Non je veux pas !

Capucin te lorgne avec ses grands yeux. Ils sont un peu cachés par ses grosses mèches sales mais tu les vois briller quand même, ils sont ronds.

— Toi aussi tu te bats pas, et tu es fort pourtant. Moi je suis même pas fort, mais je veux pas être fort ! Je veux pas m'entraîner. 'Préfère danser, chanter, courir dans la jungle avec toi.

C'est vrai, c'est un peu compliqué pour lui. On peut être fort sans se battre ? Qu'est-ce que veut dire "être fort" ? C'est vrai, c'est vrai, tu l'embrouilles un peu, Colibri. Mais quand tu parles de danser, chanter, courire dans la jungle avec lui, il comprend. Alors, il sourit, de son sourire tordu mais vrai.

Capucin regarde son frère décrisper ses doigts et les retirer de sa chair. La douceur de son geste lui fait du bien, même s'il ne comprend pas pourquoi. Une petite confusion plisse ses sourcils. Son corps remue toujours sous l'air qui enfle et désenfle ses poumons.

— On peut aller manger, jouer, plonger. On peut...

PAN !
PAN PAN PAN !!


Il s'était décrispé, il se recrispe aussitôt. Ses doigts étaient presque tendres sur la peau de Colibri. Ils se resserrent fort, fort à lui en faire blanchir l'épiderme, l'intérieur de l'épiderme, Colibri aura une marque.
Le choc, la peur, la PANIQUE envahit son regard. Votre regard. Vous vous accrochez l'un à l'autre, par la main, par les yeux, vous savez que sinon, vous tomberez. Toujours fort, Capucin Farouche ? Est-ce qu'il y a des entrainements qui font qu'on a pas peur quand on entend ça ? Le coeur de Capucin bat plus vite et plus puissant que les tambours de guerre.

Alors la Bestiole reçoit toutes les images, son monde chavire un peu.
D'abord le rouge de tes joues qui monte.
Le Scarabautour qui passe comme une flèche entre vous et vous sépare ! Qui arrache Capucin à son frère, et ses ongles le griffent au passage. Oui, c'est sûr, tu auras une marque Colibri.
Les cris en bas, la poussière, le sang qu'on devine, mais Capucin ne regarde pas.

Alors, alors Capucin se met à pleurer. Pas comme les humains, il sait pas faire. Il pleure comme un petit chien, comme un petit loup. Il se replie sur lui-même, les jambes sur le corps, les bras contre le corps, la tête baissée, les yeux dans tous les sens. Il fait des petits bruits : kaï, kaï, kaï...

Il n'est pas fort, Capucin.
Il a peur.
Il a PEUR.

Le contact de Colibri lui hérisse le poil, lui brûle la peau. C'est presque une douleur.
Et Capucin Farouche ne le repousse pas. Il sait que maintenant, c'est lui qui tombera, lui tout seul, de tout en haut du monde, si la peau de Colibri se détache de la sienne. Il voudrait se fondre dans lui. Il aurait préféré avoir l'essence de Colibri aujourd'hui.

Son frère d'âme fait quelque chose d'étrange, que Capucin ne comprend pas, et d'ailleurs il ne comprend pas davantage le baume invisible qui se dépose sur son coeur quand il le fait, l'enroule comme les linges dans lesquelles les sqaws enveloppent leurs bébés. Colibri le berce. Capucin se resserre un peu plus sur lui-même, pour laisser plus de place aux petits bras de Colibri qui, même petits, arrivent à l'encercler entièrement. Colibri le berce.

Des larmes coulent des yeux de Capucin qui n'y comprend vraiment, vraiment plus rien. Il voit l'eau tomber en cascade de ses yeux dorés, faire des taches sur le sol, diluer la boue sèche sur sa peau. Il touche ses yeux, il ne comprend rien, et il se rend compte qu'il tremble aussi, il tremble comme une feuille dans la tempête.
Il n'a pas honte, même si ça ne fait pas guerrier, pas fort, pas homme. Il n'a pas honte puisque Colibri le protège de tout, même de ça.

Alors que l'Anguille le soulève doucement, très doucement, Capucin regarde toujours ses doigts mouillés de grosses larmes. Si Colibri n'était pas là, il hurlerait comme un loup blessé.

— Frère, ça va mon frère. On rentre. C'est pas ici, chez nous.

Capucin le regarde lui, à présent. Il voit comme Colibri brille et cligne des yeux quelques fois.
Puis il sourit, de son sourire tordu, car il ne sait pas très bien faire.

— Pas ici, chez nous.


Alors ils se retournent et marchent, face à la Jungle qui les appelle, leur ouvre grand les bras comme une mère appelle ses enfants partis trop longtemps. Ils marchent, ils courent, ils bondissent, ils respirent et vivent, plus fort que tout.