Rainbow a 30 ans ressemblerait à ...:

[/color]

❥ Il avait un rêve étrange cette nuit-là. Disons... plus étrange que ses songes habituels. Ça n'avait rien de psychédélique et pourtant c'était tout sauf réaliste. Il en était ressorti avec une impression étrange, familière. Il se sentait décalé. Mais était-il vraiment en place ? Il regarde les élèves descendre les marches sous ses yeux tandis qu'il range ses affaires dans sa sacoche de cours. Vieux cuir, truc de hipster qu'il a déniché sur un marché au puces, lui semble-t-il. Il enlève ses lunettes, ferme la sacoche, jette un coup d’œil à son vieux nokia qui lui sert à passer des appels, envoyer des messages sans images et surtout regarder l'heure. Il est dans les temps, tiens. Il plie bagage et quitte l'amphi sous les salutations de ses élèves.

"Peace, les jeunes."

Les rues de Londres défilent sous ses yeux. Deux stations avant Kensington, il se lève pour laisser sa place à une vieille dame et sourit d'un air absent. Le calme des jardins résonne comme une agréable musique à ses oreilles. Il entend les oiseaux, quelques rires, des aboiements de chiens. Le nez levé, il passe sous les arbres roussis par l'automne et sourit. Quand il baisse les yeux, il le voit assis sur le banc, là-bas. La sacoche sous un bras, il lève l'autre comme s'il voulait toucher le ciel. Il trace en grandes enjambées les quelques mètres qui les séparent encore avant que son ami ne se jette dans ses bras.

"Frèèèère !"


#hipsterhippie Willy toujours aussi perché, sa voix traînante, peut-être moins lente ? qui avait finie par muer. Willy qui n'avait jamais vraiment décroché et qui, quelque part, était toujours ailleurs. Jamais au bon endroit. Mais ce jour-là, avec son pote Thomas dans les bras, il avait envie d'être là.

"Comment ça me fait trop plaisir de te voir."

Il y a un grand sourire béat sur ses lèvres et un "man" qui manque d'échapper, la faute à quelques années d'éducation formatée. Il lâche ça dans un souffle, comme un souvenir qu'on a peur d'oublier :

"Man."

Et il serre Thomas fort, peut-être un peu trop, comme pour vérifier qu'il est bien là, réel. Qu'il ne rêve pas. Il recule sans le lâcher pour le regarder de bas en haut, comme une mère examine un fils longtemps disparu.

"Ça va bien ?"

L'optimisme ancré au plus profond de son cœur ne peut en supposer autrement. Il a l'air bien, son Thomas, avec ses petits cheveux bouclés et son look de bobo des beaux quartiers. Willy sourit de plus belle, un de ses sourires calmes, qui trahit pourtant la plus grand joie.

Cette réponse sert un peu à rien ahah XD

HJ:

Son ami répond à son étreinte et c'est drôle, mais Willy a l'impression qu'il aurait dû être plus grand. Ça ne fait pourtant pas si longtemps qu'ils se sont vus ? Le temps passe vite ici... Il lui semble que passé la vingtaine, les années ont défilé plus vite que les saisons. Il sourit toujours tranquillement aux gestes affectueux de Thomas. Il y a des choses qui ne changent pas. Et c'est rassurant, quand le monde bouge plus vite autour. Il suit le geste de son ami du regard et voit les deux boissons.

"Oooh c'est cool man, merci", dit-il en s'asseyant sans plus attendre.

Mine de rien, la petite traversée de la ville l'a fatigué et sa journée de cours également. Il pose sa sacoche à ses pieds et prend le cappuccino au soja. Il le connaît bien Thomas, Willy n'aurait pas mieux choisi. Enfin, tant que c'est bio il ne fait pas son difficile non plus, et il pourrait s'en passer s'il est en bonne compagnie.

"J'ai un truc pour toi aussi. Mais je te le donnerai plus tard, je suis sûr que t'as des tas de trucs à me raconter, ouais. Qu'est-ce que tu as fait ces dernières années ?"

Il sait en théorie, en gros, mais il n'était pas là et ça lui fait plaisir d'entendre son ami lui raconter la vie qu'il a eue de son côté. Willy lui n'a pas vécu des choses exceptionnelles, son métier de professeur de philo, ses recherches, son petit appartement dans le quartier populaire de la ville, ses petites habitudes. Il est content de mener une vie tranquille, sans bouleversement majeur à part les manifestations auxquelles il participe pour militer pour la sauvegarde de la forêt amazonienne, le panda de Chine ou le napoléon de Polynésie. Il sait que  Thomas n'est pas du genre à laisser passer les choses sans essayer de les changer lui aussi.

"Tu as beaucoup voyagé ?"

Willy est plus casanier mais il croit sincèrement qu'on peut faire bouger les mentalités depuis son salon, ou plutôt sa salle de classe. L'éducation des générations futures, c'est tout aussi important que les sit-in Waterloo Station.

Willy eut un petit sourire quand son ami lui demanda ce qu’il avait pour lui. Il le gardait dans la poche intérieure de sa veste, très précieusement, près du cœur. C’était pas un cadeau pour tout de suite, il voulait qu’il l’emmène avec lui quand il repartirait. Alors ce sourire mystérieux, ce fut tout ce que Thomas eut comme réponse en cet instant.

"Aaaw, man."

Il était touché par l’enthousiasme et l’émotion de son ami. Son bonheur, quoi. Son bonheur le touchait et lui réchauffait le cœur plus sûrement que son thé. Willy était moins expansif que lui mais tout autant émotif, ça ne se voyait pas c’est tout, juste ce grand sourire qui éclatait derrière la barbe rousse pour s’étirer d’une oreille à l’autre.

"C’est bien, tous ces voyages. Il faut voir le monde, même à quatre ans, même à soixante. Et puis ça fait partie de votre ouverture d’esprit, tu vois, et ça c’est bien pour la petite. Même si vous voyagez moins maintenant, c’est pas grave ; ça reviendra quand elle sera plus grande. Puis si elle veut pas voyager, vous l’emmènerez à Disneyland et ça suffira à son bonheur. L’important, c’est que vous soyez ensemble."

Même si Willy doutait que la fille de Thomas et Jalil, même adoptive, refuse de faire le tour du monde vu les gènes qu’elle avait. Peu importait qu’elle ne soit pas de leur sang, Willy croyait en quelque chose de plus fort que la science, une sorte d’hérédité de l’amour, ou quelque chose comme ça. Universel et tout. Il but une gorgée de thé et hocha pensivement la tête au récit de son ami, de la petite chez "tonton" et "tata", et d’une mère absente.

"Elle m’a l’air très intelligente, ta fille, je suis sûr qu’elle comprend pourquoi elle est différente des autres et qu’elle l’accepte. Les enfants sentent ces choses-là, tu sais. Ils sont plus malins qu’on le pense et ils supportent plus qu’on le pense. Tant qu’elle sait que ses deux papas l’aiment très fort, y’aura pas de souci. Après, y’a la connerie extérieure, ouais, mais ça on peut rien y faire, man."

Willy était persuadé que si les gens partageaient plus souvent le joint de l’amour, le monde s’en porterait mieux.

"L’important, c’est d’éduquer et de parler."

Deux choses qu’il faisait très bien, n’est-ce pas, surtout depuis qu’il était payé pour parler des heures devant un auditoire d’élèves attentifs à maintenir leur moyenne de philosophie sur l’année. Willy eut un sourire en coin un peu moqueur, mais gentiment moqueur, pour ses étudiants. Il les aimait bien, et il n’avait pas d’enfants alors on pouvait dire que c’était à eux qu’il transmettait son hérédité de l’amour, tout ça. En parlant d’amour, il eut un sourire lointain, comme s’il essayait de se rappeler quelque chose de flou, mais qu’il savait avoir vécu encore très récemment :

"Ouais, ça va bien, tranquille man. Ici c’est cool, les étudiants sont cool. De temps en temps on partage un joint sur l’herbe, tu vois. Mes grands-pères vont bien, même s’ils bougent plus trop à leur âge. C’est Arthur qui me donne de leurs nouvelles, vu qu’il a ouvert son club de surf sur la plage, près de la maison. J’aimerais bien y retourner cet été mais je suis trop naze en surf, man ! Je préfère aider à la buvette, ils font de la limonade d’enfer. Ils mettent des mini parasols dans les verres et tout."

Il finit son thé et sortit un paquet d’herbes de sa poche, du tabac cette fois. Il roula une cigarette et la proposa à Thomas.

"La dernière fois j’ai rencontré une fille trop cool, on avait les mêmes vibes tu vois ? J’ai cru qu’elle sortait tout droit d’un clip des années 80. Mais elle a préféré les vibes d'Arthur. Parce qu'Arthur sait surfer, peut-être ? Je sais pas. J’ai préféré pas m’en mêler. Ça sert à rien de se disputer à notre âge, non ? Y’a tellement de trucs plus cools à faire. Puis tu me connais, tu sais bien que j’ai qu’un seul amour dans la vie." Il avait l’air un peu perché quand il regarda T pour ajouter : "La vie elle-même, man !"

Ce qui le fit rire d’un grand éclat bête, incontrôlé et extrêmement juvénile.

Le rire de Willy s'accentua quand son ami manqua s'étouffer avec sa boisson et ils se retrouvèrent pris dans une crise de fou-rire comme seuls les enfants en avaient. Incapable de s'arrêter, le souffle court et l'estomac douloureux, le grand rouquin essuya une larme au coin de son œil et retint sa respiration pour se calmer. Comme un gamin prit en faute. Mais ça continuait de rire à l'intérieur de lui, et ça continuerait probablement un moment encore. Thomas avait cet effet-là ; il lui donnait envie de rire comme un enfant et il lui rappelait cette période-là, très floue aujourd'hui. Il se demandait pourquoi juste lui et personne d'autre.

Son cappuccino bio fini, il tira sur sa clope et prit une bouffée d'adulte dans le visage. C'était pas pour les enfants, Thomas avait raison de s'en passer alors qu'il avait une petite à charge. Willy sourit gentiment à ses encouragements.

"Merci, man. Ça me ferait plaisir qu'ils soient proches. Et j'espère qu'il ou elle aura les cheveux longs parce que je veux y mettre des fleurs et tout et tout. Moi je peux plus trop, à mon âge, ça fait pas sérieux." Comme fumer avec ses élèves, mais ça c'était pas écrit sur sa face quand il croisait le directeur dans les couloirs. William sourit, vraiment plus calme à présent : "Mais je m'en fais pas trop. Ce qui doit arriver arrivera. Il faut pas forcer les choses, la vie est comme ça, man."

Quelque chose de délicat, un peu, car au moindre soubresaut du destin elle s'effritait entre ses doigts. Il ne fallait surtout pas être brusque avec elle. Thomas, il comprenait ces choses-là. William n'avait pas besoin de lui faire une conférence de trois heures sur sa vision des choses et de la vie, parce que son ami était comme lui : c'était quelqu'un de très doux, derrière ses airs de grande gueule – même que grandir l'avait assagi, et avec l'arrivée de sa fille c'était presque devenu un papy. Mais William se gardait bien de le lui dire, parce que ce n'était pas vraiment une moquerie. Et même si c'en était une, il n'aurait pas eu envie d'en rire. Ils étaient bien, là, et c'était très reposant de partager ses souvenirs avec lui.

Longtemps après s'être assis sur ce banc, William leva le nez et vit que le soleil hivernal commençait déjà à décliner dans le ciel. Il était temps pour lui de rentrer pour travailler. Mais il ne voulait pas être celui qui mettrait fin à leur rencontre, il laissait Thomas en prendre la responsabilité. William restait moins adulte que lui. Son ami fit le pas et mentionna ce cadeau que le rouquin lui avait promis. Il sourit, parce qu'il était certain qu'il n'oublierait pas, et que ça titillerait sa curiosité. Il prit donc sa sacoche sur les genoux et l'ouvrit.

"Ah, c'est pas grand-chose, man. Mais je l'ai fait en pensant à toi. Ça m'a rappelé..."

Il ne finit jamais sa phrase. Avec une extrême délicatesse, il sortit une couronne de fleurs – séchée – qu'il avait précautionneusement emballé dans du papier journal. Il la posa sur la tête de son ami avec un petit rire.

"Bon, en vrai c'est une déco murale, et je ne suis même pas sûr qu'elle survivra jusqu'à chez toi. Mais ça me semblait plus significatif que n'importe quel bibelot. Et même si elle s'effrite, c'est pas grave." Il haussa les épaules. "L'amitié, ce n'est pas une couronne de fleurs."

William avait beau être encore un grand gamin, il y avait quelque chose de très adulte dans sa façon d'observer la réaction de son ami, son émotion, ses larmes devant son présent. C'était probablement le genre de regard que Thomas posait sur sa fille. Un large sourire s'étala sur les lèvres du rouquin, le genre de sourire qui montait jusqu'aux yeux et creusaient de petites rides au coin de ces derniers. Il ne répondit pas tout de suite, offrant ses bras ouverts à son ami pour le serrer dans l'étreinte de l'amitié.

"Je pensais pas que ça te toucherait autant, man."

Il avait eu cette idée comme ça, très naturellement. C'était venu tout seul, alors peut-être que c'était la raison pour laquelle William ne s'attendait pas à une telle déferlante d'émotions. Ou peut-être était-ce l'éloignement. Mais ce qui le liait à Thomas était bien intact. Comme les fleurs séchées, leur amitié pouvait dompter le temps et vivre aussi longtemps qu'eux, qu'importe la distance. Il le voyait dans les yeux de son ami à présent ; ils avaient changés mais rien n'avait changé. William s'en voulut d'en avoir douté, même inconsciemment. Il posa une main sur l'épaule de Thomas le temps que ses larmes se tarissent et continua de lui sourire avec un air presque paternel. Bon sang que cette rencontre lui donnait un coup de vieux.

Son ami sortit lui aussi un petit cadeau et Willy se pencha vers lui, curieux, l'âme à nouveau juvénile : il aimait énormément les surprises. Et celle de Thomas était de taille. C'était au tour du rouquin d'être surpris, si surpris qu'il ne réagit pas tout de suite à la plaisanterie de son aîné. Il avait compris derechef ce que ces alliances signifiaient mais il ne s'attendait pas à ce que Thomas les lui présente ainsi. Un faible sourire étira ses lèvres, puis un petit rire. À retardement il comprenait la blague. Il finit par pouffer puis éclater vraiment de rire. C'était peut-être nerveux, c'était peut-être sa façon de ne pas craquer ; Willy avait toujours préféré rire d'une chose plutôt que d'en pleurer. Même si c'était pour la bonne cause. Il effleura les deux alliances du bout des doigts et murmura, presque révérencieusement :

"Tu m'avais pas dit que... Ah, c'est mon tour d'être surpris."

Il essuya une larme de rire ou de joie au creux de ses yeux, entre deux rides :

"Tu me fais un très grand honneur, man."

Il secoua la tête, avant d'emprisonner encore une fois son ami dans une grande étreinte :

"Rien ne me ferait plus plaisir."

Assister à son union avec la personne qui partageait sa vie. En être une part active, même. C'était plus que ce que Willy aurait osé demander mais c'était une tache à laquelle il se plierait avec toute la joie du monde. Après tout, c'était le rôle des amis d'être présents dans les grands moments de la vie. Il tapota le dos de Thomas et s'écarta en reniflant dans sa manche. Le ciel était tout à fait orangé à présent et l'air s'était rafraîchi. Mais le rouquin ne tentait pas de faire passer ses reniflements pour un coup de froid. Un coup, ça oui, mais plutôt au cœur. Il sourit franchement à son ami :

"Regarde-nous Thomas, deux grands adultes qui pleurent comme des enfants ; on a l'air malins."

Mais il n'y avait pas de moquerie dans sa voix, juste une pointe de tendresse et de nostalgie. William portait sur ces deux grands enfants qu'ils étaient devenu le regard bienveillant d'un parent.