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Cela s'était passé il y a bien longtemps, quoi que pas forcément, un jour durant la grande Canicule. Le port était là depuis un moment déjà, mais si peu dans l'histoire de l'île. Et Claudia, elle, s'adaptait doucement à sa nouvelle condition. Depuis son arrivée à la maison close, Lady Ruby avait été bonne avec elle et elle avait tenté de lui rendre cette affection en travaillant d'arrache-pied. Certes, elle n'avait pas encore trouvé beaucoup de filles (voir même à peine) et elle en était encore au stade des repérages, mais tout de même. C'est donc pour cela que quand la maquerelle avait fini par lui donner une mission, la bergère s'était empressé d'y aller, pleine de bonne volonté. Sans les moutons par contre.

Elle n'était jamais venu dans le bayou encore. Même l'établissement où elle devait se rendre, alors que la "nuit" tombait, lui était inconnu. De l'extérieur, elle en fut un peu sceptique. Sa maitresse lui avait parlé d'un lieu de grande réputation, où le gérant était un grand chef qui imposait la neutralité par sa seule présence. Pourtant, le lieu lui paraissait petit et incongru. Elle demeurait même perplexe vis à vis du grand crâne qui se trouvait sur le toit. Elle regretta un instant de ne pas avoir emmené un mouton arc-en-ciel avec elle, pour la rassurer. Elle inspira profondément et ouvrit la porte.

L'intérieur déjà avait plus de gueule. Il s'en dégageait un côté très, hum... typique ? qui lui donnait un certain cachet. C'est sûr, on était loin des crasses tavernes du port. Il y avait même une grande scène dans un coin et la musique qui s'en dégageait, si elle lui était inconnue, demeurait accueillante. La jeune femme tourna la tête pour observer un peu partout. Elle avait bien choisi son moment (ou son jour ?) car il n'y avait pratiquement personne. En un sens, tant mieux, elle aurait eu du mal à négocier en plein coup de feu. Et le chef aurait surement été moins réceptif à ses arguments. A cette pensée, elle sentit soudainement le trac lui nouer le ventre. Qu'était elle censé faire maintenant ? Elle tira un peu sur une de ses manches pour s'assurer que la marque de crochet était bien visible. On lui avait assuré que le lieu était neutre et que les garçons perdus étaient les bienvenus, elle ne voulait pas prendre de risque pour autant.

Elle fit quelque pas en direction en bar, détectant que c'était là où il y avait le plus d'animation, mais sans trop s'approcher tout de même, au cas où cela aurait été inconvenant.

F***, elle avait l'impression d'être de nouveau Vixen et d'avoir de nouveau sa timidité.

{Flashback} Je lui ferais une offre qu'il ne pourra pas refuser 3541531364

Invité

-AIIE !

La voix de Louis, habituellement grave et résonnante, émit un cri des plus hostiles pour les oreilles non habituées aux sons les plus stridents. La douleur résultant à l'action de retirer une dague entière de son épaule droite lui était auparavant inconnue, et il savait désormais que c'était une chose à éviter. Le sang rouge dégoulina sur le bois de la cuisine du Fish's Belly dans un son peu attrayant, suivit du long soupir du crapeau mêlant douleur et relâchement musculaire. Gina, l'avant-bras plein de sang, dague en main, observait l'objet acéré en se frottant le front plein de sueur.

-Eh ben ! Il n'y est pas allé de main morte !
-Hng, le petit diable...

La jeune fille posa la dague dans la petite coupole d'eau posée à coté avant de préparer un long rouleau de bandage. Alors qu'elle l'installait, Louis engloutissait, ruisselant de sueur, des quantités astronomiques de rhum pour se calmer les nerfs. Gina lui prit la bouteille, déversa un peu de liqueur sur la plaie, le faisant serrer les dents de douleur, avant d'appliquer le bandage. Le batracien se raidit tout d'un coup en hurlant.

-AGH ! DOUCEMENT !
-La prochaine fois, coupa l'adolescente, essaye de ne pas t'en prendre à autant d'un coup, ça t'évitera ce genre d'épisode désagréable.

Elle fini d'installer le bandage, puis constatat son travail en soufflant.

-Voilà, ça devrait faire l'affaire.
-Merci Gina, dit Louis en se relevant avec difficulté.

Elle resta un instant à le regarder sans rien dire, avant de finalement oser ouvrir la bouche.

-Et--

Elle fit un pas rapide en avant pour aider Louis à mettre sa veste. Il arrivait à peine à bouger son bras gauche sans pousser un grognement douloureux.

-Et le garçon qui a fait ça ? continua-t-elle tout en l'aidant.

Parfaitement au courant de ses goûts culinaires particuliers, c'était malgré tout la première fois qu'elle devait y faire face directement. Louis se contenta d'un regard hésitant envers sa direction.

-Va préparer la salle. On est déjà en retard.

Déçue, elle se contenta d'acquiescer et de se retirer. Louis grogna, se craqua le dos, puis se tourna vers la marmite. Au travail.

***
La soirée commence:

A la tombée de la nuit, la salle commençait déjà doucement à se remplir. Le Fish's Belly commençait doucement à s'attirer l'attention des environs, et on pouvait facilement compter une tête de plus tous les deux soirs. Le soleil venait à peine de tomber, et la salle était encore bien vide, mais Louis était sûr qu'elle allait se remplir au fil de la soirée. En sortant de la cuisine, il posa une serviette sur son épaule droite avant de doucement se masser la gauche. Maudits gamins. Il prit quelques instants pour scruter la salle. La musique était bien présente, et la grande partie des gens présents étaient au bar. Bien heureux d'avoir terminé le ragoût à temps, il laissa échapper un souffle de satisfaction. Mais quelque chose, ou plutôt quelqu'un, retint grandement son attention. Ses vêtements, son maquillage, son odeur son attitude, tout la discernait du reste de la foule. Elle ne semblait pas s'en cacher, présentant ostensiblement la marque de crochet à quiconque pouvait la voir. Il eut un petit rictus. Gina, déjà occupée à servir les clients qui venaient d'arriver, ne vit même pas le Chef prendre deux verres et une bouteille de vin de derrière le comptoir. Il se glissa ensuite juste derrière l'arrivante, se pencha vers elle et, le tout accompagné d'un rictus légendaire, chuchota à celle-ci.

-Bien le bonsoir. Que me vaut la visite de ce charmant Crochet ?

Il se rapprocha encore un peu de son visage, comme pour être plus intime, mais également plus intimidant. Si la femme laissait clairement voir son appartenance, lui laissait clairement voir ses innombrables canines, plus aiguisées que des lames de rasoir.

-Un verre de vin peut-être ?

Claudia était toujours occupée à scruter la salle, ne sachant pas vraiment que faire et ayant cette désagréable impression qu'elle gênerait le service si elle allait directement au bar. Pourtant, rationnellement, il n'y avait pas tant de monde que cela. L'ennui c'est qu'elle ne réfléchissait pas rationnellement sur le coup. Elle était donc si occupée à faire des plans mentales de quoi faire (et complimenter la musique également) qu'elle n'entendit pas le chef arriver dans son dos et sursauta en l'entendant prononcer ces mots.

-Bien le bonsoir. Que me vaut la visite de ce charmant Crochet ?

De quoi ? Le capitaine ? Ici ? Elle s'affola tellement qu'elle ne comprit pas de suite qu'il s'adressait à elle et regarda tout autour d'elle afin de voir où se trouvait le capitaine mais elle ne le vit nul part et quand elle se retourna, elle l'aperçut, lui et ses longues canines aiguisés, se rendant par la même occasion compte qu'il lui parlait bien à elle. Ce qui ne la fit pas débuguer pour autant (Pourquoi Crochet ? Qu'est ce qu'il y avait avec lui ? Qu'est ce qu'il se passait ?). C'était réellement panique à bord dans sa tête et elle tentait du mieux qu'elle pouvait de ne pas le laisser transparaitre.

-Un verre de vin peut-être ?

Ce ne fut qu'en entendant cela qu'elle reprit légèrement le contrôle d'elle même. Elle était en mission, pour négocier. Sa Dame comptait sur elle, elle ne pouvait pas la décevoir. Elle inspira un grand coup et fit une révérence en signe de respect.

-C'est un honneur pour moi de vous rencontrer votre grandeur.

Grandeur était vraiment le terme bien choisi car, déjà que la Bergère était naine et ne faisait qu'un mètre vingt, la rendant par là même plus petite que la plupart des gens qu'elle croisait en temps normal, le Chef était démesurément grand, ce qui n'aidait pas à réduire l'écart de taille. En clair, elle paraissait minuscule en face de lui. Elle se releva et continua, en essayant de museler sa voix intérieur qui paniquait à tout rompre.

-Je m'appelle Claudia, je suis envoyée par ma maitresse, Lady Ruby.

Voilà, se présenter, dire pour quoi on est venu, éviter les malentendus. Un bon départ. Maintenant, cette histoire de vin. Elle ferma les yeux et fit le sourire le plus aimable qu'elle put, renforçant son côté petite fille innocente (pas qu'il ne lui paraisse pas aimable ou qu'elle était méprisante, mais juste qu'elle... paniquait. Pour changer).

-J'accepte volontiers votre invitation à boire, merci. Pouvons nous nous installer quelque part pour discuter ?

Elle allait y arriver ! Euh par contre est ce qu'elle devrait payer le vin après ? Ca coutait combien du vin ? Est ce qu'elle avait assez ? Sa maitresse lui avait certes donné pas mal et elle pouvait toujours demander à ce qu'on envoie la note à la maison close mais cela ne l'empêcha pas de poser la question. Allez, allez. Elle devait gérer ces négociations, elle devait y arriver ! Pour le bien de sa maitresse !

Invité

Spoiler:

-C'est un honneur pour moi de rencontrer votre grandeur.

Louis souffla du nez. Il savait très bien ce qu'elle essayait de faire : flatter son ego pour se gagner ses faveurs. Il ne savait pas si la naine faisait ça avec tout le monde ou juste pour l'embobiner, mais il y avait une chose qu'elle ne savait pas non plus.

Ça marchait du tonnerre.

Flatté, un large sourire se dessina sur son visage et il hocha lentement la tête, comme pour la saluer de nouveau. Même en se baissant, il restait plus grand qu'elle. A ses cotés, elle semblait aussi petite qu'un enfant. Elle ne devait pas être bien plus grande de toute manière.

-Je m'appelle Claudia, je suis envoyée par ma maîtresse, Lady Ruby.
-Claudia, hm.

Il répéta le nom presque immédiatement, comme pour mieux le retenir. Clau-di-ah... Non, il n'avait jamais entendu ce nom auparavant. Par contre, il avait déjà entendu ce nom, Lady Ruby, quelque part, mais n'était pas bien sûr de sa provenance.

-J'accepte volontiers votre invitation à boire, merci. Pouvons nous nous installer quelque part pour discuter ?

Louis se tourna vers la salle et la calcula rapidement. Il identifia la table la plus isolée du reste des clients, très proche de la scène. À l'aide de son énorme sourire, il étendit sa main vers la table pour inviter Claudia à s'y installer. Avant de la rejoindre, il se tourna vers Gina.

-Tu t'en sortiras ?

Sans même le regarder ni émettre un son, elle hocha simplement la tête en servant une pinte de bière.

Il se fraya un chemin jusqu'à la table où Claudia l'attendait. La musique était très forte, mais ça ne le dérangeait pas. Il n'était jamais dérangé par la musique, et si la naine l'était, c'était tant pis pour elle. C'était encore à cette époque où Louis ne prenait pas grand chose au sérieux. Désinvolte, encore peu habitué aux coutumes humaines, il ne pensait qu'à lui et à sa musique.

-Alors, mademoiselle Claudia...

Il parlait de sa grosse voix grave, qui passait sans problème au travers du son de la musique, mais Claudia, elle, aurait sans aucun doute le besoin de crier pour se faire entendre.

-Dites moi donc ce qui vous amène, et ce que me veut cette « Lady Ruby ».

Et il ponctua sa phrase en gobant l'intégralité du contenu de son verre de vin, avant de se resservir tranquillement, en rythme avec la musique.

Claudia eut un soupir intérieur de soulagement quand elle vit le large sourire de la créature. Ouf, elle n'avait donc pas gaffé. Elle avait eu peur un peu car on lui avait rapporté que le Chef n'appréciait pas qu'on l'appelle "monsieur" mais elle se voyait mal mener des négociations si importantes en l'appelant "Louis".

Le fait qu'il l'invite à s'asseoir fut aussi interprété comme un geste encourageant. Juste à côté des musiciens en plus, une belle place de choix. Il semblait la traiter comme une invité de marque et cela lui redonnait confiance en elle. Elle alla s'y installer en tentant de jouer les reines. Elle allait réussir cette négociation, elle allait gérer, elle allait le convaincre et faire honneur à sa maîtresse. Elle y croyait déjà un peu mieux.

En l'attendant, elle se tourna vers les musiciens pour écouter ces morceaux qu'elle n'avait jamais entendu. C'était étrange. Pourtant, cela lui plaisait beaucoup. Bon, peut-être était elle un peu forte, ceci dit. Probablement l'emplacement. Elle se demanda si, finalement, ce n'était pas un endroit peu pratique pour négocier mais n'eut pas le temps de réfléchir plus à ce sujet car le chef était de retour avec deux verres et une bouteille de vin. Elle jeta un coup d'oeil à la bouteille pour estimer si cela était un bon cru ou de la pacotille - pas par gout culinaire, simplement pour évaluer l'importance qu'on lui accordait. Cependant, comme elle semblait venir du pays de jamais, c'était un peu difficile à évaluer.

-Alors, mademoiselle Claudia...

Sa voix était grave et portait bien. Elle n'avait aucun problème à l'entendre. L'inverse serait surement plus difficile, mais elle ne pouvait pas se permettre de perdre la face. De toute manière, elle était une ancienne diplomate, elle avait l'habitude du terrain et des conditions difficile.

-Dites moi donc ce qui vous amène, et ce que me veut cette « Lady Ruby ».

Sans se laisser démonter, elle prit son verre, le fit tourner, but une gorge et le remercia. Comme elle pouvait s'y attendre, sa voix ne portait pas du tout. Aussi, sans trop se hâter mais sans le faire attendre, elle ota son collier et ouvrit son petit sac. Une vague de mauvaise pensée l'envahit, elle avait l'impression de n'être qu'une gamine qui jouait les grandes dames. Elle repoussa tout de même cette réflexion dans un coin de sa tête et prit ce qu'elle cherchait. Un collier de cou décoré d'un coquillage. Quelque chose qu'elle avait gardé du grand arbre. Une fois mis, elle posa sa main sur le coquillage central et continua :

-Ma maîtresse, comme vous le savez surement, est la tenancière de la maison close. Elle est la seule personne autorisée à proposer ce genre de services.

Sa voix était posée mais surtout forte désormais. Pas la peine de crier ou de s'inquiéter pour cela. L'artefact faisait l'ouvrage. Cela lui ôtait une épine importante du pied. Elle réfléchissait aux formulations, prenant bien soin de ne pas le froisser. Cela n'aurait eu que l'effet inverse de ce qu'elle recherchait.

-Elle a eu vent de votre établissement. D'habitude, ma maîtresse ne s'intéresse pas à ce genre d'endroit. C'est que, ceux du port ne sont que des lieux de beuveries sans aucun raffinement. Le votre, pourtant, est...

Elle regarda la scène puis la décoration, et lâcha d'un air songeur ce qu'elle pensait depuis le début :

-Atypique, et dans le meilleur sens du termes. Tout ici est si soigné, si élégant. Il y a réellement un cachet. Personnellement, je n'étais jamais rentré dans un pareil endroit.

Elle eut un tout petit moment de silence, le temps de boire une nouvelle gorgée, à la fois pour qu'il comprenne bien ces propos et car elle le pensait réellement et voulait mettre tout ceci en relief. Oui, vraiment, ce lieu était unique. Elle reprit ensuite, sa main toujours posé sur le coquillage :

-Elle sait également que vous proposez des chambres et vous propose donc un geste amicale, une offre de collaboration entre nos deux établissements. Nous vous prêterions des filles en échange d'un pourcentage sur ce qu'elle gagne. Votre clientèle est des plus variés, plus que celle de la Maison close. Nous sommes intéressés sur ce point. Quant à vous, proposer ce genre de service serait un plus non négligeable.

Avait-elle été assez claire dans son exposition ? Le chef voyait-il désormais l'intérêt de ce lien, combien chacun pourrait en tirer profit ?

-C'est pour vous faire part de cette proposition qu'elle m'envoie, afin que vous lui transmettiez, par mon intermédiaire, votre avis et vos demandes à ce propos. Je tiens également à ajouter que, en tant que rabatteuse, je suis en charge de la sélection des filles. Et veuillez croire, votre grandeur, que je ne prends pour ma maîtresse que de la plus haute qualité. Aussi, si vous vouliez considéré cette affaire, je tiens à vous garantir que je me plierais au moindre de vos désirs et requêtes afin de ne vous offrir rien de moins qu'une entière satisfaction.

Et sur ce, elle but le reste de son verre de vin car elle avait bien trop parlé. Au chef, désormais, de jouer sa main.

Invité

Louis écouta avec beaucoup d'attention ce que disait le petit bout de femme assit devant lui. Alors qu'il écoutait, il pensait, se caressant la moustache. Il comprenait. Cette Lady Ruby voulait engager un partenariat pour ouvrir une branche de sa maison close au Fish's Belly. Simple, mais très enrobé et présenté de manière des plus complexe. Mais elle avait raison, il n'était pas nécessaire de sucrer la proposition, elle était très avantageuse pour les deux partis. Mais...

Un bon négociateur n'accepte jamais dès le départ. Et puis, n'ayant pas Lady Ruby devant lui, mais seulement une intermédiaire. Il se demandait si la madame le prenait très au sérieux. Il y avait de nombreuses manières de le savoir. Un large sourire carnassier se dessina sur son visage.

-Ainsi, chère petite Claudia, cette très honorable Lady Ruby ne me considère pas comme suffisamment intéressant pour venir me donner sa proposition en personne ? Je vois...

Il jouait avec les émotion de son interlocutrice. Il faisait exprès de mal interpréter les intentions de Ruby pour observer la réaction de la naine. Il avait encore beaucoup d'as dans sa manche. Sans laisser le temps à la petite de dire quoique ce soit, il continua sur sa lancée.

-Des prostituées au Fish's Belly... Jolie idée, je n'y avais pas pensé auparavant, il est vrai. Il est également vrai que cela boosterait grandement mes bénéfices. Et les vôtres.

Il goba son verre de vin, et reprit sa tirade en se resservant, toujours avant que la naine puisse exprimer le moindre son.

-Mais dites moi. Pourquoi ne devrais-pas simplement prendre quelques femmes sous mon aile, et ouvrir ma propre maison close ? J'y gagnerais bien plus si je gardais tous les bénéfices.

Ses mots étaient accompagnés d'un large sourire moqueur, comme pour inciter Claudia à s'énerver et à perdre ses moyens. Il s'appuya sur la table pour s'approcher de la petite, pénétrer dans son espace vital.

-Je n'ai peut-être pas la noblesse de Lady Ruby, mais je suis débrouillard. Dites moi donc, Claudia, qu'est-ce qui m'en empêcherait ? Après tout, si tout ce que cette Lady Ruby ose m'envoyer est une fillette d'un mètre de haut, je n'ai pas grand chose à craindre...

Cette dernière attaque envoyée, il se réinstalle confortablement sur sa chaise et se triture la moustache d'un air contenté. Il espérait une réponse, n'importe laquelle. Si la petite gardait son calme après ça, il considérerait son offre une nouvelle fois. Autrement...

Oui, à l'époque, Louis était joueur. Mauvais joueur.

Le chef semblait concentré sur ce qu'elle racontait, ce qui était un point encourageant. Il l'entendait suffisamment également, signe que le collier marchait. Elle fut donc surprise quand elle entendit sa réponse et perdit contenance. Ses yeux s'ouvrirent grand et elle voulut s'expliquer, lui assurer qu'il avait mal compris mais il ne lui laissa pas le temps et embraya sur la suite. Bon, il voyait les bénéfices. Ce simple fait la fit presque souffler de soulagement. Le terrain était donc positif. Elle tenta de dissimuler son trouble en prenant son verre de vin. Toute son attention était porté sur lui. Respire, calmement, avale, calme toi, respire. Il va accepter, il va accepter, il semble intéressé.

-Mais dites moi. Pourquoi ne devrais-pas simplement prendre quelques femmes sous mon aile, et ouvrir ma propre maison close ? J'y gagnerais bien plus si je gardais tous les bénéfices.

Oh, oh. Ce n'était pas prévu cela. Il était si évident que cela ne pouvait pas se produire, du fait même que Lady Ruby avait un statut particulier au port, des accords avec le capitaine Crochet... qu'elle n'avait jamais considéré qu'il puisse émettre cet hypothèse. Cette créature se fourvoyait tellement jusqu'à la moelle. Elle reposa son verre et mit sa poker face. Il était temps de mettre les points sur les I. Elle faillit sursauter quand elle le vit s'approcher de lui. Il était proche, si proche, qu'elle pouvait sentir son haleine d'ici. Elle ne savait pas trop si elle devait garder une face neutre pour ne pas paraître appeurée ou dégoutée.

-Je n'ai peut-être pas la noblesse de Lady Ruby, mais je suis débrouillard. Dites moi donc, Claudia, qu'est-ce qui m'en empêcherait ? Après tout, si tout ce que cette Lady Ruby ose m'envoyer est une fillette d'un mètre de haut, je n'ai pas grand chose à craindre...

Elle tiqua légèrement sur le "un mètre de haut". Elle en faisait un mètre vingt ! Tout de même ! Néanmoins elle se félicita pour avoir tenu bon et pas craqué. Cette créature... répugnante... insultait sa maitresse. Dans sa tête, cela bouillonnait de rage mais elle ne pouvait pas le montrer. Aussi prit elle le ton le plus suave qu'elle put et commença, la main sur le collier :

-Je crois, honorable chef, que vous n'avez pas bien compris la situation. Si ma maîtresse n'est pas là ce soir, c'est par respect envers vous.

Elle ne voulait pas l'insulter - même si c'était très tentant - mais il fallait le lui faire comprendre. Aussi, prit elle une légère pause, mais pas assez pour lui laisser caser quoi que ce soit, et reprit de la même manière :

-Nous savons tous à quel point vous tenez à votre indépendance et surtout votre neutralité. Cet endroit est votre fierté et vous en êtes le seul patron, au contraire de bien d'autres qui se range sous la protection du Capitaine. Elle ne voulait donc pas que vous voyez sa venue comme... une intrusion.

Ce qu'elle voulait dire, c'est que si Lady Ruby était venue directement, cela aurait été grossier. Un peu comme un homme qui débarque chez une femme, mets les pieds sur la table et lui demande en mariage. Les bonnes manières voulait qu'on s'enquit déjà de l'avis de la concernée avant de commencer toute conquête qu'elle soit.

-Si vous aviez été intéressé, les négociations auraient bien entendu eu lieu avec elle, dans le lieu de votre choix. Car, navrée si je n'ai pas été clair sur ce point, il ne s'agit pas vraiment de cela ici. Simplement... d'un message de sa part, afin de savoir votre avis et vos requêtes. Il y aurait eu multitudes de détails à régler avant cela, comme les clauses exacts, vos exigences, les prix, les pourcentages. Il aurait fallu que vous vous rencontriez, que vous puissiez admirer notre marchandise et s'assurer qu'elle soit à votre goût, la mise en place d'une campagne de rumeurs afin de diffuser l'information et bien d'autres que je peux citer en une fois.

Elle avait dit "si vous aviez été" pour lui faire comprendre que l'offre risquait de lui passer sous le nez. Et aussi pour le rassurer sur le fait qu'il traiterait bien avec Lady Ruby en personne. Seulement, pas tout de suite. Elle continua dans un petit rire :

-De plus, je crains de ne pas avoir été compréhensible. Probablement la faute au bruit si vous n'avez pas entendu le fait qu'elle est la seule autorisée à exercer ce genre de services et ce, sur tout le port et le bayou.

ET BIM ! Elle se retenait de lui balancer ça au visage depuis le début. La seule ! La seule ! Evidemment, son visage ne laissait rien transparaitre.

-Bien entendu, vous êtes tout à fait libre d'ignorer ce fait et de recruter vous même. Vous ne dépendez pas de Hook et personne n'oserait vous mettre à l'amende pour cette faute. Cependant, cela serait vu comme... comment dire ? Un affront, une provocation à ma maîtresse. Un peu comme si quelqu'un venait à construire une taverne juste en face du votre. Vous savez très bien comment vous réagiriez si une telle situation se produisait.

Sous-entendu : le chef ferait surement tout pour détruire la concurrence. Et il était fortement sous-entendu que Lady Ruby ferait de même. Il fallait lui faire entendre raison sur leur supériorité :
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-Et tout ceci ne serait que gâchis de temps et d'argent. Nous sommes bien mieux implantés, depuis plus longtemps. Nous avons très bonne réputation et à notre disposition multitudes de filles plus belles les unes que les autres, aux talents les plus variés que vous ne pouvez imaginer.

Elle eut un sourire carnassier et releva la tête :

-Honorable chef, vous avez parlé d'être débrouillard. Je n'en doute pas une seule seconde. Mais il ne s'agit pas de cela, mais de Beauté.

Elle prit son verre et le leva devant elle. Heureusement qu'il en restait un fond, qui dansait désormais comme une vague de rubis. Elle le tournait délicatement, comme si elle s'apprétait à le déguster pour la première fois.

-Et de Désir.

Elle le porta doucement à ses lèvres avant de reposer le verre. Allez ! Face final, elle avait l'impression de bien trop parler.

-De plus, votre grandeur, je ne mettrais jamais en cause votre sagesse mais avez vous la moindre idée de combien cela coûte d'entretenir une fille de joie ?

Beaucoup. Beaucoup trop pour toi.

-Il ne s'agit pas que de trouver une pauvre fille perdue dans les bois et la convaincre de venir ici. Il faut...

Son sourire s'agrandit tandis que ses yeux se mettaient à pétiller. Elle perdait un peu le contrôle, mais pas dans le même sens que tout à l'heure. Ce n'était pas de la colère, ni du dégoût ou de la crainte. C'était du plaisir. Car ce qu'elle décrivait, c'était son job et Claudia adorait son travail autant qu'elle adorait sa maîtresse. Sa voix trahissait ce fait.

-Il faut en faire la plus belle des pierres précieuses.

Ok, on l'avait définitivement perdue et l'excitation la gagna. Elle commença à détailler :

-Il faut la laver avec toutes sortes de savons et la parfumer. Il lui faut de nombreuses robes pour chaque jour de la semaine, et toutes les plus luxueuses les unes que les autres car on ne peut pas se permettre de faire croire aux clients qu'elles sont pauvres. Ils attendent des mets de luxe. Il faut des colliers et des bijoux, des accessoires diverses, du maquillage de toute sorte pour mettre en lumière leur beauté. Pour leur bien être, il faut d'autre chambres que celles où elles travaillent et un médecin afin de vérifier chaque semaine qu'elles ne soient pas porteuses de maladies vénériennes. De plus, les filles perdues ont parfois des traits ingrats, dû au bannissement, il faut les camoufler à tout prix. Et tout ceci bien entendu, est à renouveler régulièrement pour camoufler l'usure et faire perdurer l'illusion. Une fille de joie se doit d'être belle et désirable à chaque instant. Personne ne veut coucher avec des laiderons. Autant dire que cela coûte vite cher et que le client est exigent. Il sait faire la différence entre le bousin et le diamant. Pour que cela soit rentable, il faut un certain nombre par nuit et de la maîtrise, des fond d'avance et beaucoup d'astuce. C'est tout un investissement et un savoir-faire.

Elle marqua tout de même une légère pause, se reservit du vin et finit sur une voix plus calme et douce, afin de finir sur une note plus diplomate. Après tout, son discours avait été plein d'émotions différentes.

-Cependant, vous avez raison, je ne suis qu'une humble rabatteuse d'un mètre vingt dont vous n'avez rien à craindre. Et j'aurais grande peine si vous aviez à me craindre car vous m'êtes sympathique et je suis tout ouïe sur votre décision. Que dois-je rapporter à ma maitresse, votre grandeur ?

Allez, cartes joués. A votre tour, le chef.

Invité

Eh bien. Eh bien, eh bien.

Ses yeux rayonnaient dans la légère pénombre laissée par la lumière de la taverne. Il avait tout écouté sans une fois relâcher son attention des paroles de son interlocutrice.
Ses lèvres s'étaient doucement écartées, et avaient doucement mais sûrement laissé voir ses dents pointues dans un sourire carnassier. Décidément, la petite n'était claiement pas normale, ça non. Enfin normale. Pour lui, la normalité ne s'appliquait non pas à sa propre personne mais à la moyenne des autres humains qu'il rencontrait lui-même au sein de son bâtiment. Elle, elle n'était pas normale.

Elle était complètement tarée.

-Et ce savoir faire... vous l'avez, j'imagine ?

Evidemment qu'elle l'avait. Autrement, elle n'aurait pas manqué de tomber de sa chaise emportée par l'excitation à la moindre mention de la routine de préparation des filles. Il soupira en se relevant.

-Pas de contrat. Pas de serrage de main pas de signature, rien.

En réalité, cela faisait dix bonnes minutes qu'il avait prit sa décision. Il fit quelques pas vers le bar puis se retourna.

-Mais envoyez-moi donc une ou deux filles quand vous pourrez. Pour... un essai, disons. Une semaine fera l'affaire. Je les nourrirai et les laisserai dormir ici. Pendant la journée, évidemment. Qu'elles soient prêtes à travailler toute la nuit, je ne suis pas du genre à laisser mes employés se la couler douce.

Un mi-mensonge.

-Si à la fin de cette semaine tout s'est bien passé, nous pourrons parler d'un contrat sérieux. Avec du papier et tout le tralala. En attendant.. Oh, et je vous offre le vin. Considère ça comme un premier présent de ma part. Si Lady Ruby un jour considère qu'elle peut mettre sa grande noblesse de côté, je serai ravi d'en faire de même pour elle.

Un temps.

-Mais je ne mettrai pas un pas hors de mes marais.

Ces derniers mots étaient durs, définitifs. C'était une vérité qu'il ne comptait pas briser hors d'un cas d'immense nécessité, et encore. Non sortir de son marais lui paraissait impossible. Si Rubis voulait le voir, elle devra faire le déplacement. En lui tournant le dos, il fit un petit mouvement de main nonchalant en souriant.

-Passez une excellente soirée.

✘ AVENTURES : 2537

The End

Nul ne sait comment cette aventure s'achève,
On l'aura oublié, dès que le jour se lève.

FIN DE L'AVENTURE

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