La fille prit place face à la femme, la tête humblement baissée. Le serpent l’avait surprise plus qu’effrayée mais elle était parvenue à garder contenance. Sur son siège elle se sentait infime pourtant et Moriko lui semblait infinie ; comme un grand esprit reptilien penché sur elle. A peine aurait-elle été surprise de sentir une longue langue bifide et froide effleurer sa joue, sondant jusqu’à ses plus profonds secrets.

Par réflexe, dans une recherche de réconfort et de courage, Marianne effleura la pierre entre ses seins, percevant sa tiédeur à travers le tissu de sa chemise. Non elle n’avait pas à être intimidée; elle était légitime et les réponses qu’elle cherchait également. Elle inspira et releva son regard noir et déterminé.

Mon papà voulait que je vous rencontre. Vous plus que n’importe qui, vous étiez la première dans son estime.

A peine broncha-t-elle à la douleur qui lui serra le cœur à la mention de son père. L’Ortie s’y habituait, après tout elle n’en portait que mieux son nom en subissant cette irritation constante de ses sentiments.

Pour quelle raison, ça je ne sais pas. Je connais tout du caractère de mes lointains grands-parents de l’autre monde et même la recette exacte des lasagnes familiales mais pas le moindre indice sur ses liens ici.

Marianne n’avait pas su retenir son amertume et elle s’en sentit aussi honteuse que soulagée. La culpabilité d’avoir critiqué le pirate qu’elle plaçait au-dessus de tout et pensait parfait prit néanmoins bientôt le dessus comme si elle avait parjuré sa mémoire par son sarcasme. Elle en rougit légèrement, se demandant ce que devait à présent penser d’elle la statuesque Prêtresse dans son kimono de soie.

Désolée, dit-elle en détournant légèrement la tête : Je n’ai rien de plus qu’une poignée de nom inconnus reçus sur un lit de mort alors je suis un peu perdue.

La gorge serrée, Marianne restait pourtant droite et fière. Une larme unique coula sur sa joue, traçant un sillon de sel le long de sa mâchoire sans qu'elle cherche à l'essuyer. Elle n'était pas là pour sangloter ou se faire consoler mais pour en apprendre plus sur son père; se sentait en droit de réclamer cet héritage. Et même si chaque parole venait gratter la blessure de sa perte, elle l'acceptait.

Tu es de son sang.

Un sourire léger, presque orgueilleux, releva la commissure des lèvres de la jeune femme. Bien sûr qu'elle l'était.

Je veillerai donc à ce que rien ne t’arrive, lorsque nous serons de retour au Port.

Surprise par la mention du village pirate, l'Ortie se releva a demi sur son siège, son regard charbon intense et fixé sur Moriko.Oui. Le Port. Je veux y aller.

Elle n'était pas certaine que le “'nous'' de la Prêtresse l'incluait réellement mais quelle fierté elle aurait à visiter cette femme à la fois magnifique et terrifiante. Un honneur de pouvoir la considérer amie et protectrice. Et puis il y avait là-bas le vrai foyer de son papà. Elle n'y était allée qu'une seule fois, la nuit et en secret pour y récupérer quelques objets à apporter au chevet de l'italien mourant. Ça avait été excitant mais le passage avait été trop bref pour qu'elle se rendre véritablement compte des lieux. Par la suite elle avait été trop terrassée pour y songer, du moins jusqu'à quelques jours auparavant lorsqu'elle avait décidé de fuir au ranch et vers son indépendance.  

Il ne m'y a jamais emmenée, les enfants ne sont pas bienvenus chez les pirates n'est-ce pas ? Je ne sais pas si c'était seulement sa décision, c'est possible que mes nourrices, les femmes de Lundi, lui aient imposé.

Peut-être que les Barons avaient eu part à la discussion mais Marianne en doutait. Elle ne s'estimait pas assez importante à leurs yeux pour qu'ils daignent avoir un avis sur son sort. Après tout elle n'était que la fille bâtarde d'une épouse parmi d'autres. En revanche chez les pirates elle pourrait s'inventer un nouveau statut, ou le construire sur celui de Dino. Bien sûr il lui faudrait retourner dans le marais de temps à autres pour ne pas pourrir mais ce n'était rien d'insurmontable.

Mais je veux y aller, vous me montrerez sa maison et ses endroits préférés ? Je suis au moins autant pirate que du Bayou, je veux aussi connaître cette vie.

Elle savait si peu du véritable quotidien de son père, de son rôle auprès du Capitaine ou des autres. Juste ces noms aux visages inconnus.
Moriko
Carmine
Allan
Tijl
Pit
Quartz
Weasel
...

Personne ne viendra te chercher des ennuis tant que je serai ta guide.

La phrase nourrit immensément son ego, sentiment encore amplifié par le ronronnement chaud du médaillon qui, définitivement, aimait bien Moriko. Qu’elle parmi tous s’intéressât à elle et propose d’être sa guide la comblait. C’est que l’Ortie vouait une grande admiration aux femmes de pouvoir, à ses yeux tellement plus intéressantes que tous les Barons réunis. Un jour elle renverrait une image semblable.

Elle avait déjà décidé qu’elle ne serait jamais l’épouse de personne et n’appartiendrait toujours qu’à elle-même. En revanche, elle voulait bien être l’amie privilégiée de tous.

Merci. Vraiment, je me sens honorée.

Glissant une mèche de cheveux noirs derrière son oreille dans un geste nerveux à cause de la question qu’elle s’apprêtait à poser, Marianne embrassa encore un instant du regard l’image générale de la Prêtresse avec ses vêtements de soie, ses serpents et son port impérial.

Je me demande. Comment vous vous êtes rencontrés avec mon papà ? Pourquoi, de tous, vous êtes première sur la liste ?

Sûrement, elle comprenait pourquoi elle avait dû fasciner son père. Chose qui éveillait en la jeune fille un duo de sentiments contradictoires car elle l’en admirait tout autant qu’elle n’était pas prête à céder sa place comme première dans le cœur de feu Dino.