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HJ:

Une partie de lui espérait que la fée ne reviendrait pas, qu'elle se laisserait emporter par d'autres émotions et que sa colère s'envolerait aussi vite qu'elle. Les fées étaient connues pour leur sautes d'humeur. C'était de toutes petites créatures qui ne pouvaient ressentir qu'une seule émotion à la fois. Mais elles la ressentaient comme elles vivaient : intensément. Sharpy était presque jaloux. Et l'autre partie de lui avait envie que la fée revienne, même si c'était pour leur crier dessus. Il y avait quelque chose de très fascinant à observer des émotions si fortes dans de si petits corps.

Plum n'avait pas tort, ce serait classe que chaque chef ait une fée.

Mais alors ils seraient sans cesse entourés de ces émotions-là, qui étaient magiques et certainement moins puissantes que celles des hommes, même des petits hommes qu'étaient les Garçons Perdus. Sharpy n'était pas sûr d'assumer la faiblesse de ses propres émotions en comparaison.

"Hum... en fait..."

Il était content que Plum accepte de lui répondre, parce qu'il n'avait jamais posé cette question à personne. C'était un tout petit peu embarrassant, il avait peur que ça casse son image de grand chef brave et loyal aussi, mais il se disait que Plum ne se moquerait probablement pas de lui. Il la connaissait peu mais elle n'avait pas l'air encline au jugement facile. Peut-être qu'elle croyait trop vite les gens, ça oui. Il avait bien vu comme elle était lancée dans leur mensonge comme si c'était une grande vérité de la vie, alors que tout ce que Sharpy avait fait jusque là c'était de mener la fée en bateau. En parlant de bateau...

"Je me demandais... Tu es arrivée sur l'île en volant avec Peter, pas vrai ?" Il marqua une petite pause pour lui laisser le temps de réfléchir, parce qu'il ne savait pas depuis combien de temps Plum était là, déjà, et si elle s'en souvenait. Il ne pensait pas que c'était quelque chose que l'on pouvait oublier, mais il n'en était pas sûr. "C'est comment ? De voler ?"

Il se demandait si on se sentait emporté comme quand le vent poussait un navire vers l'avant et si on ne le prenait pas trop dans la figure ; si la joie qu'on ressentait pour s'envoler était présente tout du long et si elle grossissait à mesure qu'on quittait le sol ; s'il était dur de se guider ou si on ne pesait pas plus lourd qu'une Plume, si on ne risquait pas d'attraper froid en traversant un nuage et si on pouvait se perdre dans le ciel comme on se perdait en mer.
Assurément, les émotions n'étaient pas la seule chose que Sharpy enviait aux fées.

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- Hum... en fait..

Plum écoutait, pendue aux lèvres du bel armurier. Ses joues chauffaient par anticipation.

- Je me demandais... Tu es arrivée sur l'île en volant avec Peter, pas vrai ?
- euh... Oui.
- C'est comment ? De voler ?

Le Pudding écarquilla les yeux, surprise. La question était pour le moins incongrue. Chaque enfant, aussi délavé par l'Oubli soit sa mémoire, ne perdait jamais le souvenir de son envol avec Peter Pan. C'était une pierre angulaire de toute l'attraction opérée par le petit roi.

- C'est... Commença-t-elle en laissant son regard dériver à la surface de l'eau. Ses yeux se fermèrent. Au début, beaucoup de panique. Il y a cette main tendue, pleine d'assurance, qui vous chante la liberté. Au début on regarde ses pieds qui n'ont plus aucun sol sous eux, et qui battent frénétiquement pour retrouver la connexion avec la terre. On hurle. On s'accroche à en planter ses ongle au bras de Peter. Et puis après, il nous susurre que tout ira bien, qu'il faut ouvrir les yeux. Et puis l'on voit tout. Le monde infiniment grand et vaste , le ciel immense, sans fin, et l'infiniment petit du dessous. On caresse les nuages et on s'approche des étoiles. On se sent si léger, si parfaitement à sa place, là, dans cet espace sans limite, dans le creux de cette main. Et le sourire de Peter est contagieux. Sa puissance est communicative. On se croit invincible ! Et le coeur explose, des millions d'étincelles éclatent dans le ventre et partout. Elle ouvrit les yeux et attrapa l'avant bras de Sharpy, le visage transcendé par un bonheur extatique qui la rendait belle. Rayonnante. Et on rit, on rit à gorge déployée, on rit sans s'arrêter ! On est heureux !

Ses yeux s'ouvrirent, son expression commença à fondre, gagnée par la mélancolie.

-... tellement heureux...

Le songe s'estompa, vaporeusement. Elle redevint la petite fille terne et grise, adipeuse et complexée dans une veste trop grande pour elle. Elle brisa le contact, gênée.

- ... Que plus rien ne sera pareil. on ne vit alors que pour cela, pour l'espoir qu'un jour Peter Pan nous choisisse à nouveau pour voler à ses cotés.

Elle le regarde avec une inifini tristesse.

- Mais ça n'arrivera plus.

Plum déglutit. Un silence glaciale les envellopa.

- Vous n'avez jamais volé, Mr Sharpy ?

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HJ:

Plum ferma les yeux, probablement pour invoquer le souvenir de son arrivée sur l'île, et Sharpy guetta sa réaction. Au fur et à mesure qu'elle parlait, son visage s'éclaira et celui de Sharpy se détendit lui aussi. Il en vint à sourire quand elle parla de celui de Peter, et ce sourire s'élargit quand elle s'accrocha à lui : il voulait bien la croire. En cet instant la joie de Plum était si contagieuse et ses mots si forts que Sharpy pouvait presque se sentir voler lui aussi. Ses mots réveillaient quelque chose en lui, l'écho d'un sentiment enfoui, qu'il ne pensait pas associer un jour au souvenir d'une autre personne que lui. Mais Plum s'éteignit et le souvenir de Sharpy s'échappa avant qu'il ait pu poser le doigt dessus. Son sourire s'évapora lui aussi pour laisser place à une expression plus grave. Peter avait le pouvoir d'insuffler des émotions de joies intenses à ses enfants, de les inciter aux jeux, aux rires et à la guerre, et de leur retirer ensuite tout cela comme si rien n'avait jamais existé. Les émotions des Garçons Perdus se calquaient inconsciemment sur celles éphémères du roi, pas si différentes de celles des fées au fond. Sharpy se laissa entraîner dans le silence de Plum comme un trou sombre et glacial. Il baissa les yeux et frissonna, mais ce n'était pas de froid. Etait-il juste d'avoir autant d'influence sur d'autres que soi ? L'île elle-même dépendant des émotions de Peter Pan.

"Non, je ne suis pas arrivé avec Peter."

Sharpy hésita à raconter la suite. Il lui était tellement naturel d'évoluer parmi les Garçons Perdus que lui-même oubliait souvent qu'il n'avait pas toujours été des leurs. Ses camarades eux-mêmes en faisaient abstraction, à part quelques rares exceptions comme Freckles, qui n'aimait pas du tout les pirates. Sharpy se demandait si Plum lui en voudrait de lui dire la vérité. Mais puisqu'elle lui avait révélé une partie d'elle, il était juste qu'il fasse de même :

"Je suis venu avec Hook, sur le Jolly Roger, il y a très longtemps." Il disait ça sur un ton sérieux mais qui se voulait détaché. Ce n'était pas comme s'il éprouvait encore quelque émotion à ce souvenir. Cela faisait trop longtemps à présent, Sharpy ne retenait que les faits. L'Oubli étant ce qu'il était, c'était déjà beaucoup pour lui. Il avait effectivement passé beaucoup, beaucoup de temps depuis ce jour-là. "Mais je commence à me demander si c'était une si mauvaise chose", ajouta-t-il sur un autre ton, un peu plus dur.

L'attraction que décrivait Plum était tellement forte, il comprenait à présent quel pouvoir cela donnait à Peter, sur tous ses enfants, parce qu'à part lui, ils étaient tous arrivés en volant. Et Peter leur refuserait toujours ce privilège qu'il ne gardait que pour lui ici. C'était cruel. Mais ça faisait partie de la fascination et de l'envoûtement qu'exerçait le petit roi sur ses sujets. Si Peter avait été adulte, Sharpy aurait osé parler de manipulation. Mais ce n'était pas conscient. Il en était certain. Le roi ne faisait pas exprès de donner un tel espoir à ses enfants sans se soucier du mal qu'il leur faisait en le leur retirant à tout jamais. Si voler exigeait de ressentir la joie, clouer ses pieds au sol devait relever d'une grande tristesse. Sharpy réalisa ce qu'il était en train de penser et de dire et recula :

"Désolé, je ne devrais pas parler comme ça. Vous avez de la chance d'avoir pu voler, tous, même si ce n'était qu'une fois."

Il se voulait rassurant mais sentait que ses paroles manquaient de réconfort. Cependant, il ne pouvait pas dire ouvertement que Peter était cruel. Ce n'était pas un secret. C'était juste quelque chose qui ne se disait pas. On préférait se concentrer sur le positif. Ce n'était pas de sa faute, pensait Sharpy. Peter n'était qu'un enfant. Et rayon cruauté, il en savait quelque chose.

"On, euh... On ferait mieux de rentrer, non ? Avant que la fée ne revienne", proposa-t-il, soudain très mal à l'aise. "Tu peux garder ma veste si tu as encore froid. Tu me la rapporteras demain."

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Le silence pesa lourdement entre les deux enfants, tel une ancre les clouant définitivement au sol. L'image ne pouvait être plus vraie. Terriblement vraie.

-Non, je ne suis pas arrivé avec Peter. Je suis venu avec Hook, sur le Jolly Roger, il y a très longtemps.

Estomaquée par l'abrupte révélation, Plum ouvrit la bouche sans parvenir à la refermer. Ses grand yeux myopes, magnifiés par l'épaisseur du verre, restaient braqués dans une surprise de funambule, hésitant entre l'incrédulité et la déception. Son prince, son chevaleresque Mr. Sharpy, un pirate.... Cela lui parut incongru, grotesque, inconcevable. Impardonnable, peut-être ?
Pourtant, elle sut saisir une vérité qui ne lui apparaîtrait que bien plus tard : Tout le monde pouvait changer, on ne naissait pas tout fait, on se déterminait par ses choix. Le temps lui rappellerait les paroles du chef armurier au moment voulu.

- Mais je commence à me demander si c'était une si mauvaise chose...

Une pierre lui tomba sur le coeur et roula dans les bas fonds de son estomac. La fillette ne parvint pas à saisir l'ampleur et la gravité de ces palabres, pourtant ils lui paraissaient sonner comme d'effroyables gros mots. Instinctivement. Quelque chose grésilla entre ses côtes, elle eut subitement envie de pleurer mais garda son sanglot dans le chaud de sa gorge.

- Désolé, je ne devrais pas parler comme ça. Vous avez de la chance d'avoir pu voler, tous, même si ce n'était qu'une fois. On, euh... On ferait mieux de rentrer, non ? Avant que la fée ne revienne. Tu peux garder ma veste si tu as encore froid. Tu me la rapporteras demain.

Muette, le Pudding glissa sa main potelée dans celle de Sharpy. Sur le moment, elle ne prit pas conscience de sa propre audace, elle se dit simplement qu'il le fallait. Que c'était important de manifester quelque chose de bon, de bien.
De rassurant.

- On vole pas, dit-elle d'une petite voix pétrie de pugnacité. Mais on peut toujours sauter très haut. N'est-ce pas ?

HRP:

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HJ:

Le silence s'intensifia après la révélation de Sharpy, entre deux paroles, c'était à présent comme si deux poids maintenaient ses pieds au fond du trou. Mais ceux-ci n'étaient pas le fait de Pan, c'était son fardeau à lui, à Sharpy. C'était peut-être plus difficile à assumer, mais aussi plus facile à oublier. L'Armurier soutint le regard grave de Plum. Il était sensible à son malaise, il le partageait, mais il ne regrettait pas de lui avoir dit la vérité. S'il avait été un peu plus conscient de la fascination qu'il exerçait sur elle, il aurait peut-être réalisé que c'était un moindre mal. Comme un enfant réalise à un certain âge que ses parents n'ont pas la science infuse ou que les princes charmants n'existent que dans les contes. Mais sur l'île, on grandissait plus brutalement que cela.

Plum prit sa main dans la sienne et Sharpy la serra inconsciemment. La fermeté de la petite Chasseuse le surprit et il hocha lentement la tête, très sérieux lui aussi.

"Vrai. Quand on a les pieds collés au sol, il n'y a qu'une direction à prendre."

Sharpy leva le nez au ciel. Après tout si les trous de silence n'existaient que dans la tête, on ne pouvait pas aller plus bas. Il fallait monter, monter, même si on ne pouvait pas voler. L'ascension serait plus lente, plus rude, mais probablement plus gratifiante aussi. C'était, ici, la seule façon qu'avaient les enfants de grandir.

✘ AVENTURES : 2537

The End

Si voler est un luxe, penser est un danger,
Qui mène soit à grandir soit à réaliser,
Peter ignore d'ailleurs que c'est grâce à cela,
Que son précieux Sharpy, en fait, est encore là,
Car si ce dernier ne prenait pas tant le temps,
De comprendre comment marche le petit tyran,
Sa douleur serait telle qu'elle serait devenue rage,
Et que même Pan ne toucherait plus les nuages.

FIN DE L'AVENTURE

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