HRP:

Le Parc d'Attractions, c'était cool.
En fait, ça l'était surtout quand on le découvrait.
Et ça l'était encore plus quand on avait connu l'île dans une période assez sombre... ce qui était vachement le cas de le dire.

L'Horreur avait cessé depuis l'arrivée de Reaper sur Neverland, et elle pouvait enfin profiter un peu de la belle magie dont l'île était parsemée. Forcément, une île pleine de promesses et sans peines, ça faisait rêver, mais quelle descente aux Enfers c'était quand Peter l'avait déposé dans un monde qui était encore en proie à des cauchemars ! Heureusement qu'il lui avait siphonné le cerveau et son traumatisme à ce moment-là, sinon, elle l'aurait sûrement encore plus mal vécu.

Elle ne rêvait que d'une chose : explorer le Parc qui lui faisait tant envie. Le danger principal était écarté, elle pouvait s'éloigner du Grand Arbre sans craintes. Du moins, sans que rien ne lui rappelle qu'elle risquait à tout moment d'être au bord du précipice, ou quelque chose qui s'y rapproche.
Car même si on avait averti la Fêlée que le Parc d'Attractions restait un lieu loin d'être complètement safe, elle n'avait pas l'air découragée pour autant. Au contraire : elle semblait même encore plus enthousiaste !

Le danger donne l'adrénaline, et l'adrénaline, c'est super bon.

Reaper n'était plus cette ado' fragile et craintive du moindre danger. Maintenant, le danger, ça l'excitait. Ça offrait l'aventure. Ça pouvait conduire à la mort, mais le déménagement de Reaper sur l'île lui donnait la forte illusion d'être invincible. Elle pouvait enfin profiter de ce qu'était Neverland pour les Enfants.
Alors, pourquoi avoir peur de se faire tuée, décapitée, massacrée, ou pire encore ?

Le Parc, sous ses airs d'immense terrain de jeu abandonné, ressemblait à une décharge colorée. On pouvait y trouver des manèges inintéressants comme de la ferraille étonnamment divertissante. Une vraie mine de trésors morte comme vivante mais fourbe. Reaper avait hâte de visiter cet endroit passif-agressif.

D'habitude, elle avait les mains dans les poches. Mais là, maintenant, elle était prise d'une bougeotte nerveuse. Sa bouche se tordait en un sourire satisfait et jamais fatigué. L'impatience, l'excitation et la faim du risque la faisait s'engouffrer rapidement entre les barrières cassées et machines qui tournaient ou se soulevaient toutes seules. C'était génial.

Reaper frissonnait en voyant un carrousel fonctionner par la simple force du rien. Sans attendre, elle grimpa dessus et prit même place sur un cheval déteint auquel il manquait la tête.

Le monde du dehors ce n'était pas cool, JAMAIS. Grumpy était un artisan, un acharné de travail en plus, l'un de ceux qui ne quittait jamais l'atelier et y passait des temps infinis, le nez collé contre le bois et les écrous pour fabriquer quelque chose d'utile et de nouveau. Le Mal-Léché aimait ce qu'il faisait, au point même d'oublier de jouer – ce qu'il adorait pourtant faire - et lorsque sa morue de chef lui avait ordonné de sortir un peu, il n'avait pas été content du tout.

Le dehors c'était le danger et la mort, surtout pour un garçon qui ne savait pas vraiment se battre, qui n'avait pas un grand sens de l'orientation ni une vraie capacité de survie. Oh Grumpy était là depuis presque le début et avait vu disparaître beaucoup d'autres, mais c'était en partie grâce à la chance et son désir de toujours rester bien à l'abri de l'arbre – choix fort judicieux jusqu'à présent. S'il sortait de sa cachette c'était pour deux raisons : les mission imposées et la recherche de sa si précieuse herbe, celle qui calmait les brûlures de ses poumons et les fièvres de son esprit.
La nuit permanente qui était tombée sur l'île avait paradoxalement bossé la pousse de la fameuse plante et Grumpy en avait fait d'incroyables réserves, au point d'être tranquille pour un bon bout de temps. Pourquoi sortir alors ? Et bien il l'avait déjà plus ou moins expliqué : cette maudite cheffe l'avait envoyé LUI en mission, dans le but de récupérer du matériel. Pourquoi lui ? Le groupe ne manquait pas de fiers à bras et puis il y avait les récolteurs ! Non décidément, cette fichue Harmony en avait contre lui, c'était une machination pour mettre à mal son génie ! Peut-être le voyait-elle comme un concurrent potentiel, qui sait ? C'est vrai qu'il aurait fait un bien meilleur chef, aucune doute là-dessus. Pourquoi n'avait-il pas brigué le poste ? Trop de responsabilités, trop de contacts humains aussi... Les autres ne le comprenaient pas et certains le détestaient même alors... oui mauvaise idée ; même s'il pensait avoir beaucoup à apporter.

Pour se rendre à l'extérieur, Grumpy avait demandé de l'aide. Farfouillant à droite et à gauche, il avait grogné – de sa charmante voix bougonne et polie – pour que quelqu'un veuille bien l'accompagner ; mais rien à faire : les gens étaient trop égoïstes pour lui venir en aide. Il les détestait, tous. Sauf Peter. Peter était le meilleur, le plus beau, le plus formidable...
Le roi.

La trille musicale d'un oiseau tira soudain l'artisan de sa rêverie et il leva la tête vers l'animal. Dans un battement d'aile affolé, la bête s'envola pour aller se poser au sommet d'un manège un peu rouillé, aux fanions abîmés. Personne ne savait d'où venait cet endroit – comme tous les autres d'ailleurs – mais il avait débarqué du jour au lendemain, juste comme ça, à la manière d'un gros champignon. Personne n'osait encore trop s'y rendre – on se méfiait des nouveaux endroits – et Harmony pensait qu'on pouvait trouver là du matériel intéressant pour l'atelier.
Elle n'avait qu'à s'y rendre elle-même alors !

Grumpy frissonna, le genre de frisson qui vous parcourt tout l'échine des pieds à la tête. Les autres avaient parlé de ces êtres qui peuplaient l'endroit, des monstres maquillés de blanc qui vous montraient leurs dents pointues en tendant des ballons multicolores mais inquiétants.
Parce qu'ils flottaient.
Tout le monde flotte.

Le Mal-Léché ferma les yeux et se mordit la lèvre, essayant de retenir les larmes qui montaient. Il ne voulait pas être là, avait terriblement peur et serrait son sac contre lui, comme si ce petit morceau de tissu allait pouvoir le protéger.
Un reniflement lui permit de faire remonter la morve et reprendre un peu contenance.
Puis des bruits de pas lui firent oublier tout courage, et trembler de plus belle.

Ce manège serait plus drôle s'il allait plus vite, en fait. Dommage, il était un peu rouillé. Mais le Parc était à moitié vivant, tout de même, alors que peut-être un bon coup de pied dans la ferraille le ferait réagir !

Ainsi, Reaper se mit à frapper du talon le sol du carrousel. « PLUS VITE, LE CANASSON » qu'elle criait avec un rire exagérément amusé. Se croyant seule, elle se permettait de mal parler même à ce qui pourrait ne pas être vivant du tout.

Lorsque l'engin lui fit un tour complet, elle remarqua au loin la silhouette d'un Perdu. Elle ne reconnaissait que sa chevelure, mais le nom en soi avait du mal à lui revenir. Il n'était clairement pas un Éclaireur ; il n'y avait que leurs noms à eux qu'elle retenait, pour l'effort. Autrement, on allait encore lui reprocher de ne pas s'investir humainement, et gna gna gni, et gna gna gna.

Elle ne daigna même pas faire un signe de main ou de bras au Garçon et attendit plutôt que le carrousel lui fasse faire un nouveau tour. Ce n'est que lorsqu'elle le vit de nouveau qu'elle descendit – en fait, elle se lassait déjà du manège qui était tout aussi ordinaire qu'un manège du... ben, du Monde ordinaire.

Et comme si le gamin à la crinière d'argent était une menace, la Fêlée s'avança vers lui sans piper mot, jusqu'à reconnaître d'encore quelques mètres les traits de l'Enfant. Ça y est, ça lui revient, mais elle ne sait juste pas quel nom ou rôle placer. Les autres Perdus qui n'étaient pas de son groupe, elle en connaissait des tas seulement de visage, mais pour ce qui est de retenir le reste... Étonnement, seul le surnom (pour une raison mystérieuse) lui revint. Elle s'arrêta donc à trois mètres du garçon, mains sur les hanches.

C'était comme si c'était lui qu'elle venait de trouver, en train de faire des bêtises. En fait, pour une fois qu'elle pouvait s'amuser sur cette île aux tendances désastreuses, on allait pas venir la déranger !

- Quoi, le Mal léché ?

À son ton, Reaper exprimait déjà l'ennui de devoir être ramenée par l'ordre d'on ne savait qui (mais si c'était Peter, bah là...)

Ok... la jeune fille qui avançait droit devant lui n'avait absolument rien de rassurant. Il ne la connaissait pas – ou peut-être que si d'ailleurs, mais la mémoire du Mal-Léché était... très atteinte – et n'avait absolument aucune envie de la connaître. Il ne faisait déjà aucun effort avec les autres Artisans alors les gens qui n'étaient pas de son groupe...

Histoire d'éviter de montrer qu'il pleurait quelques secondes avant leur rencontre, il opposa à l'attitude hostile un comportement plus agressif encore, serrant plus fort son sac et jetant un regard noir derrière ses yeux verts.

« Quoi, « quoi » ? La clodo ? C'toi qu'viens m'chercher . »
Il n'avait aucune idée de ce que voulait dire le mot « clodo », mais il l'avait entendu à l'arbre et trouvait que ça devait être le moment de le ressortir, allez savoir pourquoi... la langue c'était parfois un peu approximatif avec Le Mal-Léché, surtout le phrasé moderne. Son anglais n'avait jamais évolué malgré la confrontation permanente avec d'autres enfants d'un passé plus proche que le sien. Il récupérait bien quelques termes de temps à autre mais s'arrêtait là.

Grumpy serrait toujours son sac contre lui, craignant qu'on ne lui arrache les quelques items qu'il avait trouvé. Certains étaient pour lui d'ailleurs – bon ok... la plupart étaient pour lui – et il n'avait aucune envie qu'on lui enlève son butin.

«  T'fais quoi ici ? T'as une mission ? S't'as pas d'mission j'vois pas pourquoi t'traînes là, tu d'vrais pas, paraît qu'il y a des trucs pas chouette avec des drôle d'maquillages... »
Des clowns. Un récolteur s'était fait démembré par l'un d'eux et on n'avait retrouvé qu'un morceau de bras, accroché à un arbre comme une décoration. Grumpy n'avait pas du tout envie de terminer dans le même état et il sursautait d'ailleurs au moindre petit bruit, pas serein.

« C'Peter qui t'envoie ? »

« Quoi, « quoi » ? La clodo ? C'toi qu'viens m'chercher . »

La clodo' ? Mais il était sérieux, là ? Reaper était d'humeur cool, jusque-là, mais il a fallu que ce mioche qui portait si bien son surnom se ramène et lui dise un truc pareil. Elle était peut-être là depuis pas hyper longtemps, mais c'était pas une raison pour l'appeler comme ça. Il cherchait à la bully ? L'humilier ? Mais qu'il était con. Chercher les noises à Reaper, c'était se frotter à une lame de rasoir. Un peu comme le poignard qu'elle avait dans la poche et dont elle toucha le manche du bout des doigts juste pour se rappeler que s'il voulait se battre, elle pourrait s'en servir.

Mais il était gringalet, ce petit. Un coup de poing et il allait repartir pleurnicher dans les jupes de sa mère. Enfin, s'il pouvait la retrouver. Celles du Grand Arbre étaient-elles là pour ça aussi ? On pouvait aller leur pleurer dans les jupes ?

- Bah ta gueule, fut la seule réponse qui lui paraissait intelligente, sur le coup.

«  T'fais quoi ici ? T'as une mission ? S't'as pas d'mission j'vois pas pourquoi t'traînes là, tu d'vrais pas, paraît qu'il y a des trucs pas chouette avec des drôle d'maquillages... »

- Bon alors, déjà, tu vas t'calmer, rétorque-t-elle en s'avançant un peu, histoire de réduire la distance. J'suis là parce que j'en ai envie. T'es quoi, t'es la police ? J'ai pas trop souvenir de t'avoir vu chez les Sentinelles, toi. Puis t'es p'tit, t'es maigre, t'es pâlichon, t'as pas les couilles d'aller me ramener.

Les mains dans les poches, elle attrapa ses propres hanches et se dressa avec une petite supériorité comparée à Grumpy. Un sourire volontairement carnassier lui fendit la bouche alors qu'elle regardait vers une direction aléatoire.

- J'suis au courant, pour les clowns. C'est flippant, hein ? Ils vont p'têt nous manger.

Faire peur au nouveau venu, qui lui-même n'avait pas l'air très chaud pour s'aventurer dans le coin, était marrant, sur le coup. Bien sûr que Reaper pensait aux dangers présents dans le Parc. Il était présent quasiment partout, le danger. Mais ça l'amusait. Ça sentait le risque, la montée d'adrénaline, le suspens. Ça puait inconsciemment la mort, et pourtant, Reaper s'en amusait. Les Enfants l'ignoraient, le jour de son arrivée, mais le nom de « Reaper » sonnait aussi particulièrement bien avec le fait qu'elle aime s'amuser de la notion de « mort » et de « danger mortel ».

C'était le genre d'ado' qui riait de la peur des plus jeunes qu'elle, jusqu'à les faire chouiner, comme dans un mauvais film d'horreur.

Quoi « ta gueule » ? Qu'est-ce qu'elle a sa gueule ? Elle devait pas lui revenir, c'était ça. Il aimait pas les filles comme ça, pas du tout même. Une fille ça devait être douce, propre, gentille, comme une maman – une vraie maman, pas certaines hommasses de l'arbre. Elle, elle n'avait rien d'une fille gentille et bien élevée, et en plus elle montrait une hargne qui mettait Grumpy mal à l'aise. S'il y avait bien une chose que le Mal-Léché n'aimait pas, c'était bien les mots plus hauts que les autres. Il faisait le fier, comme ça, avec son grognement permanent et ses réflexions de vilain ours, mais quand on parlait un peu trop fort il allait toujours trouver refuge dans sa partie de l'atelier, se concentrant sur son travail pour ne pas devoir écouter. Le pire c'était quand les autres se battaient entre eux. Il n'aimait pas, ne s'en mêlait jamais, même lorsque parfais – rarement – les autres en venaient aux mains. C'était pas les coups qui posaient problème, plutôt les cris.

Lorsque l'autre fille avala la distance pour se rapprocher, il recula d'un pas en serrant encore plus fort son sac contre lui. Il pinça les lèvres et fronça les sourcils, montrant un petit visage fermé qui contrastant avec tout le reste de son attitude. Un trouillard qui essaye de jouer les courageux : ça ne faisait pas illusion, sauf face aux autres trouillards.

« J'suis pas un sentinelle, j'suis un artisan ! »
La plus noble des catégories selon lui, la seule qui valait la peine qu'on s'y attarde. Bon il aimait bien les armuriers aussi, et les raccommodeurs... puis fallait bien dire que les chasseurs et les récolteurs leur permettait de manger, donc de ne pas mourir de faim. Il était fier de son groupe à lui mais pas assez buté pour ne pas reconnaître la valeur de chacun. Même s'il disait le contraire.

Le regard de la garçonne lui fit tourner la tête dans la même directions pour scruter avec inquiétude, s'attendant à voir débarquer un masque d'horreur avec un couteau ou PIRE... un ballon.
Il confirma donc aisément que les couilles ce n'était pas vraiment ce qu'il portait le mieux.

« Nous... n'manger ? »
Paniqua Grumpy, se laissant facilement attraper comme un lapin de six semaines. Cela confirmait ses inquiétudes, Harmony voulait le voir mort, c'était sûr à présent...
« Non mais z'ont p'têt mangé y'a pas longtemps... »
Ça sentait l'argument avancé pour se rassurer plus qu'autre chose. Il n'était pas tout à fait dupe de sa propre bêtise au fond, il se doutait bien que les clowns ne voyaient pas passer des masses de Garçons perdus. Peut-être mangeaient-ils aussi des animaux ?
Il tourna la tête à droite et à gauche, ne remarqua aucune trace animale et hésita entre deux possibilités : soit ils avaient été tous dévorés, soit il n'y en avait pas. La seconde option n'avait rien de rassurant. La première non plus d'ailleurs.

Puis une idée lui vint. Et si les clowns – peut-être fort malins – avaient la capacité de se déguiser ? Il fixa l'espèce de grande croquemitaine et plissa les yeux, reculant encore :
« Qui m'dit qu't'es pas un clown toi ? »
Personne. Absolument personne – à part la logique peut-être.

HRP:

« Non mais z'ont p'têt mangé y'a pas longtemps... »

S'amuser de la peur des mioches était un des trucs qui faisaient marrer la Fêlée. C'était gratuitement méchant pour rien, mais puisque c'était rigolo, hein, elle n'allait pas s'en priver. Et ce n'est pas elle qui pensait que le coin était absolument dangereux : ce peureux n'avait qu'à pas s'aventurer jusqu'ici.

- Ou alors, ils ont juste prit l'apéro, proposa-t-elle pour alimenter son délire.

« Qui m'dit qu't'es pas un clown toi ? »

Entre l'insulte et l'opportunité pour effrayer un marmot, Reaper ne savait quoi choisir. Elle savait ce qu'était un clown, mais n'en avait encore jamais vu un de l'île. Ainsi, peut-être n'étaient-ils pas tous les mêmes que ceux connus de l'autre culture. Mais à voir le décor, il y avait fort à parier qu'ils étaient reconnaissables comme ceux-là.
Pour enfoncer le pauvre Artisan dans sa paranoïa, la Garçonne s'arma d'un sourire énorme en faisant de son mieux. Non, elle n'était pas un clown, et ça lui paiera sa tête que de l'accuser d'en être un.

- Je sais pas. Qu'est c'que t'en dis ?

Au même rythme qu'il prenait la fuite, la Mexicaine approcha à pas lents vers lui, conservant ainsi la distance pour maintenir cette lourde (mais fausse) menace.

- J'suis peut-être là pour appâter ma proie. Je fais un tour de manège, et au premier venu, j'me remplis la panse. T'es à la place de la proie, qu'est c'que t'en penses ?

Et pour ajouter un peu de piquant à la mise en scène, elle écarta les bras comme un macabre corbeau et acéra ses doigts comme des griffes imaginaires. C'était grotesque à ne pas y croire, mais elle semblait être tombée sur un bon parti pour avoir la pétoche.

HRP:

C'était pas sympa de s'amuser de la peur des autres ! Surtout quand l'autre en question était un petit artisan qui avait facilement peur. C'est vrai quoi, au fond c'était même pas amusant quand la victime se retrouvait à trembloter comme une feuille rien qu'en fixant son ombre.
Pas pour rien qu'il ne sortait jamais, le mal-léché... même un malheureux petit lapin le plongeait dans la terreur la plus profonde.
D'un autre côté, sur cette île, même les lapins pouvaient s'avérer mortel. Si, si, juré... Une gamine s'était faite boulotter par un angora pas plus tard que... bah il ne savait pas, puisque le temps ne fonctionnait pas ici.

L'a... l'apéro ? Oh non !!! ca allait leur ouvrir l'appétit ça ! Non, pitié !
Il espérait, en se disant qu'il était trop chétif et trop maigrelet pour servir de plat principal... un dessert alors ?
Oh merde oui, il ferait un dessert parfait !

Ok... plus le temps passait, plus Grumpy était en panique... c'était un clown, maintenant il en était sûr ! Non mais regardez-moi ces peintures de guerre, ces cheveux, ce maquillage ! TOUT !
Elle allait le bouffer et Melody serait contente.
Maudite cheffe. Gentille hein ? NON, elle n'était pas gentille ! C'était un masque, elle voulait sa mort et voilà, il allait mourir !

Alors qu'il partait dans son délire, et fermait déjà les yeux en attendant que des crocs lui mordent la chair, il entendit soudain un craquement, plus loin.
Il rouvrit les yeux – se rendant compte au passage qu'il les avait fermés – et fixa la jeune fille/clown, lâchant d'une voix blanche.

« T... t'as entendu ? »
Ah le doux son de l'élément perturbateur...
Préparez-vous à courir.

C'était trop drôle.
Reaper adorait effrayer les mioches, et surtout les plus impressionnables. En plus, elle pouvait avoir l'air plus imposante, plus sérieuse, plus... elle s'amusait, quoi. Reaper était encore une sale gosse qui préférait prendre un champ de mines pour un stade sur lequel il fallait faire la course.
Et là, un imprévu.

« T... t'as entendu ? »

Elle avait entendu, oui. Mais si Grumpy semblait se ranger du côté de la pétoche, la Mexicaine ne savait pas encore vers quelle humeur elle devait se tourner. Si ça se trouve, c'était un autre mioche. Quelqu'un d'un peu plus vieux ou plus jeune qu'elle. La grosse soirée où tout le monde s'est dit que ce serait énorme de risquer sa vie là où des monstres surgiraient pour te dévorer tout cru.

Reaper fixa l'horizon, les carcasses de manèges, ceux qui fonctionnaient encore, le décor lugubre... Et de celui-ci s'en extirpa un clown.
Un vrai clown. Ceux dont ils parlaient à l'instant.
Et il était terrifiant. Dans l'imaginaire collectif et l'idée générale des habitants de l'île, il faisait quand même peur. Grumpy allait sûrement se pisser dessus.
Reaper trouvait ça...

- Génial.

Et ce n'était même pas ironique. Ça va, ça faisait qu'un seul clown ! Ils étaient deux ! Et le lieu était vaste ! La chair de poule du danger, l'adrénaline, l'excitation ! Tout était là, dans la tronche de cet horrible clown qui les avait entendu et qui répondait par un gargouillement d'estomac vide !
Le clown grogna avec un arrière-goût de gros rhume dégueulasse même pas soigné coincé dans la gorge. Reaper le trouvait dégoûtant, mais en même temps, c'était le charme d'un mort-vivant aux allures de clowns. Peut-être que les clowns n'étaient pas tous les mêmes, pas tous des zombies moches.

Mais lui, en tout cas, avait une tête de zombie bien maquillé. Il râlait, mais il ne traînait pas la patte. Super, il allait falloir courir.

- Trop dément ! Regarde, il est trop moche ! HÉ !

Elle agita les bras, faisant des mouvements amples pour se faire remarqué. Bien sûr, elle criait pour ajouter du peps à sa prestation.

- PAR-ICI ! VIENS LA ! T'ES TROP MOCHE, VIENS M'BOUFFER ! VIENS NOUS BOUFFER !

HRP:

Déjà complètement paniqué, Grumpy prit le temps de respirer longuement par le nez, pour juguler la panique.
Si vous vouliez tout savoir, et bien sachez que ça ne marchait pas du tout.
Il se répétait en boucle : « ça va aller, ce n'est que ton imagination. Ça va aller, ce n'est que ton imagination. Ça va aller ce n'est que... OH PUTAIN NON Y'A UN VRAI CLOWN ».

Ça y est... il allait pleurer... c'était reparti. Les larmes s'accumulaient et lui brûlaient les canaux lacrymaux.
Le bruit atroce produit par cette horreur, lui tirerait sans doute des cauchemars pour un moment.
S'il s'en sortait, bien sûr, ce qui n'était vraiment pas gagné.

Mais c'était quoi son soucis à elle ? On lui avait oublié un instinct de survie ? Rien n'était drôle, RIEN, et encore moins excitant... pas à l'extérieur de l'arbre, en tout cas.

Désormais les genoux de l'artisan s'entrechoquaient, faisant un petit bruit d'osselets. Ou alors était-ce ses dents, qui offraient un petit air de percussions ?

Les cris de l'autre espèce de folle eurent le mérite d'attirer l'attention du bonhomme, et Grumpy songea bien vite à prendre les jambes à son coup, laissant là cette malheureuse à l'esprit trop faible. Il n'était pas réputé pour sa solidarité, et n'hésitait jamais à abandonner quelqu'un, si ça lui permettait de sauver sa peau.

Alors qu'il commençait à filer comme un lapin, il freina tout à coup, ses yeux s'aggrandissant comme deux énormes soucoupes.
Il recula, lentement, et agrippa la manche de la fille, pour tirer.

Il n'y avait pas un, mais deux clowns.
Ah... non...
Trois.
Quatre.
Cinq... cinq cown qui avançaient, en essayant de les cerner. Ils étaient tous plus effrayant les uns que les autres, le pas beaucoup trop vif, leurs gants sales tendis vers l'avant. L'un des monstres laissait pendre son globe oculaire, tandis qu'un autre se passait la langue sous la paupière.
Grumpy sentit la bile lui remonter dans la gorge mais il parvint à serrer les lèvres, pour ravaler sa nausée – et l'horrible suc de son estomac.

Il tourna la tête de tous les côtés, mais les espaces de fuite se réduisaient dangereusement, tandis que les horreurs progressaient.

«  Et maintenant ? Toujours contente ? s'agaça Grumpy. »

Comme il ne voulait pas mourir, il passa son petit sac sur son ventre, et se mit à fouiller frénétiquement, à la recherche d'un objet utile.
Il espérait cependant que l'autre fille avait une idée plus pertinente qu'une recherche desespérée dans un tissu bordélique.

- HÉ, TU VAS OÙ ? cria-t-elle à l'attention du Perdu qui quittait la fête trop tôt.

Elle aurait trouvé ça pourtant tellement plus marrant de détaler comme des lapins avec lui ! L'adrénaline de la fuite couplée à la frayeur du gamin, ça l'aurait bien fait rire ! Mais alors qu'elle le suivait du regard, ses yeux rencontrèrent ceux d'autres clowns qui se trouvaient à à peu près tous les points cardinaux possibles. Les voilà encerclés, et Reaper, proclamée gardienne de Grumpy qui lui revenait dans les jupes.

Voir les clowns jouer avec leur anatomie était à la fois fascinant et carrément dégueu'. Mais c'était le genre de spectacles gores qui plaisait à l'oeil attentif de la Mexicaine. Elle était venue pour des sensations fortes, et elle était loin d'être déçue. L'horreur de la situation grandissait en même temps que son sourire s'excitait.

« Et maintenant ? Toujours contente ? »

- Franchement... ? répondit-elle d'abord en observant le cercle horrible. Grave.

Loin d'être ironique, Reaper regarda les horreurs s'avancer et resserrer leur étau alors que, très clairement, Grumpy avait meilleure idée qu'elle à chercher quelque chose d'utile dans ses affaires. Mais l'aspiration au danger de Reaper ne signifiait pas qu'elle avait hâte de mourir pour autant. Frôler cette dernière, le risque suprême à son paroxysme, c'était pour elle toute la beauté de certaines parties de l'île comme celle-ci : fallait courir. Fallait courir, et au pire des cas, carrément passer à l'offensive (la défensive, plutôt. La défensive).

- T'es prêt à faire caca dans ta culotte ? demanda-t-elle en riant.

Tout de même, Reaper lui attrapa la main. La sienne était forte, déterminée, signe évident de son amusement. La Garçonne prenait clairement le souci comme un jeu ; et Grumpy, s'il voulait vivre, allait devoir suivre son rythme. De ce fait, la poigne de Reaper était forte.

- On va trop s'marrer, tu vas voir ! T'es prêt ? Un... deux...

Elle tira la langue à un clown qui lui faisait face à quelques mètres. Si Grumpy sentait son cœur bondir plus vite par envie de vivre, elle ne le laissait pas s'échapper trop tôt – une course, ça se fait pas seul.

- TROIS !

Et le tirant comme un relais au 500 mètres, Reaper les obligea à courir pour passer entre deux mochetés.

Grave ? Grave ? Mais elle était folle ma parole ! À quel moment décidait-on que se faire attaquer par une tripotée de clowns tueurs était quelque chose d'excitant ? Ils allaient mourir ! Ils allaient mourir déchiquetés, digérés et probablement déféqués par ces horreurs qui leur filerait des cauchemars jusqu'à la fin de leurs souvenirs - s'ils survivaient.

À faire caca dans... Flûte, de quoi parlait-elle ? Elle avait croisé Her qui lui avait révélé LE secret ? Il ne faisait jamais caca dans sa culotte enfin ! Déjà parce qu'il n'en avait qu'une et que du coup c'etait pénible de laver tout le temps, et en plus... Voilà quoi ! C'etait un grand garçon !

Il allait faire étalage de tout son immense égo de représentant mâle mineur, lorsque la fille lui prit la main.
Elle était toute chaude dans la sienne - glacée - et lui fit remonter au nez des effluves vagues de charbon et de cheveux gras. Son coeur se sentit bizarre et une bouffée de tristesse et de solitude lui embrouilla l'esprit.
Il avait envie d'un câlin.
Il avait envie d'une voix douce pour chanter dans son oreille et chasser les peurs.

Grumpy fût tiré de sa cage émotionnel par le départ flamboyant de sa partenaire, et il se mit à courir. À courir vite pour la suivre, à souffler comme un dératé, mené vers l'avant par cette main qui le guidait.
Mais, bientôt, ses poumons se firent plus sifflants, l'oxygène passait mal, rendant le monde flou et ses jambes dures.
Et les monstres s'approchaient en grognant, leurs visages déformés, leurs sourires dégoûtants, et les mains tendues vers l'avant pour saisir les chairs et la savourer.

Alors qu'il commençait à voir des lucioles noires devant les yeux, un clown - pas le plus moche mais pas le plus beau non plus - parvint à se jeter sur eux au point de les faire tomber au sol. Grumpy tomba d'abord, s'aggripant avec désespoir à Reaper et l'entrainant à sa suite.

Voilà... Ils étaient morts... Adieu la vie, on t'aimait bien.
Remarquez la passivité du bonhomme, on ne compterait pas sur lui pour jouer les héros.