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Sujet: Un Concert pour deux Reines Dim 20 Sep 2020 - 22:46

Penché sur le bureau de la salle de classe, Mephisto tenait son front entre ses mains. Il était seul face à plusieurs rangées de chaises et de tables vides : l'heure des cours était depuis longtemps passée. Plutôt que de retourner dans sa chambre ou de rejoindre la salle de répétitions, le vampire avait décidé de rester.

Cette salle lui servait d'étude lorsqu'elle était désertée par ses protégés. Et des études, Dieu savait qu'il avait à en faire. Presque aucune partition ne lui arrivait dans un état tel qu'elle pouvait être jouée sans modifications au Manoir. Il n'y avait toujours pas assez de musiciens pour donner correctement la plupart des pièces orchestrales. Parfois, il fallait adapter la difficulté de certaines sections aux interprêtes qui en avaient la charge. Tous n'étaient pas encore excellents. Ou même "suffisamment bons".

Mephistopheles eut un large soupir, puis il trempa sa plume dans l'encrier avant de noircir les portées sur quelques mesures supplémentaires. Le travail d'arrangement était en soi plaisant. Les raisons pour lesquelles le vampire l'effectuait l'étaient moins. Il lui tardait de diriger à nouveau un orchestre digne de ce nom. Son impatience se transformait en profonde désolation et, de fil en aiguille, voilà qu'il avait envie de pleurer.

Il éloigna les feuilles de papier de quelques centimètres pour être certain de ne pas laisser couler d'eau dessus, puis il continua son travail acharné. Ce jusqu'à ce que quelqu'un tape à la porte. Mephistopheles releva le nez, contrarié d'être dérangé en plein travail, mais attentif à cette interruption. Cela pouvait être n'importe qui. Il était trop tôt pour se plaindre qu'on le déconcentrait pour des broutilles.

"Je suis ici. A t-on besoin de moi ?
- Oui. Mephisto, le Comte demande à vous voir. C'est à propos de..."

Mais le pauvre messager n'eut pas le temps de finir sa phrase. Mephistopheles s'était redressé, puis il s'était élancé dans le couloir au moment même où l'identité de celui qui le demandait avait été révélée. Si son maître avait besoin de lui, alors Mephistopheles n'avait pas besoin de plus d'explications. Il se rendait immédiatement disponible.

"Je vous remercie, je vais m'y rendre de ce pas.
- Euh, d'accord. Il y a des choses à organiser à priori, concernant la musique qui passera... Demain je crois ? Voilà.
- Parfait. Merci pour ces indications."

On lui indiqua encore où il trouverait le Comte. Suite à un instant d'hésitation, Mephistopheles prit tout de même le temps de retourner dans la salle de classe et d'ouvrir un placard afin d'en sortir le classeur qui listait l'ensemble des oeuvres dont il était parvenu à se procurer les partitions, soit parce qu'elles étaient déjà ici avant qu'il n'arrive, soit parce qu'il avait réussi à les dégotter par la suite. Il s'agissait de l'ensemble des oeuvres qu'il était actuellement possible de jouer au Manoir, autrement dit.

L'heure était venue d'y aller. Il pressa le pas. Il était très rapide, et pourtant il ne courait pas. Courir dans les intérieurs aurait été très inélégant, d'autant qu'il n'était pas habillé pour ça. Lorsqu'il arriva devant la porte du salon qu'on lui avait indiqué, elle était déjà ouverte. Il frappa tout de même par principe et ne glissa que très sobrement le nez à l'intérieur. Il attendait qu'on l'autorise à rentrer.

"Vous m'avez fait mander, Seigneur ? Me voici."

Il raffermit sa prise sur le classeur pour ne pas risquer d'échapper son contenu. Les quelques larmes éparses qu'il avait eues plus tôt étaient déjà séchées.

Sujet: Re: Un Concert pour deux Reines Jeu 24 Sep 2020 - 20:46

Tout s'accordait à la venue illustre de la Reine des Fée et de la Doyenne Suprême des Sirènes. La situation désolante de l'Île menait à cette rencontre extraordinaire entre trois peuples bien différents mais unis autour d'une denrée : l'Homme. Et celui-ci se trouvait être bien peu qualitatif de par la maladie. Dracula était bien désolé de voir qu'un humain de goût comme le Capitaine Hook avait pu sombrer. Mais soit, James demeurait en sa place de bétail.

Il savait au moins tenir une fourchette. Enfin. Disons, d'une main.

Le Comte se devait d'éviter les taquineries, le sourire était bien malvenu pour le moment. Il porta donc la coupe faussement d'argent à ses lèvres sans couleur, le liquide qui s'y glissa était chaud. Fraichement volé à la gorge d'une égarée. On la maintenait encore en vie, il fallait tenir les aliments plus longtemps en ces vents givrés. Ceux-ci même qui faisaient grincer les os du Manoir, plaintes qui étouffaient les battements du coeur que Dracula entendait si souvent lors de cette triste période.

Le Ténébreux attendait happé par la danse du feu de la cheminée trônant dans ce grand salon aux lourds rideaux, les fenêtres présentaient le bal de la lueur morte du ciel sans soleil. Il patientait, jusqu'à la venue de celui dont la présence avait été demandée. Là, Dracula se permit un sourire satisfait.

- Mephisto, j'apprécie ta rapide réponse.

Sur une éternité, cela avait semblé durer autant qu'un battement de cil. Sans perdre une miette du spectacle des flammes, dont il valait mieux ne pas s'approcher d'ailleurs, le maître du domaine s'enquerrait de formuler la suite.

- Entre, nous avons à parler.

Là seulement, le vampire releva les yeux sur le professeur de musique. Une créature qui pouvait parfois se montrer bien étrange à paraître si peu avide de sang, façade poussée jusqu'aux retranchements. Cela permettait au moins de lui éviter des faux pas communs aux gloutons. Dracula, lui, ne pouvait pas passer un instant sans une goutte de sang.

- J'ai pris la décision que nos nobles invitées devront être aussi bien en présence de plats calculés, que de notes parfaitement jouées.

Un temps, après une gorgée. Les mots avaient été envoyés dans les airs avec leur manteau d'accent de l'est, il fallait après tout être un parfait hôte pour ces dames de haute renommée.

- Qu'en penses-tu, Mephisto ?

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Sujet: Re: Un Concert pour deux Reines Ven 25 Sep 2020 - 9:38

Mephistopheles salua son maître d'un mouvement de tête distingué. Il accueillait avec bonheur toute marque d'appréciation, même lorsqu'elles ne faisaient que souligner sa ponctualité. De tous temps et en toutes circonstances, le vampire avait toujours été ponctuel. Cette caractéristique était évidemment exacerbée lorsque c'était le Comte lui-même qui demandait à le rencontrer.

Il attendit que Dracula lui en donne l'ordre avant d'entrer dans la pièce. L'odeur du sang frais le frappa brutalement tandis qu'il approchait du seigneur des lieux. Mephistopheles marqua une hésitation presque imperceptible. Il avait beau être habitué à percevoir les effluves d'hémoglobine que son maître transportait en permanence dans son sillon, le musicien n'était pas inébranlable, loin de là.

La façon dont il s'abstenait de boire quotidiennement ne le rendait que plus sensible aux innombrables tentations qui l'entouraient. La soif s'alluma comme un feu de paille et subitement, sa bouche et sa gorge s'étaient changées en un désert aride, craquelant, qui ne demandait qu'à être irrigué. Il percevait la présence des crocs derrière ses lèvres, à l'intérieur desquels une douleur aigue. Il avait le besoin presque irrépressible de mordre dans quelque chose.

Une paupière du vampire tiqua et il se concentra sur le dégoût psychologique que lui inspirait le sang depuis l'épisode qu'on ne citerait pas. Le souvenir du cadavre mutilé de Stern lui permettait de trouver en lui la volonté d'aller contre sa nature, de repousser la soif, de rester fonctionnel plus longtemps. Il y avait toujours un moment où ça finissait par ne plus marcher, mais il n'en était pas là. Le dernier "incident" dont il s'était rendu l'auteur n'était pas si vieux que ça.

Son apparente impassibilité maintenue (de justesse, comme à l'habitude), Mephistopheles adopta une posture digne, respectueuse et polie. Il attendait que le Comte annonce ce qu'il voulait exactement de lui avant de se permettre plus d'initiatives ou de réactions.

On lui avait déjà plus ou moins expliqué que Dracula souhaitait offrir quelques délices musicaux aux importantes invitées qu'il devait recevoir le lendemain, ainsi Mephistopheles ne fut pas surpris d'entendre la suite.

Quant à ce qu'il en pensait, eh bien évidemment : c'était une merveilleuse idée. Il n'aurait pu en être autrement puisqu'elle venait du Seigneur du Manoir, mais cela allait encore au-delà : c'était l'une de ces idées qu'il n'avait pas à se forcer à trouver merveilleuses.

C'était souvent comme ça dès qu'il était question de musique, à moins que Dracula ne le force à suivre la piste de Schönberg, Berg et Webern, et de leur satanée atonalité.

"... Puis-je ?"

Comme à chaque fois que Dracula était dans la même pièce que lui, Mephistopheles ne se comportait plus comme un habitant du Manoir, mais plutôt comme un invité à peine toléré. C'était le point auquel le poussait l'obséquiosité à laquelle il se sentait obligé en présence de son maître vénéré. Présentement, il demandait s'il pouvait poser son classeur sur la table afin de commencer à le feuilleter.

Un cri, une plainte déchirante venue des entrailles du Manoir résonna, plus forte que les autres. Horrifié, Mephistopheles contint un grand frisson. L'émotion monta et il laissa les larmes couler sur ses joues. Au-delà de ça, il se comportait comme si rien n'était arrivé, comme s'il ne s'était même pas rendu compte que son visage avait des fuites :

"Il est tout à fait possible de monter un programme pour demain, même s'il faudrait sans doute éviter d'y intégrer de trop nombreuses partitions qui n'ont jamais, ou peu été jouées par nos musiciens. Je suppose que vous voudrez privilégier un petit ensemble, des pièces discrètes, confidentielles, qui laisseront l'espace nécessaire à la discussion."

Cela permettait un premier tri assez naturel... Certaines œuvres méritaient peut-être qu'il s'y attarde et qu'il les adapte à la situation, cela dit. Il aurait été dommage d'accueillir la Doyenne des filles de la mer sans lui donner Sirènes de Debussy, ou de ne pas offrir aux oreilles délicates de la Reine des Fées quelques extraits du Songe d'une nuit d'été de Félix Mendelssohn. Mais avant de faire toutes ces propositions...

"Avez-vous quelques préférences, Seigneur ? Y a t-il un style, ou certaines œuvres en particulier que vous souhaiteriez entendre ?"

Si Dracula lui laissait carte blanche, soit. Mephistopheles ne partait jamais de ce principe, cependant. Il attendait que toutes les contraintes soient énoncées. Ainsi, il ne construisait jamais rien qui soit incompatible aux envies ou à la volonté du Comte. Ou du moins, il réduisait les risques au maximum.

Sujet: Re: Un Concert pour deux Reines Dim 27 Sep 2020 - 20:01

Qu'il était bon d'avoir des Vampires pouvant tous témoigner de leur perfection. Tous excellaient d'une manière ou d'une autre. Sauf peut-être le côté humain... mais voyons, pourquoi les morts en auraient-ils besoin ?

De quelques pas, Dracula s'approchait de la table où il avait accordé à Mephisto d'exposer ses documents. Une griffe tapa à deux reprises la coupe, et les yeux rouges observaient le faciès de l'Epleuré. Un sourire un peu satisfait se montra discrètement. Bien, Mephistopheles resta concentré. Ne se souciant nullement du cri. Du moins, pas physiquement. Oh, la situation ne portait pas les vêtements d'un quelconque test de mauvais goût. Ce fut juste une occasion de se satisfaire de la bonne tenue de ses vampires.

Les larmes, en revanche, pouvaient parfois être déplaisantes. Cependant, elles demeuraient tolérables. Peut-être était-ce la once de désespoir qui se rappelait au Comte ? Il ne saurait lui-même pas le dire, mais il aimait les visages se parant de pareilles émotions.

Dracula observa les feuilles, écoutant les mots de l'Horreur à son service. Il inclina doucement la tête à la supposition juste, concernant les préférences pour le discret. La discussion se trouverait être en effet le centre, il ne fallait pas déranger les mots des deux dirigeantes qui seraient tout bientôt à sa table. Puis vint la demande de précision. La cruciale préférence du commanditaire. Là, les prunelles du Ténébreux se plantèrent dans celles de Mephisto. Comme si elles avaient cherché à pénétrer les idées. Il n'en fut rien, évidemment. Peut-être était-ce une forme de considération pour le professionnalisme ? Quoi qu'il en fut, Dracula quitta ce point d'intérêt pour s'adonner à l'observation de la lune. Il cherchait dans le passé. Tout semblait si lointain... Il ne lui vint que le vent glacé sur un déjeuner pris en extérieur, face à ce qui pourrait se rapporter à un genre d'oeuvre incomprise.

La musique, ne s'était présentée à lui que depuis le Domaine. Que depuis que chaque bouchée d'autre chose que du sang ne soit plus que cendre.

Ou alors, peut-être qu'il n'en avait simplement pas eu cure.

- Je ne saurais donner de nom, mais mon humeur s'orienterait volontiers à du clavecin ou des violoncelles. Je te rejoins sur la nécessité de ne pas déranger les paroles de mes invitées, nous avons à échanger des mots importants.

Les doigts de la main libre du Comte valsaient au-dessus du classeur, la musique permettait de vêtir les airs morts du Manoir. De bercer les éternels bambins et d'étouffer les battements du coeur que Dracula ait jamais aimé.

- Peut-être pourras-tu tout de même préparer quelques morceaux plus vivaces, si l'une des reines en formule la demande. Nous pourrions tout à fait prendre un... thé...

Il avait cherché ses mots pour le terme concernant la boisson, après une brève et inutile respiration le Ténébreux poursuivit sa phrase.

- ... afin de simplement profiter d'un petit concert de salon. Bien entendu modeste.

Il avait appuyé ce dernier mot. Là, les yeux avaient tout autant insisté sur le caractère opposé à l'opulence. La situation était grave, la période absolument désolante, le but demeurait de divertir mais pas non plus de détourner les yeux de leur hiver.

Un temps inexistant, puis une gorgée vint finalement ponctuer la réponse de Dracula.

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Sujet: Re: Un Concert pour deux Reines Sam 10 Oct 2020 - 19:30

Du clavecin et des violoncelles. Cela aurait pu vouloir tout et rien dire, mais parce que le premier instrument était en soi caractéristique d'une période musicale entière et parce que Mephistopheles commençait à bien connaître les goûts du maître des lieux à force de se plier à ses exigences musicales, il avait une idée relativement claire d'où cela les menait.

Il mit de côté ses idées premières. Elles ne correspondaient pas au bon répertoire. Il fallait plutôt chercher du côté de l'époque baroque et des musiques de chambre qu'elle avait produites. L'avantage serait qu'il n'aurait rien à réécrire, et qu'ils ne prenaient aucun risque : ces œuvres étaient composées pour de petits ensembles. Ses meilleurs élèves en maîtrisaient de nombreuses à la perfection, Mephistopheles leur en imposant régulièrement l'étude. A condition que les rares claviéristes en qui il avait entièrement confiance soient présents, ils pouvaient envisager quelques solo avec des œuvres telles que les suites pour clavecin de Couperin, ou encore de Rameau, lesquelles lui paraissaient à même de fournir au Maître et à ses invitées une atmosphère intime, propice à la réflexion. Si la réunion s'éternisait et qu'ils épuisaient ce qu'il avaient préparé, ce ne serait pas un problème. Mephistopheles pouvait parfaitement combler ce vide le temps qu'il le faudrait.

Il tourna les pages du classeur afin d'atteindre celles qui correspondaient à ce répertoire.

"Dans ce cas, nous sommes déjà quasiment prêts. Laissez-moi vous proposer quelques sonates de Bach et de Vivaldi justement écrites pour ces deux instruments. Nous pouvons ajouter à cela quelques solos qui devraient correspondre à vos attentes en terme d'énergie. Le répertoire de clavecin français me semble particulièrement indiqué, de même que les suites pour violoncelle seul de Jean-Sébastien Bach dont je suis très familier."

Une goutte échappa à ses joues et tomba sur le dos de sa main. Machinalement, Mephistopheles fouilla dans sa poche et en sortit un mouchoir immaculé avec lequel il tamponna son visage, qui donnait littéralement l'impression d'avoir des fuites tant ses larmes paraissaient n'être plus motivées par rien. Il arborait une expression très concentrée, parfaitement détachée de ces pleurs qui continuaient pourtant de couler à grands flots.

Son seigneur fit une remarque qui donna l'impression qu'on venait d'interrompre son chemin de pensée. Le musicien releva le nez. Ses yeux croisèrent ceux du Comte. Subitement, il laissa revenir à lui toutes les idées qu'il avait précédemment brimées. Il tourna encore les pages et revint au répertoire du XIXème siècle.

Le concert devait être modeste. Dans d'autres circonstances, faite par n'importe qui d'autre, cette réflexion aurait pu éveiller en Mephistopheles une forme d'agacement rampant. Le chef d'orchestre ne tolérait aucune faute de goût. Tout devait être continuellement parfait. Une œuvre inadaptée à la situation aurait été fondamentalement inélégante, indigne de lui autant que de la formation - même perfectible - qu'il dirigeait. Parce qu'il s'agissait du Comte Dracula, le vampire n'en prit pas ombrage et se contenta d'acquiescer, laissant entendre qu'il comprenait parfaitement cette nécessité.

Cela serait forcément modeste, de toute façon. Le jour où Mephistopheles disposerait des effectifs pour jouer la 9ème Symphonie de Beethoven n'était pas venu. Et en à peine une journée, il lui était impossible de préparer un concert de grande ampleur. Il serait question de faire honneur aux trois factions réunies. Cela serait court, méditatif, contemplatif, certainement pas dansant.

"Je pense qu'il serait à propos de donner quelques extraits du Songe d'une nuit d'été, la souveraine fée appréciera peut-être la référence. Debussy a écrit une pièce nommée Sirènes qui me paraît aussi parfaitement adaptée à la situation. Avec un arrangement ajusté à nos réalités, cela devrait correspondre au temps d'une... courte collation."

Pour lui non plus, il n'était plus si naturel de parler de nourriture. C'est qu'il n'en consommait plus vraiment. Le temps du repas était devenu synonyme de malheureux massacre. L'air troublé, Mephistopheles faisait de son mieux pour penser à la musique plutôt qu'à la coupe de sang à son goût trop proche de lui. Il cilla, mal à l'aise, et s'accrocha à un maigre fil de pensée : fallait-il se contenter de ces deux pièces où devait-il aller jusqu'au bout du concept et en sélectionner une dernière pour représenter le Manoir ? Aurait-il le temps d'écrire autant d'arrangements puis de mener les répétitions d'ici le lendemain ? Mais peut-être suffisait-il de choisir parmi les morceaux que son petit orchestre jouait déjà.

Sujet: Re: Un Concert pour deux Reines Dim 18 Oct 2020 - 20:27

La satisfaction des propositions se lisaient dans le regard du Comte. Il n'attendait pas moins de Mephisto, le musicien devait forcément savoir quoi faire. Que c'était agréable de savoir leur race capable d'exceller dans chaque domaine de qualité. Les étranges fuites d'émotions de l'Eploré, donnant assurément raison à ce surnom, pouvaient parfois agacer. Cependant, l'instant précis ici-même, cela ne dérangeait pas tant. Le Ténébreux savait apprécier les larmes, il y avait un quelque chose qui les rendaient bien à leur place en ces lieux.

Le désespoir, il fallait avouer que cela brillait si bien dans les yeux des âmes égarées. Il était déjà bien curieux de la tournure des événements très prochains, mais le vampire se tourna à nouveau sur les mots de Mephisto. Il proposait déjà de quoi habiller un concert de salon. Nommant des éléments qui seraient assortis aux Dames qui allaient ravir le Manoir de leur présence. Une attention délicate qui devrait sûrement être d'excellent goût. Il fallait choyer les invitées du Comte, et le musicien semblait l'avoir bien compris.

- Voilà des propositions qui me plaisent délicieusement, mon cher. Et, par sentiment intrigué, y aurait-il un hymne dans vos papiers pour notre noble espèce ?

Sur ces mots, il dû terminer sa coupe d'une longue traite. La soif se montrait parfois si ardente, asséchant la gorge jusqu'à donner l'impression d'étouffer dans un désert. Après un instant où Dracula dû prendre une inspiration visant plus à calmer un léger agacement. Il pensait entendre le coeur battre, mais rien ne vibrait dans ces murs. Les autres n'entendraient pas.

Reprenant calmement, le maître des vampires porta la coupe en direction d'un serviteur. Cela ne signifiait qu'une chose : plus. Le Frankenstein s'y attela évidemment.

- Mephisto, en voulez-vous ? Votre peu de goût en cette matière m'est certes connue, cependant, il s'agit d'une cuvée particulière. Il y a quelque chose de féérique parmi ces flots-là.

Un peu de curiosité, est-ce que le sang d'une enfant ensorcelée allait tout de même être plus attractif pour récompenser tout de même un minimum le pauvre vampire mélodieux ? Un sourire acéré s'invita sur le visage de Dracula.

- Elle n'est ni morte, ni captive.

Ce détail serait-il appréciable ? Le Comte laissait un peu de curiosité le prendre, et puis, il se demandait aussi si cette touche de brillance pourrait apporter de l'inspiration diverse. Mephisto ne semblait cependant pas à court de réponses aux demandes, mais voilà. Pure expérience. Et, inutile de préciser que peut-être Belladone s'adonnait déjà à jouer avec la pauvre mère.

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Sujet: Re: Un Concert pour deux Reines Jeu 22 Oct 2020 - 11:59

Les réflexions du Comte étendaient le questionnement dont Mephistopheles était déjà la proie. Le musicien était évidemment très attentif à tout ce que lui disait et tout ce que lui demandait son seigneur - le servir était après tout devenu sa plus grande raison d'exister. Il n'eut aucune réaction immédiate, mais c'était uniquement car il était déjà plongé dans des réflexions dont le résultat saurait, il l'espérait, satisfaire pleinement le Maître du Manoir.

Les sourcils froncés, il marqua plusieurs longues hésitations et tourna même les pages pour revenir à une époque musicale ultérieure, avant de se raviser : il avait toujours préféré garder un minimum de cohérence chronologique lors de ses propositions de concert.

Ce n'était pas les idées qui manquaient, mais aucune ne paraissait parfaitement adaptée au contexte considéré. Telles œuvres orchestrales étaient trop longues, trop bruyantes, ou bien tout à la fois. Elles demandaient trop d'instrumentistes et les réduire à un ensemble plus restreint serait totalement absurde : on perdrait l'esprit que leurs compositeurs leur avait insufflé. Telles autres œuvres dans leur forme paraissaient hors de propos. Il préférait éviter les répertoires de musique de chambre afin de marquer une différence supplémentaire entre cet aparté pleinement musical et le fond sonore autrement demandé par le Comte Dracula. Il existait de nombreuses œuvres opératiques dont le thème aurait été parfaitement adapté, telles que Der Vampyr de Marschner, ou l'excellent Freischütz de Weber. Prendre des extraits dans ce type de répertoire ne convenait tout simplement pas. Cela viendrait comme un cheveu sur la soupe. Il pensa à la Danse Macabre de Saint-Saëns qu'il affectionnait tout particulièrement - dire qu'il n'aimait initialement pas la musique française - mais là encore, quelque chose coinçait. "Macabre", certes, elle l'était, et en cela elle était tout à fait dans le thème, mais elle était aussi trop légère.

Puis il lui vint une solution et il eut enfin un bref hochement de tête approbateur.

"Beaucoup des œuvres qui feraient honneur au Manoir seraient en ces circonstances trop tapageuses et je crains que nous n'ayons de toute façon pas encore assez d'instrumentistes compétents pour en donner une interprétation juste, mais je pense savoir comment régler ce souci. Il suffirait d'en prendre l'une des transcriptions à l'orgue dont nous possédons une copie. Une pièce d'orgue entre les deux précédents morceaux offrirait un intermède stimulant et dans ces circonstances, il me semble, la puissance de l'œuvre ne serait plus un problème. A l'orgue, elle n'est que très rarement malvenue. Il existerait alors plusieurs possibilités aguichantes... Peut-être Une nuit sur le mont Chauve du compositeur russe Moussorgski ? Le thème de ce poème symphonique se prête merveilleusement bien à décrire le Domaine d'Halloween. Cela vous conviendrait-il, seigneur ?"

Autre avantage de ce choix : Mephistopheles connaissait déjà très bien le morceau en question. Cela ferait une charge en moins pour son orchestre, lequel allait tout de même devoir apprendre et perfectionner deux pièces en l'espace d'une seule journée, et dans le même temps réviser son répertoire baroque. De bien des façons, c'était sans doute la solution la plus sage qu'ils pouvaient envisager.

Ce problème réglé - ou laissé en suspens - le Comte Dracula fit à Mephistopheles l'une de ces propositions que le vampire craignait presque aussi ardemment que le soleil lui-même. Un frémissement marqué passa dans le corps tout entier du chef d'orchestre qui porta son mouchoir devant ses lèvres, comme pris d'une atroce nausée à l'idée même de ce sang simultanément délicieux et écœurant qu'il pouvait imaginer couler dans sa gorge.

Crispé, tendu par un dégoût absolument insurmontable autant que par l'envie, le besoin parfaitement naturel et instinctif qu'il partageait avec toute son espèce, Mephistopheles était un paradoxe (mort-)vivant. Mais n'était-ce pas déjà le cas de bien d'autres façons ?

Les larmes coulaient désormais à flots plus soutenus contre ses joues. Il tourna un visage tempétueux vers le Comte. Son regard asymétrique s'était changé en fenêtres limpides, offrant une vue privilégiée sur les forces contraires titanesques qui s'affrontaient en lui à cet instant précis.

Ce sang spécial, ensorcelé, ne faisait qu'accentuer la torture quotidienne qu'il s'infligeait. Quant à connaître les circonstances dans lesquelles il avait été ponctionné, cela ne changeait absolument rien au problème. Si Mephistopheles avait été en mesure de se convaincre de boire lorsqu'il était maître de lui-même, s'il avait pu trouver le moyen de le faire sans blesser personne, il l'aurait sans doute fait, quand bien même cette idée n'était pas toujours bien claire pour lui. Rarement consciente. Il n'était généralement capable de ne penser qu'à une seule chose, qui l'obnubilait : il ne voulait plus boire de sang.

Mais il y avait une limite à sa volonté, et c'était ainsi qu'il était devenu un meurtrier, un monstre, un véritable démon, dont il portait d'ailleurs le nom. Il était responsable de tant de vies gâchées... A commencer par celle d'Emile lui-même. Sauf forcé par la loyauté exceptionnelle qu'il vouait au Comte Dracula, qui par un quelconque miracle dépassait encore l'intensité de son blocage, il ne savait plus boire sans tuer.

"Je vous remercie, maître. N'en prenez pas ombrage, je vous en prie, mais je préfèrerais m'abstenir..."

Il faisait de son mieux pour garder un ton égal et le comportement le plus raffiné et révérencieux possible. Il associa à son refus une infime courbette de la tête, comme pour s'excuser deux fois plutôt qu'une seule.

Sujet: Re: Un Concert pour deux Reines Sam 10 Sep 2022 - 18:56

Le sourire du Comte était là, satisfait de la proposition musicale. Des compétences de son compositeur, mais peut-être un peu amusé de l'état dans lequel la pauvre créature se mettait lors que le sang faisait son entrée.

Ah le tragique, que seraient les artistes sans âmes torturées ? En considérant qu'il en restait des miettes dans le vampire qui s'excusait de refuser la proposition.

Dracula fit tinter le métal en y tapant du bout d'une griffe, évidemment qu'il n'en voulait pas à Mephisto. La tenue noble qui se débattait afin de demeurer était très appréciable. Les rejetons de la nuit se devaient de rester de cette si belle élégance malgré les pulsions meurtrières en eux, voilà une chose de plus qui témoignait de leur grandeur.

Le Comte savoura sa nouvelle tournée, avant de se tourner afin de déposer le récipient dans les mains d'un serviteur non-vampire.

- J'apprécie la force que vous mettez à vous tenir, malgré la présence d'une bonne âme en vous.

Faisant volteface, le Ténébreux approcha son compositeur et attrapa une épaule de ce dernier. Une prise de cette main froide et acérée, une prise forte mais qui ne visait pas à faire mal. Dracula regardait de sa hauteur l'Éploré qui faisait honneur au surnom porté.

- Ce que je veux, c'est ça. Faites ressentir dans vos musiques ces torrents de désespoir, ces requiems de nos âmes perdues à jamais. Vous êtes le seul à le pouvoir, car pour ma personne et bien d'autres des notres... il n'y a plus rien.

Un regard intensément rouge perçait la faible lueur qui habitait la pièce, le Manoir grinçait comme une plainte lointaine.

- Vos choix pour les reines que j'attends me conviennent parfaitement, j'ai confiance en votre talent.

Il relâcha sa prise pour s'en aller quérir l'intérêt du paysage extérieur. Un instant contemplatif, pour essayer de ne pas à nouveau boire. Combien de litres glissait-il dans sa gorge plus aride que les désert ? Oh Dracula se trouvait bien démuni face à cette question... C'était comme si la moindre goutte s'envolait au contact de son oesophage. Il n'y avait parfois que le sang frais de ses favorites, humaines, qui lui permettait de tenir un peu plus.

Quelques minutes.

À peine.

Les phalanges d'une main caressèrent le cadre de la fenêtre, un bois qui se trouvait être bien proche de ce qui se faisait déjà ressentir dans la gorge du maître des vampires.

- Mephistopheles, dans l'une des prochaines oeuvres que vous mettrez en place pour nous... je veux y ressentir la sensation des proies lors de nos chasses. Celles que j'ai aimé durant quelques temps.

Un peu de mélancolie, alors que les mots s'envolaient dans un ailleurs où le ton s'emportait aussi. Dans le vague, les souvenirs de l'horreur dont le Manoir pouvait être la scène.

Un être doué d'empathie pourrait peut-être bien satisfaire la lubie musicale du Comte Dracula.

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Sujet: Re: Un Concert pour deux Reines Lun 24 Oct 2022 - 9:03

"J'apprécie la force que vous mettez à vous tenir, malgré la présence d'une bonne âme en vous."

Considérant son état, Méphistophélès aurait difficilement réussi à répondre tout en maintenant le sang-froid pour lequel on était en train de le féliciter, d'autant qu'il était extrêmement touché de recevoir un compliment du Comte. Chaque preuve de la satisfaction qu'il offrait à son Maître était très précieuse aux yeux du musicien, qui avait décidé de dédier à Dracula ce qu'il restait de sa non-vie.

Il réagit une nouvelle fois par un petit hochement de tête très respectueux, acceptant la flatterie avec bonheur, mais aussi avec une certaine forme d'humilité. Méphistophélès n'était pas fier de ses faiblesses, et encore moins de les exposer face au Comte Dracula, même si celui-ci louait son comportement.

Très surpris, Méphistophélès redressa le nez alors que son Maître lui attrapait l'épaule fermement et lui disait des mots qui volèrent un peu de son austérité. Il était trop ému.

"Ce que je veux, c'est ça. Faites ressentir dans vos musiques ces torrents de désespoir, ces requiems de nos âmes perdues à jamais. Vous êtes le seul à le pouvoir, car pour ma personne et bien d'autres des nôtres il n'y a plus rien."

... Véritablement trop ému par ces mots trop généreux. Le monstre qu'il était ne les méritait pas. Et que dire de l'allure qu'il avait lorsqu'il revenait de ses chasses accidentelles ? J'apprécie la force que vous mettez à vous tenir, malgré la présence d'une bonne âme en vous. Dans ces moments, il ne se tenait plus du tout.

Néanmoins, il était vrai qu'il ressentait trop, et que c'était anormal. Les autres vampires n'étaient pas comme lui. Ce qu'il imaginait être une tare aux yeux de son maître était donc en réalité une qualité ? Il baissa encore la tête.

"... Comte Dracula, vous êtes trop bon avec moi... Mais je suis quoiqu'il en soit comblé d'être en mesure de vous satisfaire malgré la façon dont je suis... Voire grâce à elle, devrais-je dire, considérant vos propos."

"Vos choix pour les reines que j'attends me conviennent parfaitement, j'ai confiance en votre talent."

Les larmes de crocodile de Méphistophélès coulaient au plus intensément qu'elles pouvaient le faire sans qu'il ne se mette à sangloter. Trop de compliments en trop peu de temps... Son coeur explosait de joie et de légèreté. Lorsque Dracula était heureux de cette façon, son serviteur musical avait l'impression de s'accomplir.

Mais le sang dans ses veines - déjà froid - lui donna malgré tout l'impression de se glacer. La joie s'évapora lorsque le Comte formula une nouvelle requête qui allait demander au vampire de donner énormément de lui. Son mental serait durement touché par l'épreuve de cette composition qu'on lui commandait.

... Dracula voulait des torrents de désespoir, et il n'hésiterait pas à les ponctionner dans son âme torturée. Méphistophélès était ravi de servir. En revanche il n'avait pas hâte de souffrir le martyre en évoquant les souvenirs de ses meurtres pour être au plus proche de l'émotion. Surtout s'il fallait qu'il imagine la douleur et la peur de ses victimes.

... Il devrait composer dans sa chambre, durant ses insomnies, entouré de ses reliques. Ce serait le meilleur cadre pour tirer l'essence des pires moments de sa non-vie et les offrir aux oreilles de son Maître.

Le visage refermé - car la perspective de créer cette œuvre lui faisait déjà mal - Méphistophélès prit le temps d'encaisser avant de répondre docilement :

"... Très bien, Seigneur... Ce sera fait aussi vite que possible sans que la qualité de la composition en pâtisse. En attendant que j'aie terminé, puis-je vous proposer de faire travailler à nos musiciens un quatuor de Schubert dont le thème est très proche de votre requête ? D'ici quelques soirs, nous pourrons déjà en égayer vos oreilles..."

La jeune fille et la mort... Une œuvre splendide de plus au compteur d'un musicien que Méphistophélès admirait beaucoup.

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