Parfois, le ranch se débrouillait pour rejoindre les camps et faire quelques échanges. Et à ces moments, il arrivait qu'Annabelle les suivent. Elle aidait à porter les plus petites choses, certes, mais elle aidait et essayait de ne pas trop être dans les pattes des plus robustes. Elle ne faisait que céder à l'envie de voir un peu plus de paysage... Elle avait déjà profité de rencontrer son correspondant à l'Ossuraire, et là elle ressentait un besoin de faire savoir sa reconnaissance. Donc, à nouveau, la voilà dans la petite troupe de "marchands". Comme les marchands à Dylath-Leen, cette pensée la fit sourire. Levant les yeux au ciel, elle imaginait les habitants de la lune... Les créatures ignobles, les chats pouvant bondir jusqu'au satellite depuis les toits sur terre...

Tout du long, elle avait chantonné. Juste une berceuse destinée à ceux juste derrière le voile, à ceux qui l'effleuraient de leurs museaux sans formes. Posant doucement ce qui lui avait été chargé d'apporter, la fille de joie se redressa en remettant les plis de son grand manteau blanc en place. Observant les tipis, sous les regards des braves qui les surveillaient tout de même, Annabelle ressentit comme quelque chose qu'elle devait absolument rejoindre. Qu'il fallait absolument qu'elle aille bercer.

Cependant, c'était bien trop étrange, et surtout elle ne savait pas ce qu'elle cherchait... Son esprit se tourna alors sur la raison première de sa venue.

Retrouver le chaman qui avait daigné laisser la porte entre-ouverte à créature née d'Amnesia.

La Dormeuse chercha donc le tipi de Boa Nocturne, en le décrivant on lui avait donné ce nom et indiqué la bonne direction. Des informations remerciées d'une petite révérence, pour ce qu'elle valait d'une fille de joie, parmi les enfants perdus elle se fondait encore assez bien sous ses larges vêtements.

Devant l'entrée, elle s'arrêta et fit entendre la voix brisée par la citée engloutie.

- Boa Nocturne ? Puis-je entrer ?

Des grognements de créatures lui détournèrent le regard du tipi pour l'emporter plus loin. Des échos, le fameux cocon où se trouvait Peter n'était pas loin... Est-ce qu'il entendrait ses histoires même en sommeil ? Annabelle ferma les yeux furieusement pour se tourner vers sa quête d'origine, l'Île se portait si mal... il ne fallait pas fatiguer l'enfant-roi. Et elle voulait absolument remercier ceux qui accordaient, ou avaient, un minimum d'importance à sa voix.

Les Ghasts grattaient la terre... Annabelle les entendaient.

L'homme qui se présentait, était bel et bien Boa Nocturne. Impossible de se tromper, elle le reconnaissait toute petite fille de joie. Elle se sentait plus courte encore qu'en temps normal, mais rien de bien grave puisque cela permettait de ne pas trop attirer le regard. Elle se fondait dans le paysage, non ?

L'Impassible invitait la Dormeuse à entrer, celle-ci sourit en glissant des salutations et un remerciement avant de s'avancer dans le tipi. Pendant un instant, son regard erra dans les alentours. Comme un papillon se posant sur les objets et recoins, curieux en se trouvant dans un nouveau monde. Annabelle n'avait pas de souvenir venant des peuples Peaux-Rouges.

Quand Boa eut repris sa place, la jeune femme l'observa et ne rata pas qu'elle pouvait s'asseoir. Elle s'exécuta, prenant soin des pans de sa robe et de son manteau lorsqu'elle s'installa. Toujours en essayant de se faire toute petite, elle n'était pas à sa place mais elle voulait s'aventurer en ce camp.

- Merci à vous de bien vouloir m'écouter.

Elle passa une mèche derrière l'oreille gauche, et lorsque le geste fut achevé les pensées se concentrèrent pour trouver les mots à dire.

- Je suis Annabelle, la Dormeuse, j'étais sur le navire durant les intempéries passées...

La fille de joie avait l'impression d'être une fillette.

- Je ne sais pas si vous vous souvenez, mais je me souviens que vous avez été le seul à bien vouloir tendre l'oreille à mes mots.

C'était comme si elle espérait qu'il se souvienne, pour ne pas être un souvenir lointain. Les gens qui la prenaient en compte, réellement en compte, se comptait sur les doigts d'une main peut-être bien. Et même si ça n'apportait rien de plus, elle avait l'impression de valoir un peu plus que rien si au moins une personne entendait.

Peut-être que Cthulhu n'aurait pas eu mal, mais elle était tout de même reconnaissante que le Dormeur ait pu prendre place dans le Prêcheur.

Elle aurait juste souhaité que cette naissance soit un peu moins violente. La première avait été teintée de panique...

Le feu plus généreux réchauffait le corps refroidit par les vents glacials, et il en faisait de même pour le coeur de la fille de joie. Celle-ci y voyait un foyer rassurant, avec peut-être un écho très lointain. Si lointain qu'elle ne pourrait plus jamais s'en souvenir à présent.

Alors, le regard se perdit un instant dans les alentours du tipi, se nourrissant du paysage très inconnu que lui était ce monde-ci. La fascination facile lui était resté malgré le grandissement. Elle pourrait sûrement contempler à jamais un attrape-rêve sans s'en lasser. Y a créant un monde dans chaque alvéole de fil. Cependant, elle avait un autre monde à chérir.

Sortie de ses rêveries par la question. Elle sursaute presque, se rendant compte qu'elle laissait planer le temps du shaman.

Elle s'en trouva presque gênée, mais se raccrocha en se rassurant car l'homme se souvenait de cet épisode. Celui du tourbillon. Même si grâce à ce moment, elle avait moyen d'être proche de son "enfant", cette bataille lui avait tant déchiré le coeur... Il n'avait cicatrisé qu'au fil du rétablissement de Carne, espérant, marmonnant le Necronomicon, que Cthulhu serait là.

Annabelle se hâta de fouiller sous son manteau pour en sortir une feuille de papier décorées de d'imprimés fleuris.

- Sur le navire, vous avez été le seul à m'entendre. Il me semble bien...

En regardant bien le chaman, Annabelle pourrait y avoir sans peine un sorcier des Contrées du Rêve. Cependant, il s'agissait bel et bien d'un habitant de l'Île. D'un chaman.

- À chaque coup de canon, ma douleur était sûrement plus forte que celle ressenti par Cthulhu.

Un temps, la peine touchait encore son coeur alors que lentement les souvenirs devenaient flous.

- Personne n'a même essayé de m'écouter. Alors que vous, vous avez au moins tendu l'oreille.

Un sourire un peu timide, plus proche de celui d'une trop jeune fille que de celui d'une jeune femme.

- Depuis, j'ai voulu venir vous remercier. J'accorde de l'importance à ceux qui prennent la peine.

Elle finit par tendre son papier au chaman Boa Nocturne.

- Tenez, c'est un présent en guise de reconnaissance.

Ce carré de papier se révéla être en réalité un pliage de plusieurs feuilles noircies d'écrits. En titre, il y avait inscrit : Les Chats d'Ulthar.

Un trio de feuilles aux deux faces habillées de mots. Elle y avait mis du temps, et surtout une petite recherche. Elle voulait y mettre un récit qu'elle affectionnait et qui était faisable. À savoir : pas trop de pages à écrire.

- Je me dois d'avouer que je ne savais aucunement comment faire part de ma gratitude... j'ai fait le choix de mettre mon coeur dans quelque chose. C'est une partie de mon monde.

Annabelle avait juste oublié de se demander si les tribus lisaient l'anglais. Mais elle avait oublié bien des choses depuis bien longtemps.