La douleur vient, elle s’infiltre et refuse de s’en aller.
Il se peut que ça soit le rejet, la porte qu’on referme en la voyant au coin de la rue ; qu’elle voudrait juste être invitée pour partager le thé puis repartir dans le silence d’une nuit moite.
Que les rêves d’acceptation ont quelque chose à envier à ceux où on s’égare sans trouver d’où on vient, maisons qui ont toutes la même porte et le même numéro.
La douleur vient, et on lui dit ‘non, pas toi’. On ne cherche pas à la comprendre, et jamais, au grand jamais, on irait demander ‘comment s’est passé ton voyage, est-ce que je peux te regarder, juste un instant, laisse moi tracer tes traits et mémoriser ton visage’.

Juniper a remarqué les pleurs, l’impromptue visite qui ne semble plus discerner l’entrée du cimetière et encore moins par où le quitter. Iel a entendu la douleur, l’a reconnue sans vraiment écouter, pull trop grand dont il défait la laine au niveau des mains, un coup d’ongle, puis de dent, après l’autre.

Si on prêtait attention à la douleur, au deuil et à la peine—si on cessait de tout séparer, de juger et de prétendre que tout va bien, est-ce que ça serait mieux ? Juniper a perdu le goût de l’amour, il n’a connu trop tôt, le perdant en l’espace d’une seconde, d’une dernière inspiration et de cris qui résonnaient bien trop clairement dans une foret dénuée de fin. Ou bien était-ce un bois ?

‘Je ne veux pas te voir, je veux que tu disparaisses’ qu’on chuchote, voix baignée de honte, à la douleur. Et l’on pourrait presque s’en convaincre, croire un instant que la peine se déciderait à ne plus attendre derrière la porte, qu’elle ne briserait pas les vitres, laissant du verre sur les tapis et enfoncé dans la plante des pieds.

Iel suit, d’abord de loin, plus de plus prêt, enfant qui a perdu ce titre, adulte qui n’est pas. Juniper attend, prêt à tuer, sans avoir besoin d’une raison.

« Pourquoi t’pleures ? »

Le contact est une aberration ; les mains qui s’accrochent ne sont pas gelées, pas dénuées de vie, elles pulsent si doucement qu’iel doute que l’humaine ne s’en rendre compte. C’est simple d’oublier les battements d’un cœur, si on cesse de les entendre.

« Qu'est ce qu'un enfant fait ici? Tu es en danger ici tu devrais partir, tu devrais pas être là! »

Et Juniper est cruel.le, iel l’a toujours été, dans l’avant ou l’après, à chaque opportunité. Alors, iel patiente, écoute en devant se retenir de redresser ses doigts aux ongles si vifs qu’ils peuvent percer le cœur du premier coup, pas que ça soit très difficile. Il suffit de savoir où viser, de déloger la cage thoracique.

« Quel âge tu as cariño? »

Au contact dans sa chevelure, iel ne répond pas, c’est une douceur anormale, un autre type de blessure ; une fantôme et translucide qu’on préfère ignorer en espérant qu’elle s’en ira.
Quel est son âge ?
Juniper dirait ‘si vieux, tellement plus âgé que toi, que tout ce que tu pourrais imaginer’ s’il désirait briser l'instant si rapidement. Il dirait aussi ‘j’ai oublié, et c’est mieux, de ne pas avoir de nombre, de ne pas être sûr, ça m’évite de penser au reste, à ce que ça veut dire, d’être un adolescent pour l’éternité’.
Déjà, elle s’éloigne, victime qui ignore son sort—June pense à Belladone, à ses jeux au Port et ailleurs.

« Tu ne viens pas? C'est dangereux ici il faut partir. »

Ses pas sont légers, et iel appuie sur le boitement depuis longtemps disparu d’une jambe. Presque avec douceur—tentant de se souvenir ce qu’est un enfant—il attrape la main de la femme, tirant sur une manche pour ne pas qu’elle réalise à quel point iel est gelé.e.

« Je jouais, et j’ai oublié que j’étais là. » Où est-ce qu’elle compte bien l’entraîner ? Oh, June s’en fiche, c’est juste qu’iel pourra tout raconter à Belladone, elle qui aime les belles histoires et manipulations diverses, « Et toi, t’as quel âge ? Tu as l’air jeune, Madame. »