de feuilles blanches afin d'en attraper une, Shipper l'interrompit en pleine action :

- Oh et ! C'était pas pour faire rire le motif de Pit. Je le pensais vraiment, je...

Disait-elle. Elle tentait de se justifier tant bien que mal, et elle semblait ne pas avoir compris ce que la Mésange voulait dire. Il faudrait qu'elle se réexplique.
Elle laissa donc finir la Courtisane qui paraissait déçue de sa réaction, puis recommença ses explications :

- Tu avais au départ marqué "de le froisser" mais tu as barré. Je voulais juste te faire comprendre que Pit pouvait se montrer vache avec une personne juste parce qu'elle l'a vexé, donc que ça pouvait aller aussi. Mais les deux idées sont bien, ne t'inquiète pas.

Et sur ces mots, elle prit la feuille vierge qu'elle convoitait, s'en retournant vers son coin afin de se dégoter un crayon de papier, caché sous l'un des oreillers qui constituait son lit. Ce mouvement soudain sembla déranger Patchouli qui piquait un somme ici, ce qui lui fit lever la tête, aux aguets.
Le Lapelote décida finalement qu'il était temps de se lever, et accompagna sa maîtresse qui vint s'asseoir à nouveau à côté de Shipper, en tailleur, maintenant penchée sur sa feuille. Elle griffona un crossover entre Pit et sa référence, qui était ni plus ni moins que Gaito de Mermaid Melody, pendant que le Citron continuait son histoire.

Lorsque la jeune fille aux cheveux noirs de jais eut fini, la Mésange se mit à lire par-dessus son épaule, corrigeant les éventuelles fautes qu'elle voyait : "a-i-t" pour "les jaugeait", "é-e" à "aisée" entre autre. Lorsqu'elle n'était pas sûre, elle préférait se taire.
Retournant ensuite à son dessin, elle continuait son petit commentaire :

- La relation Scar-Soul a l'air tendre, j'aime bien. Mais wah, quoi; Pit c'est Asmodée en personne, ça m'a fait frémir.

Bon, "Asmodée en personne" c'était poussé, peut être un peu trop. Un gros pervers, ça c'était sûr, mais de là à être comparé au Démon de la Luxure, il y avait encore du chemin.
Heaven fit silence pendant quelques minutes, le temps de finir son dessin d'un Pit habillé avec ce que portait Gaito. Lorsque ce fut le cas, elle le montra à sa "presque petite sœur", toute contente de son œuvre, et s'exclama :

- Voilà ! Je lui ai mis les habits de Gaito dans Mermaid Melody. C'est un manga de... 2004 je crois, adapté plus tard en anime -c'était totalement différent d'ailleurs- avec des Sirènes dont le chant a un pouvoir magique... Je sais plus exactement l'histoire donc je peux pas t'en dire plus...

Dans un sens, c'était un peu le cas avec les Sirènes de l'Île mais celles du manga ne mangeaient quant à elles pas d'humains... Mais bon, ce n'était pas le sujet ! Heaven était tellement fière de son dessin...

La toute première question, celle à laquelle Heaven n'avait pas tant prêté attention, lui revenait soudainement en tête lorsqu'elle jeta un œil à son dessin entre les mains de Shipper, qui lui avait pris quelques secondes après. L'expression malsaine qu'affichait Pit, elle l'avait retranscrite sans problème sur le papier. C'était un peu comme si elle faisait son portrait en version manga, comme s'il se tenait devant elle à ce moment là. Vraiment, l'incarnation d'un démon venu tromper les humains sous une forme humaine.
Ce délire insensé allait un peu loin... Certes, le Chef des Raccommodeurs avait beau se permettre certaines choses plus ou moins osées vis-à-vis d'elle (ha, elle s'en rappelait, de la sensation de sa langue sur son décolleté) mais il n'avait jamais dépassé la limite.
Heaven n'était pas sûre qu'un démon comme Asmodée se soit donné la peine de se brider afin d'éviter de la faire couler. Enfin, elle ne voulait pas rencontrer ce genre de personne, ou plutôt d'entité.

- Bon on va commencer par le commencement... Euh... Asmodée, en fait, c'est le Démon de la Luxure. Mais bon, c'est un peu fort, tout compte fait...

Rire gêné. La Mésange devrait surveiller ses propos afin de ne pas faire fuiter quelques malheureuses paroles. Sur ce coup là, le mal était fait, mais ce n'était pas comme si c'était important. C'était juste un étrange constat, mais dans un sens, ne disait-elle pas parfois des choses absurdes afin de se faire remarquer ?
Après, c'est une chose parmi tant d'autres. Lorsqu'elle se prenait pour une justicière et défendait du mieux qu'elle pouvait ses congénères, elle avait aussi tendance à vouloir se mettre sur le devant de la scène. Par n'importe quel moyen, elle voulait que les autres s'intéressent à elle, et c'était encore mieux si en plus, ils l'appréciaient.
C'est maladif, ce besoin de reconnaissance.

- Hm, merci, au fait. J'aime bien dessiner des mangas de temps en temps. Les proportions sont pas parfaites mais je me suis étonnée moi-même sur ce coup là. Tu vois, c'est pas une œuvre d'art non plus ce que je fais, je suis une souris par rapport aux artistes de l'Île. Fais-en ce que t'en veux...

Sortie de son délire de démon bizarre, Heaven avait trouvé bon de changer complètement de sujet. Mieux valait ne pas instaurer un quelconque malaise à cause d'une énième parole de trop.
Elle voulait tellement que ce dessin paraisse, lui aussi, dans le journal ! Ce serait tellement gratifiant, tellement grisant. Un succès, en somme. Bien sûr, il y aurait des critiques, mais à partir du moment où elle ne les entendait pas, tout irait bien, non ? C'est qu'elle avait tendance à ne vouloir que ce qui était bon. Les compliments, de bonnes sensations, etc.

Un peu comme avec eux deux. Mais ce n'était pas le sujet, non ? Elle n'avait pas à y penser, bien que les images de ceux qui se partageaient inégalement son cœur planaient sans cesse dans son esprit.
Mais ce n'était pas le sujet. On parlait de son heure de gloire, pas vrai ? D'une possible publication, et avec son nom en dessous, ce serait encore mieux. Persone ne saurait que ce dessin, c'était elle qui l'abait fait, sinon. Pourtant, dans un sens, cela posait problème.

- Si tu le publies, tu mets le Copyright ? Parce que bon dans un sens j'aimerai bien que les gens voient que c'est moi qui l'ai fait, mais dans l'autre ils trouveront sûrement bizarre que je dessine Pit, étant donné la réputation qu'il a auprès de certains... Après, je peux toujours dire que j'ai fait ça dans le cadre de ta fanfic, t'en penses quoi ?

La Récolteuse se faisait peut être du soucis pour rien, qui sait. Après tout, elle l'avait bien dit; elle pouvait juste faire croire que c'était un dessin pour accompagner l'article. Au fond, elle avait vraiment eu envie de dessiner le Chef des Raccommodeurs dans une tenue pareille, c'était aussi un peu pour illustrer mais c'était plus par envie. Mais après tout, les autres ne savent pas ce qu'il y a, au fond d'elle.

Parler ainsi du journal avait, pour Heaven, quelque chose de tout à fait professionnel. Ça l'amusait beaucoup ! Mais, encore une fois, elle s'était tourmentée pour pas grand chose. "Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué", c'était quelque chose qui lui convenait parfaitement. Alors quand Shipper lui confia qu'elle ne savait pas trop quoi faire, se rattrapant presque aussi vite en disant à l'adolescente qu'il faudrait qu'elle signe son dessin, cette dernière lâcha un soupire exaspéré, prenant le crayon que sa petite sœur de cœur lui tendait.

- Évidemment, j'aurais dû y penser. J'avais pas l'habitude de signer quand je dessinais, avant... Par contre je vais juste mettre mon nom, parce que la date, ici, elle est absente.

Avait-elle dit d'un ton las. Mais, crayon en main, la Mésange ne savait pas quoi signer. Que faire ? Elle avait bien une signature auparavant, et bien qu'elle ne l'eut pas souvent utilisée, elle lui plaisait beaucoup... Pourquoi avait-il fallu qu'elle l'oublie ?
Et, alors qu'elle tentait de se réinventer une signature, à côté d'elle, Shipper blablatait. Tiens, la Récolteuse pensait qu'elle avait fini, mais visiblement, elle tentait encore de lui remonter le moral... à sa manière.

- Et puis moi je trouve pas que tu sois un asticot ! T'es... Enfin... Tu dessines trop bien quoi ! Genre milles fois mieux que moi. Enfin ouais, c'est pas une référence. Mais tu dessines aussi bien que Kinky !

La jeune fille ne savait pas trop bien d'où la Courtisane sortait sa mention d'asticot, mais elle fit en sorte de ne pas trop y faire attention. Après tout, à cet âge, on dit encore des bêtises. Enfin, il n'y a pas d'âge pour en dire. La preuve; elle-même se disait qu'elle détenait le record de "largage de conneries à la minute", surtout en face d'une certains personne. Plus elle y pensait, et plus elle se trouvait idiote...
Elle aurait pu éviter tant de choses si elle s'était contenue, si elle n'avait pas craqué, toutes ces fois là ! Elle se disait que ses agissements paraissaient étranges, et se demandait même parfois si elle n'était pas un peu masochiste sur les bords, un peu comme certaines filles d'Otome game. Ce serait vraiment problématique.

- Dingue que tu cites Plantu, je sais qu'il est connu mais quand même. T'es de quelle nationalité, en passant ?

Lâcha soudainement la Mésange, alors qu'elle était toujours en recherche de sa signature, le crayon de papier pendant au bout de ses lèvres et son dessin en main. Ce n'est que quelques minutes après que finalement, l'inspiration lui vint : au coin inférieur droit du papier, elle fit un "h" majuscule auquel elle ajouta, sans lever le crayon, une aile comme celle des anges ou des oiseaux. Puis, elle rajouta quelques traits sur cette dernière.
C'était tout simple, selon elle : la première lettre de son nom, et la petite aile qui pouvait faire référence aux ailes des oiseaux donc son surnom, ou alors effectivement les ailes des anges. Après tout, ne pouvait-on pas traduire son nom par "paradis" ? Cela laissait une part de mystère dans sa signature ! Créditée, mais pas forcément découverte ! Du moins, pas pour l'instant.

- Au fait, il y a une chose qui m'intrigue : on est d'accord que votre journal, c'est pas une édition unique ? Comment vous faites pour faire plusieurs exemplaires ? On a pas d'imprimerie à ce que je sache.

Demanda ensuite la demoiselle, alors qu'elle posait maintenant le dessin devant elle, s'imaginant déja le voir figurer dans les pages d'une prochaine édition. Mais pourquoi n'avait-elle pas posé cette question avant ?

Shipper sembla d'abord assez gênée (ou quelque chose dans le genre ?) de parler de son origine, comme si c'était quelque chose de décevant ou autre. Heaven ne comprit pas vraiment pourquoi, mais qu'importe ! Après tout, ce fut vite passé, et le Citron parut ensuite vraiment heureuse de pouvoir lui raconter comment ils s'en sortaient avec les différents exemplaires du Journal.
La Récolteuse en resta bouche bée : alors comme ça, le type louche muet a vendu sa voix en échange de devenir une imprimerie à lui tout seul ? C'est fou... dans tous les sens du terme ! Digne d'un remake de La Petite Sirène en plus durable, et aussi avec un aspect, disons, plus professionel.

- Kinky est vraiment cool quand même. Passer un tel contrat juste par amour de son art, je pourrais pas moi. Et c'est toujours lui qui prend le plus de risque pour le magasine. Sans lui, il tiendrait jamais debout.

- Ouais... C'est vraiment dingue, j'avoue. C'est un passioné...

Stop ! La jeune fille s'arrête. À côté d'elle, la Courtisane faut la tête. Avait-elle dit quelque chose de mal ? Non, pourtant...
L'explication ne tarde pas : pourquoi shipper les deux Courtisans ensembles à chaque fois qu'elle parle de son collègue ? Ça, Heaven n'en avait pas la moindre idée, mais cela la fit doucement rire, surtout à cause du fait que cela semblait troubler sa petite sœur de cœur au plus haut point.

Cette dernière n'avait pas tort en disant que les personnages d'Otome Game sont mieux que les garçons dans la réalité. Bien que, maintenant, la Mésange se mettait à faire des comparaisons. Les garçons des jeux de drague ont souvent un caractère ignoble, ou sont si compliqués qu'on a du mal à les suivre... pas étonnant qu'elle compare une certaine personne influente du Grand Arbre à ce genre de figure !
Elle allait d'ailleurs renchérir à ce propos, mais l'adolescente à ses côtés la prit de vitesse, posant alors la PIRE question possible, sur un ton qui lui rappelait beaucoup celui des petites filles curieuses :

- Dis grande soeur, tu as un amoureux toi ?

Malgré l'appelation de "grande sœur" qui fit brièvement sourire l'intéressée, ce fut le bug total, si bien qu'Heaven mit un peu de temps à bredouiller un "je", puis un "c'est compliqué" presque inaudible. Elle n'allait pas non plus lui dire de but en blanc qu'elle était censée être en couple mais que malgré tout, elle était limite en train de fricoter avec Pit (j'insiste bien sur le "limite", parce qu'elle n'en est pas à ce point. Si elle l'avait pu, pourtant, elle l'aurait peut être déja fait, mais dans son état d'esprit, c'est une chose qui la ferait tomber), quand même !
Finalement, après un petit temps de réflexion, la jeune fille aux cheveux rose bonbon expliqua son cas :

- En fait, il y a quelqu'un que j'aime vraiment beaucoup, mais que je ne vois pas souvent... Et un autre dont la présence est tellement étouffante que j'ai fini par céder et m'attacher à lui... Et je sais plus où donner de la tête.

Fière de son résumé mystère à moitié vrai, à moitié faux, Heaven laissa un moment à la Courtisane pour imprimer ce qu'elle venait de dire. Elle trouva amusant de faire ensuite un lien avec une chose qu'elles aimaient toutes les deux : les mangas, animés et ce qui s'y rapporte :

- En gros, mon cas, c'est comme les héroïnes d'Otome Game qui doivent faire un choix. Mais comme c'est pas aussi simple que dans les jeux de drague, eh bah, je suis un peu prise au dépourvu... Tu comprends ?

Plus clair, tu meurs. Sauf si évidemment ton interlocuteur ne sait pas ce qu'est un Otome Game. Dans le cas de Shipper, la Mésange jugeait qu'elle n'avait pas à lui expliquer. Mais si cela devait être le cas, elle le ferait quand même...

- Je te retourne la question, maintenant ! Même si je crois que j'ai bien compris que tu ne t'intéressais pas aux garçons... C'est parce que tu t'en fiches, ou que tu préfères les filles ?

Demanda-t-elle finalement, avec un sourire. Cela pouvait être un sujet qui fâche, mais la Récolteuse tentait tout de même le coup : après tout, il n'y avait jamais eu de tabou à ce propos lorsqu'elle en parlait avec ses connaissances du Monde Ordinaire. Pourvu que le Citron ne prenne pas la mouche...

La jeune demoiselle sembla brusquement s'indigner de l'hypothèse de son aînée, si bien que celle-ci regretta (seulement pendant une milliseconde) de lui avoir posé la question.
Bah, ça devait être encore une enfant dont les parents sont homophobes à un point pas possible, et qui forcément, ont donné à leur enfant le même point de vue...
C'était fréquent pour Heaven, dans le Monde Ordinaire. Mais, elle, elle s'en fichait. Du moment qu'elle s'entendait bien avec ces personnes, peu lui importait leurs goûts particuliers !

Et lorsque la réponse tomba, la Mésange fit marche arrière dans son propos. Visiblement, Shipper, elle aussi, se fichait bien qu'un tel ou un tel soit gay, que Rainbow soit ce qu'il est et ce genre de chose.
Tant mieux ! Ce n'était donc pas un sujet de discorde. Pour bien prouver son hétérosexualité, sa petite sœur de cœur se livra même totalement à elle, dans tous les détails :

- C'est juste que, tu vois, je crois que je suis plus mature que les autres filles. Parce qu'elles sont toutes à craquer sur les garçons, elles ont l'air bêtes. Genre, elles ne savent même plus comment leur parler, tu sais ? Alors que ce sont pas des aliens, elles se prennent la tête pour un rien ! Je me mets pas dans un état quand je parle à un garçon.

Expliqua-t-elle de la façon la plus convaincante (et convaincue ?) possible... avant de fondre en justifications pour se rattraper. La Récolteuse ne fit pas tout de suite le lien avec elle-même, mais lorsqu'elle comprit, elle se mit à rire, amusée d'avoir ainsi troublé la Courtisane.
Avec un sourire, elle lui tapota gentiment la tête, la rassurant de deux "c'est pas grave" sussurés. Qu'elle était mignonne...

- Dans un sens c'est vrai que je ne suis pas ainsi non plus... Je connais les garçons que je fréquente, c'est pour ça. Le bégaiement et ce genre de choses arrivent lorsque l'on est timide, c'est tout.

Fit la jeune fille, en une tentative de réponse pour ne pas que le Citron s'en veuille trop de sa remarque. Parfois, elle pouvait partir dans de tels drames pour si peu de choses... Il fallait éteindre le feu avant même de l'avoir allumé pour éviter les dégâts futurs, en quelques sortes.
Pourtant, il semblait que la jeune adolescente avait bien vite oublié ce malentendu, jurant qu'elle garderai toute cette histoire pour elle sans en parler dans ses fanfics. Cela aurait pu faire une bonne histoire, mais dans un sens, Heaven voulait rester en dehors de tout ça. Certaines personnes sont clairvoyantes, ici.

- Mais tu peux m'en raconter plus ? Genre, vous avez fait quoi ensemble ?

Curieuse, cette jeune ! Maintenant qu'elle avait promis de se taire, elle paraissait ne pas se gêner pour demander la suite ! Ce n'est pas tant cette question qui perturba Heaven, mais plutôt le point de départ. Devait-elle parler de Silver, ou de Pit ?
Le choix fut vite fait : elle allait d'abord mentionner (sans donner aucun nom) celui à propos duquel elle avait le moins de choses à dire.

- Avec le premier, on...

Entama la Mésange, avant de laisser planer le doute sur sa phrase. Suspense ! Qu'avait-elle fait avec Silver, jusque maintenant ? Bonne question.
Elle l'avait agressé la première fois qu'ils s'étaient revus, et... c'est tout. Ils ne s'étaient toujours pas revus, à part une fois, très brièvement, un simple contact visuel lors d'une excursion dans les Tunnels de Pâques.
Et ça se prétend être un couple ? Pitoyable.

- En fait on a jamais rien fait. On se voit si peu... Et puis, il est un peu sauvage aussi. C'est pas drôle, avec lui.

Continua la Récolteuse avec une mine quelques peu déconfite. Pour en venir à la conclusion que cette relation qu'elle entretenait avec son proscrit n'était "pas drôle", cela signifiait-il que ses sentiments envers lui s'étaient émoussés à ce point ?
Pourquoi en était-elle venue à cette conclusion, aussi ? Les histoires de sentiments, c'était vraiment n'importe quoi, sur cette Île...

- Le deuxième, par contre, m'a volé mon premier baiser alors que je n'éprouvais encore rien pour lui... enfin, je crois.

Recommença l'adolescente, en changeant de personnage cette fois-ci. Elle mentait un peu lorsqu'elle disait cela, car dans un sens, ne l'avait-elle pas voulu aussi, ce baiser ? Et puis, est-ce qu'elle aimait déja le Joker à ce moment là ? C'était flou.
Elle soupira. Il est vrai qu'elle se trouve dans une sorte d'euphorie à chaque fois qu'elle est en compagnie du Chef des Raccommodeurs... Mais au fond, n'est-elle pas consciente de ce qu'elle fait malgré tout ?

- Il me prend volontiers dans ses bras, et ouais, en gros, quand on passe pas notre temps à parler sérieusement, ça part en bisous-câlins.

En tailleur, les coudes appuyés sur ses cuisses et la tête bien casée entre ses mains, Heaven affichait un air rêveur, lâchant un plus gros soupir encore que le précédent, cette fois synonyme de rêverie.

- Il est irrrrésistible. C'est un garçon qui a tout testé d'une relation de couple, donc il n'a pas peur de grandir... Mais moi, pour me préserver, il s'impose des limites.

Ce constat la fit doucement rougir. Était-ce vraiment son intention ? La préserver ? Lui avait-il déja dit cela en face ? Il faut avouer qu'ils s'étaient justement dit tant de choses depuis tout ce temps, il n'était pas simple de retenir chacun de ses mots...
Et dire que la jeune fille semblait tant aimer parler de Pit à autrui ! Elle le décrivait comme un jeune garçon si bon, si gentil... pourtant, elle connaissait ce qu'il mijotait, comment il était avec les autres.
C'était un sujet de discorde entre eux, de temps à autre, mais cela ne durait jamais bien longtemps. Quel besoin avait-elle de lui faire de telles remarques ? Espérait-elle juste pouvoir le faire changer ?
Ha ! Elle pouvait toujours rêver.

- Bref, voilà. Autre chose ?

Questionna Heaven, pour conclure. Enfin, son regard fuschia repartit chercher les yeux de son interlocutrice. C'est qu'elle regardait tout sauf elle depuis le début de son récit, plongée qu'elle était dans sa rêverie...

Ah, Shipper est juste trop mignonne. Elle boit ses paroles avec des étoiles dans les yeux, c'est si touchant...

- Sempai ! Ta vie est tellement cool qu’on pourrait en faire en manga. Tu as trop de chance.

Heaven a clairement envie de lui dire : "mais ma vie EST un manga". C'est vrai, il y a des hauts et des bas, un plot twist, tout un tas de choses spectaculaires et surnaturelles propres à l'Île, le tout en attente d'un happy ending...
Oui, sa vue est digne d'un des meilleurs Shôjôs. Avec si possible le genre Magical Girl en plus, car son apparence s'y prêtait. Et puis, la Mésange avait toujours adoré les Magical Girls.

- Deux garçons en même temps ? Ça en ferait une si bonne histoire.

Euh, elle s'éloignait un petit peu, la nénette. La Récolteuse avait déjà ouvert la bouche et levé l'index pour répliquer, prête à lancer un "pas en même temps !" en guise de défense, mais on interlocutrice ne lui en laissa même pas le temps, continuant sur sa lancée, visiblement bien intéressée par le sujet :

- Est-ce que tu vas te marier avec lui ?

Silence. Heaven regarde le Citron pendant quelques secondes qui durèrent une éternité, avant d'éclater franchement de rire. Se marier ? Ici, sur l'Île ?
Ils étaient des gamins, mince ! Et surtout, elle n'avait toujours pas réellement saisi l'importance et la dimension que pouvait prendre le mariage. Les gens divorçaient si facilement, de nos jours...

- Oh, allons, quelle bêtise. Il y en a un que j'ai vraiment du mal à voir... et l'autre, je ne suis même pas sûre qu'il sache ce que c'est ! Et puis, nous sommes des enfants. Le mariage, c'est un truc d'adultes. C'est absurde...

Gloussa l'adolescente avec un grand sourire amusé. Certes, en primaire, à la cantine, il y avait eu des "mariages" entre les élèves. C'était arrivé une fois seulement, et à la fin, l'événement, supposé festif et joyeux, avait dégénéré en un chaos inhumain avec au programme : lancer d'aspic au jambon sur ses petits camarades...
C'est probablement ce qui arriverait ici aussi, si quelqu'un avait la fausse bonne idée d'organiser un mariage entre Perdus. Et Peter arriverait probablement en plein milieu de la fête pour la faire crasher. Blasphème ! Aucune action rappelant la façon de vivre des adultes n'était tolérée au sein du Grand Arbre...

- N'empêche, ce serait une idée pour faire une mauvaise blague à Peter.

Ajoute la jeune fille, une lueur d'intérêt passant dans ses prunelles. C'est une idée lancée ainsi, sans contexte, et qui n'aura probablement jamais suite. Tant pis ! Ce n'était pas elle qui allait organiser ça. On allait probablement la tourner en ridicule, sinon.

- Au fait, tu devrais planquer tes écrits avant leur parution. Pas sûre que la fouine apprécie la façon dont tu le décris, là.

Vague geste vers les feuilles, histoire de détourner un peu la conversation. Au fond, Heaven n'avait pas réellement envie que Shipper se rende compte qu'elle tanguait entre le dilemme d'aimer un Banni, ou d'aimer Pit.
Un scoop comme celui-là allait probablement s'ébruiter comme une trainée de poudre... et autant dire que son image allait en prendre un coup.