Just come and grab my face
And never let it go
My pleasure is at stake
Now lift me slow
Just take what you can
And never let me go

La nuit fraiche nous cueille de ses langueurs glacées. Brise immaculée qui sèche le sang sur nos peaux. Je tiens sa main, fébrile et habité par sa présence consentie. Ma princesse de désespoirs, coquille de tous mes échos. Nuls mots échangés. Nous n'en avons pas besoin.
Je te devine, tu me sais.
Cela nous convient.
Jamais je ne t'ai perdue de vue, tu sais ?
J'attendais mon heure, qu'éclose la fleur, que l'accord soit tenu. Ce corps est étroit et tu ne seras plus tout à fait toi, désormais. Néanmoins, je puis te l'assurer, le jeu en vaut la chandelle, Ya orr'e.

Nous traversons la jungle sans jamais nous retourner.  Le gel sous nos pieds n'a aucune incidence sur notre avancée. Nous sommes bientôt sur la crête de la falaise. Les flots bouillonnants se jouent des glaces par endroit. J'enlace ma nouvelle sœur plus étroitement.
Un seul regard.
Une seule conclusion.
La confiance est aveugle.

Nous sautons.

Dans les vertiges de la chute, j'offre mon air à ses poumons. Nous ne faisons qu'un, le temps d'un plongeon dans les tréfonds de l'océan. Ce chemin, je le connais d'instinct. Je nage avec elle, au travers des coraux ténébreux entrelacés, dans le boyaux de granit. Je la guide jusqu'à la Sangrotte, notre lieu de Culte.
Notre maison.

Mère est là, avec sa chevelure d'écumes exquises. Son beau sourire renforce ma joie et mon excitation.

- Mère, Ô ma très chère mère. Vois qui je te ramène ! J'aide ma compagne à sortir de l'eau, ses magnifiques algues ténébreuses sur sa peau dorées. La Chuchoteuse des Vents Obscures, la Terre Ingrate, La Chèvre Noire des Bois aux milles Chevreaux.....

Je prends la menotte pâle de la Rêveuse dans l'une des miennes, et la main brune de ma soeur dans l'autre. Je les joins toutes deux et les presse contre ma poitrine.

- Voici ta Fille, ma Soeur, notre Famille...

HRP:

Ces jours devenaient de plus en plus vivants, alors que l'île mourrait de froid. Annabelle savourait sa presque liberté, à vite éplucher des pommes de terre pour essayer de rejoindre les groupes qui troquaient avec les autres camps. Elle avait pu rencontrer un ami à qui elle écrivait des lettres et qui avait eu l'inspiration de dessiner l'endormie R'lyeh. Elle s'était même risquée dans le campement du canyon, pour porter ses remerciements à Boa. -La Dormeuse ne savait pas ce qui s'était passé là-bas depuis.- Elle aimait ne pas devoir soigner les hommes, elle aimait que les choses soient comme dans ses saintes histoires. Sans argent ou chair. Elle n'admettrait que la seule chose qui lui manquait était la compagnie pour dormir. Le silence lui faisait encore peur.

Une main distraite se laissa sentir par peut-être un shantak, de l'autre côté de ce fin voile entre leurs mondes. Reprenant ses pensées, elle remarqua son sourire qui n'avait jamais été aussi présent. Elle n'avait jamais eu autant l'impression d'être entourée que depuis que Cthulhu l'avait rejoint grâce à Carne. Et là, elle attendait qu'il arrive. Elle avait même apporté un petit panier avec quelques choses à grignoter, Asher n'était pas dans les parages pour l'empêcher de piquer un peu. Elle avait voulu prendre une théière chaude, mais elle n'y était pas parvenue. Alors, Annabelle avait emporté ses couvertures de lit. Au cas où. Elle avait laissé son écharpe à Tool, elle pourrait bien user de chaudes couvertures pour ses enfants.

Elle était toujours un peu inquiète quand Carne partait. Evidemment, c'était idiot, il ne pourrait pas être dissous par des humains tout simple ! Mais à nouveau, l'image des gens du Bayou qui savaient se jouer de la science cosmique lui fit peur. De toute façon, pour le moment, les problèmes ne venaient pas de la terre de Maman Brigitte. Et puis, quand elle y était allée ça s'était bien déroulé...

Annabelle s'assit délicatement sur un rocher, le panier à coté d'elle. Enroulée dans son manteau blanc et doux, elle observait l'eau en chantonnant une berceuse.

Puis, enfin, l'eau se transperça.

La Dormeuse se leva d'un bon, un sourire radieux sur le visage. Ils étaient là. Elle trépignait sur place, il y avait tant de joie dans les yeux qu'ils en laissèrent un peu couler sur les côtés du faciès porcelaine. Alors que la nouvelle silhouette se détachait des eaux, la fille de joie porta les mains à la bouche, comme si elle craignait que son âme cherche à s'envoler. Ce fut sans se faire prier qu'elle laissa Carne prendre sa main pour la lier à cette famille. Ce mot-ci d'ailleurs se grava pour de bon dans son coeur, si ce n'était pas déjà le cas.

- Est-ce vrai ? Est-ce véritablement vrai ?

Ses yeux pâles se plongeaient dans l'observation de cette fille. Annabelle regarda Carne, en se pinçant les lèvres, comme si elle cherchait encore à se rassurer. Toute souriante, elle reposa l'observation sur la Peau-Rouge.

- Ooooh tu es si jolie, si jolie !

Elle se libéra les mains pour enlacer sa nouvelle fille. Elle l'avait adoptée. C'était une partie de Cthulhu, une partie de Carne. C'était bel et bien son enfant. Annabelle enlaçait en y mettant tout l'amour maternelle que son coeur pouvait porter. Et il y en avait autant pour son fils.

Puis, elle s'écarta un peu brusquement. Elle releva les pans de sa robes sous le manteau pour s'en aller fouiller le panier, les doigts en extirpèrent une couverture qu'elle s'empressa de poser sur les épaules de la native. Elle dû un peu se mettre sur les pointes des pieds, mais elle faisait de son mieux. L'action se répéta aussi pour le pirate. Peut-être que le froid n'était pas un problème pour eux, mais elle ne pouvait simplement pas ne pas leur montrer son affection.

Ils étaient la seule raison pour laquelle cette île valait la peine.

- J'avais hâte de te rencontrer tu sais ? Je m'appelle Annabelle, et tu peux considérer que je t'aime tout autant que j'aime Carne... Il est mon fils, tu es ma fille et je suis ta mère maintenant. Oh, venez ! J'ai apporté quelques aliments de la cuisine du Ranch.

Après s'être adressée à la cette nouvelle âme, elle avait évidemment invité tous les deux.
Elle présentait déjà le panier en reprenant place sur le rocher qui étaient entouré de deux autres.

- Racontez-moi, et quel est ton nom ? Du moins, celui avec lequel tu es arrivée sur l'Île.

Annabelle était très heureuse, et curieuse de découvrir cette fille qu'on lui apportait. Elle était très fière de Carne qui agrandissait le cercle de ses enfants. Mais la voilà confrontée à quelque chose qui n'était pas présent dans ses livres et grimoire. Cthulhu possédait des genres de rejetons, plus petits que lui, servant de soldats. Il se propageait. C'était différent. C'était bel et bien le peuple de K'n-yan. Elle trouverait bien un nom pour embellir sa fille. À partir de là, elle devait écrire elle-même. Comme lorsqu'elle avait écrit avec Peter. Bientôt, les dieux extérieurs auraient de nouveaux cousins. De nouveaux prêtres pour les Anciens.

La joie de Mère me rend extatique. Mes babines s'étirent, découvrant mes crocs pointus d'un émail éclatant.

- Est-ce vrai ? Est-ce véritablement vrai ?
- Oui, véritablement oui ! Elle te plait, Mère ? fais-je, le coeur battant dans leurs paumes mêlées. Elle est belle n'est-ce pas ? Je passe mes doigts pâle dans l'encre de sa chevelure.

Son expression est une gourmandise qui offre pleine satiété à mon âme. Ma Dormeuse, ma Rêveuse, ma mère tant aimée adoube cette soeur du Néant. Notre trinité n'est qu'un début, une première pierre. Nous en consommons la sainteté autour d'un repas.
Je prends la main de Ya orr'e et l'assoie galamment sur la pierre croutée de sel et d'oraisons. Nous rompons le pain et j'écoute les deux femmes de ma vie échanger.

- Racontez-moi, et quel est ton nom ? Du moins, celui avec lequel tu es arrivée sur l'Île.
- Je suis née Loutre Sage, l'Harmonie. On m'a appelé Sica depuis ma renaissance.
- Harmonie tu fus, Chaos tu seras, désormais.

J'arrache avec mes dents un morceau de viande froide -cuite, malheureusement- et saisit délicatement le menton de Sica. Mon pouce entrouvre ses lèvres charnues et investit sa bouche. J'y glisse le copeau de bidoche sur sa langue comme une oiselle nourrit son oisillon et l'enjoint à mâcher d'une oeillade tendre.

- Mi hermosa Sica...
- Veux tu me donner un nom, Mère ?
- Oui! dis-je soudain exalté comme un bambin. Baptise-là, Mère ! Donne lui un nom !
- J'aime les noms. Frère m'en a déjà donné plusieurs.
- Ils ne seront jamais aussi puissant que celui que te donnera "Celle qui sait tout". Elle possède la Clé d'Argent!