Ce soir ou cette nuit, difficile à dire, Lundi avait passé bien trop de temps à observer quelques coups de foudre et rescapés de vengeance. C'était toujours plaisant, et divertissant, mais le givre forçait les âmes à se cacher dans des lieux fermés. Souvent, Klere ne voyait que les toits, ou des orbleus errants comme des zombies. Moins pourris certes. Quel dommage, les gens se cachaient. Et le ranch non plus ne fournissait pas beaucoup de distractions... il avait vaguement vu des gens en sortir et y entrer. Avec des gros sacs de vivres, probablement que c'était ça.

C'était calme dans la grande maison rapiécée au fil des naissances et des épouses. C'était calme, sans orage qui grondait. Juste des vapeurs parfumées volant dans les airs de la pièce. Oh tiens, était-ce possible d'apprendre à des zombies de jouer de la musique ? À méditer pour plus tard. Pour le moment, Lundi effaça les images sur l'eau en y trempant les doigts. Il y créa un petit tourbillon vite évanoui dans le calme stagnant. Un grand soupir, le Céleste se redressa et fit craquer les épaules en s'étirant. Que faire maintenant ? Oh, mais quelle question... Il avait envie d'aller voir son petit frère. Lundi attrapa au passage un plus épais manteau, il faisait bien plus frais. C'était enquiquinant.

Quelques distances plus loin, dans le Bayou. Proche de la fin, une périphérie avec le monde des autres. Le troisième Baron se présenta face à la porte de Mardi, il y entra d'ailleurs sans plus de manières. Tout sourire, il s'empressa tout de même de fermer derrière lui pour refuser au vent d'entrer.

- Heeeeey, Janblan !

Les yeux scrutèrent les alentours, n'y voyant que les créatures grouiller. Lundi progressait entre les animaux, entre les meubles, entre les murs. Il se pencha même sous une table pour y voir qui pourrait bien s'y être caché.

Mais rien.

Pas de guédé tout blanc, pas son cadet.

Un coup de tonnerre retentit, un brin d'agacement se dessina sur le faciès de Lundi. Il roula des yeux en allant se poser quelque part, dans des coussins. Après chasser quelques bêtes qui avaient réchauffé la place. Un temps, puis deux. Et ainsi de suite.

Klere changeant lentement la petite patience en une inquiétude.

Où était donc parti Mardi bon sang ? Ça commençait à ronger. À ruminer.

Et le Céleste se retenait de voir par les cieux. De chercher Janblan, il devait attendre. Être... patient. Ce qui lui demandait bien des efforts olympiens. Le Baron se redressa donc, plus ou moins furieusement avant d'entamer une ronde des cent pas. Devenant peut-être une attraction pour le peuple de la maison de la Toile.

Lundi commençait déjà à faire des montagnes de ce qui n'était probablement rien...

Tout va bien, Mardi était de retour. En un morceau, et l'orage se calma. En un morceau, mais un peu cassé quand même. Maman veillait, mais ça n'empêcherait pas Lundi de se faire un peu de souci pour son cadet. Il aurait voulu souligner la mauvaise idée de se mettre au froid alors que le corps paraissait si malade, il n'en fit rien au final. Il espérait tout de même que la Toile profitait de la chaleur des animaux pour se tenir en meilleur condition au moins.

La rude marche sur le plancher s'était arrêtée, pour écouter alors que les yeux suivaient le frère rejoindre un endroit où se poser. Puis, la demande du rhum. Une riche idée, évidemment. Lundi ne se fit pas prier et attrapa de quoi garder les gorges au chaud.

- Rien en particulier, je m'ennuyais. J'ai eu envie de te tenir compagnie Janblan !

Tout sourire, en venant s'installer à côté de Mardi. Klere ne manqua pas de gentiment lui poser une main sur la tête, juste pour perpétuer la tradition du contact et du courant qui éclatait. Puis il tendit une bouteille avant de s'attaquer à la sienne.

Il hésita, mais impossible de nier les toux.

- Ça valait le coup ? Ce pourquoi t'es allé te fourrer tant le souffle refroidissant.

Une gorgée gobée, Klere se penchait était curieux. Mais savait ne pas insister. Cependant, il devait poser la question avant de comprendre s'il pouvait savoir ou non.

Pas en forme le petit frère, il n'en fallait pas plus pour que Lundi comprenne qu'il allait falloir jouer de verres. Allez, l'aîné s'attèle à la demande et sert du rhum dans un verre qu'il tendit soigneusement au destinataire qui fusionnait aux couvertures. Il aurait bien voulu taquiner, mais il s'était retenu. La Toile lui faisait souci avec ses quintes de toux.

Alors que le troisième fils reposait la bouteille pour s'installer à son tour un peu mieux, il releva les yeux sur Mardi qui exposait la raison de son expédition.

Le nom d'Ozzie raisonnait, et le Céleste fronça un peu les sourcils. Il chipa, alors que son frère paraissait bien endeuillé... et il ne pouvait pas lui en vouloir. Lui-même admettait qu'ils étaient incomplets, il manquait un lien important. Mais, se faire violence pour recueillir des souvenirs... Bien vite, le guédé comprit qu'il ne s'agissait pas que de sentimentalisme. Janblan prévoyait de ramener Mercredi parmi leur fratrie.

Si Klere semblait noircir un peu le regard, celui-ci s'illumina de résilience en croisant celui de l'albinos et en entendant sa question.

Affalé, il quitta les yeux pour s'attarder sur le plafond de la pièce grouillante. Peut-être qu'un léger grondement avait résonné, simple mauvaise humeur, mais une longue inspiration suivie d'une expiration tout aussi calculée calmait le jeu.

D'un coup sec, le visage d'onyx se tourna à nouveau sur Mardi.

Plissant les yeux.

- J'en ai pas envie...

Et le voilà qui se redressa pour avaler du rhum en plusieurs gorgées bien abondantes.

- Mais tu sais que je le ferai, c'est des liens... sacrés.

Mercredi restait un frère, et Mardi y tenait. Maman le voudrait aussi sûrement... tous voulaient rester entier, sûrement... Les sentiments entre colère et amour fraternel, ça se mélangeait beaucoup trop bien. Et le Céleste jouait beaucoup de mauvaise volonté, il détestait qu'on lui fasse de la peine. Et n'aimait pas admettre que cette disparition-là le dérangeait tout de même.

- Rien que pour l'engueuler moi-même.

Un soupir observant Mardi, avant d'offrir un large sourire. Pour ses frères, pour sa famille, le Baron électrique ferait toujours des efforts.

- Tu sais par quoi commencer ? Histoire qu'on trinque à ton idée.

Mardi avait l'air de récupérer un peu de force, du moins en apparence. Lundi avait un peu souri en écho à celui de son cadet, il s'entendait si bien avec la Toile. Et puis... malgré tout, le Guédé orageux aimait tous ses frères. Même Mercredi, il n'avait juste pas envie de tomber amoureux d'une femmes qui risquait de mourir peu de temps après. Mais bon, cela concernait plutôt les filles de joie... non ?

Tandis qu'il se rassurait sur ses caprices amoureux, Mardi l'arracha des tourments bien peu importants. Le regard du Céleste reprit conscience en écoutant ce que son frère avait en tête, les faits mis en place. Ou simplement mis en exposition. Pendant ce temps, les coussins et couvertures recueillirent un peu plus le poids du Guédé qui s'y installait plus encore. Le rhum à la main, faisant danser le liquide comme s'il allait y faire apparaître une de ces visions des cieux.

La tête tomba légèrement sur le côté ensuite, car la curiosité était éveillée par l'air énigmatique de Janblan. Celui-ci dévoila une nouvelle chose, une nouvelle figure parmi ses peintures magiques. Lundi fronça les sourcils, mais le sourire était bel et bien là en voyant les yeux qui le fixaient se teinter de rose orangé.

Les dents du bonheur dévoilées, et un rire franc offert, le Guédé ponctua ainsi les dires de son frère.

- Si les Loas veulent aussi, et déjà à nous cinq, on pourrait bien y arriver oui.

Il vida son rhum au fond du gosier avant de se pencher vers Mardi, déposant le verre vers la bouteille.

- Allez, ramenons notre petit frère "vilain canard".

Et le voilà qui retombait dans le moelleux avec la nonchalance d'un nuage lourd d'orage.

- Mes enfants l'aimaient bien, et je n'aime pas nous savoir incomplet. Nos liens sont précieux.

Distraitement, le Céleste replaça une de ses tresses dans le chignon complexe qu'il arborait avant de poser une question cruciale.

- De quoi avons-nous besoin ? Qu'est-ce que j'ai qu'il faut que j'apporte ?

Ils avaient des pouvoirs en communs, unis ils seraient encore plus puissants, mais chacun pouvait encore emporter leur spécialité.

- Ton nouvel ami t'aurait-il déjà glissé un mot à ce sujet ?

Ouais, ses enfants l'aimaient bien ce tonton bizarre. Néanmoins, Lundi avait toujours demandé à ce qu'ils se méfient. De même pour ses femmes. Il y a eu un écart, et cet écart a laissé une trace indélébile. Klere essayait de ne pas trop y penser pour se concentrer sur les liens.

Et puis... c'était pour Janblan.

Impensable de tourner le dos, au moins... il pourrait accueillir son cadet avec un poing serré pour le réveiller. Peut-être.

Mais attention à ne pas trop le casser.

Quel désarroi de se rendre compte que la chaleur familiale restait dans le coeur du Baron orageux, même sans qu'un pardon n'ai jamais été accordé réellement.

- Ok, on va réussir à le tirer par la peau du cul. C'est fini les enfantillages dans sa bulle.

Les Barons qui répondront présents à cette quête suffiront aisément. Le Céleste en était certain. Les liens de leur sang se montreront assez puissants pour cette quête. Un soupir. Pour son cadet et sa mère, plus que pour lui-même et sa propre famille, Lundi y mettra l'énergie de la foudre.

Plus une goutte de rhum entre les mains, Klere se redresse dans un bruyant entrechoque de bijoux avant de poser les mains sur les hanches.

- Alors, Frè mwen, réveillons nos forces. Ça nous dégourdira.

Rayonnant, peut-être pour mieux effacer la petite part de rancoeur. L'amour et la haine se chevauchaient souvent chez le Céleste orageux.