Une cigarette au bout des lèvres, Dino sillonnait les vieilles ruines de l'Île. Le chemin jusqu'au lieu de rendez-vous lui était si familier qu'il pouvait laisser ses pensées traîner et ne pas se perdre. Ce n'était pas un si long trajet si l'on n'y pensait pas, et puis, mah quand bien même, qu'avait-il de mieux à faire que de se soucier de son apparenza ? L'impression d'honnête homme et une part du charisme passait d'abord par le vêtement.

Même si les conditions ne s'y prêtaient pas vraiment, avec cette pluie infinita qui ravageait tout, l'italien avait pris soin de son habit. Pas son costume blanc si affectionné, il n'était pas si fou, mais une chemise et pantalon noirs et propres ainsi que son éternel chapeau, sombre cette fois-ci pour être uni car sa mamma lui avait appris l'importance dans l'élégance. Et même dans un autre univers, un vrai siciliano se devait de garder ses valeurs.

Alors qu'il sifflotait un air d'enfance qui sentait le soleil, la mélodie du Mafieux fut peu à peu recouverte par le bruit de la cascade qui dissimulait le portail en fer dont seuls lui et le Joker possédaient la clé. Derrière, rien de très palpitant, rien de quoi réchauffer le coeur, juste un ancien cachot et une cave où vieillissaient quelques fromages et vins de fruits. Mais c'était leur endroit segreto où jouer aux cartes et parler affaire à l'abri. Essentiel puisque si l'americano ne pouvait venir au Port, lui-même avait encore moins sa place au Grand Arbre.

Ma ce n'était qu'une question de temps, Pit finirait par rejoindre la cour des grands, il y avait peu d'autres alternatives. Et Dino s'en réjouissait, le Raccomodeur était une source de distraction et d'enthousiasme presque aussi inépuisable que lui.

Inspirant une dernière bouffée de tabac, l'italien éjecta son mégot d'une pichenette dans le petit lac au pied de la cascade puis contourna celle-ci les mains dans les poches.

Pas taper pas criser, mon beau messire. Messire ? Quel terme deferente, un que l'italien avait rarement entendu adressé à lui et qui étira ses lèvres d'un sourire de politicien.

Surpris, il l'était un peu, certo, mais avait appris a vivre en prenant les événements comme ils venaient sans se laisser déconcerter par l'inattendu. Surtout lorsque celui-ci se manifestait sous les traits charmants d'une ragazza. Ah le Joker!, tout Homme d'Honneur qu'il était, était bien inconscient d'envoyer cette fille seule en pleine jungle à la rencontre d'un Pirate (même autant peu marin qu'il était). Mais il prenait ça comme une marque de confiance d'un membre d'une famiglia à un autre et décida que ça lui faisait plaisir. De toute manière, il était un galantuomo comparé aux autres rustauds du Port.

Dino détailla silencieusement l'adolescente alors qu'elle lui démontrait en partie son honnêteté. Americana sans hésitation, autant pour l'habillement que l'accent du Sud. Pas le même soleil que lui mais ça valait toujours mieux que le grand Nord. Jeune mais déjà femme et bien en chair, bella si ce n'était ces cheveux étranges qui collaient moins à ses valeurs classiques. Ma, il avait après tout été habitué à toutes les excentricités sur cette Île et la surface de peau exposée par la fille de Pit détournait vite l'attention de sa chevelure - aussi éclatante fut-elle. Peu de place à l'immaginazione.

« Bonjour, mister. Dino, je présume ? Ici Curve. Pit m'envoie, il n'a pas pu venir lui-même pour cette fois. Dur dur d'être un chef, qu'y peut-on ? »

Un rire bref, coulant de bonne humeur presque éternelle, échappa au sicilien qui approcha de quelques pas, les gouttes dissidentes de la cascade lui piquant le visage.

« Curva » répéta-t-il, modelant le nom sur sa langue « Les hommes de notre genre ont souvent beaucoup à faire, je comprends, je ne lui en veut pas. Surtout s'il m'envoie à la place une dame comme toi, ciccia »

Beau-parleur, comme toujours, le sang avait les habitudes bien ancrées.

Volant la clé des doigts de la nommée Curve d'une main gantée, le mafioso déverrouilla le portail (ses barreaux étaient suffisamment rapprochés pour n'être capable de laisser passer qu'un petit animal ) et pénétra dans le Castello di Carte, ce vieux cachot qu'il avait déclaré sien et réaménagé. Il y faisait frais et l'humidité suintait sur les murs de pierre à cause de la pluie omniprésente et de la rivière au-dessus mais rien qu'on bon fuoco ne puisse arranger. Sortant une boîte d'allumettes de sa poche, Dino enflamma les mèches d'une dizaine de bougies dispersées sur les murs tout autour de la pièce. Une table en bois dur et laqué d'une dizaine de places, un fourneau dont la cheminée finissait juste sous la cascade (l'eau empêchant de se faire repérer par la fumée), un second portail menant vers la cave et une porte donnant sur une pièce abandonnée qui devait être un espèce de dortoir. Dans un coin se trouvait aussi une grosse malle hermétique qui contenait caffè, quelques vivres, des jeux de cartes, quelques armes et des couvertures. Et couchée dessus il y avait Maria Callas.

« Installe-toi pendant que je fais le feu, ciccia »

Un miaulement aigu retentit dans la pièce puis une forme ronde et duveteuse bondit sur la table comme un nuage.

« Oh et je te présente Maria Callas, c'est une Chalapine, une chimère de chat persan et de lapin angora. C'est une diva mais elle chasse la vermine quand je ne suis pas là. Elle ressemble surtout à un chat mais si tu regardes elle a des longues pattes derrière et pas de queue. De toute façon les deux on le même goût dans la polenta. »

Dino observe la chalapine hésiter puis finalement se rendre à l'appel de la main douce prête à la caresser. Elle était têtue comme une vraie diva mais avide d'affection, la pauvre Maria Callas, si souvent laissée seule ici en gardienne du temple. Mah, il se dit qu'elle aurait son compte durant l'après-midi, la petite chanceuse.

« C'est quoi ciccia ? »

Il ne comptait pas répondre à la première question qui ne regardait personne et continua dans sa entreprise de rendre le cachot humide plus accueillant mais la seconde l'interpella assez pour qu'il s'arrête à mi-chemin du fourneau, un bocal de caffè à la main. Les surnoms, il les donnait à tout le monde sans y penser, mais ne se rappelait pas qu'on l'ait déjà questionné à leur sujet. Cela le fit sourire.

« Hmm. C'est difficile à dire, c'est comme sweetheartmais nous avons tellement plus de petits noms que vous. Cara, tesoro, Babà, choisi comme tu préfères. »

Et sinon il pouvait simplement l'appeler Curva, elle avait un nom suffisamment agréable à prononcer comme ça. Un peu trop même, peut-être. Secouant la tête avec un soupir amusé, le Mafieux se mit à la tâche de préparer les cafés et concentra son attention sur celle-ci. Il n'aurait plus manqué qu'il rate, son palais était fin et un grain mal moulu ou une eau trop chaude pouvait impacter son humeur davantage qu'il ne l'aurait avoué.

Mais il était curieux.

D'un ton toujours plaisant, Dino demanda « Tu es là depuis longtemps ? Pit ne m'a jamais parlé de toi et pourtant il te doit te faire confiance pour t'avoir partagé le secret de ce lieu et de nos petits échanges. » se retournant, il posa deux tasses de vieille porcelaine mais fumantes sur la table « Mais après tout, le ragazzo a toujours été très distrait. » il haussa vaguement les épaules pour ponctuer sa phrase « Du sucre ? »

Plaisant, toujours le sourire au coin des lèvres et la paresse dans les gestes mais attentif à tout comme un chat aux aguets. Elle était étrangère dans son sanctuaire et même si Dino avait voilé sa menace sur plusieurs couches de ronronnements, elle n'en restait pas moins présente. Il ne s'inquiétait pas vraiment de la jeune fille mais un homme n'était jamais trop prudent avec ses secrets, et les femmes surtout avaient tendance à trop parler.

« Longtemps je ne sais pas. Assez pour qu'il me fasse confiance, oui. »

L'italien, déchargé de ses tasses, hésita un bref instant puis choisit finalement de s'asseoir face à son hôtesse. Plus raisonnable ainsi, songea-t-il en croisant les jambes.

« C'est mal qu'il n'ait pas parlé de moi. Il faudra que je le gronde. Étourderie ou pas, il n'a pas intérêt à m'oublier. Je vais avoir l'impression d'être une potiche, sinon. »

Un tel ton fit rire doucement le Pirate, rire qu'il noya dans la brume de son caffè, prenant une première gorgée qui le fit soupirer de bonheur. Perfetto

« Pas de sucre, merci. Je le prends noir noir. »

Le sicilien hocha la tête, déférant « Nero, comme une vraie signora. » puis ajouta en plaisantant « Peut-être que notre cher Pit ne m'a pas parlé de toi avant parce qu'il voulait te garder pour lui. »

Un grand-oncle lui avait raconté un jour une histoire de Sicile, lorsque lui était encore bambino, d'un homme dont personne n'avait jamais vu la femme. Même pas le curé qu'elle recevait entièrement voilée lorsqu'il venait lui faire la confession. Il y avait deux théories. L'une que c'est parce qu'elle était si belle que son mari n'osait la présenter de peur que tous les hommes du pays ne viennent essayer de l'enlever, justification que soutenait le-dit mari. L'autre qu'elle avait été défigurée par une maladie de peau plus jeune et avait désormais honte de se montrer. Mais le Sud avait l'esprit romantique et la première était préférée.

« Et toi, tu es là depuis longtemps ? Tu m'as l'air trop jeune et soigné pour être un pirate d'origine. A part Hook, ils ont tous des sales tronches en général. Sans vouloir insulter personne. »

Dino ne lui en voulut pas de détourner la conversation vers lui, il avait décidé qu'elle n'était au moins pas un danger pour ses secrets et affaires. Pour le reste il n'avait pas encore décidé.

« Il est bon ton café. »

Sans répondre tout de suite, le sicilien la remercia d'un hochement de tête et sortit un cigarillo de sa blague à tabac - un luxe sur ses cigarettes habituelles. Il proposa un à la jeune fille avant d'entamer sa tirade.

« Tu es dure avec eux. Ils ne sont pas nombreux mais il y a d'autres pirates élégants que Hook et moi-même. » se comparer au Capitaine à ce niveau-là renforça son orgueil « Mais non, Curva, je ne viens pas de si loin, j'ai juste eu une belle...comment dites-vous, poussée de croissance. Je me rappelle de beaucoup, plus que les autres peut-être, parce que j'ai toujours su qu'un homme se doit de garder ses valeurs. Je ne me souviens plus de la date exacte de mon arrivée ici, mais je sais que c'était l'été de l'année où on a pu voir à la télévision ce film avec Michael Jackson et les monstres. Je sais parce que quand ma grand-mère l'a vue elle s'est signé au moins cinq fois, ce qui avait fait beaucoup rire toutes notre troupe de jeunes garçons. »

Il s'agissait de quelques souvenirs comme ça, éparpillés dans sa mémoire qui revenaient soudain et disparaissaient la minute d'après. Comme un rêve qu'on n'arrive à se rappeler que de temps à autres. Quelques noms aussi, célèbres, mais jamais ceux de ses proches.

Tirant longuement sur l'extrémité du cigarillo, l'italien expira une fumée blanche dont il fit des cercles en arrondissant sa bouche et plaçant sa langue au milieu.

« Mais je t'ennuie sûrement, cara mia, parlons plutôt de ce qui t'amène. »

Ça faisait donc si longtemps, avant même que la jeune donna face à lui ne soit conçue. Avait-il vraiment envie de savoir ce qu'était devenue sa si belle famiglia ? Il ne le pensait pas. Déjà Dino se doutait qu'ils avaient du être fusillés jusqu'au dernier, par les Napolitains ou la police. Mais ainsi allait le monde, les hommes naissaient et se tuaient. Et si un avait la chance de vivre vieux et sage, il devenait son propre assassin par la défaillance de son corps.

« Livraison spéciale de l'autre mémoire courte. Un gilet neuf pour le doux sire. »

Les choix de mots de Curva amusaient le sicilien qui se demanda ce qu'on pouvait bien connaître de la douceur, à vivre dans des cabanes en bois en étant entouré d'enfants brailleurs. Lui n'en avait connu qu'un éclat avant l'Île et avait appris lorsqu'il s'était installé au Port.
« Tu me donnes ça comme si c'était une valise remplie de dollars et de drogue. » la taquina-t-il « Mah, j'aime ce sérieux dans les affaires, et l'eleganza en est une importante. »

Déposant son cigarillo entamé en équilibre sur le bord du cendrier, Dino ouvrit le sac et en sortit délicatement le gilet dont il caressa amoureusement la soie du bout des doigts, les yeux brillant de satisfaction.

« Est-ce que Pit t'a expliqué, cara mia ? » il détacha un instant ses yeux gris du vêtement pour les porter sur la jeune fille
« C'est moi qui lui ai fourni le tissu et il en a fait cette merveille. Regarde ces reflets, rien de teint, même les vers à soie de cette Île ont leur touche de magie. »

Même s'il aimait s'habiller de blanc, le Pirate italien ne rechignait pas entièrement à la diversité. Notamment lorsqu'il avait troqué à un Peau-Rouge cette soie d'un argent miroitant qui tournait chaque lumière à son avantage. Et puis le Chef des Raccommodeur avait fait son miracle, ce saint patron des couturiers.

Haussant des épaules, il se débarrassa rapidement de son veston et réaligna les boutons de manchettes de sa chemise noire. Une blanche aurait aussi été de circonstance mais il avait voulu pouvoir faire ressortir tout le scintillement du gilet.

« Je doute qu'il y ait des retouches à faire, notre ami le Joker me connaît bien maintenant, ma je ne résiste pas. »

Pour le moment, Dino avait oublié tout le sérieux de l'homme mûr et du mafieux accompli dans l'excitation enfantine du collectionneur face à une nouvelle oeuvre.

Tout en effleurant les boutons de nacre d'un doigt lascif, admirant les subtiles différences dans leur couleur de perle, le sicilien portait une oreille plus qu'attentive aux paroles de Curva. Pas qu'il fût particulièrement empathique envers cette jeune femme et son ennui - il ne la connaissait pas et les gémissements plaintifs n'étaient pas de ceux qui l'intéressaient - mais il se demandait si, finalement, son cher amico n'avait pas fait exprès de l'envoyer ici en son nom.

Dino avait pensé insensée l'idée de cette ragazza seule dans la jungle, seule en route vers un Pirate qui lui était inconnu. Bien sûr, sans être un saint, il avait tout de même ses principes et ne touchait pas aux femmes des autres. Mais même sans cet aspect, même s'il s'était agi d'un garçon, c'était une âme à l'orée de l'adulte qui se trouvait à sa portée.

Sauf que Pit n'avait sans doute pas réfléchi ainsi, le Joker n'était pas aussi généreux et son mode de pensée trop étrange pour que l'italien puisse réellement le déchiffrer et l'interpréter.

Tant pis, songea-t-il, les raisons et le prélude avaient peu d'importance.

« Ce n'est pas de la chance, cara mia, mais de l'ambition.»

Elle avait voulu changer de sujet en le flattant, ou avait fait exprès pour qu'il revienne de lui-même à l'autre, il ne savait pas vraiment. Dans tous les cas, lui n'avait pas envie de démordre, ils auraient le temps de ronronner encore un peu plus tard.

« La chance n'a pas joué beaucoup pour moi non plus, c'est mon travail et mon culot qui m'ont mené. »

Contournant la table, il s'approcha d'une Curva assise et, face à son dos, posa les paumes sur ses épaules dans un geste qui lui rappela celui de son coach dans l'autre monde, quand il avait fait de la boxe durant quelques temps. Ses mains à lui étaient plus fines, à peine calleuses de la forge, la pression moins forte mais l'intention similaire ou presque.

« Et toi, Curva, pourquoi ne fais-tu pas toutes ces choses ? Parce que tu es trop fidèle au Re Pan ? Ce serait la seule raison valable. »

Peut-être qu'elle lui dirait d'andare all'inferno, c'était une éventualité. Mais Dino savait aussi qu'il avait assez d'amour-propre pour encaisser, il avait l'habitude de se faire rabrouer et préférait ça que de regretter une opportunité perdue de se divertir, de mater pour un peu plus longtemps la masse sombre et monotone qui siégeait au fond de lui.

Même si Curva jouait la lascivité, le sicilien avait sentit les muscles remuer et se durcir brièvement sous ses mains avant qu'elle n'en reprenne la maîtrise. L'enfant était douée, un peu d'entraînement et elle se changerait en redoutable femme d'affaire, une actrice de différents rôles pour différentes proies.

D'impulsion, Dino avait envie de laisser glisser ses doigts le long de la gorge offerte, poursuivre dans ce jeu qui tenait davantage de la lutte de pouvoir que du flirt. De toute manière, il ne cherchait pas réellement à la séduire, elle n'était qu'une enfant. Néanmoins, l'italien avait encore des choses à tirer de cette conversation et décida qu'il se ferait remettre à sa place plus tard.

Baissant les yeux vers ceux de la jeune fille, il lui expliqua avec sagesse « Ne sois pas déçue, cara mia c'est le rôle des aînés d'enseigner. C'est pour cela qu'ils existent, même ici et malgré tout. »

« Je me fiche de Peter, de son petit Royaume. Mon truc à moi, c'est le fashion. Grâce à Pit j'ai accès à de meilleurs stock de tissus que les autres, en plus grandes quantités. Tout viens à qui sait attendre, le reste arrivera. Un jour ou l'autre. Il faut juste pousser les bonnes pièces. » La tirade ramena le Chef des Raccommodeurs à l'esprit du sicilien « Je suis juste impatiente ! »

Dino demeura un moment silencieux, les pupilles brillantes. Quelques phrases bien formulées, peut-être n'aurait-il rien fallu de plus pour la faire basculer. Elle savait ce qu'elle voulait mais il déplorait son champ de vision réduit, tout en la jalousant à la fois. Lui avait voulu voir plus loin et s'en retrouvait amèrement déçu. Toutefois, il n'était pas suffisamment un monstre pour chercher à briser les rêves des autres. Et puis le sicilien se disait que le changement, même minime, était bon à prendre, qu'à chaque arrivée d'un Perdu grandissant au Port, les choses changeaient. L'intensité était variable et il fallait parfois fouiller pour trouver la nouveauté, mais elle était toujours là.

Se rendant compte de son silence alors que Curva attendait sans doute une réaction de sa part, le mafioso s'écarta de la chaise et croisa les mains derrière son dos, ajoutant ainsi un côté dramatique et solennel à ses paroles.

« Je vais t'aider. »

Dino avait tourné la proposition de son aide en affirmation dans l'espoir de tirer une plus vive réaction de la jeune fille.

Une étincelle de colère vint allumer le regard gris de Dino. Vexé, le sicilien, qu'elle osât moquer sa proposition. Pourtant, si ses motivations n'étaient qu'à demi-honnêtes, il avait été sincère en disant qu'il l'aiderait, était sûr qu'elle accepterait. Mais non. La ragazza le tournait en dérision comme s'il était un homme stupide et faible qu'elle pouvait acculer pour jouer et humilier à sa guise.

« Tu as raison, Curve » l'accent s'estompait des mots et, même à ses oreilles, ils sonnaient étranges et vides sans la chaleur habituelle de sa voix « Ce n'est pas par gentillesse ou affection que je propose de t'aider mais par curiosité. J'ai pensé “'pourquoi pas ? Elle a du potentiel et du mérite. Je serais fier d'apporter ma contribution à ce qu'elle peut devenir''. Maintenant je ne sais plus...si tu ne peux même pas montrer un peu de politesse. »

Débarrassant les restes de leur caffè, Dino gratta au passage la tête de Maria Callas qui quémandait son attention ainsi que - probablement - le morceau de viande qu'il lui amenait à chaque fois.

Le sicilien n'était déjà plus fâché, la situation ne méritant pas un vrai énervement. Néanmoins, l'attitude de l'adolescente l'avait laissé un peu amer. Oubliant le cigarillo qui finissait de se consumer seul et abandonné sur le bord du cendrier, le mafioso alluma une cigarette dont il tira une longue bouffée tout en négligeant la présence de la jeune fille. Il avait eu un élan d'enthousiasme à la perspective de la guider sur le chemin de la vie adulte, une nouvelle expérience pour lui qui craignait l'ennui et la routine, mais celui-ci avait été étouffé dans l'oeuf.

L'envie de voir Moriko le saisit soudainement mais Dino rejeta l'impulsion en même temps qu'il sortit un petit emballage de sa poche et jeta une lamelle de chair rouge à la chalapine. Il n'était pas sain qu'il aille lui rendre visite trop souvent, il avait peur de finir par se complaire dans le confort extatique de la fumerie, face à la présence maternelle et mystique de sa Velenosa. La dernière fois, il s'était effrayé de lui-même.