Witch était partie avant l'aube, à ce moment où le soleil ne brûle pas trop la peau et où le ciel se pare de belles couleurs pourpres. Elle était partie, selon les nouvelles consignes instaurées par la réunion au Grand Arbre, accompagnées par d'autres Livreurs, mais également des Éclaireurs, des Armuriers, tout un petit monde qui étaient censé la protéger elle et ses pairs d'attaques d'animaux affamés et autres évanouissements causés par la chaleur. Alors elle était partie toute contente, la Witch, souriante et jubilante au milieu des grands garçons, comme une starlette accompagnée de ses gardes du corps.

Et au retour.

Elle se traîne sur ses pieds, moins souriante, carrément moins jubilante. La Robe Noire transpire, car le soleil tape plus fort que jamais dans le ciel de Neverland, bien plus qu'au moment de son départ.

Elle n'avait pris qu'un seul seau avec elle, car, toute joyeuse qu'elle était, elle savait néanmoins qu'elle ne reviendrait pas avec grand chose. Pessimiste ? Non, réaliste, qu'elle rétorque.
Que ce mot sonnait faux sur l'Île.

Enfin. Witch était revenue exténuée, la peau cramée, le Dumbledore tout fatigué. La maigre ration d'eau qu'elle avait pu soutirer des dernières sources remuait dans le fond de son seau, qui pendait lui-même sur le manche de son balai qu'elle tenait en équilibre sur ses épaules.
Qu'il pesait lourd sur son corps épuisé, comme si elle portait mille seaux remplis. Vivement l'ombre de la Citerne, la coupelle d'eau qui l'attendait - dire que Dumbledore avait droit à du lait, lui. C'est cette pensée qui la força à continuer, elle dont les muscles étaient engourdis par l'effort et dont le corps peinait à avancer.

Autour d'elle, la petite chansonnette qu'entonnait les Livreurs à chaque voyage avait disparue, remplacée par un silence étouffant entrecoupé de bruits de respiration. L'atmosphère était tendue, palpable, à couper au couteau et pleins d'autres expressions imagées. Witch, proche de la tête de file, tenait le cap. Les racines du Grand Arbre se profilaient et si, auparavant, des cris d'enfants se seraient volontiers fait entendre, c'est le même silence, le même mutisme contraint qui affecte les enfants restés là-bas.

D'un revers de manche, la sorcière essuie la pellicule de sueur qui recouvre son front avant de poser un pied sur le territoire des Garçons Perdus.

Soupir. Profond, heureux, soulagé, un de ces soupirs qui vient du cœur. Elle attrape son balai dans une main, son seau dans l'autre. Dumbledore aurait bien aimé grimper sur ses épaules mais, compréhensif, il reste à ses pieds et s'étend langoureusement sur le sol.

Sa maîtresse avance de quelques pas, toute triomphante malgré la fatigue qui l'accable toujours. Un poids s'était enlevé de ses épaules -non, ce n'était pas le balai-. C'était déjà un succès en soi d'être revenue sans blessures, car tous les livreurs ne pouvaient pas en dire autant: morsures d'animaux, sables mouvants, insolations et autres joyeusetés. Elle, à part les inévitables coups de soleil, s'en était plutôt bien sortie.

... Grâce à ses pouvoirs cachés, sans doute !

 
   

▬ WITCH.

       C'est fort, ça résonne, ça la fait relever la tête brusquement en même temps que les autres tout autour.
Cette voix toute enjouée, cette silhouette tourbillonnante qui se pose juste en face d'elle, frémissante d'excitation.

▬ Peter Pan, qu'elle souffle, toute stoïque et impassible , comme insensible à l'emportement de l'Enfant-Roi.
Comme une vieille habitude.

  La sorcière se redresse un peu, resserre son ruban et s'essuie rapidement le coin de la bouche; un vieux réflexe que d'être toujours un minimum présentable, même en ce moment. Surtout en ce moment, en fait. Elle devait faire plus attention, déjà qu'elle ne devait pas avoir fier allure avec son visage érubescent et son pauvre seau. Le sang affluait dans ses tempes et partout sur sa face, à tel point qu'elle pouvait entendre les battements du cœur à l'intérieur de son crâne. Peter aussi avait la peau rougie par le soleil - à moins que ce ne soit le soleil qui ait sa surface rougie par l'excitation de Peter. Mais lui il était plutôt très bronzé, presque orange, lui sa peau n'était pas brûlée par le jour et il ne souffrait pas à cause de la chaleur, en témoignait cet immense sourire qui fendait ses lèvres en deux. Witch, qui ne l'avait qu'aperçut depuis le début de la canicule, le trouvait méconnaissable.

▬ Veux-tu voir quelque chose d'intéressant ? Un de mes pouvoirs magiques, reprend-il, l'air toujours aussi survolté. C'est tout là-haut, dans la Montagne. Veux-tu, Witch, veux-tu ?

▬ Dans la Montagne... qu'elle répète, l'air songeur, comme pour se rendre compte de ce que Peter lui proposait.

Elle n'était pas vraiment surprise, pas du tout, même. Après tout, elle, rien ne la surprenait. L'Enfant-Roi aurait pu arriver vers elle en habit d'indien pour lui proposer de faire une danse de la pluie avec lui, elle se serait contenté de plisser les yeux en levant un sourcil.
Il lui en fallait bien plus, à elle.

▬ Je ne peux pas te le refuser de toute façon, si ? un petit sourire, un peu gentil, un peu supérieur.

Elle se laisse prendre le seau des mains, ne prêtant pas attention au gamin et aux paroles que Peter lui adressaient. Elle en avait des questions, quel pouvoir, pourquoi la Montagne ? Son regard se voilà un peu à cette pensée, comme grisé de plaisir; la Montagne. Peut-être le dernier endroit à Neverland où il fasse encore frais. D'incontrôlables frissons parcoururent le dos de Witch, ses mains tremblaient sans qu'elle puisse y faire quoi que ce soit. Même elle et son mental d'acier n'échappaient pas aux vices de la canicule.

▬ Allons-y, souffle la sorcière en tendant la main.

Son air rêveur s'estompe un peu au profit d'une moue boudeuse, en pensant à la possibilité d'y aller en balai volant. Ce qu'elle aurait aimé.

Mais la bonne humeur du Roi est contagieuse, alors elle se remet à sourire, un peu aussi par le fait de sa destination.

Quelque chose lui disait que la Montagne, en ces temps de chaleur, n'était pas un lieu anodin.

Quelque chose qui s'appelait Peter Pan.

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